Le cabinet d'Histoire Naturelle de Perpignan

Par Robert Bourgat


Le renouveau de l'université de Perpignan au XVIIIe siècle fut spécialement favorable aux disciplines scientifiques dotées de plusieurs chaires nouvelles, d'un jardin des plantes, de cabinets de physique et d'anatomie et, en 1770, d'un cabinet d'histoire naturelle bien inscrit dans l'esprit du temps.

Deux riches dépôts présentent l'histoire de la nature : ici c'est une vaste collection de plantes salutaires et vénéneuses, indigènes, exotiques, que l'oeil confond et que la botanique distingue ; là, les autres règnes rangés par classes, offrent à l'esprit l'ordre, les nuances des productions rassemblées dans notre climat. Par ces mots, le recteur Louis Marigo-Vaquer exprimait le 2 juillet 1786, devant l'assemblée générale de l'université réunie pour l'inauguration du buste d'A.J. de Mailly, la reconnaissance de l'institution à l'égard de son bienfaiteur et sa fierté de détenir d'importantes collections d'objets naturels, vifs ou conservés ; mais surtout il soulignait leur rôle dans l'éveil pédagogique, intellectuel et culturel des étudiants et du public.

Si Perpignan en effet fut en 1350 la huitième ville actuellement française à recevoir une université, celle-ci connut bien des vicissitudes jusqu'au milieu du XVIIIe siècle où, sous les influences conjuguées du duc de Noailles, gouverneur du Roussillon, et du comte de Mailly, lieutenant-général des armées, commandant de la province, elle prit un nouvel essor avec la construction d'un beau bâtiment et la restructuration de l'enseignement déclarée dans les lettres patentes du 31 mars 1759, précisée par l'ordonnance portant règlement pour l'université de Perpignan, du 7 septembre de la même année, et adoptée, pour ce qui concerne la faculté de médecine, par la délibération du 30 octobre.


Bien dans l'esprit du temps, cette réorganisation installe un environnement particulièrement favorable aux disciplines scientifiques. Elles bénéficient d'un nouveau cours d'anatomie ajouté aux démonstrations données par le chirurgien-major de l'Hôpital militaire, d'un cours de botanique lié à une chaire de médecine attribuée pour une fois à Joseph Celles, qui sera réunie après le décès de l'actuel protomédic à la fonction de protomédic, et d'un cours de physique expérimentale délivré par le professeur, «ancien», de la faculté des arts. Les mathématiques sont enseignées depuis 1723 par un professeur de cette faculté mais sa fonction parallèle au Collège royal ne manquera pas de générer des problèmes dès 1763. Le cours d'histoire naturelle ne sera créé qu'en 1770 et la chaire de chimie en 1786.

La rénovation de l'enseignement s'appuie sur de nouvelles installations fonctionnelles avec en premier lieu le bâtiment, équipé d'un amphithéâtre pour l'anatomie, d'une salle de démonstration de physique et les instruments anatomiques et d'une bibliothèque.

Le cabinet d'anatomie dépassait le thème humain ; il renfermait, outre les instruments de chirurgie, des squelettes, des pièces pathologiques, un enfant de trois ans avec tous les muscles disséqués, un ver solitaire et un oiseau monstre à deux corps, quatre pattes et quatre ailes.

La bibliothèque présentait au rayon de l'histoire naturelle une quarantaine d'ouvrages dont les célèbres Systema naturae de Linné, Histoire naturelle de Buffon, Histoire des insectes de Réaumur, Histoire des Plantes de Fusch, Observations sur l'origine et la formation des pierres figurées de P. Barrère, Histoire naturelle de Pline l'Ancien, Historia stipium Helvetiae d'Haller, Botanicum parisiense de Vaillant, Itinera alpina de Scheuchzer et Flora Carniolica de Scopoli. Cet ensemble formait à la fois une solide documentation classique et, pour l'époque, un outil d'étude tout à fait d'actualité.

La déclaration du 31 mars 1759 prévoyait l'établissement d'un Jardin des plantes, confirmé par l'article VII de l'ordonnance du 7 septembre ; l'article VIII précisait que sa direction et sa disposition appartiendraient à la faculté de médecine. Les plans, le devis et la distribution du jardin ont été demandés au botaniste montpelliérain A. Gouan, qui visita Perpignan en 1786 et 1787, année officielle de l'organisation définitive du jardin dans la ville neuve. Perpignan conserve aujourd'hui le souvenir de ce beau jardin à travers le nom de la rue dite du jardin botanique, dont on ose espérer qu'elle ne sera pas rebaptisée.

