I. GRECE

Le divorce, à peu près inconnu dans les premiers temps de la Grèce, était devenu très fréquent à l'époque classique, si fréquent que les orateurs grecs nous représentent la constitution d'une dot comme une précaution nécessaire pour donner quelque solidité au lien du mariage. Le mari, très souvent, ne gardait sa femme que parce qu'il craignait d'être obligé, en la renvoyant, de restituer la dot qu'elle lui avait apportée. Les Athéniens ont deux noms pour désigner le divorce. Ils appellent αποπεμψις, αποπομπη, c'est-à-dire renvoi, le divorce prononcé par le mari, et απολειψις, c'est-à-dire délaissement, le divorce qui a lieu par la volonté de la femme. Cependant cette distinction n'est pas toujours observée, et l'on trouve parfois απολειψις dans le sens de repudium.

Il y a entre l'αποπομπη et l'απολειψις cette différence que l'αποπομπη n'était soumise à aucune formalité, le mari pouvant, quand bon lui semblait, renvoyer sa femme. La femme était donc répudiée sans intervention d'aucun magistrat ; elle retournait auprès de son père ou de son kurios, les enfants restant auprès du mari. C'était d'ordinaire par devant témoins que le mari répudiait ainsi sa femme3, bien que cette solennité ne fût pas obligatoire.

Pour l'απολειψις, au contraire, l'état d'incapacité où la loi grecque plaçait la femme nécessitait des formalités particulières. La femme ne pouvait jamais agir par elle seule ; il fallait qu'elle allât trouver l'archonte, et celui-ci ne prononçait le divorce, sur sa demande, qu'autant qu'elle justifiait, dans une requête écrite, qu'elle avait de bonnes raisons pour divorcer. Si simple que fût cette démarche, elle était rendue fort difficile par l'état de dépendance dans lequel la femme était tenue. L'opinion publique se montrait d'ailleurs très défavorable aux femmes qui divorçaient. Plutarque nous raconte qu'Alcibiade, rencontrant sur la place sa femme Hipparète, qui se rendait chez l'archonte, sa demande de divorce à la main, la ramena chez lui de vive force, sans que personne songeât à s'y opposer.

Le divorce pouvait donc avoir lieu, soit du consentement des deux époux, soit par la volonté d'un seul, malgré les résistances de l'autre. Dans ce dernier cas, celui des deux époux qui se refusait au divorce pouvait intenter contre l'autre une action civile. Ainsi la femme avait une dikê apopompês contre le mari qui l'avait injustement répudiée ; le mari une dikê apoleipseôs contre la femme qui avait obtenu de l'archonte son divorce. Par cette dikê apoleipseôs, le mari demandait sans doute le rétablissement du mariage, en contestant les causes de divorce alléguées par la femme. Quant à la dikê apopompês ou apopempeôs, dont il paraît impossible de nier l'existence, le témoignage de Pollux étant corroboré par l'autorité de Lysias, il est malaisé de dire quels étaient ses effets. M. Gide estime que le jugement ne pouvait jamais rétablir le mariage malgré le mari, puisque le mari restait toujours maître de le rompre à son gré ; il en conclut que l'action avait seulement pour objet le règlement des intéréts pécuniaires des époux divorcés. C'est évidemment à nos deux actions qu'a pensé Pollux lorsqu'il a écrit, d'une façon générale, que, de même qu'il y a des lois qui règlent la formation des mariages, de même aussi il y a des lois qui règlent leur dissolution.

Le divorce pouvait avoir lieu, non seulement par le fait des deux époux ou de l'un d'eux, mais aussi par le fait d'un tiers. Ainsi le père pouvait, après avoir donné sa fille en mariage, la séparer de son mari, soit pour la reprendre chez lui, soit pour la marier à un autre. Après la mort du père, son héritier légitime avait, en certains cas, un droit à la main de l'orpheline, et pouvait, en conséquence, si elle se trouvait déjà mariée, la séparer de son mari, pour l'épouser lui-même.

