Chapitre 42

Comment le prince de Tarente, après l'entrevue de Toulouse, se rendit auprès du roi son père, et lui raconta le mauvais accueil qu'il avait eu du roi En Pierre ; et comment le roi En Pierre, se fiant en ses seules forces, ne se mit point en peine de ce que pourrait faire ledit roi En Pierre.

Chapitre 41 Sommaire Chapitre 43

Quand le prince de Tarente eut quitté Toulouse il se rendit auprès de son père, le roi Charles, qui lui demanda ce qui s'était passé dans les conférences. Son fils lui raconta comment le roi de France et le roi de Majorque l'avaient honorablement reçu, mais ajouta que le roi d'Aragon n'avait jamais voulu se familiariser avec lui et s'était toujours montré rude et haineux à son égard. Le roi Charles en fut fâché ; il comprit bien que c'était une épine qu'il avait au coeur, comme il s'en était déjà douté ; toutefois, ayant grande confiance en ses chevaliers et en sa puissance, il se dit en son coeur qu'il n'avait rien à redouter de lui. Il pouvait bien penser ainsi, puisqu'il possédait quatre avantages que n'avait aucun autre roi. Premièrement, il était regardé comme le plus habile et le plus courageux prince du monde, depuis la mort du roi En Jacques d'Aragon ; la seconde chose était que, possédant tout ce qui avait appartenu au roi Mainfroi, il était le roi le plus puissant qui fût alors ; troisièmement il était comte de Provence et d'Anjou ; et enfin il était sénateur de Rome et vicaire général de toute la Toscane, de la Lombardie et de la Marche d'Ancône, et de plus vicaire général de tout le pays d'outre-mer, et chef suprême de tous les chrétiens qui se trouvaient outre-mer (1), ainsi que des Ordres du Temple, de l'Hôpital et des Allemands (2), aussi bien que des cités, châteaux, villes et de toutes les nations chrétiennes qui y étaient ou pourraient y venir ; il avait aussi l'appui du Saint-Père et de la sainte Eglise romaine qui comptaient sur lui comme leur grand gonfalonier et gouverneur. D'un autre côté il avait encore pour lui la maison de France, car son frère le roi Louis, avant sa mort, avait recommandé son frère Charles au roi Philippe qui devenait roi de France ; il comptait donc sur lui comme il l'eût fait sur son frère Louis, s'il eût vécu. Ainsi en considérant sa puissance il ne pouvait redouter le roi En Pierre ; il énuméra bien son pouvoir en son coeur, mais il ne songea pas à celui de Dieu. Or, celui qui se confie plus en sa puissance qu'en celle de Dieu peut être certain que Dieu lui fera sentir sa force, et donnera à connaître et à comprendre à tout le monde qu'il n'y a rien de réel que la puissance de Dieu qu'il ne m'est plus nécessaire d'en parler. Or ce roi se reposait ainsi dans l'espoir de ses forces.


Chapitre 41 Haut de la page Chapitre 43

(1) Par le traité de 1267 les empereurs de Constantinople lui avaient cédé leurs droits, en ne se réservant que les îles de Lesbos, Samos, Cos et Chio ; et le mariage de son fils Philippe avec Isabelle de Ville-Hardoin, princesse d'Achaïe, lui assurait la seigneurie réelle de la Morée, dont il n'était, par la concession de Baudoin et de Geoffroy de Ville-Hardoin, que le seigneur supérieur.

(2) Chevaliers de l'ordre teutonique.