1770 - UN CABINET POUR L'HISTOIRE NATURELLE

Le mouvement donné à l'université locale s'accordait bien à l'esprit du temps imprégné de la pensée encyclopédique et des oeuvres de naturalistes majeurs, tel Réamur, Charles Bonnet, Maupertuis, Tournefort, Linné, Buffon, B. et A.-L. de Jussieu... La conjoncture était favorable, le cabinet n'avait plus qu'à s'ouvrir.

Sa création effective, décidée par le Conseil d'université, date du 8 octobre 1770, tout comme la nomination du premier directeur, Joseph, Barthélemy, François Carrère, titulaire depuis 1762 de la chaire d'anatomie et de chirurgie de la Faculté de médecine.

Des lettres patentes du roi fixent la double mission du directeur : conservation et enseignement. Il lui incombait de développer les collections et de les maintenir en bon état ; pour cela, il procédait à leur vérification annuelle, dressait un état des pièces tant saines que défectueuses et signalait les remplacements nécessaires. Il devait aussi tous les ans, depuis la Pâque jusqu'à la fin de l'année littéraire, sans interruption, les mardi et jeudi de chaque semaine [...] une leçon d'histoire naturelle en Français pendant une heure environ. Le budget réservait 300 livres au cabinet d'histoire naturelle, à savoir 200 livres pour son entretien et 100 au titre des gages du directeur ; si cette somme n'était pas uti-lisée, elle serait versée au jardin botanique.

Carrère est donc réellement le premier conservateur des collections d'histoire naturelle de la ville. Sous sa direction, le cabinet, limité tout d'abord aux seules productions de la province, devenait en trois années fort intéressant. L'herbier regroupait environ deux mille plantes, le secteur minéralogie une grande quantité de métaux, de pétrifications, de cristallisations, de sels, de pierres et de marbres ; le règne animal se distinguait par la variété des êtres qu'il renfermait. Cette dernière partie, outre une collection de poissons, se trouvait enrichie de lithophytes et autres productions de la mer.

Bientôt cependant Carrère, qui tenait de Louis XV la propriété des eaux minérales des Escaldes et l'inspection générale des eaux minérales de la province du Roussillon et du comté de Foix, fut mis en difficulté par ses collègues ; des plaintes parvinrent même jusqu'à Versailles. Malgré l'appel de Carrère devant le Conseil supérieur des délibérations et arrêtés pris à son encontre, le chancelier de Maupeou écrivit le 12 avril 1773 à M. de Bon, premier président du Conseil souverain et intendant du Roussillon, de destituer celui qu'il tenait pour un mauvais sujet [...] de la place de professeur en la faculté de médecine de Perpignan et de le remplacer par M. Beringo. Relevé de ses fonctions par l'arrêté du Conseil royal du 3 juillet 1773, Carrère quitta l'université de Perpignan en 1774 pour s'installer à Paris où il devint censeur royal dès 1775 puis conseiller médecin ordinaire de Louis XVI, et finalement premier médecin de Louis XVIII en exil.

La chaire ainsi libérée fut attribuée à Beringo promu vice-recteur en 1789, et la direction du cabinet à Louis Michel Costa-Serradell.

Costa-Serradell, docteur en médecine de l'université de Montpellier, avait acquis, à la demande du duc de Noailles, une spécialisation en botanique sous l'autorité de Bernard de Jussieu au Jardin des plantes de Paris. Aussi, toujours recommandé par le duc de Noailles fut-il en 1767 logiquement nommé sur la chaire de médecine dédiée à l'enseignement de la botanique et, corrélativement directeur du Jardin botanique auquel il consacra tout son soin et sa compétence. En 1774, il remplaçait donc, à la direction du cabinet d'histoire naturelle, Carrère auquel il s'était opposé dès 1771 autour d'une question d'anatomie. En 1778, il envisageait déjà de présenter sa démission pour apaiser un conflit avec l'université au sujet de la fermeture du jardin. Costa-Serradell avait en effet commandé le changement des serrures et confié les nouvelles clefs du parterre à mesdames les marquises de Balnès et d'Ortaffa afin qu'elles puissent jouir à leur gré de la promenade (...] ainsi que du plaisir d'y voir et d'y cueillir des fleurs. En réalité, il ne fut remplacé à la tête du cabinet qu'en 1782 par Sauveur Masvezy.

