Dans cette quatrième bucolique, Virgile annonce la naissance d'un Enfant divin :
Né sous le consulat de Pollion, à qui l'églogue est dédiée, il verra, quand il sera devenu homme, l'Age d'or refleurir sur la Terre.
Sicelides Musae, paulo majora canamus !
Non omnes arbusta juvant humilesque myricae ;
Si canimus silvas, silvae sint consule dignae.
| Muses de la Sicile, haussons un peu la voix !
Les humbles tamaris, les arbrisseaux, les bois
Ne sauraient plaire à tous ; ennoblissons nos chants,
Muses, et qu'un Consul se plaise à nos accents. |
Ultima Cumaei venit jam carminis aetas ;
Magnus ab integro saeclorum nascitur ordo.
Jam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna ;
Jam nova progenies caelo demittitur alto. | Les Temps sont révolus qu'a prédits la Sibylle :
Les siècles, dans leur course immuable et tranquille,
A leur point de départ sont enfin revenus,
Et le dernier de tous, l'Age de fer, n'est plus.
Déjà revient Saturne, et la Vierge immortelle
Abandonnant les cieux reparaît parmi nous ;
Et les dieux, des humains cessant d'être jaloux,
Envoient sur notre Terre une race nouvelle. |
Tu modo nascenti puero, quo ferrea primum
Desinet, ac toto surget gens aurea mundo,
Casta, fave, Lucina : tuus jam regnat Apollo. | Un Enfant doit bientôt au jour ouvrir les yeux ;
Souris, chaste Lucine, à sa venue au monde :
L'Age d'or va renaître et sur terre et sur l'onde ;
Déjà règne Apollon, ton frère glorieux. |
Teque adeo decus hoc aevi, te consule, inibit,
Pollio, et incipient Magni procedere Menses,
Te duce. Si qua manent sceleris vestigia nostri,
Irrita perpetua solvent formidine terras. | C'est sous ton consulat, ô noble Pollion,
Que les hommes verront
Se lever des Grands Mois la radieuse aurore.
Des crimes du passé si persistent encore
Des vestiges cruels, ils iront s'effaçant
Comme un sillon tracé dans le sable mouvant ;
L'espoir luira de voir toute douleur éteinte,
Et le monde sera délivré de la crainte. |
Ille deum vitam accipiet, divisque videbit
Permixtos heroas, et ipse videbitur illis ;
Pacatumque reget patriis virtutibus orbem. | L'Enfant divin vivra l'existence des dieux ;
Il verra les Héros converser avec eux ;
Parmi les immortels lui-même aura sa place.
Héritier des vertus de son antique race,
On le verra, marchant, Pollion, sur tes pas,
Gouverner l'univers que tu pacifias. |
At tibi prima, puer, nullo munuscula cultu
Errantes hederas passim cum baccare tellus
Mixtaque ridenti colocasia fundet acantho. | Comme premiers présents, et pour charmer tes yeux,
La Terre, jeune Enfant, de son sein généreux
Épandra le baccar et la vigne grimpante,
Et la colocasie et la feuille d'acanthe,
Tout ce que l'homme heureux voit fleurir sans travail. |
Ipsae lacte domum referent distenta capellae
Ubera, nec magnos metuent armenta leones.
Ipsa tibi blandos fundent cunabula flores.
Occidet et serpens, et fallax herba veneni
Occidet ; Assyrium vulgo nascetur amomum. | Les chèvres, sans berger, reviendront au bercail,
La mamelle pendante.
Sans crainte des lions, le long des champs herbeux
Les grands troupeaux de boeufs
Iront brouter les herbes odorantes ;
Ton berceau s'ornera des fleurs les plus brillantes.
Plus de poisons mortels ; plus de serpents affreux ;
L'amome assyrien va germer en tous lieux. |
At simul heroum laudes et facta parentis
Jam legere, et quae sit poteris cognoscere virtus,
Molli paulatim flavescet campus arista,
Incultisque rubens pendebit sentibus uva,
Et durae quercus sudabunt roscida mella.
| Puis, quand tu pourras lire au livre de Mémoire
Les hauts faits de ton père et des héros anciens,
Quand tu sauras, nourri de doctes entretiens,
Ce qui fait la Vertu, la Grandeur et la Gloire,
Alors l'épi du blé dans les champs blondira
Sans sa barbe piquante ; au soleil exposée,
La grappe du raisin vermeille rougira
Sur la ronce elle-même ; et, comme une rosée,
De l'écorce du chêne un doux miel suintera. |
Pauca tamen suberunt priscae vestigia fraudis,
Quae temptare Thetim ratibus, quae cingere muris
Oppida, quae jubeant telluri infindere sulcos.
