I - Ouverture ancienne d'Hérodiade La Nourrice
(incantation) Abolie, et son aile affreuse dans les larmes Du bassin, aboli, qui mire les alarmes, Des ors nus fustigeant l'espace cramoisi, Une Aurore a, plumage héraldique, choisi Notre tour cinéraire et sacrificatrice, Lourde tombe qu'a fuie un bel oiseau, caprice Solitaire d'aurore au vain plumage noir... Ah ! des pays déchus et tristes le manoir ! Pas de clapotement ! L'eau morne se résigne, Que ne visite plus la plume ni le cygne Inoubliable : l'eau reflète l'abandon De l'automne éteignant en elle son brandon : Du cygne quand parmi le pâle mausolée Ou la plume plongea la tête, désolée Par le diamant pur de quelque étoile, mais Antérieure, qui ne scintilla jamais. Crime ! bûcher ! aurore ancienne ! supplice ! Pourpre d'un ciel ! Etang de la pourpre complice ! Et sur les incarnats, grand ouvert, ce vitrail.
La chambre singulière en un cadre, attirail De siècle belliqueux, orfèvrerie éteinte, A le neigeux jadis pour ancienne teinte, Et sa tapisserie, au lustre nacré, plis Inutiles avec les yeux ensevelis De sibylles offrant leur ongle vieil aux Mages. Une d'elles, avec un passé de ramages Sur ma robe blanchie en l'ivoire fermé Au ciel d'oiseaux parmi l'argent noir parsemé, Semble, de vols partir costumée et fantôme, Un arôme qui porte, ô roses ! un arôme, Loin du lit vide qu'un cierge soufflé cachait, Un arôme d'ors froids rôdant sur le sachet, Une touffe de fleurs parjures à la lune (A la cire expirée encor s'effeuille l'une), De qui le long regret et les tiges de qui Trempent en un seul verre à l'éclat alangui. Une Aurore traînait ses ailes dans les larmes !
Ombre magicienne aux symboliques charmes ! Une voix, du passé longue évocation, Est-ce la mienne prête à l'incantation ? Encore dans les plis jaunes de la pensée Traînant, antique, ainsi qu'une étoile encensée Sur un confus amas d'ostensoirs refroidis, Par les trous anciens et par les plis roidis Percés selon le rythme et les dentelles pures Du suaire laissant par ses belles guipures Désespéré monter le vieil éclat voilé S'élève : (ô quel lointain en ces appels celé!) Le vieil éclat voilé du vermeil insolite, De la voix languissant, nulle, sans acolyte, Jettera-t-il son or par dernières splendeurs, Elle, encore, l'antienne aux versets demandeurs, A l'heure d'agonie et de luttes funèbres ! Et, force du silence et des noires ténèbres Tout rentre également en l'ancien passé, Fatidique, vaincu, monotone, lassé, Comme l'eau des bassins anciens se résigne.
Elle a chanté, parfois incohérente, signe Lamentable ! le lit aux pages de vélin, Tel, inutile et si claustral, n'est pas le lin ! Qui des rêves par plis n'a plus le cher grimoire, Ni le dais sépulcral à la déserte moire, Le parfum des cheveux endormis. L'avait-il ? Froide enfant, de garder en son plaisir subtil Au matin grelottant de fleurs, ses promenades, Et quand le soir méchant a coupé les grenades ! Le croissant, oui le seul est au cadran de fer De l'horloge, pour poids suspendant Lucifer, Toujours blesse, toujours une nouvelle heurée, Par la clepsydre à la goutte obscure pleurée, Que, délaissée, elle erre, et sur son ombre pas Un ange accompagnant son indicible pas ! Il ne sait pas cela le roi qui salarie Depuis longtemps la gorge ancienne est tarie. Son père ne sait pas cela, ni le glacier Farouche reflétant de ses armes l'acier, Quand sur un tas gisant de cadavres sans coffre Odorant de résine, énigmatique, il offre Ses trompettes d'argent obscur aux vieux sapins ! Reviendra-t-il un jour des pays cisalpins ! Assez tôt ? Car tout est présage et mauvais rêve ! A l'ongle qui parmi le vitrage s'élève Selon le souvenir des trompettes, le vieux Ciel brûle, et change un doigt en un cierge envieux. Et bientôt sa rougeur de triste crépuscule Pénétrera du corps la cire qui recule ! De crépuscule, non, mais de rouge lever, Lever du jour dernier qui vient tout achever, Si triste se débat, que l'on ne sait plus l'heure La rougeur de ce temps prophétique qui pleure Sur l'enfant, exilée en son coeur précieux Comme un cygne cachant en sa plume ses yeux, Comme les mit le vieux cygne en sa plume, allée De la plume détresse, en l'éternelle allée De ses espoirs, pour voir les diamants élus D'une étoile mourante, et qui ne brille plus. II - Scène La Nourrice - HérodiadeN. Tu vis ! ou vois-je ici l'ombre d'une princesse ? A mes lèvres tes doigts et leurs bagues et cesse De marcher dans un âge ignoré...
