Homère avait fait de Patrocle un personnage central dans l'Iliade : l'ami d'Achille (son ἐραστής selon Platon), avait, en revêtant ses armes, mis en fuite les Troyens. Mais au lieu de rentrer comme le voulait Achille, il avait défié Hector et trouvé la mort. Pour le venger, Achille avait mis de côté sa haine contre Agamemnon ; avec les armes forgées par Héphaïstos, il avait tué Hector et en même temps accepté de mourir jeune à Troie.

Pour « nos » auteurs au contraire, Patrocle a un rôle décidément plus marginal dans la guerre, et Achille désire assurément plus l'amour de Polyxène que la vengeance sur Hector. Cependant ils confirment l'amitié de Patrocle et d'Achille, qui lui avait été confié ainsi qu'à Nestor par ses parents Pélée et Thétis et son grand-père Chiron avec mission de veiller sur lui. Il faut remarquer la nature tout à fait humaine de ces personnages, qui chez Homère étaient des dieux ou des héros. Les deux amis prennent part à la guerre depuis le début, y arrivent avec cinquante nefs de Phthie ou d'Argos (?!) et Darès en fournit aussi un portrait.

Dares, De excidio Troiae

11 - Conuenerunt autem hi : Achilles cum Patroclo, Euryalus, Tlepolemus, Diomedes.

Auprès d'eux se réunissent bientôt Achille avec Patrocle, Euryale, Tlépolème, Diomède.

14 - Achilles cum Patroclo et Myrmidonibus ex Phthia nauibus L.

Achille avec Patrocle et les Myrmidons, cinquante de Phtie.

13 - Patroclum pulchro corpore, oculis uiuidis et magnis, uerecundum, rectum, prudentem, dapsilem.

Patrocle était un bel homme ; il avait de grands yeux verts, de la modestie, de la droiture, de la prudence et de la générosité.

Sur les traces de Darès (et probablement d’Ovide) Joseph of Exeter associe la mort de Patrocle à celle de Protésilas, qu’il commente sur un ton élégiaque.

Josephus Iscanus, Daretis Ylias, V 181-205

Interfectio Prothesilai
Emicat immodicus animi metuensque priorem
Solus in extremum iamiam proruperat agmen
Turbidus Ysiphides. Populum vaga turba secutum,
Non unam sevire manum creditque pavetque,
185 Ceu Mars ipse premat. Acies prevectus utrasque
Liquerat ardebatque arces calcare relicti
Contemptor belli, sed hanelo fervidus Hector
Obicitur. Quonam usque? Hic terminus` inquit et ensem
Nudat atrox conumque nichil tutante pyropo
190 In pectus consedit ebur. Mox intonat orsis:
Quisquis es, i felix reliquisque superbior umbris,
Hectorea mactate manu!' Ruit unicus ille,
Laodomia, tuus, fideque oblitus amantis
Non timidas in bella preces, non mollia íussa,
195 Pertulerat, primos teneri respectus amoris
Cessit ad armorum fremitus. At nescia fati
Hemonis absentem suspirat mesta maritum
Et non sensuros vultus prernit oscula figens
Cerea difficilesque deos in vota fatigat.
200 Nequicquam ! Iacet ille quidem lapsusque iugales
Impedit et curru non agnoscente fatiscit.
Hunc ubi precipitem volvi videre Pelasgi,
Pennificat formido gradus stimulatque volentes
Ire pedes, cunctis iter est ad litora longum
205 et tardum repetisse rates...

Achille ranime les Achéens en fuite et oblige les Troyens à rentrer dans la ville. Le jour suivant, Hector tue Patrocle et Mérion, est blessé par Mnestès en l'absence d'Achille, et pourrait aisément brûler les navires mais Ajax le retient : quelques vers de notre poète, sur les traces de son modèle Darès, nous content une section tout à fait importante de l’Iliade d’Homère...

