Pline l'Ancien - Histoire naturelle (V, 1-8)
I. L'Afrique a été appelée Libye par les
Grecs, et la mer qui la baigne, mer Libyque ; elle a l'Egypte
pour limite. Aucune région ne présente moins de
golfes ; les côtes s'étendent obliquement sur une
ligne prolongée à partir de l'occident. Les noms
de ses peuples et de ses villes sont, plus peut-être que
ceux d'aucun autre pays, impossibles à prononcer pour les
étrangers ; et d'ailleurs les indigènes n'habitent
guère que des châteaux.
On rencontre d'abord les Mauritanies. Ce furent des royaumes
jusqu'à C. César (Caligula), fils de Germanicus ;
sa cruauté en fit deux provinces. A
l'extrémité du détroit et sur
l'Océan est un promontoire appelé Ampelusia par
les Grecs. Il y eut jadis les villes de Lissa et de Cotta, au
delà des colonnes d'Hercule ; maintenant on trouve Tingi,
fondée jadis par Antée, puis appelée
Traducta-Julia par l'empereur Claude, quand en fit une colonie.
Tingi est à 30,000 pas de Belone, ville de la
Bétique ; c'est de ce point que le trajet est le plus
court pour passer en Espagne. A 25,000 pas de Tingi, sur la
côte de l'Océan, est la colonie d'Auguste, Julia
Constantia Zilis, qui fut soustraite à la domination des
rois de la Mauritanie et attribuée à la
juridiction de la Bétique ; à 32,000 pas de cette
dernière ville est Lixos, dont l'empereur Claude a fait
une colonie, et qui a été pour les anciens l'objet
des récits peut-être les plus fabuleux : là
fut le palais d'Antée et son combat avec Hercule ;
là furent les jardins des Hespérides. La mer se
répand en un estuaire à trajets sinueux ;
aujourd'hui on explique le dragon et sa garde par cette
disposition des lieux. Dans cet estuaire est une île, qui,
bien qu'un peu plus basse que le reste du terrain avoisinant,
n'est pas cependant inondée à la marée
montante ; on y voit un autel d'Hercule, et du
célèbre bois qui produisait des pommes d'or il ne
reste que des oliviers sauvages. On s'étonnera moins des
mensonges extravagants de la Grèce sur ces jardins et sur
le fleuve Lixus, si l'on songe que tout récemment des
auteurs latins ont fait sur le même sujet des
récits qui ne sont guère moins prodigieux :
à savoir, que cette ville de Lixos est très
puissante, et surpasse en étendue Carthage la Grande ;
qu'en outre elle est située à l'opposite de
Carthage et à une distance presque immense de Tingi, et
tous ces contes auxquels Cornélius Népos a
ajouté foi avec tant d'avidité. A 40,000 pas du
Lixus, dans l'intérieur des terres, est une autre colonie
d'Auguste, Babba, appelée Julia Campestris, et à
75,000 pas une troisième colonie, Banasa,
surnommée Valentia ; à 35,000 pas de cette
dernière, la ville de Volubile, également
éloignée de l'une et de l'autre mer ; sur la
côte, à 50,000 pas du Lixus, le Subur, coulant le
long de Banasa, fleuve magnifique et navigable ; à 50,000
pas du Subur, la ville de Sala, placée sur un fleuve de
même nom, déjà voisine des déserts,
et infestée par des troupeaux d'éléphants,
et bien plus encore par la nation des Autololes, que l'on
traverse pour aller au mont Atlas, le plus fabuleux même
de l'Afrique.
C'est du milieu des sables, dit-on, qu'il s'élève
vers les cieux, âpre et nu du côté de
l'Océan auquel il a donné son nom, mais plein
d'ombrages, couvert de bois et arrosé de sources
jaillissantes, du côté qui regarde l'Afrique,
fertile en fruits de toute espèce, qui y naissent
spontanément, et peuvent rassasier tout désir.
