[Itinéraires autour de Sparte]
Tardieu, 1821
[6] Quand on va de Sparte à Amycle on trouve la Tiase,
rivière qu'ils croient avoir pris son nom d'une fille
d'Eurotas. Le premier temple que vous rencontrez sur votre
chemin est celui des deux Grâces Phaënna et
Cléta, que le poète Alcman a
célébrées dans ses vers. On dit que c'est
Lacédémon qui a bâti ce temple à ces
Grâces, et qui leur a même imposé leurs
noms.
[7] Parmi les monuments que l'on voit à Amycle, un des
plus beaux est la statue d'un certain Enétus de Sparte,
qui se distingua en son temps par le talent de réussir
également dans les cinq sortes de combats, et qui ayant
été déclaré vainqueur à
Olympie fut couronné et mourut le moment d'après ;
il est représenté sur le haut d'une colonne, et
l'on voit à l'entour plusieurs trépieds de bronze
; il y en a surtout dix qui passent pour être plus anciens
que la guerre de Sparte contre les Messéniens.
[8] Vénus est gravée en relief sur le premier,
Diane sur le second ; ces deux trépieds et les
bas-reliefs sont de Gitiadas. Le troisième
représente Proserpine, c'est un ouvrage de Callon qui
était de l'île d'Egine. Aristandre de Paros et
Polyclète d'Argos en ont fait aussi chacun un ; sur celui
d'Aristandre vous voyez une femme qui tient une lyre, c'est
Sparté elle-même ; sur celui de Polyclète
c'est Vénus qu'Amyclée invite à venir chez
lui ; ces deux derniers surpassent de beaucoup les autres en
grandeur, ils furent consacrés après la victoire
que les Lacédémoniens remportèrent à
Aegospotamos.
[9] Mais une antiquité très curieuse, c'est le
trône d'Amyclée, fait par un ouvrier de
Magnésie qui se nommait Bathyclès, et non
seulement le trône est de lui, mais tout l'ouvrage, et les
accompagnements, les Grâces, la statue de Diane
Leucophryné, tout est de la façon de cet ouvrier :
sous quel maître il avait appris son art, et en quel temps
il florissait, je n'en dirai rien. Quant à l'ouvrage, je
l'ai vu, ainsi j'en puis rendre compte.
[10] Les Grâces et les Heures, au nombre de deux les unes
et les autres, soutiennent ce trône par devant et par
derrière. Sur la gauche Bathyclès a
représenté Echidne avec Typhon, et sur la droite,
des Tritons. Je ne prétends pas faire un détail
exact de tout ce que l'on voit gravé sur ce siège,
le récit en deviendrait ennuyeux ; pour abréger
donc, voici ce qui m'a paru de plus remarquable. Dans un endroit
Jupiter et Neptune enlèvent Taïgète fille
d'Atlas, et Alcyone sa soeur ; Atlas y tient aussi sa place.
Dans un autre vous voyez le combat d'Hercule avec Cycnus, et le
combat des Centaures chez Pholus.
[11] Ici c'est Thésée qui combat le Minotaure :
mais pourquoi il traîne le Minotaure enchaîné
et encore vivant, c'est ce que je ne sais pas ; là c'est
une danse de Phéaciens et de Démodocus qui chante.
Ces bas-reliefs vous présentent une infinité
d'objets tout à la fois ; Persée coupe la
tête à Méduse, Hercule terrasse le
géant Thurius, Tyndare combat contre Eurytus, Castor et
Pollux enlèvent les filles de Leucippe, Bacchus tout
jeune est porté au ciel par Mercure, Minerve introduit
Hercule dans l'assemblée des dieux, il y est reçu,
et prend possession du séjour des bienheureux.