Pour autant, Costa-Serradell ne manquait pas d'occupations - il devenait même protomédic en 1785 comme le prévoyait la déclaration du 31 mars 1759 - au point qu'en 1786 le garde des sceaux, A.-T. Hué de Miromesnil fut amené à l'interroger sur la manière dont il assurait à la fois ses activités de protomédic, doyen de la faculté de médecine, professeur de médecine, anatomie, chirurgie, de médecin à l'hôpital militaire, et de chargé des cours d'accouchement. Dans sa réponse, Costa-Serradell argua de l'échelonnement des enseignements dans l'année et du décalage des fonctions médicales et enseignantes au cours de la journée.

En 1782, le cabinet connut donc son troisième directeur Sauveur Masvezy, nouveau professeur de médecine, apprécié pour sa modération, qui devint recteur en 1790 et mourut peu de temps après.

Masvezy a laissé un inventaire exhaustif des collections visé le 1er décembre 1786 par Louis Marigo-Vaquer, maître és-arts, docteur en droit et recteur de l'université. La commission chargée par l'assemblée générale de l'université du 13 août 1786 d'établir ce document comprenait un représentant de chaque faculté : Joseph Vazia prêtre, professeur de théologie, François, Xavier Estève, docteur és-droits, Beringo, professeur de médecine et Joseph Raymond, docteur en philosophie. Cette même commission procéda en février 1787 à l'inventaire général de tous les outils et vases servant au jardin des plantes et des arbustes.

Costa-Serradell docteur, professeur, doyen de la faculté de médecine et ancien directeur du cabinet ainsi que Masvezy lui-même assistaient aux travaux qui ont occupé huit journées, les 28-30 septembre et 1-5 octobre 1786.

Le manuscrit compte dix-huit feuillets de papier timbré. En chaque fin de journée, il est inscrit : et attendu qu'il est tard avons renvoyé la séance au jour de demain et nous nous sommes signés. Les deux premières journées ont été consacrées à l'inventaire des quatre-vingt-dix échantillons «du règne minéral» et de quinze fossiles, surtout des coquilles. Les échantillons de roches, tous collectés dans la province même, sont des variétés de talc, gypses, terres, marbres, albâtres, sels, calcaires (granite et grés sont rangés dans ce groupe), pyrites et, sous l'appellation métaux, des minerais de fer, cuivre et plomb.

La page des pétrifications énumère 17 fragments de stalactites : celle des fossiles, des coquilles surtout bivalves, mais aussi quelques gastéropodes, oursins, ammonites et du bois pétrifié.

Les jours suivants, la commission a examiné «le règne végétal». L'herbier, relevé en 35 pages, se compose de vingt-trois cartons contenant chacun environ soixante-treize planches toutes de plantes indigènes.

Enfin, le «règne animal» occupe trois pages de l'inventaire qui répartit les spécimens en lithophytes, zoophytes, testacés (subdivisés en univalves, bivalves et multivalves), crustacés, étoiles de mer, insectes, poissons, amphibies (deux grandes tortues de mer), oiseaux et quadrupèdes.

Outre l'information qu'il donne sur l'abondance des collections, ce document montre, ce qui n'est pas dépourvu d'intérêt, que les naturalistes de l'université de Perpignan étaient parfaitement instruits en 1786 de la systématique en vigueur, celle de Linné publiée seulement 28 ans auparavant. Aujourd'hui, ce système fondé sur les ressemblances morphologiques est délaissé des botanistes au profit d'une classification phylogénétique appuyée par exemple sur l'évolution des verticilles. A titre anecdotique, on note avec curiosité un certain nombre d'hispanismes, la lettre «b» remplaçant le «v» dans l'écriture des noms d'espèces. Au chapitre zoologique, le fait de situer les tortues dans la classe des amphibies est parfaitement conforme aux dispositions de Linné ; c'est, en effet, seulement en 1816 que H. Ducrotay de Blainville a créé pour les lézards, serpents et tortues la classe des reptiles. De même Linné ne reconnaissait-il que deux classes d'invertébrés, les insectes et les vers ; ces derniers répartis en intestinés, mollusques, testacés, lithophytes et zoophytes. Cette classification est respectée sans erreur dans l'inventaire de Masvezy.

La lecture de ce document - simple énumération - laisse toutefois regretter l'absence de numérotation individuelle des pièces ; cette pratique présenterait aujourd'hui l'avantage de faciliter l'identification des spécimens pionniers parmi les abondantes collections actuelles, mais il ne s'agissait que d'un outil d'enseignement et non pas d'une collection à vocation scientifique.