H. Reculez. Le blond torrent de mes cheveux immaculés Quand il baigne mon corps solitaire le glace D'horreur, et mes cheveux que la lumière enlace Sont immortels. O femme, un baiser me tûrait Si la beauté n'était la mort... Par quel attrait Menée et quel matin oublié des prophètes Verse, sur les lointains mourants, ses tristes fêtes, Le sais-je ? tu m'as vue, ô nourrice d'hiver, Sous la lourde prison de pierres et de fer Où de mes vieux lions traînent les siècles fauves Entrer, et je marchais, fatale, les mains sauves, Dans le parfum désert de ces anciens rois : Mais encore as-tu vu quels furent mes effrois ? Je m'arrête rêvant aux exils, et j'effeuille, Comme près d'un bassin dont le jet d'eau m'accueille, Les pâles lys qui sont en moi, tandis qu'épris De suivre du regard les languides débris Descendre, à travers ma rêverie, en silence, Les lions, de ma robe écartent l'indolence Et regardent mes pieds qui calmeraient la mer. Calme, toi, les frissons de ta sénile chair, Viens et ma chevelure imitant les manières Trop farouches qui font votre peur des crinières, Aide-moi, puisqu'ainsi tu n'oses plus me voir, A me peigner nonchalamment dans un miroir. N. Sinon la myrrhe gaie en ses bouteilles closes, De l'essence ravie aux vieillesses de roses, Voulez-vous, mon enfant, essayer la vertu Funèbre? H. Laisse là ces parfums ! ne sais-tu Que je les hais, nourrice, et veux-tu que je sente Leur ivresse noyer ma tête languissante ? Je veux que mes cheveux qui ne sont pas des fleurs A répandre l'oubli des humaines douleurs, Mais de l'or, à jamais vierge des aromates, Dans leurs éclairs cruels et dans leurs pâleurs mates, Observent la froideur stérile du métal, Vous ayant reflétés, joyaux du mur natal, Armes, vases depuis ma solitaire enfance. N. Pardon ! l'âge effaçait, reine, votre défense De mon esprit pâli comme un vieux livre ou noir... H. Assez ! Tiens devant moi ce miroir. O miroir ! Eau froide par l'ennui dans ton cadre gelée Que de fois et pendant des heures, désolée Des songes et cherchant mes souvenirs qui sont Comme des feuilles sous ta glace au trou profond, Je m'apparus en toi comme une ombre lointaine, Mais, horreur ! des soirs, dans ta sévère fontaine, J'ai de mon rêve épars connu la nudité ! Nourrice, suis-je belle ? N. Un astre, en vérité Mais cette tresse tombe... H. Arrête dans ton crime Qui refroidit mon sang vers sa source, et réprime Ce geste, impiété fameuse : ah ! conte-moi Quel sûr démon te jette en le sinistre émoi, Ce baiser, ces parfums offerts et, le dirai-je ? O mon coeur, cette main encore sacrilège, Car tu voulais, je crois, me toucher, sont un jour Qui ne finira pas sans malheur sur la tour... O jour qu'Hérodiade avec effroi regarde ! N. Temps bizarre, en effet, de quoi le ciel vous garde ! Vous errez, ombre seule et nouvelle fureur, Et regardant en vous précoce avec terreur ; Mais toujours adorable autant qu'une immortelle, O mon enfant, et belle affreusement et telle Que... H. Mais n'allais-tu pas me toucher ? N. ... J'aimerais Etre à qui le destin