[12] Pélée met son fils Achille entre les mains
de Chiron, qui en effet l'éleva et fut, dit-on, son
précepteur ; Céphale est enlevé par
l'Aurore à cause de sa beauté ; les dieux honorent
de leur présence et de leurs bienfaits les noces
d'Harmonie. Achille combat contre Memnon, Hercule châtie
Diomède roi de Thrace, et tue de sa main Nessus
auprès du fleuve Enénus ; Mercure amène les
trois déesses pour être jugées par le fils
de Priam ; Adraste et Tydée terminent la querelle
d'Amphiaraüs avec Lycurgue fils de Pronax.
[13] Junon arrête ses regards sur Io, fille d'Inachus
déjà métamorphosée en vache ;
Minerve échappe à Vulcain qui la poursuit ;
Hercule combat l'hydre de la manière dont on le raconte,
et dans un autre endroit il traîne après lui le
chien du dieu des enfers. Anaxias et Mnasinoüs paraissent
montés sur de superbes coursiers ; Mégapenthe et
Nicostrate tous deux fils de Ménélas sont sur le
même cheval, Bellérophon abat à ses pieds le
monstre de Lycie ; Hercule chasse devant lui les boeufs de
Géryon.
[14] Sur le rebord d'en haut on voit les fils de Tyndare
à cheval, l'un d'un côté, l'autre de l'autre
; au-dessous ce sont des sphynx, et au-dessus des bêtes
féroces ; un léopard vient attaquer Castor, et une
lionne veut se jeter sur Pollux. Tout au haut Bathyclés a
représenté une troupe de Magnésiens qui
dansent et se réjouissent ; ce sont ceux qui lui avaient
aidé à faire ce superbe trône.
[15] Le dedans n'est pas moins travaillé, ni
diversifié ; du côté droit où sont
les tritons, le sanglier de Calydon est poursuivi par des
chasseurs, Hercule tue les fils d'Actor, Calais et
Zétès défendent Phinée contre les
harpies, Apollon et Diane percent Tityus de leurs
flèches, Thésée et Pirithoüs
enlèvent Hélène ; Hercule étrangle
un lion ; le même Hercule mesure ses forces contre le
centaure Oréüs, Thésée combat le
Minotaure.
[16] Au côté gauche c'est encore Hercule qui lutte
avec l'Achéloüs : là vous voyez aussi ce que
la fable nous apprend de Junon, qu'elle fut
enchaînée par Vulcain ; plus loin c'est Acaste qui
célèbre des jeux funèbres en l'honneur de
son père ; ensuite vous trouvez tout ce qu'Homère
dans l'Odyssée raconte de Ménélas et
de Prothée l'Egyptien. Dans un autre endroit Admette
attelle à son char un sanglier et un lion, dans un autre
enfin ce sont les Troyens qui font des funérailles
à Hector.
XIX. [1] Le milieu du trône est la place du dieu ;
à droite et à gauche il y a plusieurs
sièges un peu distants les uns des autres, mais celui du
milieu est le plus spacieux de tous ; c'est-là qu'est
posée la statue du dieu.
[2] Je ne connais personne qui en ait encore marqué la
hauteur ; autant que j'en ai pu juger, elle est au moins de
trente coudées ; ce n'est point Bathyclès qui l'a
faite, car c'est une statue d'un goût fort ancien et sans
art, qui, à la réserve du visage, des mains et du
bout des pieds est toute semblable à une colonne d'airain
: elle a la tête dans un casque, et tient dans ses mains
une lance et un arc.
[3] La base de cette
statue est faite en forme d'autel, et la tradition du pays porte
qu'Hyacinthe y est inhumé ; de là vient que durant
les solemnités de la fête Hyacinthia, avant que de
sacrifier à Apollon, l'on ouvre une petite porte d'airain
qui est au côté gauche de l'autel, et que l'on fait
l'anniversaire d'Hyacinthe avec les cérémonies
accoutumées. Sur cette base est représenté
en relief d'un côté Neptune avec Amphitrite ; de
l'autre la Néréide Béris. Dans un autre
endroit Jupiter et Mercure s'entretiennent ensemble :
près d'eux est Bacchus avec Sémélé
qu'Ino accompagne.
[4] Dans un autre vous voyez Cérès, Proserpine et
Pluton, et à leur suite les Parques et les Heures.
