Guifré, Guifred, Wifred (? - 1049)

Comte de Cerdagne, il succéda, en 990, à Oliba-Cabreta, son père, dans les comtés de Berga, de Cerdagne, de Conflent et dans le Capcir. De concert avec sa femme Guisla, il entreprit la fondation du monastère de Saint-Martin du Canigou, en 1007. La dédicace de l'église eut lieu en 1009. La bulle du pape au sujet de cette fondation est de l'an 1019.

Aucun document ne fournit la moindre trace du meurtre pour l'expiation duquel, au dire de certains auteurs, il se serait décidé à construire cet immense édifice, au milieu des rochers et dans le site le plus sauvage. C'était l'esprit d'un siècle où l'on ne voyait que trop souvent les princes allier la piété à la violation des préceptes du Décalogue et de l'Eglise.

Le site de Saint-Martin du Canigou
Gravure du XIXe siècle

Ce même comte, qui venait de bâtir et de doter un grand monastère, donna, en 1010, au vicomte de Narbonne et au marquis de Gothie, cent mille sols pour assurer la domination de son fils Guifred, qui n'avait pas dix ans, à l'archevêché de Narbonne. Le comte Guifred, marié en premières noces à Guisla, fille du comte de Pallas, en secondes noces avec Elisabeth, dont on ignore la famille, eut de ces deux femmes cinq garçons et une fille, nommée Fide. Raymond, l'aîné de ses fils, lui succéda au comté de Cerdagne ; Bernard eut le comté de Berga : Guillaume fut évêque d'Urgell et Bérenger, d'Elne.

Après avoir fait son testament, le 8 novembre 1035, le comte Guifred prit l'habit monacal à Saint-Martin du Canigou et y mourut le 31 juillet 1049. Pendant ses années de retraite, il creusa de ses mains, dans la roche vive, la demeure destinée à sa dépouille mortelle. Il la taillait suivant la forme du corps, étroite aux pieds, s'élargissant graduellement jusqu'aux épaules et sommée d'un évasement circulaire propre à recevoir la tête. Pujades raconte, d'après une tradition recueillie sur les lieux, que Guifred rendait chaque jour visite à son tombeau. Il y venait puiser des forces contre l'esprit tentateur qui l'engageait à rentrer dans le monde et, s'adressant à la roche béante, il disait : «Si après ma mort, qui ne peut être éloignée, puisque déjà tu es ouverte pour me recevoir, tu dois me retenir captif jusqu'à ce que Dieu m'appelle à rendre compte de mes oeuvres au jugement universel, comment ne me trouverais-je pas à l'aise dans cet asile pendant le peu d'années ou le peu de jours qui me restent à vivre ? Ne seras-tu pas demain plus vaste qu'il ne faut pour mon pauvre corps?»

Miron, abbé de Saint-Martin du Canigou, annonça la nouvelle de la mort du comte Guifred à tous les monastères de l'ordre de Saint-Benoît. L'historien Pujades raconte avoir admiré dans cette abbaye la collection des réponses envoyées par les maisons bénédictines à l'encyclique de Miron. Ajoutées bout à bout, elles formaient un énorme rouleau dont le développement atteignait quarante vares (35 mètres environ). On les déroulait pour faire honneur aux personnages de distinction qui visitaient l'abbaye. Sur le couvercle du tombeau de Guifred était gravée l'inscription suivante :

Guifredi comitis cineres monachique beati
Artificisque loci continet iste lapis.
Fine suo Iulius huic finem mille sub annis
Bis quater quinis contulit atque novem.

Tombeau du comte Guifré
Dessin de Vilardell (1899)



Le comte Guifred reposa près de trois siècles dans le sarcophage qu'il s'était préparé lui-même. En 1332, l'abbé Bérenger de Coloriser lui fit construire, dans l'église supérieure de Saint-Martin, une nouvelle tombe, où ses restes furent déposés avec ceux de la comtesse Elisabeth. L'inscription suivante, qu'on lit dans l'église de Castell, consacre le souvenir de cette translation : «Anno : M° : XXXXVIIII : Incarnacionis : Domini : pridie : kalendas : Augusti : obiit : dompnus : Guifredus : quondam : comes : nobilicismus : qui : sub titulo : beati : Martini : presulis : hunc : locum : iussit : hedificari : unde : et : monachus fuit : annis : XV (quindecim) : in nomine : Domini nostri : Jesu : Xristi : cuius : dicti : domini : comitis : et : eius : uxoris : Helisabet : comitisse : corpora : translatari : fecit : in hoc : monumento : dompnus : Berengarius : de Columbario : abbas : istius : loci anno : domini : M : CCC : XXXII».

Ce tombeau en marbre de Villefranche est celui qu'on aperçoit dans l'église de Castell. Il est du genre de ceux qu'on nomme tombeaux arqués. A Saint-Martin, le monument était défendu par une grille en fer. Sur le tombeau s'élevait la statue ou le buste de Guifred, représenté sous les traits d'un chevalier armé de toutes pièces ; le moine, sous son froc, était peint, sur enduit, dans le fond de la niche. Un arrêt du Conseil souverain du Roussillon, en date du 8 avril 1785, ordonna de transporter le mausolée de l'église de Saint-Martin dans celle de Castell. Ce dispositif de l'arrêt reçut son exécution le 11 août 1786. Peu d'années après, la statue fut brisée et les cendres de Guifred dispersées.

Pujades, Crónica universal de Cataluña, lib. XIV. - Poc, Vida de san Galderique. - Devic et Vaissette, Histoire de Languedoc. - Carrère, Le Voyage en France. - Fortaner, Notice ecclésiastique. - Henry, Guide en Roussillon. - De Gazanyola, Histoire de Roussillon. - De Bonnefoy, Epigraphie roussillonnaise.