Le mari, au lieu de répudier simplement sa femme en la renvoyant dans sa famille, pouvait la donner en mariage à un autre et aliéner ainsi en quelque façon les droits qu'il avait sur elle. Il semble même que cette sorte de translation de la puissance maritale pouvait se faire sans l'assentiment de la femme ; car, si Plutarque, lorsqu'il nous dit que Périclès donna en mariage sa femme Hipponikos à un autre homme, a bien soin d'ajouter que ce second mariage eut lieu du consentement d'Hipponikos, d'autres textes ne font aucune allusion à la bonne volonté de la femme. Strymodore d'Egine maria sa femme à son esclave Hermée. Socrate, le banquier, donna sa femme à Satyros, qui avait été son esclave. D'autres, comme le banquier Pasion, en même temps qu'ils disposaient de leur fortune par acte de dernière volonté, léguaient leur femme à l'un de leurs amis. Comme le dit Démosthène, les exemples sont nombreux de maris qui ont donné leurs femmes, soit entre-vifs, soit par testament.

La législation athénienne, telle que nous venons de l'exposer, est en désaccord, sur plus d'un point, avec nos idées modernes. Mais les Athéniens trouvaient la justification des dispositions qui nous semblent étranges, soit dans l'état d'infériorité de la femme grecque à l'égard de son mari, soit dans des considérations religieuses se rapportant au culte domestique. Platon, dans sa République idéale, aurait notablement modifié le droit en vigueur de son temps. Voici, en résumé, les règles qu'il se proposait d'établir : Lorsque la bonne harmonie aura cessé de régner dans un ménage, dix des nomophylaques et dix des femmes préposées aux mariages s'enquerront des griefs respectifs des époux et tenteront de les réconcilier. S'ils réussissent dans cette tentative, tout sera terminé. S'ils échouent et jugent qu'un divorce est devenu nécessaire, ils s'occuperont de trouver à chacun des conjoints séparés un époux mieux assorti. Dans le choix qu'ils seront appelés à faire, ils tiendront compte d'abord de l'humeur des conjoints, puis de la présence d'enfants nés de la première union, et du nombre de ces enfants. « Si le nombre est suffisant (un garçon et une fille), on se préoccupera seulement d'assurer à l'époux, divorcé et remarié, la vie commune et les soins qui rendent la vieillesse supportable ».

Le divorce avait pour conséquence naturelle la restitution de la dot par le mari aux représentants de la femme. En cas de retard mis à cette restitution, les intérêts couraient de plein droit au profit de la femme et ces intérêts étaient calculés à raison de neuf oboles par mois, c'est-à-dire qu'ils s'élevaient à dix-huit pour cent par an. Pour obtenir soit la restitution du capital, soit le payement des intérêts, la femme jouissait de tous les droits, de toutes les actions, de toutes les garanties accordées à la femme ou à ses héritiers après la dissolution du mariage. Il est toutefois permis de croire que, lorsque le divorce avait été rendu nécessaire par l'adultère de la femme, le mari avait le droit de retenir la dot. Cette faculté de rétention, analogue à la retentio morum nomine du droit romain, n'est expressément accordée au mari athénien par aucun des textes que nous connaissons ; mais on la rencontre pour d'autres cités ioniennes, pour Ephèse entre autres, et il n'est pas téméraire de la généraliser.

L'enfant, né depuis le divorce, mais conçu antérieurement à la séparation des époux, est toujours présumé l'enfant du mari ; la femme ou ses parents ont certainement le droit d'inviter le mari à le reconnaître comme tel. Mais les circonstances qui ont accompagné le divorce peuvent être de telle nature que la présomption de paternité du mari semble notablement affaiblie, par exemple si la femme s'est rendue coupable d'adultère. Le mari peut alors désavouer l'enfant. Andocide rapporte qu'une femme, répudiée par Callias, ayant eu un enfant après la répudiation, soutint que cet enfant était né de son exmari. Callias niant sa paternité, les parents de la femme présentèrent l'enfant à la phratrie, le jour de la fête des Apaturies, en déclarant que cet enfant avait pour père Callias, fils d'Hipponikos. Pour repousser cette filiation, Callias dut, la main sur l'autel, faire avec serment un solennel désaveu de sa prétendue paternité, en appelant sur lui et sur sa maison la malédiction divine pour le cas où il se serait parjuré.

Nous venons de parler d'Athènes. Voici maintenant quelques renseignements sur le divorce dans d'autres Etats grecs.

A Thurium, la législation de Charondas avait autorisé le divorce, soit de la part du mari, soit de la part de la femme. Mais, pour remédier à quelques abus, une loi postérieure décida que la femme qui abandonnerait son mari, tout en cônservant le droit de se remarier, ne pourrait pas épouser un homme plus jeune que son premier époux, et que, réciproquement, le mari qui répudierait sa femme ne pourrait pas contracter un nouveau mariage avec une femme plus jeune que la femme répudiée.

