(Didaskalia). - Ce mot a chez les Grecs plusieurs significations. A l'origine il désignait, conformément à son étymologie, la mise en scène ou mieux la mise à l'étude des choeurs et du dialogue des tragédies et des comédies, les instructions que le poète donnait aux acteurs ou aux choreutes sur la manière d'interpréter son oeuvre ou d'exécuter les danses. Nous renvoyons à quelques-uns des articles précédents [Choragium, Choregia, Cyclicus chorus] pour les éclaircissements relatifs au rôle du didaskalos ou chorodidaskalos, à son mode de nomination, à ses fonctions, à ses rapports avec le chorège et le choeur, le poète et le joueur de flûte, aulêtês. Le mot de didascalie s'appliqua ensuite à la représentation elle-même et aux concours dramatiques, puis il désigna une pièce isolée, un choeur dithyrambique ou même une tétralogie c'est-à-dire un groupe de trois tragédies suivies du drame satyrique, nous le trouvons enfin employé comme synonyme du mot thesis ou kathesis avec le sens d'édition revue ou modifiée d'une pièce de théâtre.

Mais pour nous modernes, il a perdu les significations que nous venons d'indiquer et n'a gardé que le sens de liste ou catalogue de concours, qu'il avait déjà dans l'antiquité ; il désignait une sorte de compte rendu des concours tragiques et comiques qui se célébraient chaque année à Athènes aux grandes Dionysies et aux Lénéennes. L'usage voulait qu'après ces concours, l'archonte qui les avait présidés fît dresser officiellement une liste où figuraient son nom, celui des poètes qui avaient concouru, le rang qui leur avait été assigné par ordre de mérite, la mention des pièces représentées et le nom des protagonistes, plus tard on y ajouta l'indication des pièces anciennes qui avaient été reprises. Ces listes ou procès-verbaux s'appelaient didascalies. Conservées dans les archives de l'Etat, elles pouvaient être consultées comme tous les documents officiels. A une époque qu'il n'est pas possible de déterminer, on voulut qu'elles fussent exposées publiquement, on les grava sur des stèles de marbre et on les placa dans le téménos ou enceinte sacrée de Dionysos et dans le voisinage du théâtre. On trouvera dans le Corpus des inscriptions attiques les fragments de plusieurs de ces didascalies ; les plus anciennes de celles qui nous sont parvenues ne semblent pas avoir été gravées avant le IIIe siècle, mais il est certain qu'avant cette époque d'autres inscriptions de ce genre avaient déjà paru. Qu'il nous suffise de donner l'exemple suivant qui montrera comment elles étaient rédigées ; c'est une didascalie tragique (310 environ av. J.-C.), dont nous n'avons qu'un fragment :

On ne se contenta pas de graver ces didascalies sur la pierre, on les réunit et on les publia dans des ouvrages spéciaux qu'on appela du même nom. C'est Aristote qui, dit-on, puisa le premier aux sources officielles, compulsa les archives et les inscriptions et publia un traité intitulé : Didaskaliai. Après lui les grammairiens reprirent son oeuvre et la complétèrent dans des ouvrages dont nous n'avons que les titres. Citons parmi eux : Dicéarque, Héraclide, Callimaque, Eratosthène, Aristophane de Byzance, Carystius de Pergame. C'est dans leurs écrits que les scoliastes des tragiques et d'Aristophane ont puisé les détails qu'ils nous donnent soit dans leurs scolies, soit dans les arguments, où nous trouvons très souvent, après des renseignements très précieux sur la pièce elle-même, une copie ou un extrait de la didascalie, provenant certainement de documents épigraphiques. Ainsi dans les Perses d'Eschyle, nous lisons ce qui suit : Epi Menônos tragôdôn Aischulos enika Phinei, Persais, Glaukô, Promêthei et dans les Grenouilles d'Aristophane : edidachthê epi Kalliou tou meta Antigenê dia Philônidou eis Lênaia. prôtos ên. Phrunichos deuteros Mousais. Platôn tritos Kleôphonti, ktl.. On pourrait rapprocher des didascalies les catalogues qui nous donnent les noms de ceux qui avaient remporté la victoire aux concours musicaux des grandes Dionysies. Nous avons un fragment important d'un de ces catalogues qui paraît remonter à l'origine du théâtre attique, mais qui n'a été gravé sur la pierre que vers le milieu du IIIe siècle et qui a été complété au siècle suivant ; on y trouve indiqués les concours lyriques des enfants et des hommes faits, puis les concours comiques et enfin les concours tragiques. Dans chaque année on place en tête du catalogue le nom de l'archonte, puis celui de la tribu à laquelle appartient le chorège, puis ceux des churèges des choeurs d'entants, d'hommes faits, d'acteurs comiques et tragiques. Comme on le voit, ces documents, qui étaient placés sur l'Acropole, entraient dans moins de détails que les didascalies et n'étaient au rond qu'une énumération plus ou moins sèche ; c'est peut-être d'après eux qu'Aristote avait composé ses Nikai Dionusiakai.

L'usage de publier des didascalies passa aux Romains ; c'est ce que prouvent les tituli des comédies de Térence, où nous trouvons des détails analogues à ceux que donnaient les didascalies athéniennes, sur l'époque de la représentation, les circonstances qui l'ont accompagnée, le nom du personnage qui a composé la musique et les noms des acteurs ; mais nous ignorons d'où proviennent ces renseignements : ils paraissent avoir été empruntés à un recueil primitif analogue à ceux des Grecs et composé par des grammairiens du premier siècle avant notre ère ; ils étaient peut-être joints aux exemplaires officiels de chaque pièce. Le poète Attius aurait composé une histoire de la poésie grecque et romaine, en tenant compte surtout de la poésie dramatique ; cet ouvrage est désigné sous le titre significatif de Didascalica ; mais nous ne savons pas s'il contenait les détails que nous donnent les tituli de Térence.


Article d'Adrien Krebs