François Arago (1786-1853)
Il naquit à Estagel le 26 février 1786.
Son père, licencié en droit,
possédait de petites propriétés
dont le revenu faisait vivre la nombreuse famille.
«Mes parents m'envoyèrent à
l'école primaire d'Estagel, dit-il
lui-même dans son Histoire de ma
jeunesse, où j'appris de bonne heure
à lire et à écrire. Je recevais en
outre, dans la maison paternelle, des leçons
particulières de musique vocale. Je
n'étais, du reste, ni plus ni moins
avancé que les autres enfants de mon âge.
Je n'entre dams ces détails que pour montrer
à quel point se sont trompés ceux qui ont
imprimé que, à l'âge de quatorze
à quinze ans, je n'avais pas encore appris
à lire.» |
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Arago se munit du programme des examens, et abandonnant
Corneille, Racine, Molière et La Fontaine, se livra
à l'étude des sciences positives. Sur le champ, il
eut un obstacle à surmonter. Le cours de
mathématiques était professé à
l'Ecole centrale, par l'abbé Verdier dont les
connaissances, au témoignage d'Arago lui-même,
n'allaient pas au-delà du cours élémentaire
de La Caille. Arago se prit à étudier en
particulier, durant ses heures de loisir, les traités de
Legendre, Lacroix et Garnier. Au bout d'un an et demi, il
était prêt à subir son examen. Il se rendit
à Montpellier à cet effet. Mais Monge qui devait
examiner les candidats étant tombé malade à
Toulouse, les invita à venir à Paris. Arago ne
pouvant lui-même, à cause d'une indisposition,
accomplir un si grand voyage, retourna à Perpignan
où il continua à se préparer en
étudiant les ouvrages de Lagrange, d'Euler et de Laplace.
Un an après, il se rendit à Toulouse en compagnie
d'un candidat qui s'était aussi préparé au
concours d'admission sur les bancs du collège de
Perpignan. «C'était la première fois que des
élèves venant de Perpignan se présentaient
au concours, dit Arago à qui nous empruntons le
récit de son examen ; mon camarade, intimidé,
échoua complètement. Lorsque, après lui, je
me rendis au tableau, il s'établit entre M. Monge,
l'examinateur, et moi, la conversation la plus étrange :
«Si vous devez répondre comme votre camarade, il
est inutile que je vous interroge. - Monsieur, mon camarade en
sait beaucoup plus qu'il ne l'a montré ; j'espère
être plus heureux que lui, mais ce que vous venez de me
dire pourrait bien m'intimider et me priver de tous mes moyens.
- La timidité est toujours l'excuse des ignorants ; c'est
pour vous éviter la honte d'un échec que je vous
fais la proposition de ne pas vous examiner. - Je ne connais pas
de honte plus grande que celle que vous m'infligez en ce moment.
Veuillez m'interroger, c'est votre devoir. - Vous le prenez de
bien haut, Monsieur ! Nous allons voir tout à l'heure si
cette fierté est légitime. - Allez, Monsieur, je
vous attends !» M. Monge m'adressa alors une question de
géométrie à laquelle je répondis de
façon à affaiblir ses préventions. De
là, il passa à une question d'algèbre,
à la résolution d'une équation
numérique. Je savais l'ouvrage de Lagrange sur le bout du
doigt ; j'analysai toutes les méthodes connues en
développant les avantages et les défauts :
méthode de Newton, méthode des séries
récurrentes, méthode des cascades, méthode
des fractions continues, tout fut passé en revue ; la
réponse avait duré une heure entière.
Monge, revenu alors à des sentiments d'une grande
bienveillance, me dit : «Je pourrais, dès ce
moment, considérer l'examen comme terminé : je
veux cependant, pour mon plaisir, vous adresser encore deux
questions : «Quelles sont les relations d'une ligne courbe
et de la ligne droite qui lui est tangeante ?» Je regardai
la question comme un cas particulier de la théorie des
oscillations que j'avais étudiée dans le
Traité des fonctions analytiques de Lagrange.
«Enfin, me dit l'examinateur, comment
déterminez-vous la tension des divers cordons dont se
compose une machine funiculaire ?» Je traitai ce
problème suivant la méthode exposée dans la
Mécanique analytique. On voit que Lagrange avait
fait tous les frais de mon examen. J'étais depuis deux
heures et quart au tableau ; M. Monge, passant d'un
extrême à l'autre, se leva, vint m'embrasser, et
déclara solennellement que j'occuperais le premier rang
sur sa liste. Le dirai-je ? pendant l'examen de mon camarade,
j'avais entendu les candidats toulousains débiter des
sarcasmes très peu aimables pour 1es élèves
de Perpignan ; c'est surtout à titre de réparation
pour ma ville natale que la démarche de M. Monge et sa
déclaration me transportèrent de
joie.»
