[Histoire de l'Arcadie]
Monin, 1830
I. [1] L'Arcadie est tournée d'un côté vers
l'Argolide, et de ce côté-là habitent les
Tégéates et les Mantinéens. Eux et tous les
peuples d'Arcadie sont en terre ferme, et comme au centre du
Péloponnèse ; car les Corinthiens occupent le fond
de l'isthme ; aux Corinthiens touchent les Epidauriens du
côté de la mer Egée. Epidaure,
Trézène et Hermione avoisinent le golfe d'Argos,
et toutes ces côtes que tiennent les Argiens.
Au-delà des Argiens sont les Lacédémoniens
qui ont pour voisins les Messéniens ; ceux-ci descendent
jusqu'à la mer par Méthone, Pylos et
Cyparissie.
[2] Du côté du Léchée les
Corinthiens sont bornés par les Sicyoniens, qui de ce
côté-là sont les plus reculés de tous
les peuples de la domination d'Argos. Au-dessus de Sicyone c'est
l'Achaïe qui s'étend aussi jusqu'aux rivages de la
mer. A l'autre pointe du Péloponnèse
vis-à-vis des îles Echinades, ce sont les
Eléens qui confinent aux Messéniens du
côté d'Olympie vers l'embouchure de
l'Alphée, et aux Achéens du côté de
Dymes.
[3] Or tous ces peuples sont environnés de la mer. Les
Arcadiens seuls sont dans le milieu des terres, et fort
éloignés des côtes ; c'est pourquoi
lorsqu'Homère nous les représente s'embarquant
pour le siège de Troie, c'est sur les vaisseaux
d'Agamemnon, et non sur les leurs propres.
[4] Suivant leur tradition, Pélasgus fut le premier
homme qui parut dans le pays. Selon toute apparence, ils ne
veulent pas dire qu'il s'y soit trouvé seul ; car sur qui
aurait-il régné ? Je crois donc pour moi que
Pélasgus était un homme extraordinairement
avantagé du ciel, qui surpassait les autres en grandeur,
en force, en bonne mine, et en toutes les qualités de
l'esprit et du corps ; ce qui revient assez à
l'idée que le poète Asius nous en donne, quand il
dit :
Sur le sommet d'un roc qui menace les cieux
Pélasgus vint au jour, héros semblable aux
dieux.
Les peuples d'alentour, d'une humeur mercenaire
En recevant ses lois trouvèrent leur salaire.
[5] Pélasgus ayant donc commencé à
régner, apprit aux Arcadiens à se faire des
cabanes qui pussent les défendre de la pluie, du froid et
du chaud, en un mot de l'inclémence des saisons. Il leur
apprit aussi à se vêtir de peaux de sangliers,
comme font encore à présent les paysans de
l'Eubée et de la Phocide. Jusques-là ils ne
s'étaient nourris que de feuilles d'arbres, d'herbes et
de racines, dont quelques-unes bien loin d'être bonnes
à manger, étaient nuisibles.
[6] Il leur conseilla l'usage du gland, ou pour mieux dire, du
fruit que porte le hêtre ; et cette nourriture leur devint
si ordinaire, que longtemps après Pélasgus, les
Lacédémoniens venant consulter la Pythie sur la
guerre qu'ils voulaient faire aux Arcadiens pour les en
détourner elle leur répondit ainsi :
Eussiez-vous Jupiter et tous les Dieux propices,
Un peuple qui de gland fait toutes ses délices,
Peut-il ne pas livrer de terribles combats ?
Mais suivez vos destins, je ne vous retiens pas.
II. [1] On dit que Pélasgus donna son nom à cette
contrée, et qu'elle fut appelée la
Pélasgie. Son fils Lycaon fut à quelques
égards encore plus sage et plus prudent ; car il
bâtit la ville de Lycosure sur le mont Lycée ; il
fit honorer Jupiter sous le nom de Jupiter Lycéen, et il
institua en son honneur des jeux qui furent aussi appelés
Lycéens. Je crois que les Panathénées
n'étaient pas encore instituées à
Athènes ; en effet, ces fêtes s'appelèrent
d'abord les Athénées, et n'eurent le nom de
Panathénées qu'après que
Thésée eut rassemblé les peuples de
l'Attique dans une seule ville.