Pendant le jour on ne voit aucun habitant ; tout y garde un
silence profond, semblable au silence redoutable des
déserts. Une crainte religieuse saisit les coeurs quand
on s'en approche, surtout à l'aspect de ce sommet
élevé au-dessus des nuages, et qui semble voisin
du cercle lunaire. Mais la nuit il reluit de feux innombrables ;
les Aegipans et les Satyres le remplissent de leur
allégresse ; il retentit des accords des flûtes et
des musettes, du bruit des tambours et des cymbales. C'est ce
que des auteurs renommés ont raconté, sans parler
des travaux qu'Hercule et Persée y ont accomplis. Pour
arriver à ce mont l'espace est immense et inconnu.
Il a existé des mémoires de Hannon, chef
carthaginois, qui, à l'époque où Carthage
était le plus florissante, reçut l'ordre
d'explorer les côtes d'Afrique. La plupart des auteurs
grecs et latins l'ont suivi, rapportant, entre autres fables,
qu'il y fonda beaucoup de villes, dont il ne reste ni souvenir
ni vestiges.
Scipion Emilien commandant en Afrique, l'historien Polybe
reçut de lui une flotte avec laquelle il fit un voyage
d'exploration dans cet autre monde. Il a raconté
qu'allant de l'Atlas au couchant on trouve des forêts
pleines des animaux propres à l'Afrique jusqu'au fleuve
Anatis, dans un espace de 485,000 pas ; que du fleuve Anatis au
Lixus il y a 205,000 pas, et du fleuve Lixus au détroit
de Cadix 112,000 pas ; que le golfe qu'on rencontre en venant de
ce détroit s'appelle Saguti ; qu'on trouve la ville et le
cap de Mulelacha, les fleuves Subur et Sala, le port Rutubis
à 213,000 pas du Lixus ; le promontoire du Soleil, le
port Risardir, les Gétules Autololes, le fleuve Cosenus,
les Scelatites et les Masates, le fleuve Masatat, le fleuve
Darat, où vivent des crocodiles ; puis un golfe de
616,000 pas, formé par un cap du mont Barce, cap qui se
prolonge à l'occident et qu'il appelle Surrentium ; puis
le fleuve Palsus, au delà les Ethiopiens Pérorses,
et derrière eux les Pharusiens, les Gétules
Dariens, limitrophes des Pharusiens dans l'intérieur ;
sur la côte, les Ethiopiens Daratites, le fleuve Bambotus,
rempli de crocodiles et d'hippopotames ; plus loin, des
chaînes continues de montagnes, jusqu'à celle que
nous appellerons Théon Ochema. De là jusqu'au
promontoire Hespérien, Polybe évalue la distance
à dix jours et à dix nuits de navigation ; au
milieu de cet intervalle il a placé le mont Atlas, que
tous les autres ont mis à l'extrémité de la
Mauritanie.
C'est sous l'empereur Claude que pour la première fois
les armes romaines ont pénétré dans la
Mauritanie. Le roi Ptolémée ayant
été mis à mort par C. César
(Caligula), son affranchi Aedémon entreprit de le venger
; et il est certain qu'à la poursuite des barbares qui
s'enfuyaient on arriva jusqu'à l'Atlas. Non seulement des
personnages consulaires et des généraux pris dans
le sénat, qui furent alors chargés des
commandements, mais encore des chevaliers romains qui ensuite
gouvernèrent dans ce pays, ont eu la réputation
d'être arrivés jusqu'à cette montagne. Il y
a, comme nous l'avons dit, cinq colonies romaines dans cette
province, et, à en croire les ouï-dire, l'Atlas peut
paraître accessible ; mais l'expérience prouve que
ces rapports sont trompeurs le plus souvent ; car tel homme en
place, qui a reculé devant le soin de rechercher la
vérité, ne recule pas devant un mensonge pour
cacher son ignorance ; et jamais l'erreur n'est admise plus
facilement que quand une fausseté est garantie par une
autorité grave. Au reste, je ne m'étonne pas qu'il
y ait des choses ignorées des fonctionnaires de l'ordre
équestre, fussent-ils faits sénateurs : mais ce
qui m'étonne, c'est qu'il y en ait d'ignorées du
luxe, dont l'impulsion est si puissante, et au profit duquel on
fouille les forêts pour trouver de l'ivoire et du citre,
et tous les rochers de la Gétulie pour chercher des murex
et des pourpres.