A Sparte, les Ephores voulurent obliger le roi Anexandride à répudier sa femme pour cause de stérilité. Sur son refus absolu, ils le contraignirent à épouser une seconde femme et à vivre en état de bigamie. Un autre roi de Sparte, Ariston, répudia successivement deux femmes parce qu'elles ne lui donnaient pas d'enfants et en épousa une troisième. Il est à peine besoin de rappeler que la mort violente de Philippe de Macédoine doit être rattachée aux dissensions que causa la répudiation d'Olympias, mère d'Alexandre, suivie d'un mariage avec Kléopatra, fille d'Attale.

La loi de Gortyne, retrouvée en 1884 [Gortyniorum leges], contient plusieurs dispositions notables relatives au divorce. Elle ne détermine pas avec précision les cas dans lesquels le divorce était permis ; mais elle expose, sans crainte d'entrer dans les détails, quelques-uns des effets de ce mode de dissolution du mariage. Le divorce par consentement mutuel était certainement licite ; les époux ne devaient alors compte à personne des motifs qui les décidaient à se séparer. Mais la volonté d'un seul, qu'il s'agît du mari ou qu'il s'agît de la femme, suffisait pour qu'il y eût légitimement χηρευσις. La loi faisait toutefois une distinction entre le divorce capricieux et arbitraire et le divorce justifié par des raisons sérieuses. Elle nous dit, en effet, que le mari peut être aitios tas kereusios, et qu'il sera tenu alors de payer des dommages et intérêts à la femme. Il sera responsable du divorce, par exemple, lorsqu'il renverra sa femme sans motifs, ou bien lorsque, par son inconduite ou ses mauvais traitements, il aura obligé sa femme à se séparer de lui. Il ne sera pas responsable, au contraire, si le divorce est dû à un caprice de la femme, et même, dans le cas où il aura dû prendre l'initiative, si les désordres de la femme ont rendu la séparation nécessaire. Si le mari, se conformant à une coutume crétoise dont parle Aristote, avait renvoyé sa femme par crainte d'avoir trop d'enfants (diazeuxis tôn gunaikôn, iva mê poluteknôsi), aurait-on pu dire qu'il était aitios tas kereusios et le condamner à des dommages et intérêts ? Lorsque les époux n'étaient pas d'accord sur le point de savoir à qui incombait la responsabilité, le juge statuait, après avoir prêté serment (ai de ponioi o aner aitios me emen, ton dikastan omnunta krineie).

La femme divorcée paraît avoir eu, dans tous les cas, le droit de reprendre les biens qu'elle avait apportés à son époux ; elle pouvait aussi exiger la moitié des fruits, encore existants, provenus des biens qui lui appartenaient, et enfin la moitié des choses ati enupanei. On a discuté sur le sens de ces mots. M. Dareste les applique aux étoffes tissées par la femme ; M. Lewy leur donne une acception plus large et y comprend tous les travaux exécutés par la femme ; mais,comme le fait justement observer M. Typaldos, l'industrie d'une maîtresse de maison, au temps où se place la rédaction de la loi de Gortyne, devait être limitée au tissage des laines préparées par ses domestiques. Le verbe enupanei (enuphainô) n'implique-t-il pas l'idée de tissage ?

Quand le mari est responsable du divorce, la femme a, en outre des restitutions dont nous venons de parler, le droit d'exiger que son mari lui paye cinq statères.

La loi a prévu le cas où la femme divorcée ne se contenterait pas d'emporter sa dot et enlèverait en même temps quelques objets appartenant à son mari. « Elle payera cinq statères (à titre de dommages et intérêts) et restituera en nature ce qu'elle aura emporté ou détourné ». Si un tiers s'est rendu complice du détournement, il payera au mari dix statères et rendra la chose avec une somme égale à sa valeur... Si la femme nie le détournement, le juge lui enjoindra de se justifier, en jurant par Artémis, la déesse d'Amyclaeon, la déesse qui porte l'arc. Le serment devra être prèté devant le juge dans le délai de vingt jours. Quand elle aura prêté le serment, celui qui lui enlèverait la chose litigieuse devrait lui payer cinq statères, outre la restitution en nature.

