Paul Naudo (1794-1848)
Paul Naudo naquit aux Angles, le 22 octobre 1794. Le nom qu'il
avait reçu de la naissance aurait pu rechercher dans le
monde un prestige qui ne laisserait pas d'éblouir ; son
bisaïeul avait appartenu à la grande noblesse
d'Espagne, sous le titre de duc de Vène. Quoique
respectable, sa famille vivait dans une médiocre aisance
: dans son enfance, Paul Naudo apprit à lire en gardant
les troupeaux dans le bac de Llivia, les forêts de
Font-Romeu et de la Matte.
Au sein du foyer domestique vivait un de ses oncles,
vétéran du sacerdoce de l'ancien régime.
Celui-ci, discernant les heureuses dispositions du jeune berger,
lui enseigna les rudiments de la latinité, de concert
avec deux autres enfants du village. Les progrès de
l'adolescent furent si rapides, qu'il ne tarda pas à
devenir le second maître de ses condisciples. A seize ans,
sa carrière des belles-lettres était
déjà parcourue. Obligé de se fixer à
Carcassonne pour couronner ses études d'instruction
secondaire, le brillant élève connut toujours les
mêmes succès. Lors du concours d'admission au
Grand-Séminaire il conquit le premier rang, qu'il ne
perdit jamais plus dans le cours de ses classes. Au sortir de
l'étude de la philosophie, Arnaud-Ferdinand de Laporte
lui avait offert d'enseigner cette science aux
élèves de son Grand-Séminaire. Par raison
de santé, l'abbé Naudo ne put accepter les avances
si flatteuses de ce pontife. Plus tard il se rendit aux
désirs de son évêque, et durant six ans
(1818-1824) enseigna successivement la philosophie et la
théologie aux lévites des deux diocèses de
Carcassonne et de Perpignan.
L'abbé Naudo ne se renferma pas dans le cercle des
seules sciences ecclésiastiques. La physique, la chimie,
l'astronomie et la botanique avaient de l'attrait pour lui. Il
suivit personnellement à l'Université les cours
professés sur ces sciences exactes par des maîtres
éminents, et rapportait ensuite à ses disciples le
fruit de ses investigations et de ses labeurs.
Le 19 novembre 1823, Jean de Saunhac-Belcastel fut
désigné par Léon XII pour occuper l'antique
siège d'Elne, resté sans titulaire depuis la mort
d'Antoine d'Esponchez (1801). Aux termes du concordat de 1817,
le diocèse de Perpignan devait vivre de sa vie
administrative, indépendante de celle de
l'évêché de Carcassonne. Le nouveau pontife
mit l'abbé Naudo, à peine âgé de
trente ans, à la tête de son nouveau
Grand-Séminaire, tandis qu'il appelait l'abbé
Birotteau aux fonctions de vicaire-général. Pour
assurer le recrutement des vocations sacerdotales, l'abbé
Naudo dut chercher un établissement qui abriterait
à la fois les élèves du Grand et du Petit
Séminaire. Il jeta son dévolu sur un pensionnat
d'instruction secondaire, qui était établi
à Prades, dans les locaux d'un ancien couvent de
Capucins. Un traité fut conclu en 1825 entre la
municipalité pradéenne et l'administration
épiscopale. Au mois d'octobre de cette même
année, le nouveau séminaire diocésain
ouvrit ses portes aux lévites de Perpignan. Dès le
10 mai de l'année suivante, Jean de Saunhac-Belcastel
bénit et posa la première pierre d'un
Grand-Séminaire sur l'emplacement de l'ancien
cimetière de l'église cathédrale
Saint-Jean. L'abbé Naudo y avait installé depuis
peu de temps les élèves confiés à
ses soins ; la révolution de juillet 1830 vint les en
chasser brutalement. Une foule en délire s'était
portée à cet établissement, avait
enfoncé les portes, pillé les chambres,
saccagé la chapelle et la bibliothèque. Le calme
revenu, l'abbé Naudo retourna à son poste
d'honneur et de confiance.
