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L'origine de ce précieux végétal
est inconnue. Théophraste et Pline racontent que
le silphium fit son apparition, près des
jardins des Hespérides (région de
Benghazi), à la suite d'une pluie poisseuse,
sept années avant la fondation de Cyrène
(environ 630 av. J.-C.). Cette tradition permet de
supposer avec Belley que les graines du silphium
ont pu être apportées de
l'intérieur de l'Afrique dans la Pentapole par
un de ces vents violents qui soufflent du midi.
D'ailleurs, le fait du recul progressif de la plante
vers le sud semble bien confirmer l'hypothèse de
l'origine méridionale du silphium.
Croissant le plus souvent dans les montagnes, le
silphium était rebelle à la culture.
Transporté en Ionie et dans le
Péloponnèse, il ne réussit pas.
Sans doute, il ne pouvait guère s'accommoder du
sol trop riche et trop humide des terrains
cultivés. Cependant, au temps de Synésius
(mort vers 415 ap. JC.), il y avait quelques cultures
de silphium, mais d'une grande
rareté.
L'aire géographique du silphium a
certainement varié, et le précieux
végétal a reculé progressivement
vers le sud. Hérodote, Scylax,
Théophraste nous disent que le silphium
se rencontrait le long du littoral et à peu de
distance de la côte sur les pentes du plateau.
Par contre, Posidonius, suivi par Strabon, repousse
jusqu'en plein Sahara le domaine du silphium. Pline et
Arrien le placent près des oasis de Libye. Tel
parait être aussi l'avis de
Ptolémée. Pour expliquer ces divergences,
on peut admettre qu'au temps d'Hérodote, de
Scylax et de Théophraste, le silphium est
encore localisé dans la Pentapole
cyrénéenne. Au temps de Posidonius il
faut aller le chercher jusque dans les solitudes du
désert libyque. Que si, au témoignage de
Synésius, il s'en trouve encore quelques
cultures dans les jardins près de Cyrène,
il s'agit là de cultures artificielles comme les
cultures de plantes exotiques dans nos jardins et dans
nos serres.
Ce déplacement vers le sud eut naturellement
pour résultat de rendre le silphium de
plus en plus rare. Les nomades du désert Libyque
pillaient les convois de cette précieuse
marchandise ou exigeaient des caravaniers des droits de
passage exorbitants. En d'autres cas, au cours de leurs
razzias ils coupaient les racines. D'autre part, Pline
et Solin attribuent, non aux nomades, mais aux
habitants de la Cyrénaïque, la destruction
du silphium. Pour Pline c'est la faute des
publicains. Pour Solin, dont l'explication est beaucoup
plus vraisemblable, ce sont les Cyrénéens
qui, pour échapper aux exigences du fisc,
arrachèrent le précieux
végétal. Quoi qu'il en soit, le
silphium devint de plus en plus rare. Au temps de
Plaute il paraît avoir été assez
commun, et César dictateur en trouva une grande
quantité dans l'aerarium. Mais quelques
années plus tard, Strabon nous dit que le
silphium avait à peu près disparu.
Cette disparition est chose faite au temps de Pline.
Sans doute des écrivains postérieurs
à Pline, tels que Galien, Végèce,
Synésius, font encore fréquemment mention
du silphium, mais ils en parlent comme d'une
marchandise extrêmement rare et par
conséquent de très grand prix.
Peut-être aussi font-ils souvent allusion au
silphium de Médie, et non au
véritable silphium de
Cyrénaïque.
Marchandise rare, le silphium de
Cyrénaïque était naturellement une
marchandise très précieuse. Les habitants
d'Ampélos, ville de Libye, en envoyèrent
une tige à Delphes. Les Romains
imposèrent aux Cyrénéens un tribut
de trente livres de silphium, et cette
denrée fut déposée dans le
trésor public avec les matières d'or et
d'argent. Au commencement de la guerre civile,
César dictateur put tirer ainsi de
l'aerarium quinze cents livres de
silphium ! En Grèce l'expression de
Battou silphion était passée en
proverbe pour désigner de grandes richesses.
Enfin, au témoignage de Macrobe, Auguste, jouant
sur les mots, appelait Mécène laser
Aretinum, c'est-à-dire son très
«cher» ami d'Arezzo.
Cette cherté du silphium, qui s'accrut
nécessairement, avec la rareté de plus en
plus grande de la plante, s'explique d'ailleurs par la
multiplicité des usages auxquels il était
affecté. C'est avec raison que le scoliaste
d'Aristophane qualifie le silphium de plante
très estimée, botanê
polutimêtos. Toutes les parties du
végétal : feuilles, tige, fruit, racine,
étaient employées, et à des usages
variés. En outre, le silphium de
Cyrénaïque était remarquable par son
parfum, surtout le silphium des terrains secs.