Pour assurer l'état et les droits de l'enfant non encore né au moment du divorce, les Gortyniens avaient organisé une procédure analogue à celle que, sous l'influence de la même préoccupation, le sénatus-consulte Plancien établit beaucoup plus tard à Rome. « Si une femme divorcée donne le jour à un enfant (probablement dans les dix mois qui suivent la dissolution du mariage), que cet enfant soit présenté à l'ex-mari, devant sa maison, en présence de trois témoins. Si l'enfant n'est pas reçu par l'ex-mari, la mère pourra, à son choix, l'élever ou bien l'exposer. Les parents de la femme et les témoins de la présentation affirmeront, sous la foi du serment, que cette formalité a été remplie. Si l'ex-mari n'a pas de maison devant laquelle la présentation puisse être faite, l'enfant lui sera présenté là où on le rencontrera. Si on ne le rencontre même pas, l'exposition de l'enfant sera licite, malgré le défaut de présentation. En dehors de cette hypothèse, la femme divorcée qui exposera l'enfant sans présentation préalable suivant les formes prescrites payera, si un jugement la reconnaît coupable, cinquante statères ».

Le législateur, après avoir statué pour le cas où la femme divorcée est une femme libre, a édicté des règles particulières pour la femme divorcée appartenant à la classe des colons (Phoikêes). « L'enfant né après le divorce doit être présenté au maître de l'ex-mari, en présence de deux témoins. Si le maître refuse de le recevoir, l'enfant appartiendra au maître de la femme. Si cependant, avant l'expiration d'une année, la femme divorcée se remariait à son ancien mari, l'enfant serait la propriété du maître du mari. La personne qui aura présenté l'enfant et les témoins de la présentation affirmeront sous la foi du serment que cette présentation a été faite. Si on l'avait omise, la femme reconnue coupable d'omission devrait payer vingt-cinq statères ».

Ces prescriptions minutieuses ont toutes leur raison d'être, et elles nous donnent une opinion très favorable de la législation en vigueur dans les cités crétoises au VIe siècle avant notre ère.

Article d'E. CAILLEMER


II. ROME

Le mot divortium a pour synonymes, en droit romain, discidium et repudium. Le premier, plus rarement employé, paraît avoir eu exactement le même sens que divortium. Le second s'entendait spécialement de l'acte de volonté par lequel un époux rompait le mariage ; en ce sens la répudiation était une des causes du divorce. Les jurisconsultes font cette distinction dans leur langage : per calorem misso repudio, dit Paul, si brevi reversa uxor est, nec divertisse videtur. On disait divortium facere, et repudium mittere, dicere, nuntiare. Le repudium seul s'appliquait aux fiançailles, sponsalia ; on ne disait pas qu'il y avait eu divorce entre des fiancés, mais seulement que l'un avait répudié l'autre. Les jurisconsultes, qui cherchaient toujours la définition des mots dans leur étymologie, tiraient divortium, soit a diversitate mentium, soit quia in diverses partes eunt qui distrahunt matrimonium. Divortium vient en effet de divertere, anciennement divortere ; on trouve même dans les inscriptions la forme divertium.

La faculté de divorcer est reconnue par le droit archaïque et attribuée à une loi de Romulus, dont Plutarque a fait le résumé dans un texte, malheureusement incertain et sujet à des difficultés d'interprétation. Le sens qui paraît le plus probable est celui-ci : « Romulus fit quelques lois, une entre autres assez dure contre les femmes, ne leur permettant pas de répudier leurs maris, tandis qu'il permettait aux maris d'expulser (εκβαλειν) leurs femmes pour crime d'empoisonnement, de supposition d'enfant(?), d'usage de fausses clefs et d'adultère ; décidant que le mari qui répudierait sa femme en dehors de ces motifs verrait ses biens adjugés, moitié à la femme et moitié au temple de Cérès. Quant à celui qui vendrait (αποδομενον) sa femme, il était dévoué (θυεσθαι) aux dieux infernaux ».

La plus ancienne loi sur la matière n'attribuait donc qu'au mari la faculté de répudier, et seulement pour des causes déterminées qu'il faisait sans doute apprécier par le Judicium domesticum. La répudiation en dehors de ces causes n'en était pas moins valable, mais le mari en était puni par la perte de ses biens. La cause de ce privilège attribué aux maris seulement doit sans doute être cherchée dans la manus, qui était alors l'accompagnement nécessaire de tous les mariages, et qui, soumettant la femme à la puissance du mari comme une fille de famille, lui ôtait toute égalité avec son maître. Le mari aurait pu même la vendre, comme il pouvait vendre ses enfants, mais, en ce cas, la même loi le dévouait aux dieux infernaux, c'est-à-dire qu'on prononçait sur lui la formule sacer esto, qui équivalait à une mise hors la loi.