Quant aux indigènes, ils rapportent que sur la
côte, à 150,000 pas de Sala, est le fleuve Asana,
dont l'eau est saumâtre, mais qui est remarquable par son
port ; puis un fleuve qu'ils appellent Fut. De là on
compte 200,000 pas jusqu'au Dyris : c'est le nom que dans leur
langue ils donnent à l'Atlas ; on trouve dans
l'intervalle un fleuve nommé Vior, et l'on dit qu'autour
de l'Atlas on voit des indices qui montrent que le sol a
été jadis habité : ce sont des restes de
vignobles et de plants de palmiers.
Suetonius Paulinus, que nous avons vu consul (an 66
après J. C.), est le premier des généraux
romains qui ait dépassé l'Atlas de quelques
milliers de pas : il a parlé comme les autres de la
hauteur de cette montagne ; il a ajouté que le pied en
est rempli de forêts épaisses et profondes que
forme une espèce d'arbres inconnus : la hauteur de ces
arbres est remarquable ; le tronc sans noeuds est brillant ; le
feuillage est semblable à celui du cyprès ; il
exhale une odeur forte, et est revêtu d'un léger
duvet avec lequel, par le travail de l'art, on pourrait faire
des étoffes comme avec la soie. Le sommet de la montagne
est couvert, même en été, de neiges
épaisses. Suetonius Paulinus rapporte qu'il arriva
à l'Atlas en dix journées de marche, et qu'au
delà, jusqu'à un fleuve qui porterait le nom de
Ger, on traverse des déserts couverts d'un sable noir, au
milieu duquel s'élèvent, d'intervalle en
intervalle, des rochers comme brûlés ; que ces
lieux sont inhabitables à cause de la chaleur, même
en hiver, et qu'il l'a éprouvé ; que ceux qui
habitent les forêts voisines, remplies
d'éléphants, de bêtes féroces et de
serpents de toute espèce, s'appellent Canariens, attendu
qu'ils vivent comme des chiens, et qu'ils partagent avec ces
animaux les entrailles des bêtes fauves. Il est assez bien
établi que la nation des Ethiopiens, appelés
Pérorses, est limitrophe de ces contrées. Le
père de Ptolémée, Juba, qui le premier
régna sur l'une et l'autre Mauritanie, et qui est encore
plus célèbre pour ses travaux littéraires
que pour sa royauté, a donné les mêmes
détails sur l'Atlas. Il ajoute qu'il y naît une
herbe appelée euphorbe, du nom de son
médecin, qui en fit la découverte ; il donne des
louanges merveilleuses au suc laiteux de cette plante comme
propre à éclaircir la vue, et à combattre
la morsure des serpents et toute espèce de venin. Il a
consacré un volume particulier à ce sujet. En
voilà assez et trop sur l'Atlas.
La province de Tingitane a 170,000 pas 17 de long. Des nations
tingitanes la principale était jadis celle des Maures,
qui a donné son nom à la Mauritanie, et que la
plupart ont appelés Maurusiens : des guerres
désastreuses l'ont réduite à quelques
familles. Jadis aussi se trouvait dans leur voisinage celle des
Massaesyliens ; mais elle est éteinte pareillement.
Maintenant le pays est occupé par les nations
gétuliennes, les Baniures, les Autololes, les plus
puissants de tous, les Vésuniens, qui faisaient jadis
partie de ces derniers, et qui, s'en étant
séparés, ont constitué une nation
particulière ; ils sont à côté des
Ethiopiens.