Arago entra à l'Ecole polytechnique avec le
numéro 1 à l'âge de dix-sept ans, en 1803.
Ses progrès dans l'étude des sciences furent tels
qu'un an et demi après il entrait à l'Observatoire
comme secrétaire du bureau des Longitudes, en
remplacement du fils de Méchain, démissionnaire.
Il n'avait accepté cette situation qu'à la
condition de pouvoir rentrer dans l'artillerie, si cela lui
convenait. C'est pour ce motif que son nom resta inscrit sur la
liste des élèves de l'Ecole potytechnique. Il
débuta par un travail sur les affinités des corps
par la lumière, et devint quelque temps après le
collaborateur de Biot dans les recherches sur la
réfraction des gaz.
En 1806, l'empereur Napoléon, sur la recommandation de
Monge, le chargea, avec M. Biot et deux commissaires espagnols,
MM. Chaix et Rodriguez, de continuer de continuer la grande
opération géodésique de Delambre et
Méchain, pour donner une mesure plus parfaite de l'arc du
méridien terrestre, mesure qui a servi de base au nouveau
système métrique. Les deux savants français
se mirent aussitôt à l'oeuvre en établissant
un grand triangle destiné à relier l'île
d'Iviça, l'une des Baléares, à la
côte d'Espagne. Ils plantèrent leurs tentes sur le
sommet de ce triangle, c'est-à-dire sur une des montagnes
les plus élevées de la Catalogne, pour se mettre,
par des signaux, en communication avec M. Rodriguez,
placé sur la montagne de Campuey, dans l'île
d'Iviça. Exposés à toutes les
intempéries, ils passèrent plusieurs mois de
l'hiver dans ces solitudes escarpées. «Souvent, dit
M. Biot, la tempête emportait nos tentes et
déplaçait nos stations. M. Arago, avec une
constance infatigable, allait aussitôt les
rétablir, ne se donnant pour cela de repos ni jour ni
nuit.» En avril 1807, les opérations principales
furent terminées. M. Biot, empressé d'arriver par
le calcul au résultat définitif, partit pour Paris
; M. Arago allait seul achever les travaux commencés,
lorsque la guerre éclata entre l'Espagne et la
France.
Pris pour un espion par les Majorquains soulevés, M.
Arago n'eut que le temps de se déguiser en paysan et
d'emporter les papiers contenant ses observations. Grâce
à son accent catalan, il traversa inconnu la foule
ameutée, se réfugia, à Palma, sur le
vaisseau espagnol qui l'avait conduit dans l'île, et
parvint à sauver ses instruments. Il passa plusieurs
semaines, absorbé dans ses calculs, dans la citadelle de
Belver où l'avait enfermé le capitaine du vaisseau
pour le soustraire à la fureur populaire. Enfin, il
obtint sa liberté et la permission de se rendre à
Alger. Là, le consul de France l'embarque sur une
frégate algérienne faisant voile pour Marseille.
On était déjà en vue des côtes de
France, lorsqu'un corsaire espagnol rejoint la frégate et
s'en empare ; M. Arago est fait prisonnier, conduit au fort de
Rosas, jeté sur les pontons de Patamos et accablé
de mauvais traitements. Cependant le dey, à la nouvelle
de l'insulte faite à son pavillon, exige et finit par
obtenir qu'on rende la liberté à tout
l'équipage. On reprend le chemin de Marseille, on arrive.
Le jeune savant se croyait au bout de ses infortunes ; tout
à coup une affreuse tempête du nord-ouest repousse
le vaisseau, le chasse et le jette sur les côtes de la
Sardaigne. Autre péril : les Sardes et les
Algériens sont en guerre ; aborder, c'est retomber dans
une nouvelle captivité. Par surcroît de malheur,
une voie d'eau considérable se déclare ; on se
décida alors à se réfugier vers la
côte d'Afrique. Le vaisseau, à moitié
désemparé et prêt à couler bas,
toucha enfin à Bougie, à trois lieues d'Alger.