Comme la Constituante, soucieuse d'abolir les privilèges, avait supprimé les corporations dès 1791, la Convention, dans le même état d'esprit, supprimait par un décret du 15 septembre 1793 l'ensemble des vingt-trois universités françaises qu'elle remplaçait par une série de grands établissements. A Perpignan où, selon les cahiers de doléances, le Tiers-Etat avait déjà demandé en 1789 que les chaires de médecine, de chimie, botanique et les pépinières établies dans la ville fussent supprimées, l'université est remplacée par une école nationale puis en 1795 par l'Ecole centrale ouverte en mai 1796.

EMMANUEL BONAFOS : CONSCIENCE ET COMPETENCE

Ses fondateurs écartés, disparus ou émigrés en Espagne, comme Costa-Serradell en 1793, l'entretien du cabinet n'était vraisemblablement pas une priorité du moment, jusqu'à l'arrivée d'un jeune médecin Emmanuel Bonafos, nommé professeur d'histoire naturelle à l'Ecole centrale et directeur du Jardin des plantes. En fait, Bonafos est connu pour avoir mené parallèlement et avec autant de succès les carrières naturaliste et médicale. Il fut médecin-adjoint de l'hôpital civil, chargé de l'hôpital militaire (1795), pratiqua de nombreuses vaccinations et propagea la vaccine dans le département (1800), médecin des prisons civiles (1818), chargé du cours départemental d'accouchement (1827), médecin des épidémies et président du Comité médical de la ville. Naturaliste, il fut membre correspondant de la Société royale d'agriculture (1799), conservateur de la pépinière départementale (1817), membre fondateur de la société littéraire, président de la Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales et premier archéologue du département (1843).

A son arrivée de Paris en juin 1794, où il séjournait à la demande de son oncle maternel, il trouva le Jardin des plantes et les collections dans un grave état d'abandon ; certains objets avaient même disparu. Malgré les difficultés de l'époque, comme le jour où sous prétexte qu'on avait besoin d'outils de serrurerie pour le moulin à poudre, des ouvriers étaient venus piller le cabinet de physique..., Bonafos ne pouvait se résigner à laisser négliger toute une collection d'histoire naturelle, il continuait à collectionner et surtout à défendre les collections fort du décret du 28 frimaire an II qui prohibait tout autre déplacement que celui nécessité par la conservation même des objets. Sa fonction l'incita à correspondre avec le botaniste André Thouin, membre de l'Institut, qui avait obtenu l'acclimatation en France de plusieurs plantes exotiques. Dans un courrier du ter mars 1789, Bonafos proposait de devenir utile au jardin national en recevant les plantes espagnoles et africaines qui lui sont destinées, et qui périssent dans une trop longue route. Elles se reposeraient ici quelques mois et arriveraient plus fraîches à Paris. Cette idée, déjà émise par Gouan en 1767, fut reprise dans les années 1860 par Charles Naudin qui créa pour cela un jardin exotique à Collioure.

Certainement absorbé par de nombreuses tâches, Bonafos n'a guère publié d'oeuvre écrite. On connaît Note sur la Flore du Vallespir (inédit) communiqué à Lapeyrouse le 10 mai 1800, et un inventaire de tous les objets du cabinet d'histoire naturelle daté du 28 janvier 1795.

Ce document décrit l'ameublement du cabinet, suffisant et confortable, composé de treize belles armoires vitrées contenant les objets inventoriés, d'une grande table peinte et dorée comme les armoires et d'un lustre en cristal.

Les collections étaient réparties en trois sections : section Al minéralogie, section A2 zoologie, section A3 l'herbier, riche de mille trois cent quatre vingt dix taxons contenus dans six cartons, herbier assez considérable ; il renferme surtout les plantes de Pyrénées, et celles qui croissent dans la plaine, sur les bords de la mer qui baigne nos côtes ; mais il commence à vieillir.

Perpignan a donc la chance de détenir deux inventaires détaillés d'un cabinet d'histoire naturelle du XVIIIe siècle, dressés à neuf ans d'intervalle, avant et après la Révolution. Dans leur archaïsme, ces documents sont porteurs du message moderne de l'unité d'une collection qui tient sa valeur de sa globalité : ses différents éléments complémentent, et, se renforçant mutuellement, donnent à l'ensemble la richesse d'une oeuvre constituée.