La province, montagneuse à l'orient, produit des
éléphants ; il y en a aussi dans le mont Abila et
dans ceux qu'on appelle les Sept-Frères, à cause
de leur hauteur égale. Ces montagnes, jointes à
l'Abila, dominent le détroit. A partir de ces montagnes
commence la côte de la mer Méditerranée ; on
trouve le fleuve Tamuda navigable, et l'emplacement d'une
ancienne ville ; le fleuve Laud, qui peut aussi porter des
bâtiments, la ville et le port de Rusadir, le Malvana,
fleuve navigable.
La ville de Siga, résidence de Syphax, est située
en face de Malacha, qui est en Espagne, et appartient
déjà à l'autre Mauritanie. Longtemps ces
contrées ont porté le nom de leurs rois : celle
qui est en dehors s'appelait pays de Bogudes, et celle qui porte
aujourd'hui le nom de Césarienne s'appelait pays de
Bocchus. Puis viennent le grand Port, appelé ainsi
à cause de son étendue, et jouissant du droit
romain ; le fleuve Mulucha, limite entre le pays de Bocchus et
les Massaesyliens ; Quiza Xenitana, ville des étrangers ;
Arsennaria (Arzew), jouissant du droit latin, à 3,000 pas
de la mer ; Cartenna, colonie de la seconde légion,
fondée par Auguste ; Gunugi, colonie fondée par le
même, où il établit une cohorte
prétorienne ; le promontoire d'Apollon, la ville
très célèbre de Césarée,
appelée auparavant Jol, capitale de Juba, et ayant
reçu du dieu Claude le droit de colonie ; Oppidum Novum,
où le même prince établit des
vétérans ; Tipasa, jouissant du droit latin ;
Icosion, qui a reçu la même faveur de l'empereur
Vespasien ; Rusconnia, colonie d'Auguste ; Rusucurium, ayant
reçu de Claude le droit romain ; Rusazus, colonie
d'Auguste ; Salde, colonie du même, ainsi que Igilgili
(Gigeri) ; la ville de Tucca, placée sur la mer et sur le
fleuve Ampsaga. Dans l'intérieur, la colonie Auguste,
appelée aussi Succabar ; Tubusuptus, aussi colonie
d'Auguste ; les cités de Timici, de Tigaves ; les fleuves
de Sardabal, d'Avès, de Nabar ; la nation des
Macurèbes, le fleuve Usar, la nation des Nabades. Le
fleuve Ampsaga est éloigné de
Césarée de 222,000 pas. La longueur de l'une et
l'autre Mauritanie est de 1,039,000 pas ; la largeur, de
467,000.
II. A l'Ampsaga commence la Numidie, célèbre par
le renom de Massinissa ; elle a été appelée
par les Grecs terre Métagonitis. Les Numides ont
été appelés Nomades, parce qu'ils changent
de lieux, de pâturage, transportant leurs mapalia,
c'est-à-dire leurs maisons, sur des chariots. Villes :
Cullu, Rusicade (Stora), et, à 48,000 pas dans les
terres, Cirta (Constantine), colonie, surnommée ville des
soldats de Sittius. Autre colonie dans l'intérieur, Sicca
; la ville libre de Bulla Regia ; sur la côte, Tacatua,
Hipporegius (Bone) ; le fleuve Armua ; la ville de Tabraca,
jouissant du droit romain ; le fleuve Tusca, limite de la
Numidie. Rien de remarquable dans ce pays, si ce n'est le marbre
numidique, et les animaux féroces qu'il produit.
