Joseph Sunyer (XVIIe-XVIIIe s.)
Joseph Sunyer, que les uns font naître à
Manresa (Espagne), d'autres à Prades, certains
même à Perpignan, se trouvait, en 1608, au
nombre des six sculpteurs qui composaient la
confrérie de Saint-Luc dans cette
dernière ville. Sunyer est surtout connu en
Roussillon pour les grands travaux de sculpture qu'il a
exécutés dans les églises de
Notre-Dame de la Réal, de Prades, de Collioure,
de Thuir, de Vinça, de Ro et de
Font-Romeu. |
Retable de Prades (détails)
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En 1704, Joseph Sunyer avait été appelé
à construire le retable de l'autel-majeur de Font-Romeu.
Le 29 septembre de cette année-là, il perdit un
fils appelé Pierre qui fut inhumé dans la chapelle
de cet ermitage, ainsi que l'indique une table de marbre
encastrée dans le mur de l'église, sur la
façade intérieure, du côté de
l'évangile. Joseph Sunyer avait achevé ce monument
au mois de juin 1707. M. L'abbé E. Bous le décrit
en ces termes dans son Histoire de Notre-Dame de
Font-Romeu : «L'artiste a donné à cette
oeuvre la forme des triptyques. Les volets latéraux,
quoique fixes, affectent une légère inflexion qui
leur fait produire, avec le compartiment central, un angle
obtus. Le retable entier se compose d'un soubassement
dissimulé en partie par l'autel, de deux ordres
superposés et surmontés l'un et l'autre d'un
assemblage de moulures en corniche, ou si l'on veut, d'un
entablement très riche et d'un couronnement presque
triangulaire, dont les lignes sont cachées ou
brisées par des statues ou autres ornements de sculpture
qui les dominent. Au-dessus du soubassement qui a, dans sa
partie haute, les trois panneaux de la légende (de
Font-Romeu), s'ouvre, au centre, la niche de la Madone, sur
laquelle ressort un baldaquin où l'artiste a mis à
profusion ses décorations. Dans le même ordre,
chaque compartiment latéral présente un tableau en
relief qui a pour sujet, du côté de l'Evangile, la
Nativité de Notre-Seigneur et l'Adoration des
bergers, et, du côté de l'Epître,
l'Adoration des Mages. Dans l'intervalle des colonnes
doubles et vitinéennes qui s'élèvent de
chaque côté de ces tableaux, se dressent, à
gauche, la statue de la Foi, à droite, la statue de
l'Espérance, et au centre, deux anges vêtus
à la manière des guerriers antiques et
tournés vers l'Image de Marie. La même disposition
a été observée dans le second ordre.
Au-dessus du baldaquin de la Vierge se trouve la statue de saint
Martin, titulaire et patron de la paroisse d'Odeillo. Les
tableaux en relief reproduisent, à gauche,
l'Annonciation, et à droite, la Visitation de
la Sainte Vierge. Dans l'intervalle des colonnes, sont les
statues des quatre grands docteurs de l'église latine. Le
sommet du couronnement est occupé par l'image du
Père éternel ou Dieu créateur qui se penche
vers la terre, et chacun de ses angles par une statue de vierge.
Ce retable, où le moindre espace a sa moulure ou sa
décoration, est richement et totalement doré. Les
statues et les tableaux en relief sont polychromés.
En 1712, Joseph Sunyer entreprit la construction du
camaril de Font-Romeu. On appelle de ce nom une loge ou
petite chambre carrée mesurant quatre mètres de
côté, qui est contiguë à l'autel-majeur
de l'église de cet ermitage. «Elle a pour plafond,
continue M. l'abbé E. Rous, une demi-sphère
surmontée, au centre, d'une lanterne octogone et aveugle.