Une seule exception au pouvoir de divorcer dut exister dès l'origine dans le mariage par confarreatio des flamines de Jupiter. Ils ne pouvaient user de la répudiation ; pour des motifs religieux que nous ignorons, leur union était déclarée indissoluble ; et, si leur femme venait à mourir, ils ne pouvaient plus continuer leurs fonctions. Le mari qui répudiait sa femme dissolvait en même temps, soit par la diffareatio, soit par la remancipatio, la manus qu'il possédait sur elle et dont la conservation eût laissé à la femme un droit de succession sur ses biens.

On raconte partout, sur la foi d'Aulu-Gelle et de Valère Maxime, que le premier divorce n'eut lieu à Rome que vers 234 ou 231 av. J.-C. (520, 523 de R.), lorsque Sp. Carvilius Ruga répudia sa femme en alléguant qu'elle était stérile, et qu'il croyait faire un faux serment lorsque les censeurs lui faisaient jurer qu'il était marié liberum quaerendorum gratia. Si l'on adoptait cette anecdote au pied de la lettre, il faudrait voir dans la loi de Romulus citée plus haut une pure prévision de théorie sans application pratique, ce qui est aussi contraire que possible à l'esprit des législations antiques, surtout à Rome. Mais un examen attentif montre l'impossibilité de l'admettre sans réserve. D'abord Valère Maxime lui-même rapporte un autre exemple, probablement antérieur à l'aventure de Sp. Carvilius, et dans lequel les censeurs exclurent du sénat L. Antonius, pour avoir répudié sa femme sans avoir fait passer l'affaire par le jugement du tribunal domestique. Les personnages cités dans cette affaire ont amené le principal commentateur de Valère Maxime, Glareanus, à en fixer la date en 307 av. J. C. ; il est vrai que lui-même a reculé devant ce chiffre, à cause de l'histoire de Sp. Carvilius, et que les commentateurs qui l'ont suivi l'ont renvoyé en 108 av. J.-C. (646 de R.) qui ne cadre qu'imparfaitement avec les personnages cités. Mais un fait complètement décisif est le passage de Cicéron, qui attribue à la loi des XII tables la formule des répudiations, et en fait ainsi remonter l'usage au moment où cette loi fut publiée, en 450 av. J.-C. (304 de R.). D'ailleurs le texte même des Nuits attiques, d'où l'histoire de Sp. Carvilius est sortie, contient des détails qui peuvent mettre sur la trace de la vérité. Aulu-Gelle nous apprend qu'il avait tiré ses renseignements du traité de Servius Sulpicius, de dotibus, lequel énonce simplement que jusque-là ni Rome ni le Latium n'avaient connu l'action ni les cautions relatives à la dot (rei uxoriae neque actiones neque cautiones), et que ce fut le divorce de Sp. Carvilius qui les fit juger nécessaires. Serv. Sulpicius ne dit rien de plus, et c'est Aulu-Gelle qui conclut que ce divorce fut le premier à Rome. En face des documents que nous venons d'indiquer on doit restreindre cette opinion absolue, et supposer seulement dans ce divorce un élément nouveau qui n'est pas indiqué, et sur lequel les modernes se sont livrés à maintes conjectures. Comme elles nous ont semblé peu satisfaisantes, on nous pardonnera de présenter la nôtre. Elle se résume en deux mots : Sp. Carvilius fut le premier qui, divorçant en dehors des circonstances prévues par la loi de Romulus, trouva moyen d'en éluder la pénalité pécuniaire et de se dispenser de restituer à sa femme l'équivalent de sa dot. En d'autres termes, la loi de Romulus frappait dans ses biens le mari qui avait répudié sa femme en dehors de certaines conditions déterminées. Peut-être cette pénalité était-elle déjà tombée en désuétude. Dans tous les cas, Sp. Carvilius y échappa en prétendant que le serment exigé par les censeurs (qu'il était marié pour avoir des enfants) le forçait à répudier sa femme stérile, et il en profita pour ne pas lui restituer sa dot. Ce fut alors et par suite de ce fait inique que le droit civil sensu stricto introduisit l'action et les cautions rei uxoriae ; cette législation nouvelle, mal comprise dans ses origines, fit croire aux littérateurs du temps de l'Empire que le divorce de Sp. Carvilius avait été le premier qu'on eût vu dans Rome, tandis qu'il n'était que le premier qui eût échappé à la pénalité en dehors des conditions posées par la loi de Romulus.