Vénus, Minerve et Diane viennent ensuite, ces
déesses portent au ciel Hyacinthe et sa soeur
Polyboée qui mourut vierge, à ce que l'on dit ; au
reste la statue d'Hyacinthe le représente comme ayant
déjà de la barbe au menton, qu'il en eût ou
non : Nicias de Nicomédie dans un endroit, où il
fait entendre qu'Apollon était amoureux d'Hyacinthe,
parle de celui-ci comme d'un jeune homme d'une grande
beauté.
[5] Sur le devant de l'autel vous voyez Hercule qui est conduit
au ciel par Minerve et par les autres dieux ; l'ouvrier a
ménagé aussi une place pour les filles de
Thestius, et n'a pas oublié les Muses, ni les Heures.
Quant au Zéphyr, et à la manière dont
Apollon tua si malheureusement Hyacinthe, et à la fleur
en laquelle il le changea, peut-être ce que l'on en dit
est-il fort différent de la vérité ; mais
on en peut croire ce que l'on voudra.
[6] Amycle a été détruite par les Doriens,
et ce n'est plus aujourd'hui qu'un village. Un des plus beaux
monuments qui y soient restés est le temple d'Alexandra
et sa statue ; les Amycléens disent que cet Alexandra
était la même personne que Cassandre fille de Priam
; on voit aussi dans ce temple le portrait de Clytemnestre et la
statue d'Agamemnon, et l'on croit que ce prince avait là
sa sépulture. Les habitants du lieu honorent
particulièrement Apollon surnommé
Amycléüs, et Bacchus à qui ils donnent le
surnom de Psilas, par une raison assez ingénieuse ; car
psila en langage dorien signifie la pointe de l'aile d'un
oiseau ; or il semble que l'homme soit emporté et soutenu
par une pointe de vin, comme un oiseau dans l'air par les ailes.
Voilà à peu près ce qu'il y a de plus
curieux à Amycle.
[7] En sortant de la ville on trouve un chemin qui mène
à Thérapné ; sur ce chemin vous verrez une
statue de Minerve Aléa, et avant que de passer l'Eurotas,
vous découvrirez le temple de Jupiter surnommé
le Riche, qui est à quelque distance du rivage. Quand
vous aurez passé la rivière, le premier temple que
vous verrez est celui d'Esculape Cotyléüs ; c'est
Hercule qui a bâti ce temple et qui l'a ainsi
nommé, à cause d'une blessure à la cuisse
dont il fut guéri, et qu'il avait reçue dans son
premier combat contre Hippocoon et ses enfants ; car
cotylé en grec signifie la cuisse. Mais le plus
ancien monument que l'on trouve sur cette route, c'est un temple
de Mars : on dit que la statue du dieu qui est sur la gauche a
été apportée de Colchos par Castor et
Pollux.
[8] On la nomme Théritas du nom de Théro qui, si
on les en croit, fut la nourrice de Mars ; peut-être que
Théritas est un mot du pays d'où l'on a
apporté la statue du dieu ; car les Grecs ne connaissent
point de Théro qui ait été nourrice de
Mars. Pour moi je croirais que le surnom de Théritas a
été donné à Mars, pour faire
entendre qu'un guerrier doit avoir l'air terrible dans les
combats ; c'est pourquoi Homère a dit en parlant
d'Achille :
Un lion en colère a les yeux moins terribles.