L'inventaire dressé par Bonafos en 1795 porte une numérotation édifiante : chaque objet est affecté du numéro 65, code désignant le département des Pyrénées-Orientales. La codification de notre inventaire illustre bien le changement de statut de la collection qui, de propriété de l'université locale, donc privée, était devenue patrimoine national.

Après la chute de Robespierre et la fin de la Terreur, la France retrouve une vie culturelle. En particulier, à partir des collections privées saisies par les instances révolutionnaires, des muséums se mettent en place dans plusieurs villes de province comme Grenoble, Nancy, Auxerre, Nantes...

Les collections de Perpignan, bien qu'ayant changé de situation administrative, demeurent en place au cabinet d'histoire naturelle de l'Ecole centrale dans le bâtiment même de l'université. Le statut de ces collections, devenues composante du patrimoine national dont le dépositaire n'est que le gérant, est encore attesté par la circulaire ministérielle du 21 mai 1801 qui interroge le préfet sur les dépôts d'objets de science et d'art de son ressort administratif et, entre autres choses, sur l'état du cabinet. Pour élément de réponse, Bonafos rédigea un inventaire succinct le 27 juin 1801 que le préfet transmit cinq jours plus tard au ministère de l'Intérieur. On peut voir dans cette formalité les prémices de la réorganisation générale de l'enseignement secondaire qui allait aboutir en 1802 à la création des lycées.

Comme pour mettre à profit un courant favorable aux collections, Bonafos soucieux de développer celles qu'il conservait, s'adressait encore au général Martin, préfet du département, le 15 août 1801 : plusieurs préfets désireux de procurer à l'école centrale de leur département une collection d'objets d'histoire naturelle, ont envoyé à Paris le professeur de cette science. La plupart, pour ne pas dire tous, ont obtenu par ce moyen, du ministre de l'Intérieur et du Museum national des collections précieuses. Il proposait alors de faire le voyage à Paris à ses frais et précisait qu'il lui paraissait juste de prendre sur les sommes affectées au jardin botanique et aux menues dépenses de l'école pour l'an X, les frais occasionnés par la réunion et le transport des objets. Il ne semble pas que cette requête ait pu connaître une suite favorable avant la fermeture de l'Ecole centrale survenue en 1803.

TRENTE ANS SOUS SCELLES

Par décision gouvernementale du 8 pluviose (28 janvier), le cabinet passait sous la tutelle de la ville de Perpignan ; après inventaire, les collections étaient remises au citoyen Lasserre, adjoint au maire. Suivant une nouvelle décision gouvernementale du 16 floréal (6 mai), le préfet ordonnait le 25 juillet la pose de scellés sur la porte du cabinet qui dès lors n'attirait plus l'attention.

Dans d'autres villes de France, les collections connurent un sort sensiblement identique : à Dijon, par exemple, le museum ne fut créé qu'en 1836 autour des anciennes collections privées saisies par les instances révolution-naires. A Perpignan il aurait pu en être autrement si lors de la mise en place de son université impériale instituée par la loi du 10 mai 1808, Napoléon avait prévu de rendre ses facultés à la ville mais il en fut autrement.

Il fallut attendre la Restauration pour que le préfet, interrogé par un courrier du 20 novembre 1816 du ministère de l'Intérieur sur l'état des collections qui avaient servi à l'enseignement dans l'ancienne Ecole centrale, précise le 27 février 1817 que ces collections étaient peu importantes ; pour leur donner plus d'intérêt il conviendrait de prendre des mesures pour y réunir les substances naturelles répandues sur les divers points des Pyrénées-Orientales. Le ministère retenait cette suggestion et engageait le préfet à la soumettre au conseil municipal de Perpignan. Bonafos était encore invité à avancer des propositions, mais une nouvelle fois ce projet paraît être resté sans suite et le cabinet toujours revêtu d'un voile d'indifférence, bien que le Roussillon fût animé d'une réelle activité naturaliste. A cette époque-là, en effet, parmi tant d'autres, les pharmaciens Barthélemy, Joseph, Paul Xatart de Prats-de-Mollo et Jean Coder de Prades produisaient une oeuvre botanique d'autorité et les entomologistes, tel Xambeu, J.N. Farines, L. Companyo... apportaient une contribution de premier plan à la connaissance faunistique de la région. En fait, l'ensemble des disciplines naturalistes étaient servies avec beaucoup d'intérêt, parfois même excès de passion comme lors de l'échouage du célèbre rorqual de Saint-Cyprien en 1828. La détermination de ce rorqual dont le squelette est actuellement déposé au Muséum de Perpignan, souleva une très vive polémique publique entre les tenants de l'espèce nouvelle qu'ils souhaitaient dédier au célèbre astronome François Arago, et les classiques qui reconnaissaient Balaenoptera physalus. Il fallut plusieurs échanges avec l'Académie des sciences pour que la deuxième proposition fût admise.