Avec le mariage libre et sans manus de l'époque classique commence la période la mieux connue du divorce romain. La faculté de rompre le mariage n'est plus restreinte au mari. Quand la femme est fille de famille, son père peut l'enlever, abducere, au mari [Potestas] ; quand elle est sui juris, elle a le droit de répudiation aussi bien que son mari lui-même. Et ce droit, s'étendant, finit par appartenir aussi aux femmes in manu mariti ; quand elles eurent envoyé la répudiation (repudio misso), elles purent forcer leur mari à dissoudre la manus.

L'usage avait établi pour la répudiation certaines formules de paroles qui paraissent avoir été consacrées par la loi des XII tables, mais qui n'avaient rien de nécessaire, car du temps de Cicéron les jurisconsultes doutaient si, sans répudiation expresse, un second mariage ne suffisait pas pour rompre le premier. Les formules ordinaires de la répudiation étaient : tuas res tibi habeto, ou tuas res tibi agito ; la femme y ajoutait probablement redde meas. Dans l'Amphitryon de Plaute, Alcmène dit à Jupiter, qu'elle prend pour son mari : Valeas, tibi habeas res tuas, reddas meas. On peut voir dans Juvénal une formule plus libre. Les époux n'étaient pas tenus de prononcer eux-mêmes la répudiation ; ils pouvaient l'écrire ou l'envoyer annoncer par un affranchi.

A partir de Sp. Carvilius, les motifs déterminés ne sont plus nécessaires à l'accomplissement du divorce, et la seule punition du divorce sans motifs est dans la restitution plus ou moins complète et plus ou moins rigoureuse de la dot. On regardait même comme immoraux et sans validité les pactes par lesquels les époux seraient convenus de ne pouvoir divorcer. Depuis la fin de la seconde guerre Punique jusqu'à la fin de la République, le divorce eut lieu pour les causes les plus futiles et du consentement des deux époux (divortium consensu, de bona gratia) Sous Auguste, qui lui-même divorça plusieurs fois, les lois Julia de adulteriis, Julia et Papia Poppaea, tentèrent d'apporter quelque remède à cet état de choses et de régler la matière des divorces. La répudiation dut être déclarée par un affranchi de l'époux divorçant et en présence de sept témoins, citoyens romains et pubères. Il fut interdit à l'affranchie qui avait épousé son patron d'envoyer le repudium à son mari. Pomponius parle de peines portées par les mêmes lois contre celui des époux par la faute duquel le divorce aurait été prononcé. Ulpien mentionne des rétentions opérées sur la dot de la femme quand le divorce a eu lieu par la faute de celle-ci ou de son père. Mais les moeurs furent les plus fortes. Les empereurs eux-mêmes, Caligula, Claude, Néron, Elagabale, en donnèrent l'exemple. Le Digeste énumère les causes ordinaires de divorce : on se séparait parce qu'un des époux était vieux, malade, stérile, parce qu'il partait pour l'armée, etc.

Les empereurs chrétiens apportèrent beaucoup de limitations au principe de la liberté du divorce. Constantin ne le permit à la femme que lorsqu'elle avait un mari meurtrier, empoisonneur, violateur des sépulcres, etc.; autrement, en divorçant, elle perdait sa dot et encourait la peine de la déportation. De son côté, le mari ne pouvait divorcer que si la femme était adultère ou empoisonneuse, et s'il divorçait pour une autre cause, il lui était défendu de se remarier. Julien essaya de revenir à l'ancien système, mais Théodose II rétablit en l'aggravant la législation de Constantin. Justinien la compléta encore dans le même sens. Il ne permit le divorce bona gratia que pour les cas de stérilité du mariage après trois ans d'épreuves, de voeux de chasteté des époux, de captivité du mari chez l'ennemi depuis dix ans (Constantin n'avait exigé que quatre ans), et finit par l'interdire tout à fait.


Article de F. BAUDRY