[9] Thérapné a pris son nom d'une fille de
Lélex. Ménélas y a un temple, et les
habitants disent que lui et Hélène y sont
inhumés ; mais les Rhodiens ont une tradition bien
différente ; car ils prétendent
qu'Hélène après la mort de
Ménélas et durant l'absence d'Oreste qui
était encore errant, chassée par Mégapenthe
et par Nicostrate alla chercher une retraite à Rhodes
auprès de son amie Polyxo ;
[10] que cette Polyxo était d'une famille d'Argos, et
qu'après avoir vécu plusieurs années avec
son mari Tlépoleme, elle l'avait suivi à Rhodes
dans son exil ; qu'alors elle régnait sur les Rhodiens
sous le nom de son jeune fils dont elle était tutrice ;
ils ajoutent que Polyxo voyant Hélène en sa
puissance avait résolu de se venger sur elle de la mort
de Tlépoleme, et que dans ce dessein un jour que la
princesse était allée laver à la
rivière, elle y envoya ses femmes déguisées
en furies qui prirent Hélène, l'attachèrent
à un arbre et l'étranglèrent ; et ce fait,
dit-on, est si vrai, que pour expier le crime de Polyxo les
Rhodiens bâtirent dans la suite un temple à cette
princesse sous le nom d'Hélène Dendritis.
[11] Mais il faut aussi que je rapporte un conte que font les
Crotoniates sur Hélène, et le témoignage
des Himéréens à ce sujet ; car j'ai une
connaissance particulière de l'un et de l'autre. Il y a
sur le Pont-Euxin vers l'embouchure de l'Isther une île
consacrée à Achille, et qui a nom Leucé ;
cette île a quelques vingt stades de circuit ; elle est
toute couverte de forêts qui abondent en bêtes
fauves et de toute espèce. Achille y a un temple et une
statue.
[12] On dit que Léonyme de Crotone est le premier qui
ait abordé en ce lieu. En effet la guerre s'étant
allumée entre les Crotoniates et les Locriens d'Italie,
ceux-ci à cause de leur ancienne affinité avec les
Opontiens invoquèrent Ajax fils d'Oïlée.
Léonyme qui commandait les Crotoniates attaqua les
ennemis et donna d'abord sur un gros que l'on supposait
être commandé par Ajax ; mais il reçut une
grande blessure dans l'estomac, qui l'obligea à se
retirer du combat. Dans la suite comme sa plaie lui faisait
beaucoup de douleur, il alla consulter l'oracle de Delphes ; la
Pythie lui ordonna d'aller dans l'île Leucé, que
là il trouverait Ajax qui le guérirait.
[13] Il y alla en effet et fut guéri. Les Crotoniates
disent qu'à son retour il assura qu'il avoir vu dans
cette île Achille, et non seulement Ajax fils
d'Oïlée, mais aussi Ajax fils de Télamon, et
avec eux Patrocle et Antiloque ; qu'Hélène
était mariée à Achille, et que cette
princesse lui avait recommandé, qu'aussitôt qu'il
serait arrivé à Himéra, il avertît
Stésichore qu'il n'avait perdu la vue que par un effet de
sa colère et de sa vengeance ; avis dont le poète
profita si bien, que peu de temps après il chanta la
palinodie.
XX. [1] Je vis à Thérapné la
célèbre fontaine Diasséïs ; cependant
quelques Lacédémoniens prétendent que ce
n'est pas elle, et que la fontaine qu'ils appellent aujourd'hui
Polydeucée est la même que celle qu'ils appelaient
autrefois Masséis. Quoi qu'il en soit, la fontaine
Polydocée est à droite sur le chemin qui conduit
à Thérapné, et il y a tout auprès un
temple de Pollux.
[2] Un peu plus loin vous trouvez une espèce de
collège pour la jeunesse et un temple des Dioscures,
où les jeunes gens font des sacrifices au dieu Mars.
Neptune a aussi un temple aux environs sous un nom qui donne
à entendre que ce dieu est le maître de la terre.
Si vous avancez ensuite du côté de
Taïgète, vous rencontrerez un village nommé
Alesies, parce que c'est là, dit-on, que Mylès
fils de Lélex trouva le premier une meule, et qu'il
enseigna aux hommes la manière de s'en servir pour moudre
les fruits de la terre, propres à leur nourriture.
Là vous verrez un monument héroïque
érigé en l'honneur de Lacédémon fils
de Taïgète.