Alter erit tum Tiphys, et altera quae vehat Argo
Delectos heroas; erunt etiam altera bella,
Atque iterum ad Trojam magnus mittetur Achilles.
| En ce temps toutefois, des traces, les dernières,
De notre crime ancien encor subsisteront ;
Les villes garderont leur ceinture de pierre ;
Les boeufs enfonceront le soc dans les sillons,
Et le marin des flots bravera la colère.
On reverra Tiphys, sur un nouvel Argo,
Conduire vers Colchos d'aventureux héros,
Et, pour punir l'orgueil et la rébellion,
Un autre Achille abattre une altière Ilion. |
Hinc, ubi jam firmata virum te fecerit aetas,
Cedet et ipse mari vector, nec nautica pinus
Mutabit merces : omnis feret omnia tellus.
Non rastros patietur humus, non vinea falcem ;
Robustus quoque jam tauris juga solvet arator,
Nec varios discet mentiri lana colores ;
Ipse sed in pratis aries jam suave rubenti
Murice, jam croceo mutabit vellera luto ;
Sponte sua sandyx pascentes vestiet agnos. | Quand l'Enfant parviendra dans la force de l'âge,
Le Bonheur et la Paix régneront sans partage.
Nul n'échangera plus sur les flots de la mer
Des différents pays les fruits les plus divers.
Généreuse et féconde en ses métamorphoses,
La Nature en tous lieux produira toutes choses.
La bêche et la charrue épargneront les champs,
La faucille les blés, la serpe les sarments.
Libres du joug, les boeufs ne feront plus que paître.
La laine ni le lin n'auront plus à connaître
Des apprêts mensongers ; mais, en broutant les fleurs,
L'agneau, dans le pré même, en verra les couleurs
Imprégner sa toison d'un merveilleux éclat,
Et le vêtir ou d'or ou d'un vif incarnat. |
« Talia saecla » suis dixerunt « currite » fusis
Concordes stabili fatorum numine Parcae. | Tissez de vos fuseaux, Parques incorruptibles,
Les fils d'or du destin de ces siècles paisibles. |
Aggredere o magnos, aderit jam tempus, honores,
Cara deum soboles, magnum Jovis incrementum !
Aspice convexo nutantem pondere mundum,
Terrasque, tractusque maris, caelumque profundum ;
Aspice venturo laetantur ut omnia saeclo ! | Et maintenant, ô Fils aimé des dieux,
Illustre rejeton de Jupiter vainqueur,
Aborde, il en est temps, les suprêmes honneurs :
Commande à la Cité ; sois juste et sois pieux.
Vois tressaillir de joie et la voûte des cieux,
Et la Terre et les mers ;
Vois comme en attendant le siècle radieux
Tout palpite et s'émeut dans le vaste univers ! |
O mihi tum longae maneat pars ultima vitae,
Spiritus et, quantum sat erit tua dicere facta !
Non me carminibus vincet nec Thracius Orpheus,
Nec Linus, huic mater quamvis, atque huic pater adsit,
Orphei Calliopea, Lino formosus Apollo.
Pan etiam Arcadia mecum si judice certet,
Pan etiam Arcadia dicat se judice victum. | Ah ! puissé-je en ce temps, au déclin de ma vie,
Garder encore assez de force et de génie
Pour chanter tes exploits !
Ni l'antique Linus, ni le divin Orphée,
L'un fils d'Apollon, l'autre de Calliopée,
Ne sauraient égaler les accents de ma voix ;
Pan lui-même, prenant pour juge l'Arcadie,
Le dieu Pan s'avouerait vaincu par mon génie. |
Incipe, parve puer, risu cognoscere matrem ;
Matri longa decem tulerunt fastidia menses.
Incipe, parve puer ! Qui non risere parenti,
Nec deus hunc mensa, dea nec dignata cubili est.
| Petit Enfant, commence à sourire à ta mère.
Ce sourire est le prix d'une longue misère :
Elle a pendant dix mois souffert bien des ennuis.
Qui n'a pas su sourire et ne fut pas aimable,
Le Souverain des dieux l'écarta de sa table,
Au lit d'une déesse il ne fut pas admis. |