Déguisé en bédouin, et sous la conduite
d'un marabout, Arago se rendit à Alger auprès du
nouveau dey qui ne l'accueillit pas aussi gracieusement que son
prédécesseur, tué dans une émeute.
Mais, grâce aux instances multipliées du consul, il
parvint à recouvrer ses instruments et sa liberté,
et se dirigea pour 1a troisième fois vers Marseille. Le
bâtiment de guerre sur lequel il se trouvait
n'échappa à une croisière anglaise
qu'à force de voiles.
Le jeune et intrépide savant revit le sol natal durant
l'été de 1809. Pour le récompenser de tant
de labeurs, l'Académie, contrairement à ses
règlements, le reçut dans son sein à
vingt-trois ans, et Napoléon le nomma professeur à
l'Ecole polytechnique. Ce fut là que le digne rival de
Monge et de Laplace enseigna l'analyse et la
géodésie pendant plus de vingt ans.
Comme savant, Arago a rendu de grands services à la
science, moins peut-être par ses découvertes que
par l'admirable talent avec lequel il a su la populariser dans
ses cours d'astronomie à l'Observatoire, dans ses
comptes-rendus académiques et dans ses notices de
l'Annuaire du Bureau des Longitudes. Plusieurs branches de la
physique, particulièrement l'optique et
l'électro-magnétisme, lui doivent de notables
progrès. Il adopta avec ardeur la théorie de
l'ondulation, d'après laquelle le phénomène
de la vision est produit, non par une émanation directe
des rayons lumineux (théorie de l'émission), mais
par le mouvement d'un fluide insaisissable, l'éther, qui
transmet à la vue les ondes lumineuses, comme l'air
transmet les sons à l'oreille ; il élargit la voie
ouverte par Malus qui, en observant les modifications subies par
la lumière à son passage à travers un
milieu transparent, cristallisé, découvrit le
phénomène de la polarisation. La double
réfraction de la tourmaline, c'est-à-dire la
propriété de scinder en deux parties tous les
rayons lumineux qui la traversent, conduisit M. Arago à
l'invention d'un instrument ingénieux, le
polariscope. Il s'aperçut que toutes les fois que la
lumière passe par la tourmaline, espèce de verre
minéral, elle était identique dans le double
rayonnement, produit par cette même tourmaline ; tandis
que la lumière, envoyée par un corps gazeux, se
réfléchissait, en traversant ce minéral,
sous deux couleurs différentes. En soumettant ainsi
à l'action de cette substance minérale les rayons
émanés des corps célestes, M. Arago fut
conduit à des données fort intéressantes
sur la constitution physique du soleil et des comètes. -
On doit encore à M. Arago l'invention de plusieurs
appareils ingénieux pour déterminer, avec toute la
précision possible, les diamètres des
planètes, en obviant aux causes d'erreur produites par
l'irradiation, c'est-à-dire par l'écartement des
rayons que lance le corps lumineux. Entrant dans la voie ouverte
par Oerstedt et Ampère, il ajouta de nouveaux faits aux
connaissances sur l'électro-magnétisme. Il
découvrit ainsi qu'on peut aimanter une verge d'acier en
la plaçant au centre d'un courant électrique
convenablement dirigé ; il observa aussi le premier
l'action exercée par un barreau de cuivre mû
circulairement sur l'aiguille aimantée, observation qui
doit faire rejeter le cuivre dans la construction des boussoles.
Pour cette découverte du magnétisme par rotation,
M. Arago reçut en 1829, de la Société
royale de Londres, la médaille de Copley ; distinction
d'autant plus flatteuse qu'elle n'avait jamais été
accordée à aucun Français, et qu'il avait
contesté aux Anglais plusieurs inventions dont ils se
glorifient, entre autres celle de la machine à vapeur.
Nous passons sous silence les travaux de M. Arago sur les
réfractions comparatives de l'air sec et de l'air humide,
sur la scintillation et la vitesse des rayons des
étoiles, sur la météorologie, sur divers
points de l'Histoire des sciences, etc. La plupart de ces
travaux ne furent connus que par suite de communications
verbales faites à l'Académie ou à des
savants qui les ont consignés dans leurs ouvrages.
M. Arago succéda, en 1830, à Fourier, comme
secrétaire perpétuel (classe des sciences
mathématiques) de l'Académie des sciences, et en
cette qualité, il a prononcé des Eloges qui
peuvent être cités comme des modèles de
style et de narration.
Les oeuvres complètes d'Arago ont été
publiées par Barral (1854-1859), en 16 volumes
in-8°.