[2] Je ne parle point ici des jeux olympiques, parce qu'on en
place l'institution en des temps si éloignés,
qu'à peine y avait-il alors des hommes sur la terre. Si
l'on en croit quelques-uns, Saturne et Jupiter luttèrent
l'un contre l'autre à Olympie ; et les premiers qui
disputèrent le prix de la course entre eux, ce furent les
Curètes. Pour Lycaon, je crois qu'il régnait en
Arcadie dans le temps que Cécrops régnait à
Athènes ; mais Cécrops régla le culte des
dieux, et les cérémonies de la religion avec
beaucoup plus de sagesse.
[3] Il fut le premier qui appella Jupiter le Dieu
suprême ; il défendit que l'on sacrifiât
aux dieux rien qui fût animé, et voulut que l'on se
contentât de leur offrir des gâteaux du pays, et de
ces espèces de gâteaux que les Athéniens
appellent encore aujourd'hui d'un nom particulier. Au contraire
Lycaon immola un enfant à Jupiter Lycéus, et
trempa ses mains dans le sang humain ; aussi dit-on qu'au milieu
du sacrifice il fut changé en loup, ce qui n'est pas
croyable.
[4] Car outre que le fait passe pour constant parmi les
Arcadiens, il n'a rien contre la vraisemblance. En effet, ces
premiers hommes étaient souvent les hôtes et les
commensaux des dieux, c'était la récompense de
leur justice et de leur piété ; les bons
étaient honorés de la visite des dieux, et les
méchants éprouvaient sur le champ leur
colère ; de là vient que plusieurs d'entre les
hommes furent alors déifiés, et qu'ils jouissent
encore des honneurs divins, témoin Aristée,
Britomartis de Crète, Hercule fils d'Alcmène, et
Amphiaraüs fils d'Oïclès, auxquels on peut
ajouter Castor et Pollux.
[5] Par la raison contraire on peut bien croire que Lycaon prit
la figure d'une bête, et que Niobé fille de Tantale
fut changée en rocher ; mais aujourd'hui que les hommes
sont généralement corrompus, et qu'il n'y a pas
une ville, pas un coin de terre qui ne soit plein de leurs
iniquités, on ne voit plus que les dieux en adoptent
aucun, si ce n'est par de vaines apothéoses qu'invente la
flatterie ; et la justice divine devenue plus lente et plus
tardive se réserve à punir les coupables
après leur mort.
[6] Or de tout temps les événements
extraordinaires et singuliers en s'éloignant de la
mémoire des hommes, ont cessé de paraître
vrais, par la faute de ceux qui ont bâti des fables sur
les fondements de la vérité ; car depuis
l'aventure de Lycaon l'on a débité qu'un autre
sacrifiant à Jupiter Lycéus avait
été aussi changé en loup ; qu'il reprenait
figure d'homme tous les dix ans, si dans cet intervalle il
s'était abstenu de chair humaine, et qu'autrement il
demeurait loup.
[7] D'autres vous diront que durant l'été on voit
la Niobé du mont Sipyle toute en pleurs. Quelques-uns
m'ont fait des contes d'animaux qui ne furent jamais, comme des
griffons, qui, selon eux, ont la peau tachetée ainsi que
les léopards, et de Tritons qui ont une voix d'homme, et
qui jouent des airs sur leurs conques comme sur une flûte.
Ceux qui prennent plaisir au récit de ces fables, y en
ajoutent encore d'autres de leur propre invention. Voilà
comme la vérité se trouve obscurcie et presque
étouffée par les mensonges que l'on y
mêle.
III. [1] Ce n'était encore que la troisième
génération depuis Pélasgus, et
déjà il y avait dans le pays une multitude
d'hommes et même de villes. Nyctimus l'aîné
des fils de Lycaon avait succédé à son
père ; ses autres enfants s'étant
séparés bâtissaient des villes, les uns d'un
côté, les autres d'un autre.