La nécessité pédagogique avait engendré le cabinet : la pression scientifique devait amener son renouveau et sa mutation.

Les collectes conduisaient aux collections, les interrogations aux réflexions qui rendaient indispensables confrontations et échanges d'idées. Dans la logique de cet enchaînement, un groupe d'érudits aux intentions généreuses, dont les travaux [devaient] être utiles à leur pays, fondait en 1833, la Société philomatique des Pyrénées-Orientales qui tenait ses réunions dans les locaux de l'université et accordait une place privilégiée aux matières scientifiques.

Les interventions à caractère naturaliste y étaient fréquentes et souvent accompagnées de dons destinés aux collections qui prenaient une telle importance que le 4 septembre 1835 le président Jaubert de Réart proposait la création d'un cabinet, ce qui revenait à réhabiliter l'ancien. Cette mission était confiée à une commission composée de MM. Bouis, Jaubert de Réart, Farines et Companyo.

En 1836, les collections ne firent qu'augmenter. A titre d'exemple, le tableau remarquable des mollusques terrestres et fluviatiles du département des Pyrénées-Orientales préparé avec goût et compétence par M. Aleron et encore visible au Muséum, date de cette année-là.

La société ressentit alors la nécessité de mettre en place une commission chargée de l'inventaire des collections dont le développement connut une avancée significative au cours des années suivantes.

La municipalité cependant, ne paraissant pas décidée à faire les frais de l'exposition des objets d'histoire naturelle, la société demanda la cession des collections universitaires qu'elle se proposait de ranger dans des armoires appropriées qui seraient disposées dans la salle des séances. Le maire répondait favorablement à cette requête le 15 mars 1839 et au mois de mai les choses étaient en place. La multiplication des dons conférait aux collections perpignanaises un prestige qui dépassait même le cadre local et attirait avantageusement l'attention de l'administration centrale : le ministre de l'Intérieur intéressé décidait d'envoyer à Perpignan divers objets d'histoire naturelle du Muséum national de Paris.

A partir de là, la ville ayant réellement pris conscience de ses responsabilités, les choses évoluèrent. Le conseil municipal redonnait, dans sa séance du 4 août 1840, un statut officiel au Muséum d'histoire naturelle dont le déménagement hasardeux en 1900 au 12 de la rue Fontaine-Neuve ne devrait pas faire oublier qu'il s'est rétabli autour du germe vivace du cabinet universitaire.

Dans leur matérialité toute simple les objets peuvent subir l'outrage du temps, mais les collections, fortes de la pérennité de leur charge symbolique d'oeuvre humaine, restent une arche permanente au-dessus de l'oubli. A Perpignan elles accompagnent l'université moderne dans sa plongée au coeur de l'histoire de la cité.


SOURCES ET REFERENCES

(1)  Archives des Pyrénées-Orientales, dossier 1 J 416

(2)  id., dossiers C 1302, 1 J 154, D 16

(3)  id., dossier D 8967

(4)  id., dossier 1 J 154

(5)  id., dossier C 1307

(6)  id., dossier L 1122

(7)  id., document BIB 520

(8)  Cf. supra (6)

(9)  Archives des Pyrénées-Orientales, dossier 112 EDT 1131

(10)  J.B. F. Carrère, 1787 - Voyage pittoresque de la France avec description de toutes les provinces. Province du Roussillon. Impr. de Monsieur, Paris, pp. 85-86

(11)  Archives des Pyrénées-Orientales, dossier 1 C 1306

(12)  Cf. supra (5)

(13)  id.

(14)  id.

(15)  Archives des Pyrénées-Orientales, dossier 112 EDT 1131

(16)  cf. supra (5)

(17)  H. Jupin, communication personnelle

(18)  R. Bourgat et F.-G. Belledent, «Notice historique sur le museum d'histoire naturelle.» In : SASL, 1983, 91eme vol. pp.137-155

(19)  Cf. supra (6)

(20)  Archives des Pyrénées-Orientales, dossier 4 T 79

(21)  Cf. supra (5)