Le rôle de vulgarisateur qu'Arago s'était
donné, il le remplit éminemment dans les
différentes chaires qu'il occupa, soit comme professeur
à l'Ecole polytechnique, soit comme professeur à
l'Observatoire.
«A l'Ecole polytechnique, a dit un de ses
élèves, Arago avait professé tour à
tour la géodésie, la géométrie, la
théorie des machines, l'astronomie et la physique en
s'astreignant, sans sécheresse et sans vaine
subtilité, à la savante et solide rigueur que le
jeune auditoire peut supporter et qu'il attend de ses
maîtres. Le cours d'astronomie professé à
l'Obser vatoire, au nom du Bureau des Longitudes, demandait des
qualités bien différentes. Au lieu d'approfondir,
il fallait effleurer. L'entrée était libre ; et,
si le public mérite toujours d'être instruit, il
rend souvent la tâcbe difficile à ceux qui osent
l'entreprendre : les auditeurs, pour la plupart incapables d'une
étude lente et profonde, voulaient sans fatigue, sans
ennui, occuper leurs loisirs pendant une heure ou deux. Il
fallait leur mesurer en quelque sorte les vérités,
sans exiger d'eux un temps qu'ils ne pouvaient donner et une
patience qui leur eût bien vite échappé.
L'esprit flexible d'Arago, également capable de descendre
et de s'élever, savait éclairer les auditeurs les
moins préparés sans cesser de satisfaire les plus
doctes. C'est en se faisant toujours comprendre qu'il se faisait
toujours admirer, et son enseignement net et lumineux sans
être dogmatique, en habituant les gens du monde aux
grandes idées scientifiques, a puissamment
contribué à leur imprimer le goût des
vérités abstraites et
sérieuses.»
Arago était très physionomiste. Il avait
l'habitude, quand il commençait son cours, de chercher au
milieu de l'auditoire la tête la plus niaise ; et, chaque
fois qu'il faisait une démonstration un peu difficile
à comprendre, il se tournait, vers cette tête, et
selon qu'il remarquait une moue de mécontentement ou un
signe de satisfaction, il rendait sa démonstration plus
claire, la rectifiant encore, si la moue persistait, ou s'en
tenait à ce qu'il avait dit et ne changeait rien à
sa méthode si la satisfaction se reflétait sur le
visage de cet auditeur. Cet artifice singulier, mais
ingénieux, fit qu'Arago fut toujours compris de ceux qui
suivirent ses leçons.
En 1812, François Arago fut chargé par le Bureau
des Longitudes de faire un cours d'Astronomie, et ce cours a
été continué, jusqu'en 1845. A dater de
1819, il fit périodiquement partie du jury central pour
l'examen des produits de l'industrie. Membre du conseil de
perfectionnement du conservatoire des Arts et Métiers, il
introduisit d'importantes améliorations dans
l'organisalion de cet utile établissement. En 1821, Arago
exécuta des observations géodésiques sur
les côtes de France et d'Angleterre. En 1822, il fut
nommé membre et plus tard directeur du Bureau des
Longitudes. Le 7 juin 1830, il fut enfin nommé
secrétaire perpétuel de l'Académie des
Sciences, section des sciences mathématiques, par
trente-neuf suffrages sur quarante-quatre votants.
Les plus brillants travaux d'Arago sont antérieurs au
moment où il fut atteint par les exigences de la vie
politique. Ils datent de 1811, 1820, 1824. C'est pourquoi nous
nous arrêterons dans le récit de sa vie
scientifique à l'époque où il entra au
Parlement.
Ce ne fut qu'après la Révolution de juillet 1830
que François Arago se trouva mêlé à
la politique active. Successivement élu
député par le collège du département
des Pyrénées-Orientales, en même temps que
par le 12e arrondissement de Paris, le 15 juillet 1831 ; puis
par les collèges de Perpignan et de Narbonne, le 21 juin
1834 ; par Perpignan et par le 6e arrondissement de Paris, le 4
novembre 1837 ; enfin par Perpignan en 1839, 1842 et 1846, il
alla prendre place, dès le début, à
l'extrême-gauche de la Chambre des députés,
vota avec l'opposition et prit une part importante à tous
les grands débats sur les questions de marine, de canaux,
d'instruction publique, de chemins de fer, etc. Partisan de la
République, il se prononça en toute circonstance
contre les divers ministères conservateurs de
Louis-Philippe. Il fut parmi les 135 signataires du compte rendu
de l'opposition, publié après la mort de
Casimir-Périer, et qui était comme le programme de
la gauche. Cette opposition s'accentua encore lorsque, à
partir du 29 octobre 1840, le ministère Guizot se fut
engagé plus à fond dans la politique dite de
résistance.