[2] Pallantium fut bâtie par Pallas, Oresthasium par
Oresthéüs, Phigalie par Phigalus. Le poète
d'Himéra, Sthésicore, a fait mention de Pallantium
dans son Géryon Jupiter. Pour Oresthasium, elle changea
de nom dans la suite, et fut appellée Orestée du
nom d'Oreste fils d'Agamemnon. Phigalie fut aussi nommée
Phialie, à cause de Phialus fils de Bucolion. Les autres
enfants de Lycaon furent Trapezéüs, Dacéate,
Macaréüs, Hélisson, Acacns, et Thocnus. Ce
dernier bâtit la ville de Thocnie, et Acacus fut fondateur
d'Acacésium. Les Arcadiens prétendent que c'est
d'Acacus qu'Homère a pris le surnom qu'il donne à
Mercure.
[3] Le fleuve et la ville d'Hélisson durent leur nom
à Hélisson, de même que Macarie,
Dacée, et Trapezunte durent le leur à ses
frères. Orchomène alla bâtir Methydrion, et
fut le père des Orchoméniens, ce peuple si riche
en bestiaux, qu'Homère le distingue par cette
épithète. Hypsus jeta les fondements de
Mélénée, d'Hypsunte, et de Tyrsée
qui subsiste encore. Si l'on en croit les Arcadiens,
Tyrée ville du pays d'Argos eut pour fondateur
Thyréate, qui donna aussi son nom au golfe près
duquel elle est bâtie.
[4] Mantinée, Tégée, et Ménale
cette ville autrefois si célèbre en Arcadie,
rapportent leur origine à Ménalus, à
Tégéate, et à Mantinéüs qui
étaient encore fils de Lycaon. Cromes fut bâtie par
Cromus, Charisia par Charisius. Les Tricolons viennent de
Tricolonus, les Péréthéens de
Péréthus, les Aséens
d'Aséatès, les Lycéates de Lycéus,
les Sumatiens de Sumatéüs. Enfin
Héréus et Aliphorus bâtirent aussi deux
villes qui portent le nom de leurs fondateurs.
[5] Oenotrus le plus jeune des fils de Lycaon ayant obtenu de
Nyctimus son frère aîné de l'argent et des
troupes, fit voile en Italie ; non seulement il s'y
établit, mais il y régna, et donna son nom
à cette contrée. Ce fut la première colonie
grecque qui alla habiter une terre étrangère ; et
pour parler en historien exact, je ne crois pas même qu'il
y ait eu aucune peuplade de barbares plus ancienne.
[6] Parmi ce grand nombre d'enfants Lycaon n'eut qu'une fille ;
elle se nommait Callisto. Je rapporte ce que disent les Grecs.
Jupiter en étant devenu amoureux eut commerce avec elle.
Junon le sut, et changea sa rivale en ourse ; Diane ensuite,
pour faire plaisir à Junon, tua cette ourse à
coups de flèches. Jupiter donna ordre à Mercure de
sauver l'enfant : car la malheureuse Callisto était
grosse.
[7] Pour la mère, il la plaça au ciel, et en fit
une constellation que l'on nomme la grande ourse. Homère
en parle, lorsqu'il décrit la navigation d'Ulysse au
sortir de chez la nymphe Calypso ; cependant je crois que cela
ne veut dire autre chose, sinon que l'on appella cette
constellation Callisto pour faire honneur à la fille de
Lycaon ; car après tout les Arcadiens montrent encore
aujourd'hui la sépulture de cette princesse.
IV. [1] Nyctimus étant mort, Arcas fils de Callisto prit
possession du royaume. Instruit par Triptoleme il apprit
à ses sujets à semer du blé à faire
du pain, à filer de la laine, et à en faire des
étoffes et des habits, comme Aristée lui avait
enseigné. Sous son règne le pays quitta le nom de
Pélasgie pour celui d'Arcadie, et les Pélasges
commencèrent à s'appeller Arcadiens.
[2] On dit qu'Arcas épousa non une mortelle, mais une
Dryade ; car les Arcadiens appellent Dryades et
Epiméliades cc que les autres appellent Naïades ;
dans Homère il est souvent fait mention des Naïades.
La nymphe qu'Arcas épousa se nommait Erato ; il en eut
trois fils, Azan, Aphidas, et Elatus ; et avant que de se marier
il avait eu un bâtard nommé Autolaüs.
[3] Lorsque ses enfants furent en âge, il partagea le
royaume entre eux. La part qui échart à Azan fut
nommée Azanie, d'où l'on dit que sortit ensuite un
essaim de peuple, qui alla se répandre sur les bords du
fleuve Pencale en Phrygie, et aux environs de cette grotte que
l'on appelle Steunos. Aphidas eut pour sa part
Tégée avec les terres adjacentes ; de là
vient que les poètes appellent Tégée
l'héritage d'Aphidas ; celui d'Elatus fut le mont
Cyllène qui alors était son nom.