III. Au fleuve Tusca commence la région Zeugitane ; elle
est appelée proprement Afrique. Trois promontoires, le
promontoire Blanc, le promontoire d'Apollon en face de la
Sardaigne, le promontoire de Mercure en face de la Sicile,
s'avançant dans la haute mer, forment deux golfes : le
premier est celui d'Hippone, le plus voisin de la ville qu'on
nomme Hippo Dirutus, par corruption du mot grec
diarrhytos, qui signifie arrosé par des eaux
abondantes. Dans le voisinage est Theudalis, ville libre,
à une certaine distance du rivage ; puis le promontoire
d'Apollon (cap Farina), et, dans le second golfe (golfe de
Tunis), Utique, jouissant du droit romain, et
célèbre par la mort de Caton. Le fleuve Bagrada
(Medjerda), la localité appelée Castra Cornelia
(Porto Farina). Carthage, colonie élevée sur les
ruines de la grande Carthage ; la colonie Maxulla, les villes de
Carpi et de Misua, la ville libre de Clupée, sur le
promontoire de Mercure (cap Bon) ; la ville libre de Curubis,
Néapolis. Puis vient une autre division de l'Afrique
proprement dite : on appelle Libyphéniciens ceux qui
habitent le Byzacium ; tel est le nom d'une contrée de
250,000 pas de tour, d'une fertilité admirable, puisque
la semence y rend cent pour un. Là sont les villes libres
de Leptis (Lemta), d'Adrumetum, de Ruspina, de Thapsus ; puis
Thènes, Macomades, Tacape, Sabrata qui touche à la
petite Syrte (baie de Gabes), jusqu'à laquelle la
longueur de la Numidie et de l'Afrique, depuis l'Ampsaga, est de
580,000 pas ; la largeur de ce qu'on connaît est de
200,000. Cette partie, que nous avons appelée proprement
Afrique, se divise en deux provinces, l'ancienne et la nouvelle,
séparée par un fossé qui fut tracé
par suite d'une convention entre Scipion Emilien et les rois,
mené jusqu'à Thènes, ville
éloignée de Carthage de 216,000 pas.
IV. Un troisième golfe se partage en deux golfes, les
Syrtes, périlleuses par la marée et les
hauts-fonds. La plus voisine, qui est la plus petite, est,
d'après Polybe, à 300,000 pas de Carthage, et a
une entrée de 100,000 pas et un circuit 300,000. Par
terre, pour s'y rendre, il faut se guider sur les astres et
traverser des déserts remplis de sables et de serpents.
Vient ensuite une région boisée, que peuple une
multitude de bêtes féroces ; dans
l'intérieur, des solitudes livrées aux
éléphants, puis de vastes déserts ; au
delà les Garamantes, séparés des Augyles
par douze journées de marche. Au-dessus des Garamantes
fut jadis la nation des Psylles ; au-dessus des Psylles le lac
de Lycomède, entouré de déserts. Quant aux
Augyles mêmes, on les place entre l'Ethiopie qui regarde
l'occident, et la région qui est intermédiaire aux
deux Syrtes, et à une distance à peu près
égale de l'une et de l'autre. Par la côte, la
distance qui sépare les deux Syrtes est de 250,000 pas ;
là sont la cité d'Oea, le fleuve Cinyps, la
contrée de même nom, les villes de Néapolis,
de Taphra, d'Abrotonum ; la seconde Leptis, surnommée la
Grande ; puis la grande Syrte (golfe de Sidra), de 625,000 pas
de tour, dont l'entrée a 312,000 pas : là habite
la nation des Cisipades. Au fond du golfe, sur la côte,
furent jadis les Lotophages, appelés quelques-uns
Alachroens, jusqu'aux autels des Philènes ; ces autels
sont en sable. De ce côté, et un peu avant dans les
terres, est un vaste marais qui reçoit le fleuve Triton
et qui en porte le nom ; il a été appelé
Pallantias par Callimaque ; on dit qu'il est placé en
deçà de la petite Syrte, mais beaucoup le mettent
entre les deux Syrtes. Le promontoire qui borne la grande Syrte
s'appelle Borien ; au delà est la province
Cyrénaïque.