[3] Quand on a passé la rivière de Phellia, on
voit sur le chemin d'Amycle les ruines de Pharis qui
était autrefois une ville de la Laconie. Ensuite vous
trouvez à droite un chemin qui vous mène à
la montagne de Taïgète. Dans la plaine qui est au
bas, il y a un temple de Jupiter Messapée, ainsi dit,
à ce que l'on prétend, du nom d'un de ses
prêtres. En descendant de la montagne on voit un endroit
où était anciennement la ville de Brysée ;
un temple dédié à Bacchus est tout ce qui
en reste avec quelques statues qui sont exposées à
l'air ; il n'y a que les femmes qui puissent voir
l'intérieur du temple, elles seules ont le droit d'y
sacrifier, et elles gardent un grand secret sur les
cérémonies qu'elles y pratiquent.
[4] Au-dessus de Brysée s'élève sur le
sommet de montagne un édifice nommé le Talet, et
qui est consacré au Soleil ; ces peuples sacrifient
à cette divinité plus d'une sorte de victimes,
mais particulièrement des chevaux, ce qui est aussi en
usage chez les Perses. Près de là est le bois
d'Enoras, où l'on trouve toute sorte de bêtes
fauves, surtout beaucoup de chèvres sauvages ; et en
général le mont Taïgète fournit aux
chasseurs une quantité prodigieuse de chèvres,
d'ours, de sangliers, de cerfs et de biches.
[5] Aussi tout cet espace qui est entre le Talet et le bois
d'Enoras est-il nommé par excellence Thérai, comme
qui dirait, les chasses. Cette côte n'est pas
éloignée du temple de Cérès
Eleusinienne ; c'est le surnom qu'ils lui donnent ; ils disent
qu'Hercule demeura caché en ce lieu, pendant qu'Esculape
le guérissait de sa blessure. On y voit une statue
d'Orphée, et ils croient que c'est un ouvrage des
Pélasgiens ; du reste je sais que les mystères de
Cérès ne se célèbrent pas là
de la même manière qu'ailleurs.
[6] Du côté de la mer il y avait autrefois une
petite ville nommée Hélos, dont Homère fait
mention dans le dénombrement des vaisseaux, lorsqu'il
dit,
Les uns venus d'Amycle, et les autres d'Hélos.
Cette ville prit son nom d'Hélius le plus jeune des
enfants de Persée qui était venu s'y
établir. Quelque temps après, les Doriens
l'assiégèrent, s'en rendirent maîtres et
firent esclaves tous les habitants ; c'est l'origine des
premiers esclaves appartenant à l'état, qu'il y
ait eu à Lacédémone, et la raison pourquoi
ils se sont appellés Hilotes, comme ils l'étaient
en effet. Dans la suite tous les esclaves que firent les Doriens
et que chacun s'appropria, portèrent aussi le nom
d'Hilotes, quoiqu'ils fussent pour la plupart Messéniens,
de la même manière que l'on appela Hellenes tous
les Grecs, du nom d'Hellas qui était alors une
contrée de la Thessalie.
[7] Il y a dans le bourg d'Hélos une statue de
Proserpine que l'on porte tous les ans à de certains
jours dans le temple de Cérès Eleusinienne ; ce
temple n'est qu'à quinze stades de Lapithéon, lieu
ainsi appelé du nom d'un certain Lapithas, qui
était originaire du pays ; ce lieu fait partie du mont
Taigète et n'est pas loin de Derrhion, où l'on
voit une statue de Diane Derrhiatis, qui est exposée
à l'air. La fontaine Anonus est fort proche. Après
Derrhion vous trouvez un endroit que l'on appelle Harplé,
et qui s'étend jusqu'à la plaine.
[8] Mais si en sortant de Sparte vous prenez le chemin de
l'Arcadie, vous rencontrerez d'abord en pleine campagne une
statue de Minerve Paréa, ensuite un temple d'Achille
qu'il n'est pas permis de tenir ouvert ; cependant tous les
jeunes gens qui vont s'exercer au combat dans ce bois de
platanes dont j'ai parlé, ne manquent pas de faire
auparavant leur sacrifice à Achille ; les
Lacédémoniens disent que ce temple a
été bâti par Prax, arrière-petit-fils
de Pergamus qui était fils de Néoptoleme.