[4] Elatus au bout de quelque temps passa dans le pays que l'on
nomme aujourd'hui la Phocide, joignit ses forces à celles
des Phocéens pour les aider à repousser les
Phlégyens qui leur faisaient la guerre avec avantage, et
bâtit en ce pays la ville d'Elatée. Azan eut une
fille nommée Clitor : Aphidas eut Aléüs ;
pour Elatus on lui donne cinq fils, Epytus,
Péréüs, Cyllen, Ischys, et Stymphale.
[5] A l'occasion de la mort d'Azan on célébra des
jeux funèbres pour la première fois ; je suis
sûr au moins qu'il y eut des courses de chevaux ; d'autres
sortes de jeux, je ne le sais pas. Clitor fit sa
résidence à Lycosure ; ce fut un des plus
puissants rois de son temps, et il bâtit une ville qui
porta le nom de son fondateur. Aléüs se maintint en
possession des terres qui lui étaient échues en
partage.
[6] Quant aux enfants d'Elatus, Cyllen donna son nom au mont
Cyllène, et Stymphale donna le sien non seulement
à une fontaine du pays, mais à une ville qu'il
bâtit auprès. J'ai déjà parlé
d'Ischys et de sa fille dans mon voyage historique du pays
d'Argos. Péréüs ne laissa qu'une fille, elle
s'appellait Nééra, et fut femme d'Autolycus qui
habitait le mont Parnasse, et qui passait pour fils de Mercure,
quoiqu'à dire le vrai il fut fils de
Dédalion.
[7] Clitor fils unique d'Azan mourut sans enfants, ce qui fit
que le royaume d'Arcadie passa à Epytus
l'aîné de ses neveux. Ce prince étant
à la chasse où il semblait n'avoir à
craindre que des bêtes féroces, fut piqué
d'un serpent et en mourut. J'ai vu de cette espèce de
serpents plus venimeux que les autres, ils sont de la grosseur
d'une vipère, de couleur cendrée avec des taches
par intervalles ; ils ont la tête large, le cou menu, le
ventre gros, et la queue fort courte ; ces serpents et quelques
autres se meuvent obliquement comme les cancres.
[8] Epytus eut pour successeur Aléas ; car Agamede et
Gyrtis tous deux fils de Stymphale descendaient d'Arcas par
quatre degrés de génération, au lieu
qu'Aléas fils d'Aphidas était plus proche d'un
degré. Cet Aléüs fit bâtir le temple de
Minerve Aléa qui se voit encore à
Tégée, et cette ville fut le siège et la
capitale de son empire. Gyrtis fils de Stymphale fonda, la ville
de Gyrtis sur un fleuve qui du nom de ce prince fut
appellé Gyrtinius. Aléüs eut trois fils,
Lycurgue, Amphidamas et Céphée, et une fille qui
eut nom Augé.
[9] Hécatée nous apprend qu'Hercule étant
venu à Tégée, eut commerce avec
Augé. Aléüs informé de l'accouchement
de sa fille, enferma la mère et l'enfant dans un coffre
qu'il abandonna aux flots de la mer. Ce coffre fut porté
jusqu'à l'embouchure du Caïque, et recueilli par
Teuthras homme puissant dans le pays, qui l'ayant ouvert fut si
charmé de la beauté d'Augé, qu'il
l'épousa. On montre encore la sépulture de cette
princesse à Pergame sur le Caïque ; c'est une petite
éminence entourée d'une balustrade de pierres ; on
voit sur sa tombe une femme toute nue en bronze.
[10] Après la mort d'Aléas le royaume vint
à Lycurgue par droit d'aînesse. Ce prince employa
la ruse et l'artifice pour se défaire d'Aréthus
homme remuant et belliqueux, et ce fut tout ce qu'il fit de
considérable. Il eut deux fils, Ancée et Epochus ;
ce dernier mourut de maladie. Ancée après avoir
accompagné Jason dans son expédition de la
Colchide, se joignit à Méléagre pour
combattre le sanglier de Calydon ; mais il fut tué par ce
terrible animal. Lycurgue ayant perdu ses deux fils, finit ses
jours dans un âge fort avancé ; il eut pour
successeur Echémus fils d'Aéropus, petit-fils de
Céphée, et arrière-petit-fils
d'Aléüs.