En 1831, Jean de Saunhac le nomma
vicaire-général. Après avoir refusé
le siège épiscopal de Clermont en 1833, Paul Naudo
se vit forcé, un an après, de monter sur celui de
Nevers, que Louis-Philippe lui offrit le 22 juin 1834. Une bulle
de Grégoire XVI, du 30 septembre 1834, le
préconisa évêque de Nevers, en remplacement
de Douhet d'Auzers, décédé le 9
février précédent. Sacré à
Paris, le 9 novembre suivant, il fit son entrée
solennelle à Nevers le 11 décembre 1834. En
arrivant dans son diocèse, le nouvel évêque
ne tarda pas à conquérir les sympathies
générales. Il y créa des oeuvres qui
témoignèrent à la fois de son zèle
et de son activité. Les cadres du personnel
ecclésiastique étaient composés en majeure
partie de prêtres originaires de contrées voisines
ou étrangères au Nivernais. Il parcourut
lui-même les plaines et les montagnes boisées de
cette région et multiplia les vocations sur son passage.
En peu de temps il mit son diocèse au rang le plus
distingué dans les états de services rendus
à l'oeuvre de la Propagation de la foi. Il
rétablit les conférences ecclésiastiques
dans les doyennés, bâtit ou releva plus de
cinquante églises ou chapelles. Grâce à son
crédit et à ses libéralités,
d'importantes réparations furent exécutées
à la tour de la Cathédrale, ainsi qu'à
quelques édifices religieux, remarquables par leur
architecture.
La ville de Clamecy lui dut son salut dans une circonstance
critique. En 1837, lors de l'apparition des nouveaux poids et
mesures, la cité s'était emplie de tumulte ; les
habitants se refusaient à agréer l'innovation
gouvernementale du système métrique. Le
préfet du département, un général de
division, plusieurs brigades de gendarmerie, huit escadrons de
cavalerie, un bataillon de ligne étaient sur les lieux
où quatre mille rebelles s'étaient portés,
attendant l'heure du marché. Pour calmer l'effervescence,
on eut recours à la médiation de
l'évêque de Nevers. Celui-ci alla le long des
groupes, porta çà et là des paroles qui
provoquèrent la confiance et abattirent les
colères. Le conflit cessa, grâce à la
puissance pacificatrice de la religion personnifiée dans
le doux et aimable pontife. L'année d'après, aux
élections de 1838, Paul Naudo eut à se jeter entre
les armes déjà fumantes de deux duellistes. Sans
son intervention, la préfecture de Nevers n'aurait revu
le soir que le cadavre de son chef, M. Badouix, ou un homme
public couvert du sang d'un autre homme public. Le préfet
de la Nièvre ayant reçu un soufflet de la main de
l'un de ses électeurs, avait envoyé un cartel
à celui-ci. Par son entremise conciliatrice, Paul Naudo
parvint à empêcher toute effusion de sang. Le
département se montra justement reconnaissant de tels
services. Tous les ans, le Conseil général votait,
par une adresse à son évêque, la gratitude
du pays. Louis-Philippe lui avait aussi décerné la
croix de la Légion d'honneur.
En récompense de huit années d'un si
fécond épiscopat dans le diocèse de Nevers,
la nonciature, d'accord avec le gouvernement français,
éleva Paul Naudo à la dignité
archiépiscopale, sur le siège d'Avignon.
