Aujourd'hui encore, nous devons reconnaître que la fondation de la maison templière du Masdéu en Roussillon reste enveloppée de mystère. C'est une création «ex nihilo» mais aucun document, ni acte solennel, ni consécration d'église, ni information contenue dans des archives autres que templières ne nous permet d'en connaître la date exacte. Nous ne pouvons que constater un certain nombre de faits.

Premières donations

Durant l'été 1131 le Templier provençal Hug Rigau, envoyé en mission par le fondateur de l'ordre, Hugues de Payens, traverse le Roussilllon où il recrute Pere Bernat de Perpignan. Les deux se rendent ensuite à Barcelone, où ils recueillent l'adhésion à l'ordre du comte de Barcelone, Ramon Berenguer III.

Durant une seconde mission, le 5 octobre 1132, Hug Rigau reçoit une première donation, sur le territoire de Banyuls dels Aspres, un homme, Arnau de Contrast et le mas où il habite. Une seconde donation est recueillie par Pere Bernat le 29 juin 1133. C'est une terre à Villemolaque, peut être même celle sur laquelle les Templiers vont construire leur maison. En effet, le 24 mai 1137, Ermengau de Só dans son testament, indique qu'il veut être enterré à la maison du Masdéu.

Moins de cinq ans après leur première apparition les Templiers possèdent donc une maison, un cimetière et une église et ont réuni les conditions matérielles et surtout religieuses de leur action en Roussillon. Comment en aussi peu de temps ont-ils pu créer le réseau relationnel qui leur a permis de pénétrer la société roussillonnaise, avec quels hommes, quelles valeurs, quelles méthodes ?

Constitution d'un réseau

La méthode est celle qui consiste à envoyer quelques frères itinérants parcourir Provence, Languedoc, Roussillon et Catalogne à la recherche d'appuis locaux qui deviendront les points de fixation de la présence templière. Parmi ceux qui ouvrent des chemins au Temple, trois noms se détachent entre 1131 et 1150 : Hug Rigau et les catalans Hug de Bedors et Pere de Rovira. Ce sont eux qui recrutent les premiers Templiers roussillonnais, Pere Bernat, Bernat de Peralada, Arnau de Contrast, Arnau de Sornià. Cette première période se termine quand, vers 1150, une première organisation de la commanderie donne un titre particulier à Arnau de Sant Cebrià, «minister» des biens du Masdéu en Roussillon.

Si le recrutement (avec la recherche de donations) a été la tâche principale de ces premiers frères, la surprise vient de l'identité des deux premières personnes recrutées : un paysan et une femme.

Le paysan, c'est Arnau de Contrast qui, cinq ans après avoir été donné avec son mas, est devenu templier et reçoit des donations pour le Temple. Toute la famille de Contrast, des paysans aisés, entre avec lui dans le réseau templier.

La femme, c'est Azalaïdis de Nyls, dont la formule d'adhésion au Temple peut être assimilée à une entrée en religion. Mais l'acte qui en rend compte, daté du 29 juillet 1133, ainsi que la cérémonie qui l'accompagne, témoignent à la fois, par le nombre et les qualités des témoins et par la valeur religieuse des formules utilisées, de l'impact du Temple sur la société de son temps. On comprend ainsi que le Temple n'est pas seulement la milice qui combat les Sarrasins, mais qu'il apporte lui aussi les valeurs spirituelles qui font de lui un intercesseur valable avec le ciel. Ces valeurs lui permettent d'associer les fidèles, paysans et nobles, hommes et femmes, à la vie de la commanderie.

D'ailleurs, le succès du système des donats et des confrères, déjà utilisé par d'autres ordres religieux, ne pourrait s'expliquer sans cette dimension religieuse de l'activité templière. On peut en comprendre l'importance à travers les recherches de sépulture et les testaments.

Parmi ce groupe extrêmement hétérogène de gens qui s'associent au Temple, une place à part doit être faite aux nobles, les «milites». Ils sont omniprésents dans les chartes du Masdéu et ils constituent la presque totalité des confrères. Ce sont eux surtout qui permettent par leurs libéralités de constituer les bases du patrimoine immobilier de la commanderie. Les deux derniers comtes du Roussillon, Gausfred et son fils Girart, bien qu'ils ne soient jamais entrés dans la confraternité du Temple, ont été particulièrement généreux : terres à Perpignan, Mailloles et Villeneuve de la Raho dès 1149, puis surtout fours, poids et mesures de Perpignan et «castrum» de Palau, par le testament de Girart, en 1172. Mais c'est toute la caste des nobles qui a favorisé les Templiers.

Constitution d'un patrimoine

C'est ainsi qu'à partir de donations d'abord, puis de donations «rémunérées», puis d'achats et d'échanges, se construit, essentiellement dans la plaine, le patrimoine de la commanderie au XIIe siècle. Certes les Templiers, bons gestionnaires, n'ont pas toujours été très regardants sur le choix des moyens pour arrondir leurs domaines. La récupération de biens hypothéqués et même la pratique peu «chrétienne» du mortgage ne laissent aucun doute à ce sujet.

Toutefois leur action dans les campagnes roussillonnaises a aussi des aspects positifs. Ils entreprennent, favorisés par le roi Alfons, qui les prend sous la protection de sa paix et trêve de 1173, une vaste campagne d'assèchement d'étangs autour de Nyls et à Bages.

Au XIIème siècle donc, l'activité de l'ordre se concentre surtout sur le monde rural. La commanderie constitue une entité monocéphale où le Masdéu concentre l'essentiel de l'activité ; centre religieux, avec son église et son cimetière, lieu d'accueil et de retraite des confrèrres, centre de dépôt de documents privés.

A la fin du siècle apparaissent les filiales, Palau et le Mas de la Garrigue d'abord. Quant à Perpignan, lieu d'écoulement des surplus de l'agriculture templière, ce n'est que dans les premières années du XIIIe siècle que nous y trouvons une Maison.

Evolution au XIIIe siècle

Au XIIIe siècle, la commanderie du Masdéu connaît son plein développement avec l'apparition de nouvelles filiales, dans le Fenouillèdes, à Saint Hippolyte, à Orle et surtout avec la montée en puissance de la maison de Perpignan.

La commanderie devient alors une entité bicéphale.

Alors que le Masdéu garde sa fonction agricole, et reste le pôle spirituel, lieu de résidence du commandeur, Perpignan concentre les activités les plus lucratives : commercialisation des produits de la campagne par le contrôle du marché de Perpignan, prêt d'argent et aussi investissements immobiliers lors de la construction du quartier de Saint Mathieu. Son précepteur devient même dès la fondation du royaume de Majorque (1276), l'un des procureurs du roi : c'est lui qu'on trouve sur les miniatures qui illustrent les capbreus royaux de 1292.

© Robert Vinas

Capbreu de Collioure - © Archives Départementales des Pyrénées-Orientales