V. [1] Sous le règne d'Echémus et sous ses
ordres, les Achéens remportèrent une grande
victoire auprès de l'isthme de Corinthe sur Hyllus fils
d'Hercule, qui à la tête d'une armée de
Doriens voulait rentrer dans le Péloponnèse.
Echémus provoqué par Hyllus à un combat
singulier, le tua de sa main ; ainsi le rapportent plusieurs
historiens, et je crois ce sentiment plus probable que celui de
quelques autres, qui disent que ce fut du temps d'Oreste et sous
son règne, qu'Hyllus tenta son entreprise sur le
Péloponnèse : mais suivant la premiere opinion, il
convient de croire aussi que Timandre fille de Tyndare,
était femme d'Echémus par qui Hyllus fut
tué.
[2] Echémus eut pour successeur Agapénor fils
d'Ancée, et petit-fils de Lycurgue ; il commanda les
troupes Arcadiennes au siège de Troie. Après la
prise d'Ilion, la même tempête qui dispersa la
flotte des Grecs, jeta Agapénor et les siens sur les
côtes de Chypre : contraint par la nécessité
il s'établit à Paphos, et là il bâtit
un temple à Vénus ; car auparavant cette
déesse n'était honorée qu'à Golgos
petite ville de l'île de Chypre.
[3] Ensuite Laodice fille d'Agapénor envoya un voile
à Tégée pour Minerve Aléa :
l'inscription portait que Laodice, par considération pour
la célèbre ville de Tégée sa patrie,
envoyait de Chypre cette offrande à Minerve.
[4] Agapénor n'ayant pu revenir en son pays, l'empire
des Arcadiens passa à Hippothoüs, qui avait Cercyon
pour père, Agarnede pour aïeul, et Stymphale pour
bisaïeul. Hippothoüs ne fit rien de mémorable
durant son règne, si ce n'est qu'il transféra le
siège de l'empire à Trapezunte ; car jusques
là les rois d'Arcadie avaient fait leur séjour
à Tégée.
[5] Ce prince eut pour successeur son fils Epytus. Ce fut de
son temps qu'Oreste fils d'Agamemnon averti par l'oracle de
Delphes, quitta Mycènes pour se transplanter en Arcadie.
Epytus ayant eu la témérité d'entrer dans
le temple de Neptune à Mantinée, contre la
défense qui subsiste encore aujourd'hui (car les hommes
n'y entrent point), il fut privé de la vue, et peu de
temps après il mourut, laissant le royaume à son
fils Cypsélus.
[6] Sous le règne de celui-ci la flotte des Doriens
pénétra dans le Péloponnèse, non
plus par l'isthme de Corinthe, comme trois
générations auparavant, mais en prenant au-dessus
du promontoire de Rhion. Cypsélus en ayant appris la
nouvelle, et songeant à se garantir de l'invasion, donna
sa fille en mariage à Cresphonte un des fils
d'Aristomaque ; par cette alliance il se mit en état de
ne rien craindre.
[7] Son fils et son successeur fut Laïas ; ce prince,
soutenu par les Héraclides qui étaient venus
d'Argos et de Lacédémone à son secours,
ramena à Messène Epytus fils de sa soeur, Bucolion
fils de Laïas succéda à son père ; il
eut aussi un fils nommé Phialus, qui, pour
dépouiller Phigalus fils de Lycaon de l'honneur d'avoir
fondé la ville de Phigalie, voulut la faire appeller de
son nom Phialie, à quoi pourtant il ne réussit pas
entièrement.
[8] Sous le règne de son fils Simus, une ancienne statue
de Cérès surnommée la Noire, fut
consumée par le feu, ce que l'on prit pour un
présage de la mort du Roi, qui arriva peu de temps
après. Pompus monta sur le trône de son père
: il fit fleurir le commerce par l'entremise des Eginètes
qui venaient débarquer à Cyllène, et
faisaient ensuite voiturer leurs marchandises en Arcadie sur des
mulets ; et pour signaler sa reconnaissance envers ces
insulaires, il donna le nom d'Eginète à son
fils.