[9] Plus loin vous verrez ce qu'ils appellent la
sépulture du cheval ; c'est un endroit où l'on dit
que Tyndare ayant assemblé tous ceux qui recherchaient sa
fille Hélène en mariage, il immola un cheval en
leur présence, et leur fit prêter serment sur la
victime même déjà mise en pièces. Le
serment portait que tous vengeraient Hélène et
quiconque aurait l'avantage de l'épouser, s'il arrivait
jamais que l'un ou l'autre fût outragé ;
après leur avoir imposé cette obligation il
enterra les membres de la victime dans le lieu même. A
deux pas de ce monument il y a sept colonnes qui ont
été érigées, autant que j'en puis
juger suivant la religion de l'ancien temps, et qui, à ce
que l'on dit, représentent les sept planètes. Le
long du chemin on voit un bois consacré à Cranius
Stemmatius ; au-delà c'est le temple de Diane
Mysienne.
[10] Et à trente stades de la ville vous trouvez une
statue de la Pudeur, qui a été posée
là par Icarius pour la raison que je vais dire. Icarius
ayant marié sa fille à Ulysse voulut engager son
gendre à fixer son domicile à Sparte, mais
inutilement ; frustré donc de cette espérance il
tourna ses efforts du côté de sa fille, la conjura
de ne le point abandonner, et au moment qu'il la vit partir pour
Ithaque il redoubla ses instances et se mit à suivre son
char.
[11] Ulysse lassé enfin de ces importunités dit
à sa femme qu'elle pouvait opter entre son père et
son mari, et qu'il la laissait maîtresse ou de venir avec
lui en Ithaque, ou de retourner à Sparte avec son
père. On dit qu'alors Pénélope rougit et
qu'elle ne répondit qu'en mettant un voile sur son
visage. Icarius entendit ce que cela voulait dire, et la laissa
aller avec son mari ; mais touché de l'embarras où
il avait vu sa fille, il consacra une statue à la Pudeur
dans l'endroit même où Pénélope avait
mis un voile sur sa tête.
XXI. [1] A quelques vingt stades de là vous trouverez
l'Eurotas qui passe presque au bord du chemin ; en y arrivant
vous verrez le tombeau de Ladas qui fut l'homme le plus agile de
son temps ; il mérita d'être couronné aux
jeux olympiques pour avoir doublé le stade ; je crois
qu'il tomba malade incontinent après sa victoire, et
qu'il se fit porter en ce lieu, où étant mort il
fut inhumé sur le grand chemin. L'histoire des
Eléens dans le catalogue de ceux qui ont
été couronnés à Olympie fait mention
d'un autre Ladas, natif d'Egion en Achaïe, qui remporta
aussi le prix aux jeux olympiques, non de la longue course, mais
simplement du stade.
[2] En avançant du côté de Pellane vous
rencontrerez une petite place nommée Characome,
d'où il n'y a plus qu'un pas à Pellane ;
c'était autrefois une ville où l'on dit que
Tyndare se retira, lorsqu'il sortit de Sparte, chassé par
Hippocoon et par ses enfants. Ce que j'y ai vu de plus
remarquable c'est un temple d'Esculape, et une fontaine qui n'a
point d'autre nom que la fontaine de Pellane ; on dit qu'une
jeune fille s'y laissa tomber en puisant de l'eau, et que son
voile fut trouvé dans une autre fontaine qu'on nomme
Lancée.
[3] Cent stades plus loin est un canton appellé Belemine
; c'est un petit pays fort aquatique, il est arrosé par
l'Eurotas et par quantité de sources.
