Chapitre 53

Comment les Sarrazins se disposaient à livrer une grande bataille et détruire la bastide du comte de Sarrazin du comte de Pallars ; et comment leur projet fut dévoilé par un sarrazin du royaume de Valence.

Chapitre 52 Sommaire Chapitre 54

Un jour les Sarrazins décidèrent de venir en corps de bataille attaquer la bastide (1) du comte de Pallars, et de l'emporter ou de périr tous. Comme ils avaient pris cette résolution, un Sarrazin qui était du royaume de Valence vint, pendant la nuit, le dire au roi. «Quel est le jour où l'on doit faire cette attaque ? demanda le roi. - Nous sommes au jeudi, répliqua le Sarrazin, eh bien ! c'est dimanche matin qu'ils ont choisi pour leur expédition, parce qu'ils savent que c'est pour vous un jour de fête, et qu'ils pensent qu'alors vous et vos barons vous serez tous à la messe ; et pendant ce temps ils feront leur pointe.»

Le roi lui dit : «Va à la bonne aventure ; je te sais bon gré de ce que tu m'as dit, et tu peux croire qu'aux lieux où tu es né tu seras enrichi par nous au-dessus de tes amis. Nous désirons que tu restes parmi ces gens-là et que tu nous fasses part de tout ce qu'ils feront samedi au soir sois auprès de nous pour nous dire ce qui aura été résolu. - Seigneur, dit-il, je serai auprès de vous.»

Le roi lui fit donner vingt doubles d'or et il partit. Il ordonna ensuite aux gardes et vedettes qui veillaient la nuit, de laisser passer cet homme toutes les fois qu'il viendrait à eux et leur dirait : Alfandech ! car il était natif de la ville d'Alfandech. Là-dessus il s'éloigna.

Le roi rassembla son conseil et lui fit part de ce qu'avait dit le Sarrazin, et ordonna à ses vassaux et sujets de se tenir prêts, parce qu'il voulait attaquer les ennemis. Si jamais l'armée fut joyeuse, c'est celle-là, et les jours leur paraissaient une année.


Chapitre 52 Haut de la page Chapitre 54

(1) J'emploie de préférence ce vieux mot français, non dans l'acception nouvelle de maison de plaisance que lui donnent les modernes provençaux, mais dans le sens que lui donne Froissart, dans cette phrase qui s'applique tout-à-fait à la construction faite ici par le comte de Pallars : «Ils avaient fait charpenter une bastide de gros merrieu, à la manière d'une recueillette.»