[9] Eginète régna donc après lui, et eut
pour successeur Polymestor. Ce fut en ce temps-là que les
Lacédémoniens, sous la conduite de Charillus,
firent pour la première fois une irruption sur les terres
des Tégéates. Tout s'arma contre eux, hommes et
femmes. Les Lacédémoniens perdirent la bataille,
et leur général fut pris avec bon nombre des siens
: mais je parlerai plus amplement de Charillus et de son
expédition, lorsque j'en serai aux affaires des
Tégéates.
[10] Polymestor n'ayant point laissé d'enfants, Echmis
lui succéda ; il était fils de Briacas
frère de Polymestor ; car Eginète avait eu deux
fils, dont Polymestor était l'aîné, et
Briacas le cadet. Durant le règne d'Echmis la guerre
s'alluma entre les Lacédémoniens et les
Messéniens. Ceux-ci de tout temps étaient
liés d'amitié avec les Arcadiens ; c'est pourquoi
ils les engagèrent sans peine à se joindre
à eux, et à marcher contre les
Lacédémoniens sous les enseignes
d'Aristodème roi de Messénie.
[11] Aristocrate fils et successeur d'Echmis n'abusa
peut-être pas pour une fois de son pouvoir ; mais il
commit surtout une impiété que je veux raconter.
Sur les confins des Orchoméniens du côté de
Mantinée il y a un temple dédié à
Diane Hymnia, et les Arcadiens ont depuis très longtemps
une dévotion singulière à cette
déesse, qui avait alors pour prêtresse une jeune
vierge.
[12] Aristocrate er étant devenu amoureux, et ne la
pouvant faire condescendre à ses volontés, la
viola dans le temple même de Diane : son crime ayant
été divulgué, les Arcadiens
l'assommèrent aussitôt à coups de pierres ;
et pour obvier à un pareil inconvénient, ils ne
donnèrent plus ce sacerdoce qu'à une femme
mariée.
[13] Ce prince eut pour fils Hicétas qui fut père
d'Aristocrate second. Celui-ci de même nom que son
aïeul, eut une fin toute semblable ; car il fut aussi
assommé par les Arcadiens, convaincu de s'être
laissé corrompre par les Lacédémoniens, et
d'avoir par sa perfidie causé la défaite des
Messéniens auprès de la grande fosse. Ce dernier
crime fit perdre l'empire d'Arcadie aux descendants de
Cypsélus. Au reste, tout ce que je viens de rapporter sur
les généalogies et sur la suite de ces Rois, je le
tiens des Arcadiens même, à qui je m'en suis
soigneusement informé.
VI. [1] Quant à leurs entreprises faites du consentement
de tout le peuple, la plus ancienne de toutes est la guerre de
Troie. La seconde est la guerre qu'ils firent conjointement avec
les Messéniens contre les Lacédémoniens. La
troisième est la part qu'ils eurent au combat de
Platée contre les Perses.
[2] Ils se liguèrent avec Sparte contre Athènes,
mais moins par inclination que par nécessité. Ils
passèrent même en Asie avec Agésilas, et
suivirent la fortune de Sparte au combat de Leuctres contre les
Béotiens. Cependant ils ne furent jamais de bonne foi
dans l'alliance des Lacédémoniens, et une marque
entre autres qu'ils en donnèrent, c'est qu'après
la malheureuse journée de Leuctres ils
embrassèrent les premiers le parti des Thébains.
Ils ne voulurent point combattre avec les autres Grecs ni contre
Philippe à Chéronée, ni contre Antipater en
Thessalie, mais aussi ne prirent-ils point parti contre la cause
commune.
[3] S'ils ne se trouvèrent pas aux Thermopyles pour en
disputer le passage aux Gaulois, ils en disent cette raison, que
s'ils avaient dégarni de troupes leur pays, les
Lacédémoniens auraient profité de cette
occasion pour le venir ravager. Enfin ils se montrèrent
plus ardents que tout autre peuple de la Grèce à
entrer dans la ligue d'Achaïe. Voilà pour la nation
en commun. A l'égard de ce qu'a fait chaque ville en
particulier, je le dirai en son lieu, et à mesure que
l'occasion s'en présentera.
Chapitre suivant
Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition
de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage
complété.