Deux escaliers y donnent accès par deux portes
parallèles. Sur l'un des deux autres côtés,
se trouve pratiquée une niche de forme absidale, dans
laquelle se dresse un autel dédié au Christ en
croix, ayant au pied et debout la Vierge-Mère et saint
Jean l'évangéliste. Il fait face à la niche
centrale du retable, ouverte intérieurement aussi sur le
camaril. Aux angles, sur des socles fixés au
parquet, sont campés quatre anges de grandeur naturelle,
qui jouent de divers instruments. A la hauteur de leurs
têtes, sont appliquées au mur de grandes conques
dorées qui tiennent lieu du nimbe et du pinacle
affectés aux statues des saints. Au-dessus des deux
portes d'entrée sont, à l'intérieur, deux
riches médaillons, soutenus chacun par deux anges qui,
sans appui apparent, semblent se jouer et se balancer dans
l'espace. Ces médaillons reproduisent en relief : l'un,
la Présentation de Marie au Temple : l'autre, un
épisode de la Fuite en Egypte, et non, comme on
l'a dit, la Naissance de Jésus-Christ. Ce dernier
nous montre dans le ciel un soleil brillant ; le boeuf et
l'âne placés, par un gracieux anachronisme, entre
des arbres verdoyants ; un ange occupé à cueillir
des fruits ; sur le premier plan, à gauche, Marie assise
qui reçoit les caresses de Jésus, et à
droite, saint Joseph puisant de l'eau à une fontaine qui
jaillit d'un rocher, et se retournant ravi vers l'Enfant et sa
Mère pour jouir de leurs jeux attendrissants. Cette
scène est pleine de charme, autant par ses détails
que par la manière dont elle est traitée.
Au-dessus de l'autel du Christ, deux anges soutiennent de leurs
mains un cartouche qui porte les très saints Coeurs de
Jésus et de Marie. En face et sur la porte à deux
battants qui permettait de pénétrer dans la niche
centrale du retable pour placer ou retirer la Madone de
l'Invention, d'un médaillon également soutenu par
deux anges se détache en plein relief une petite et
très belle statue qui représente plutôt
l'Immaculée-Conception que l'Assomption de Marie. Tous
ces sujets ont été richement et
délicatement peints sur fond d'or, selon les
procédés de l'ancienne polychromie... Ce dernier
travail ne fut commencé qu'en 1712, cinq années
après l'achèvement du retable. Il fut
continué les années suivantes et, dès que
la maçonnerie brute fut terminée, Joseph Sunyer
vint de Manresa, où il avait séjourné pour
quelque entreprise de son art, et il s'engagea, par un acte
passé à Odeillo, le 22 juillet 1718, à
faire les travaux intérieurs et les sculptures du camaril
pour la somme de 85 doubles (environ 750 francs), à la
condition que tout le bois nécessaire lui serait
gratuitement fourni par l'Administration de Font-Romeu.
Le retable de la chapelle de Ro, qui est de petites dimensions
et sur lequel est gravé le millésime 1704, est
aussi l'oeuvre de Sunyer. Il y aurait lieu de s'étonner
que le ciseau de cet artiste ait pu suffire à la
production d'ouvrages si multiples, si l'on ne savait qu'un
grand nombre d'ouvriers travaillaient habituellement sous sa
direction.
L'oeuvre de Sunyer a été très
sévèrement jugée par Boher, dans le
Discours sur l'architecture roussillonnaise que publia cet
artiste en 1821 : «La richesse, le feu, l'imagination, y
est-il dit, tout fut épuisé dans les autels sortis
du brûlant ciseau de Sonier (sic). Sonier fut
à la fois, dans le Roussillon, l'âme, la merveille
et le fléau de l'art... Quel malheur que trop
d'imagination ait emporté cet artiste si loin du
goût de l'antiquité, et que son génie se
soit trompé en prenant pour beau ce qui n'était
que richesse et confusion. Vit-on jamais des ouvrages
frappés avec plus de force, d'âme et de mouvement
que ceux qui parurent alors dans cette contrée ? Mais
aussi vit-on, dans aucune époque, moins de sagesse,
d'harmonie, de simplicité et de cette
élévation dont l'architecture reçoit le
plus grand prix ? Tels sont les traits qui manquent et ceux qui
se font remarquer sur tous les autels du siècle de
Louis-le-Grand, existans encore aujourd'hui dans les
églises de Collioure, de Vinça, de Prades et de
Font-Romeu». - «Dans l'ensemble, reprend M.
l'abbé E. Rous, ce jugement, qui veut être
sévère et qui tend à diminuer le
mérite de Sunyer, est loin de lui ravir toute gloire.
L'on peut convenir que Sunyer a été moins
académique et moins épris de l'antique païen
que Boher ; mais il a été plus original et plus
fécond que son émule. Le plan architectural des
autels de Sunyer serait plus parfait s'il était plus
simple et moins chargé d'ornements ; mais chacun des
détails pris à part révèle une
grande habileté. L'imagination de Sunyer est chaude et
luxuriante : son ciseau a de la fougue et se laisse emporter
quelquefois dans un mouvement exagéré ; mais il
garde toujours la correction du dessin et l'harmonie des
proportions».