réserve vos secrets. H. Oh ! tais-toi ! N. Viendra-t-il parfois ? H. Etoiles pures, N'entendez pas ! N. Comment, sinon parmi d'obscures Epouvantes, songer plus implacable encor Et comme suppliant le dieu que le trésor De votre grâce attend ! et pour qui, dévorée D'angoisses, gardez-vous la splendeur ignorée Et le mystère vain de votre être ? H. Pour moi. N. Triste fleur qui croît seule et n'a pas d'autre émoi Que son ombre dans l'eau vue avec atonie. H. Va, garde ta pitié comme ton ironie. N. Toutefois expliquez : oh ! non, naïve enfant, Décroîtra, quelque jour, ce dédain triomphant. H. Mais qui me toucherait, des lions respectée ? Du reste, je ne veux rien d'humain et, sculptée, Si tu me vois les yeux perdus au paradis, C'est quand je me souviens de ton lait bu jadis. N. Victime lamentable à son destin offerte! H. Oui, c'est pour moi, pour moi, que je fleuris, déserte ! Vous le savez, jardins d'améthyste, enfouis Sans fin dans de savants abîmes éblouis, Ors ignorés, gardant votre antique lumière Sous le sombre sommeil d'une terre première, Vous, pierres où mes yeux comme de purs bijoux Empruntent leur clarté mélodieuse, et vous Métaux qui donnez à ma jeune chevelure Une splendeur fatale et sa massive allure ! Quant à toi, femme née en des siècles malins Pour la méchanceté des antres sibyllins, Qui parles d'un mortel ! selon qui, des calices De mes robes, arôme aux farouches délices, Sortirait le frisson blanc de ma nudité, Prophétise que si le tiède azur d'été, Vers lui nativement la femme se dévoile, Me voit dans ma pudeur grelottante d'étoile, Je meurs ! J'aime l'horreur d'être vierge et je veux Vivre parmi l'effroi que me font mes cheveux Pour, le soir, retirée en ma couche, reptile Inviolé sentir en la chair inutile Le froid scintillement de ta pâle clarté Toi qui te meurs, toi qui brûles de chasteté, Nuit blanche de glaçons et de neige cruelle ! Et ta soeur solitaire, ô ma soeur éternelle Mon rêve montera vers toi : telle déjà, Rare limpidité d'un coeur qui le songea, Je me crois seule en ma monotone patrie Et tout, autour de moi, vit dans l'idolâtrie D'un miroir qui reflète en son calme dormant Hérodiade au clair regard de diamant... O charme dernier, oui ! je le sens, je suis seule. N. Madame, allez-vous donc mourir? H. Non, pauvre aïeule, Sois calme et, t'éloignant, pardonne à ce coeur dur, Mais avant, si tu veux, clos les volets, l'azur Séraphique sourit dans les vitres profondes, Et je déteste, moi, le bel azur ! Des ondes Se bercent et, là-bas, sais-tu pas un pays Où le sinistre ciel ait les regards haïs De Vénus qui, le soir, brûle dans le feuillage : J'y partirais. Allume encore, enfantillage Dis-tu, ces flambeaux où la cire au feu léger Pleure parmi l'or vain quelque pleur étranger Et... N. Maintenant ? N. Adieu. Vous mentez, ô fleur nue De mes lèvres. J'attends une chose inconnue Ou peut-être, ignorant le mystère et vos cris, Jetez-vous les sanglots suprêmes et meurtris D'une enfance sentant parmi les rêveries Se séparer enfin ses froides pierreries. |