L'Afrique, depuis le fleuve Ampsaga jusqu'à cette
limite, renferme vingt-six peuples qui obéissent à
l'empire romain. On y trouve six colonies, quatre
déjà nommées, et Uthina et Tuburbis ;
quinze villes jouissant du droit romain, parmi lesquelles il
faut nommer, dans l'intérieur des terres, Azuritum,
Abutucum, Aborium, Canopicum, Chilma, Simittuum, Thanusidium,
Taburnicum, Tynidrumum, Tibiga, deux Ucita, la grande et la
petite ; Vaga ; une ville jouissant du droit latin, Usalita ;
une ville tributaire placée près des Castra
Cornelia ; trente villes libres, desquelles il faut nommer, dans
l'intérieur, Acola, Acharita, Avina, Abzirita, Canopita,
Meizita, Matera, Salaphita, Tysdrita, Tiphica, Tunica, Theuda,
Tagesta, Tiga, Ulusubrita, une autre Vaga, Visa, Zama. Les
autres ne sont pas tant, pour la plupart, des cités
seulement que des nations, telles que les Natabudes, les
Capsitans, les Misulans, les Sabarbares, les Massyliens, les
Nisives, les Vacamures, les Ethiniens, les Mussiniens, les
Marchubiens, et toute la Gétulie jusqu'au fleuve Nigris,
qui sépare l'Afrique de l'Ethiopie.
V. La Cyrénaïque ou Pentapole est
célèbre par l'oracle d'Hammon, qui est
éloigné de la ville de Cyrène de 400,000
pas, par la source du Soleil, et surtout par cinq villes :
Bérénice, Arsinoé, Ptolémaïs,
Apollonie, et Cyrène elle-même.
Bérénice est située sur la corne la plus
extérieure de la Syrte ; elle a porté jadis le nom
des Hespérides, dont nous avons déjà
parlé, car le théâtre des fables grecques
s'est souvent déplacé. Non loin et en avant de la
ville est le fleuve Léthon, et un bois sacré
où la tradition a placé les jardins des
Hespérides. Elle est éloignée de Leptis de
375,000 pas ; puis vient Arsinoé appelée Teuchira,
à 43,000 pas ; puis Ptolémaïs, portant jadis
le nom de Barcé, à 22,000 pas plus loin. A 40,000
pas, le promontoire Phyconte s'avance dans la mer de
Crète ; il est à 350,000 pas du cap Ténare
en Laconie, et à 225,000 de la Crète
elle-même ; ensuite Cyrène, à 11,000 pas de
la mer ; du cap Phyconte à Apollonie, 24,000, et au cap
Chersonèse 88,000 pas ; de Chersonèse
jusqu'à Catabathmos, 216,000 pas : là habitent les
Marmarides, qui s'étendent à peu près
depuis le pays des Paraetoniens jusqu'à la grande Syrte ;
puis les Araraucèles ; sur la côte de la Syrte les
Nasamons, appelés auparavant par les Grecs
Mésammons, à cause de leur situation au milieu des
sables. Le territoire de la Cyrénaïque, dans une
largeur de 15,000 pas à partir du rivage, passe pour
être riche en arbres ; la zone suivante intérieure,
dans une même largeur, ne produit que des grains ; enfin
une dernière zone, de 30,000 pas de large sur 250,000 de
longueur, ne produit que de l'assa foetida.
Après les Nasamons habitent les Asbystes et les Maces ;
au delà les Hammanientes, à douze journées
de marche de la grande Syrte vers l'occident, et entourés
eux-mêmes de sables dans tous les sens : toutefois, ils
trouvent sans peine des sources à la profondeur d'environ
deux coudées ; car c'est là que refluent et
séjournent les eaux de la Mauritanie ; ils emploient en
guise de pierre, pour construire leurs maisons, des blocs de sel
qu'ils taillent dans leurs montagnes. De ces peuples il y a
quatre journées de marche du côté du
couchant d'hiver jusqu'aux Troglodytes, avec lesquels on ne fait
d'autre commerce que celui de la pierre précieuse que
nous appelons escarboucle, et qui est apportée
d'Ethiopie. Sur ce chemin est le pays de Phazanie (Fezzan),
tourné du côté des déserts d'Afrique,
dont nous avons parlé au-dessus de la petite Syrte.