En effet, et Théophraste le remarque avec
raison, c'est là une loi générale
pour toutes les plantes à parfum. Par contre,
les silphiums de Médie et de Syrie
répandaient une odeur très
désagréable. En cuisine l'emploi du
silphium était fréquent. Rôtie
ou bouillie, la tige était mêlée
à des condiments variés. La plante
servait aussi pour la préparation de la saumure
et d'une espèce de vinaigre fort
réputée. Mélangée avec du
miel, de l'huile et du fromage elle formait une sauce
très appréciée des gourmets. Il
serait trop long d'énumérer ici les
usages culinaires si variés de ce
précieux végétal. On pourrait en
dire autant de ses applications thérapeutiques.
Le silphium de Cyrénaïque semble, en
effet, avoir été dans l'antiquité
la panacée la plus en vogue. Pline consacre plusieurs pages
à l'énumération de ses multiples
vertus. Comme l'encyclopédiste latin, les
médecins Hippocrate, Galien, Dioscoride, etc.,
font fréquemment mention des vertus
médicinales du silphium de
Cyrénaïque. Le bétail lui aussi
participait au traitement par le silphium.
Théophraste nous dit que les feuilles de la
plante purgeaient les animaux de la race ovine. Aussi
laissait-on le petit bétail paître dans la
montagne en hiver et au printemps. Les bêtes
purgées par le silphium engraissaient d'une
manière singulière, et la qualité
de leur chair s'améliorait beaucoup. Parfois
cependant ces heureux résultats ne se
produisaient pas, et sur ce point, comme sur plusieurs
autres relatifs au silphium, les textes anciens,
surtout ceux de la basse époque, ne s'accordent
pas toujours entre eux. A n'en pas douter, certains
auteurs de l'antiquité n'ont connu
qu'indirectement et d'une manière assez vague le
précieux végétal. Enfin,
l'agriculture elle-même tirait parti du
silphium de Cyrénaique. Un peu de
laser dilué dans du vin et répandu
sur le sommet des grenadiers corrigeait, dit-on,
l'acidité des fruits.
L'antiquité gréco-romaine nous a donc
laissé sur le silphium de
Cyrénaïque des documents assez nombreux et
variés : monnaies cyrénéennes
antérieures à l'occupation romaine, coupe
d'Arcésilas, textes littéraires parfois
fort détaillés comme ceux de
Théophraste et de Pline l'Ancien. Il semble donc
qu'il serait facile d'identifier la plante et de la
retrouver dans une des espèces de la flore de la
Tripolitaine cataloguées ou décrites par
Viviani, Florae Libycae Specimen, Ascherson
(P.), en appendice à la relation de Rohlfs,
Kufra, Cosson (H.), Revision du Florae Libycae
Specimen de Viviani. Cependant le problème
n'a pas été résolu, et,
malgré le nombre considérable des
publications consacrées à la question par
les archéologues et surtout par les
naturalistes, nous ne savons pas encore d'une
manière exacte à quel
végétal correspond le mystérieux
silphium de Cyrénaïque. Du moins, on
est en général d'accord pour y
reconnaître une espèce
d'ombellifère et déclarer que le
silphium antique n'a rien de commun avec les
silphium de Linné (famille des
composées), originaires d'ailleurs de
l'Amérique du Nord. Beaucoup de naturalistes
croient pouvoir l'identifier avec le thapsia
garganica de Linné, que les Berbers de
l'Afrique du Nord appellent drias, adrias, derias,
derries (bou-nefa en Algérie). Telle
est l'opinion du voyageur Della Cella (1817), de
Viviani, qui examina les échantillons
rapportés par le précédent, de
Pacho, de Barth, de C. Fraas, de Lenz, de Rohlfs, etc.
Cette identification, très souvent admise, doit
certainement être rejetée, car par tous
ses caractères le thapsia garganica
diffère profondément du silphium
de Cyrénaïque. Le premier est très
répandu dans les pays riverains de la
Méditerranée occidentale, le second
avait, au contraire, une aire géographique
très limitée. Les caractères
botaniques du silphium : tige allongée,
feuilles opposées, graines cordiformes,
diffèrent également de ceux du
thapsia. Il en est de même pour les
propriétés absolument dissemblables de
ces deux végétaux. Le silphium
avait un goût agréable, le thapsia
est un vésicant, employé pour la
préparation d'emplâtres très
énergiques. Les anciens usaient du
silphium comme d'un condiment, les produits
tirés du thapsia sont des substances
dangereuses et à administrer avec
réserve. Le silphium engraissait le
bétail, le drias est souvent mortel aux
chameaux. Il est vrai que son action varie
d'intensité suivant les époques de
l'année et les variétés de
drias. Néanmoins, les indigènes
musèlent souvent leurs chameaux pour les
empêcher de brouter le drias, surtout
pendant l'été au moment de la
maturité de la graine. Enfin les anciens
connaissaient fort bien le thapsia et
quelques-unes de ses propriétés. Pline
l'Ancien, qui nous raconte que Néron employait
des cataplasmes de thapsia, d'encens et de cire
contre les contusions, a bien soin de distinguer le
silphium et le thapsia.