Nommé le 12 juin 1845 et préconisé le 31
août suivant, Paul Naudo arriva dans sa ville
métropolitaine le 11 octobre de cette même
année. Sa figure était demeurée très
jeune. Sous une chevelure abondante et poudrée à
frimas, un large front, éclairé par des yeux
brillants et rieurs qui illuminaient, d'un rayon d'intelligence
et de douce malice, sa physionomie calme et grave. L'ensemble
exprimait une bonhomie indulgente. Il parlait avec
facilité, mais sans hâte. Le charme qu'il
exerçait, même sur les moins bien prévenus,
venait autant de son esprit vif, fécond en anecdotes, en
mots heureux, en saillies inattendues et en réparties
pleines de finesse, que de sa nature morale. On le sentait
épris du vrai et du bien. Il se passionnait en
présence du beau qui lui était
révélé et son ardeur était
contagieuse, comme sa constante belle humeur était
communicative. Le chanoine Voillot, qui avait longtemps
vécu dans son intimité et dont le
témoignage nous est, à ce titre, précieux,
faisait de l'archevêque d'Avignon cet éloge :
«Tous ceux qui l'approchaient aimaient à ne voir en
lui que l'homme aimable et saint ; il y avait, en toute sa
personne, comme un reflet des qualités du coeur qui
effaçait toute autre idée, toute autre impression
à son aspect». L'archevêque d'Avignon se
trouvant à Paris, en 1845, fut prié de
présider un sermon de charité que prêchait
Lacordaire dans l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Paul
Naudo siégeait au banc de fabrique, ayant à sa
droite l'évêque de Tulle et à sa gauche un
autre prélat, Mgr Marguerie. Durant le discours, ce
dernier se penchait fréquemment sur l'épaule de
l'archevêque d'Avignon et lui transmettait ses
impressions. Paul Naudo demeurait impassible, ou ne
répondait que par monosyllabes. Sa physionomie traduisait
le sentiment du respect qui l'animait pour le lieu saint.
Le prélat métropolitain distribua sans compter
les ressources de sa cassette entre la maîtrise de la
cathédrale, les lévites de ses séminaires,
les écoles, les maisons de secours et les
nécessiteux de l'archidiocèse. Il prit une part
active au mouvement qui se dessinait en France, à cette
époque, contre le monopole de l'enseignement
universitaire. De concert avec ses suffragants, il adressa un
Mémoire au ministre de la justice et des cultes en faveur
de la liberté d'enseignement. Il est aussi l'auteur d'une
Défense des religieuses hospitalières de
Saint-Joseph d'Avignon, parue sous forme de Mandement. Cette
oeuvre pastorale, publiée en 80 pages in-4° à
l'occasion de l'expulsion de ces soeurs de l'Hôtel-Dieu,
qu'elles desservaient depuis deux siècles, demeure comme
un chef-d'oeuvre. Leurs iniques adversaires demeurèrent
confondus à la suite de la flétrissure que leur
infligea le ferme et courageux archevêque, Paul Naudo. La
collection de ses mandements, lettres pastorales ou circulaires
s'élève au chiffre de quarante-huit opuscules ;
dans ce nombre, vingt-cinq furent publiés à Nevers
et vingt-trois à Avignon.
Le jour de Pâques, 23 avril de l'année 1848, Naudo
succomba, sur l'autel, à une attaque d'apoplexie, vers la
fin de la messe pontificale qu'il célébrait
à Notre-Dame des Doms, son église
métropolitaine. On grava sur son tombeau l'inscription
suivante, résumé fidèle de sa
carrière et de ses vertus :
Hic resurrectionem expectat
Illustr. et reverendiss. in Christo pater
Paulus Naudo,
Avenionensis archiepiscopus, domo Ruscinonensis
Vix trigesimum annum agens seminario
suae diocesis praepositus.
Episcopus primum Nivernii, postea ad hancce
sedem translatus.
Doctrina pietate caeterisque virtutibus clarus.
Die sancto Paschae XXIII mens. april.
Anno MDCCCXLVIII
Sacra solemniter peragens,
Post sumptam quasi in viaticam propriis
manibus communionem.
Velut fulmine tactus, exanimis cecidit,
Omni populo circumstante, attonito et lugente.
Vixit annos LIII, mens. VI
Beati qui in Domino moriuntur.
Le tableau sur lequel sont reproduits les traits de Paul Naudo,
au Musée de Perpignan, est l'oeuvre du peintre Billet. Il
a été exécuté d'après une
lithographie du roussillonnais Jacques Llanta. Ses armes
étaient : d'azur à un ancre d'argent, au chef
cousu de gueules, chargé de trois croix pattées et
arrondies d'argent, avec la devise en exergue : In te Domine
speravi.
Abbé Voillot, Oraison funèbre de Mgr Naudo, archevêque d'Avignon, prononcée le 7 juin 1848, dans la Métropole, petit in-12, 48 p. - Abbé Colomer, Vie de l'abbé Jean-François Melge. - Pisani, L'Episcopat français depuis le Concordat jusqu'à la Séparation. - Abbé . Capeille, Figures d'évêques roussillonnais.