Là nous avons soumis la nation des Phazaniens et les
villes d'Alèle et de Cillaba, de même que Cidamus
en face de Sabrata. De là s'élève une
chaîne qui s'étend dans un long espace du levant au
couchant. Les Romains l'ont appelée Noire (ater), soit
que naturellement elle semble brûlée, soit qu'elle
doive cette apparence à l'action des rayons du soleil. Au
delà de cette montagne sont des déserts, Matelgae,
ville des Garamantes ; Debris, où est une fontaine dont
les eaux sont bouillantes de midi à minuit et glaciales
de minuit à midi, et la ville célèbre
Garama, capitale des Garamantes. Toutes ces contrées ont
été subjuguées par les armes romaines ;
Cornelius Balbus en a triomphé (44 de JC). Il est le seul
étranger qui ait obtenu le char triomphal et le droit de
cité : né à Cadix, il obtint ce droit avec
Balbus l'ancien, son oncle ; et, chose singulière, tandis
que les auteurs romains lui ont attribué la
conquête des villes susdites, lui-même a mené
en triomphe, outre Cidamus et Garama, les noms et les images de
toutes les nations et villes, dans l'ordre suivant : la ville de
Tabidium, la nation Niteris, la ville de Negligemela, la nation
ou la ville de Bubéium, la nation Enipi, la ville Thuben,
la montagne appelée Noire (niger), Nitibrum Rapsa,
villes, la nation Discera, la ville Debris, le fleuve Nathabur,
la ville Thapsagum, la nation Naunagi, la ville Boin, la ville
Pège, le fleuve Dasibari, puis les villes contiguës
de Baracum, de Buluba, d'Alasi, de Balsa, de Galla, de Maxala,
de Zizama ; le mont Gyri, qui, d'après le titre de
l'image, produit des pierres précieuses. Jusqu'à
présent on n'avait aucun chemin tracé menant aux
Garamantes, attendu que les brigands de cette nation recouvrent
de sable des puits qu'on trouve sans creuser beaucoup, si l'on a
la connaissance des lieux. Dans la dernière guerre que
les Romains eurent avec les Oeens, sous les auspices de
l'empereur Vespasien, on a trouvé une route
abrégée de quatre journées ; ce chemin
s'appelle Au delà de la tête du rocher. La
limite de la Cyrénaïque est Catabathmos, nom d'une
ville et d'un vallon qui s'enfonce tout à coup. Depuis la
petite Syrte jusqu'à cette limite, l'Afrique
Cyrénaïque a 1,060,000 pas de long : en largeur,
autant qu'on la connaît, elle a 800,000 pas.
VI. La région qui suit s'appelle Libye Maréotide,
limitrophe de l'Egypte. Elle est occupée par les
Marmarides, les Adyrmachides, puis par les Maréotes ; la
distance de Catabathmos à Paraetonium est de 86,000 pas.
Dans ces parages est le bourg Apis, lieu célèbre
par le culte des Egyptiens : on compte de là à
Parsetonium 62,000 pas ; de Paraetonium à Alexandrie
200,000 ; la largeur est de 169,000. Eratosthène a
écrit que de Cyrène à Alexandrie il y a par
terre 525,000 pas. Agrippa a évalué la longueur de
toute l'Afrique depuis la mer Atlantique y compris la basse
Egypte, à 3,040,000 pas. Polybe et Eratosthène,
qui passent pour les plus exacts, comptent 1,100,000 pas de
l'Océan à la grande Carthage ; de là
à la branche Canopique du Nil, qui est la plus voisine,
1,528,000 ; Isidore, de Tingis à Canope, 3,599,000 pas ;
Artémidore, 40,000 de moins qu'Isidore.