[4] En descendant à Gythion sur le bord de la mer on
trouve un village appellé Crocée, et dans ce
village des carrières où se forment non des
pierres de taille, mais des cailloux tout semblables à
ceux que l'on voit sur la grève auprès des
rivières ; ces cailloux sont fort difficiles à
tailler, mais s'ils étaient mis en oeuvre, on pourrait
s'en servir à orner les niches des temples, et ils
feraient aussi un fort bel effet dans des réservoirs et
dans des aqueducs. A l'entrée du village il y a une
statue de pierre qui représente Jupiter Crocéate,
et auprès des carrières les Dioscures sont en
bronze.
[5] Au sortir de Crocée, en quittant le chemin de
Gythion et en prenant à main droite on arrive à
une bourgade qui a nom Egies : on croit que c'est la même
qui dans Homère est appellée Augée.
Là il y a un étang dit l'étang de Neptune,
et sur sa rive un temple du dieu et une statue ; on n'ose
pêcher cet étang, parce que, dit-on, si on le
pêchait, on serait métamorphosé en un
certain poisson.
[6] Gythée est à quelque trente stades d'Egies ;
c'est une ville sur le bord de la mer et qui est habitée
par ces Eleuthérolacons que l'empereur Auguste affranchit
de la domination de Sparte. Tout le Péloponnèse
est baigné de la mer, à l'exception du seul
côté où se trouve l'isthme de Corinthe ;
mais les côtes maritimes de la Laconie ont le
privilège de porter des coquillages qui sont excellents
pour teindre les étoffes en pourpre, et qui ne le
cèdent qu'aux coquillages de la mer Rouge.
[7] Les villes que les Eleuthérolacons occupent
aujourd'hui sont au nombre de dix-huit ; la première est
Gythée que vous rencontrez en descendant d'Egies vers la
mer ; vous avez ensuite Teuthrone, Las et Pyrrique ; d'un autre
côté vous trouvez près du Ténare
Cénépolis, Oetilos, Leuctres, Thalames, Alagonie,
et Gérénie ; sur le bord de la mer au-delà
de Gythée vous avez Asope, Acries, Boée, Zarax,
Epidaure, autrement nommée Liméra, Brasies,
Géronthre et Marios ; c'est tout ce qui reste aux
Eleuthérolacons, car autrefois ils avaient vingt-quatre
villes. Quant à celles dont je vais parler, j'avertis que
bien loin d'être sujettes à la domination de
Sparte, et de faire partie de l'état, comme d'autres dont
j'ai parlé plus haut, elles sont indépendantes, et
se gouvernent par leurs propres lois.
[8] Les Gythéates ne reconnaissent aucun mortel pour
auteur de leur origine ; ils disent qu'Hercule et Apollon se
disputèrent longtemps un trépied, et qu'ayant
enfin terminé leur querelle ils bâtirent
Gythée de concert et à frais communs ; c'est
pourquoi ces dieux ont leurs statues au milieu du marché
; Bacchus a aussi la sienne auprès d'eux, et dans un
autre endroit on voit un Apollon Carnéüs. Les
principaux temples de la ville sont celui d'Ammon et celui
d'Esculape ; ce dernier n'a point de plafond ; le dieu y est
représenté en bronze. Auprès est une
fontaine dite la fontaine d'Esculape ; un peu plus loin vous
trouverez un temple de Cérès, qui est chez eux en
grande vénération ; là Neptune a sa statue,
et l'inscription porte que c'est Neptune le maître de la
terre.
[9] Les Gythéates révèrent encore une
ancienne divinité, dont ils parlent comme d'un vieillard,
et qui a, disent-ils, son palais dans la mer ; je m'imagine que
c'est Nérée qu'ils veulent dire, et je le
conjecture de ces paroles de Thétis aux Nymphes dans
Homère :
Pour vous, Nymphes, rentrez dans vos grottes profondes
;
Un vieillard fortuné vous attend sous les ondes :
Allez revoir Nérée et briller à sa
cour.
Le temple de Cérès n'est pas éloigné des portes de la ville, ils appellent ces portes Castorides du nom des Dioscures. La citadelle n'a rien de considérable qu'un temple de Minerve et une statue de la déesse.
Chapitre suivant
Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition
de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage
complété.