D'autres hypothèses ont été
émises. Deniau identifie le silphium avec
l'assa foetida. Mais il y a entre les deux
végétaux des différences
radicales, et d'ailleurs les anciens eux-mêmes
avaient eu soin de ne pas confondre les deux plantes.
Ils connaissaient l'assa foetida sous le nom de
silphium medicum. Dans un mémoire de
1869, Oerstedt signale une espèce du genre
ferula différente de celle d'où l'on
tire l'assa foetida de Perse : c'est le
narthex assa foetida, ombellifère
gigantesque observée en 1838 par Falconer dans
le nord du Kachmir. Telle est l'analogie entre cette
plante et le silphium antique que Oerstedt
suppose au moins une étroite parenté
entre les deux espèces. Une autre ferula,
la ferula vesceritensis, a été
également rapprochée du silphium
à cause de ses fruits cordiformes, indication
insuffisante pour justifier une identification
plausible. La flore méditerranéenne ne
compte pas moins de 70 variétés de
ferula, dont plusieurs (ferula vesceritensis,
ferula tingitana) présentent quelques
analogies extérieures plus ou moins
marquées avec le silphium. Comment
assimiler une espèce aussi répandue
à une espèce aussi étroitement
localisée que le silphium de
Cyrénaïque ? Pour le même motif il ne
nous paraît pas possible d'admettre d'autres
identifications proposées : avec le
laserpitium gummiferum qui produit une gomme
aromatique et pousse dans l'Espagne du sud et dans
l'Afrique du nord ; avec le laserpitiutn siler,
ombellifère signalée dans le sud-est de
la France et, d'ailleurs, fort répandue dans les
contrées montagneuses de l'Europe
méridionale. A. Macé a invoqué
à l'appui de cette conjecture divers arguments :
transmission du nom depuis l'antiquité, analogie
de certains caractères botaniques et de
certaines propriétés. Le laserpitium
siler serait un purgatif, un tonique, il
engraisserait le bétail dans les montagnes de la
Chartreuse où les botanistes signalent sa
présence. Remarquons en passant que le
laserpitium silex est aujourd'hui
complètement étranger à la flore
de la Cyrénaïque et même à
celle de l'Afrique du nord. Le promoteur de cette
hypothèse ne la propose, d'ailleurs, que sous
toutes réserves. Tout récemment, M.
Vercoutre a proposé une identification nouvelle.
Le silphium, dit-il, venait de l'Afrique
orientale d'où les caravanes le transportaient
à Cyrène, et les Cyrénéens
l'expédiaient sur les marchés de
l'Europe. N'ayant jamais vu la plante entière,
ne la connaissant que par quelques-unes de ses parties,
les Cyrénéens n'ont pu ni la
décrire exactement, ni la représenter
toujours avec fidélité sur leurs
monnaies. Ils supposèrent par analogie avec les
autres espèces de silphium que ce devait
être une ombellifère. L'auteur n'est pas
de cet avis et il identifie le silphium de
Cyrénaïque avec un des plus grands palmiers
connus, qui peut atteindre 40 mètres de hauteur,
le Lodoicea Sechellarum, découvert au
XVIIIe siècle dans l'archipel des Seychelles, au
nord-est de Madagascar. Si l'on brise le noyau du
fruit, c'est-à-dire la coque du coco, on y
trouve une substance solide, blanche, huileuse, qui
correspond au silphium proprement dit. Pour
concilier cette hypothèse paradoxale avec les
données botaniques, l'auteur rejette la plupart
des documents anciens comme entachés d'erreur et
se borne à signaler quelques analogies peu
caractéristiques, et insuffisantes, nous
semble-t-il, pour justifier son opinion.
Mieux vaut conclure que le silphium n'a pas
été retrouvé par les naturalistes.
En effet, aucune des plantes signalées,
jusqu'à ce jour, ne correspond exactement au
végétal antique. Par sa localisation
très restreinte, par ses caractères
extérieurs représentés sur les
monnaies cyrénéennes, enfin par ses
propriétés si nombreuses et si
énergiques décrites par les auteurs
gréco-romains, le silphium de
Cyrénaïque est bien pour nous un
végétal à part. On pourrait
objecter que les représentations numismatiques
ne sont peut-être pas exactes de tout point.
Cependant, les monnaies cyrénéennes
figurent avec beaucoup de précision nombre
d'objets appartenant à la flore et à la
faune du pars : l'épi de blé, la datte,
la gerboise, la gazelle, le caméléon,
etc. Le silphium, plante si précieuse,
gloire et richesse de Cyrène, a dû
être représenté avec non moins de
soin. Nous sommes ainsi amenés à choisir
entre deux hypothèses : ou bien le
silphium a disparu de la Cyrénaïque, ou
bien il n'a pas encore été
retrouvé. On mentionne en effet des plantes qui
disparaissent de la flore d'un pays sans qu'il se soit
produit de variation appréciable de climat et en
dehors de toute intervention de l'homme. D'autre part,
certains végétaux ont été
retrouvés après une longue disparition,
comme le papyrus.
A. Rainaud.
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