VII. Ces mers ne renferment pas un grand nombre d'îles :
la plus célèbre est Meninx, de 25,000 pas de long,
de 23,000 de large, appelée par Eratosthène
Lotophagitis ; elle a deux villes : Meninx du côté
de l'Afrique, et Thoar de l'autre ; elle-même est à
200 pas du promontoire de droite de la petite Syrte. A 100,000
pas de cette île, en face du promontoire gauche, est
Cercina, avec une ville libre de même nom ; elle est
longue de 25,000 pas ; là où elle est le plus
large, elle n'a que la moitié de cette étendue, et
à l'extrémité la largeur n'en est pas de
plus de 5,000 pas ; du côté de Carthage elle est
adjacente à une toute petite île qu'on appelle
Cercinitis, et qui y est jointe parun pont. A environ 50,000 pas
de ces deux îles est Lopadusa, longue de 6,000 ; puis
Gaules et Galata, dont la terre tue le scorpion, animal
dangereux de l'Afrique ; on dit aussi qu'il meurt à
Clupée, en face de laquelle est l'île Cosyra, avec
une ville. Vis-à-vis le golfe de Carthage sont les deux
autels d'Aegimore, moins îles que rochers situés
à peu près entre la Sicile et la Sardaigne : des
auteurs prétendent que ces îles, habitées
jadis, se sont enfoncées dans la mer.
VIII. Dans l'intérieur de l'Afrique, du
côté du midi, au-dessus des Gétules, et
après avoir traversé des déserts, on trouve
d'abord les Libyégyptiens, puis les Leucéthiopiens
; plus loin, des nations éthiopiennes : les Nigrites,
ainsi nommés du fleuve dont nous avons parlé ; les
Gymnètes, les Pharusiens qui atteignent l'Océan,
et les Pérorses que nous avons nommés, sur les
confins de la Mauritanie. Tous ces peuples sont bornés du
côté de l'orient par de vastes solitudes, jusqu'aux
Garamantes, aux Augyles et aux Troglodytes. Rien n'est plus vrai
que l'opinion de ceux qui placent au delà des
déserts d'Afrique deux Ethiopies, et, avant tous,
d'Homère (Od., I, 23), qui divise en deux les
Ethiopiens, ceux de l'orient et ceux du couchant. Le Nigris a la
même nature que le Nil ; il produit le roseau, le papyrus
et les mêmes animaux ; la crue s'en fait aux mêmes
époques ; il a sa source entre les Ethiopiens
Taréléens et les Oecaliques. La ville de ceux-ci,
Mavis, a été placée par quelques-uns dans
les déserts ; et à côté les Atlantes,
les Aegipans, demi-bêtes, les Blemmyes, les Gamphasantes,
les Satyres, les Himantopodes. Les Atlantes, si nous ajoutons
foi aux récits, ont perdu les caractères de
l'humanité ; ils n'ont point entre eux de noms qui les
distinguent ; ils regardent le soleil levant et couchant en
prononçant des imprécations terribles, comme
contre un astre funeste à eux et à leurs champs ;
ils n'ont pas de songes, comme en ont les autres hommes. Les
Troglodytes creusent des cavernes, ce sont leurs maisons ; la
chair des serpents leur sert de nourriture ; ils ont un
grincement, point de voix, et ils sont privés du commerce
de la parole. Les Garamantes ne contractent point de mariages,
et les femmes sont communes. Les Augyles n'honorent que les
dieux infernaux. Les Gamphasantes, nus, ignorants des combats,
ne se mêlent jamais aux étrangers. On rapporte que
les Blemmyes sont sans tête, et qu'ils ont la bouche et
les yeux fixés à la poitrine. Les Satyres,
excepté la figure, n'ont rien de l'homme. La conformation
des Aegipans est telle qu'on la représente d'ordinaire.
Les Himantopodes ont pour pieds des espèces de courroies,
avec lesquelles ils avancent en serpentant. Les Pharusiens sont
d'anciens Perses qui, dit-on, accompagnèrent Hercule dans
son expédition aux Hespérides. Je n'ai pas
trouvé d'autres renseignements sur l'Afrique.
Traduction d'Emile Littré, collection des Auteurs latins de Nisard, Paris, Firmin-Didot (1855)