Quand éclata la Révolution du 24 février
1848, François Arago fut porté par acclamation au
Gouvernement provisoire dont il signa tous les décrets.
L'opinion qu'il y représenta était l'opinion
républicaine modérée qui avait pour
principal organe Le National, et qui prévalut
d'ailleurs dans les conseils du Gouvernement. Arago se montra
opposé tant au radicalisme politique dont Ledru-Rollin
était le chef, qu'aux doctrines socialistes
exposées et défendues par Louis Blanc.
Spécialement chargé, à titre provisoire, de
la direction supérieure des ministères de la
marine et de la guerre, il remit, ainsi que ses
collègues, ses fonctions à l'Assemblée
nationale constituante, en mai 1848. Il venait de recevoir une
fois de plus, le premier sur cinq, le mandat de
député des Pyrénées-Orientales avec
36.390 voix sur 36.773 votants. Elu en même temps par la
Seine, il opta pour ce dernier département. Il fit partie
de la commission exécutive choisie par l'Assemblée
et marcha avec les troupes contre l'insurrection dans les
journées de juin. Son appui était acquis au
gouvernement du général Cavaignac : il se
sépara donc de la Montagne, dans quelques circonstances,
et vota tantôt avec la gauche, tantôt avec la
droite.
Arago possédait à un haut degré les
qualités qui font les grands orateurs et les
déploya avec beaucoup d'éclat, aussi bien sur les
chaires de la science qu'à la tribune française.
«Lorsque Arago monte à la tribune, a dit Timon dans
son livre des Orateurs, la Chambre, attentive et
curieuse, s'accoude et fait silence. Les spectateurs se penchent
pour le voir. Sa stature est haute, sa chevelure est
bouclée et flottante, et sa belle tête
méridionale domine l'assemblée. Il y a dans la
contraction musculeuse de ses tempes une puissance de
volonté et de méditation qui révèle
un esprit supérieur.
A la différence de ces orateurs qui parlent sur tout et
qui ne savent, les trois-quarts du temps, ce qu'ils disent,
Arago ne parle que sur des questions préparées qui
joignent à l'attrait de la science l'intérêt
de la circonstance. Ses discours ont ainsi de la
généralité et de l'actualité, et ils
s'adressent en même temps à la raison et aux
passions de son auditoire. Aussi ne tarde-t-il pas à le
maîtriser. A peine est-il entré en matière,
il attire et concentre sur lui tous les regards. Le voilà
qui prend, pour ainsi dire, la science entre ses mains ! Il la
dépouille de ses aspérités et de ses
formules techniques, et il la rend si perceptible, que les
ignorants sont aussi étonnés que charmés de
le comprendre. Sa pantomime expressive anime tout l'orateur. Il
y a quelque chose de lumineux dans ses démonstrations, et
des jets de clarté semblent sortir de ses yeux, de sa
bouche et de ses doigts. Il coupe son discours par des
interpellations mordantes, qui défient la réponse,
ou par de piquantes anecdotes qui se lient à son
thème et qui l'ornent sans le surcharger. Lorsqu'il se
borne à narrer les faits, son élocution n'a que
les grâces naturelles de la simplicité. Mais si,
face à face de la science, il la contemple avec
profondeur pour en visiter les secrets et pour en étaler
les merveilles, alors son admiration commence à prendre
un magnifique langage, sa voix s'échauffe, sa parole se
colore, et son éloquence devient grande comme son
sujet.
Fatigué par ses luttes politiques autant que par ses
travaux scientifiques, François Arago ne joua à
l'Assemblée législative, où les
Pyrénées-Orientales le renvoyèrent par
24.244 voix sur 32.466 votants, qu'un rôle effacé.
Il n'y prit jamais la parole et se borna à voter avec la
gauche modérée. Il ne fit adhésion ni
à la politique présidentielle de l'Elysée
qui prépara le coup d'Etat de décembre 1831, ni
à l'Empire restauré. Il fut, en 1852,
dispensé de la formalité du serment au
Gouvernement nouveau, serment que durent prêter tous les
fonctionnaires. Il mourut peu de mois après, le 2 octobre
1853.