Josephus Iscanus, Daretis Ylias, V 241-275

Ecce Meneciades, Chironis cura secunda,
Alter amor, similemque animis indutus Achillem
Prosilit in medios. Stabant tres pectore iuncto
Aptabantque manus in vulnera, prevenit ausus
245 Impactis Patroclus equis umbone Diarcem,
Ysiphilum curru proturbans, Yphiton ense.
Hector in obliquas revocato lumine turmas
Indignans cecidisse Friges ruit impiger hastam
Fulmineam quatiens iuvenernque in terga supinum
250 Vectori collidit equo. Consuta regenti
Membra refert sonipes, at festinantior instat
Priamides prensoque iugo violentus in auras
Contorquet plenum galea caput. Ipsa supremis
Vox nondum defuncta sonis exile susurrat :
255 Ultor ubi, Eacide?' Tandem super agmina longe
Labitur in Dorilam cassis. Reliquoque potitus
Corpore Priamides, spoliis auroque superbus
Isset, at audentem contra ire Meriona preceps
Persequitur. Tuque et vita spoliabere et armis,
260 Quisquis es, exclamat.Cumque huic post vulnera multa
Incubuisset ovans rapturus opima, Menestes
Advolat et socias animo indignante ruinas
Hectoreum ferit ense femur. Fremit inscius ille
Nec dolor in sensum vires habet, at iuga spectans
265 Crurum tincta notis, dubius tamen unde, suusne
Fluxerit an cedis Danae cruor, emicat axe
Infensus poscitque faces atque hoste repulso
Igne rates populante premit. Subit obvius Aiax
Iam tandem erumpens et apertis Hectora campis
270 Irato mucrone petit. Trux ridet Herinis
Cognatum lucrata nefas, at concita cecos
Errores aperit Pietas nec passa furentes
Communes declarat avos. Illi arma facesque
Sponte relicturi galeas ad mutua laxant
275 Oscula mutatisque petunt tentoria parmis.

Ces notices sont confirmées par Dictys et Johannes Malalas, comme par Benoît et Guido :

Dictys, Ephemerides belli Troiani, I, 14

Post quos Achilles Pelei et Thetidis, quae ex Chirone dicebatur... Cum eo Patroclus et Phoenix ; alter propter coniunctionem amicitiae, alter custos atque rector eius.

Enfin Achille, fils de Pélée et de Thétis, que l'on disait fille de Chiron [...] A ses côtés étaient Patrocle et Phénix, l'un son intime ami, l'autre son guide et son gouverneur.

Malalas latinus, Chronographia, 97

Ante bellum itaque susceptum Menelaus ad Priamum contendit, uxorem Helenam sibi reddi postulans. Priamidae autem cum eam reddere renuerent omnino, in Troianos arma protinus sumpserunt Atridae, regulis etiam vicinis in belli societatem conductis. Sollicitatis itaque Peleo et uxore eius Thetide, Chironem etiam regem et philosophum Thetidis patrem exoratum habuerunt, ut Achilles Pelei et Thetidis filius sibi daretur socius. Eum itaque Chiron accersit ex insula ubi apud regem Lycomedem, Deidamiae patrem, commorabatur. Achilles itaque comitem sese Atridis adjunxit secum habens in exercitu suo MMM Myrmidonum(ita olim dicti, qui nunc Bulgari) inter quos Nestor fuit et Patroclus, castrorum praefectus, impetrantibus hoc ab his Chirone, Peleo et Thetide, ut Achillem comitarentur.

Benoît de Sainte-Maure, Roman de Troie en prose, 67

Si come il mandèrent lor letres par toutes les terres de Grece. Si poés oïr les nons d'auques de ceaus qui plus estoient : Achilles, Patroclus, Diomedès, Eliolus, Neptolonus, li duz d'Athènes et autres assés de grant pooir, qui promistrent par lor messages, que trop lointain estoient.

Guido delle Colonne, Historia destructionis Troiae, liber VIII

Sicque uerbis et sermonibus fine facto, acquieuit humiliter Menelaus, et sic incontinenti per vniuersos Grecie principes litteris destinatis, inter alios accesserunt primi illi viri nobiles, Achilles strennuus et Patroclus necnon et fortissimus Dyomedes.

Liber XV - Erat enim iste Patroclus vir nobilis et dux a suorum progenitorum stirpe productus, clarus moribus et multis diuiciis opulentus, quem Achilles in tanta sibi amicicie confederacione constrinxerat quod amborum anima et spiritus vnus erat, et quod erat vnius eorum alterius totum erat.

Agamemnon leur confie immédiatement l'entreprise d'aller à Delphes connaître la durée et le résultat de la guerre : là ils rencontrent Calchas, envoyé par Priam, et l'emmènent avec eux.


La variation la plus importante de Darès, comme évidemment de Benoît et Guido, est celle-ci : Patrocle meurt au cours de la deuxième bataille, un jour seulement après la mort de Protésilas. Hector conquiert ses armes, qui n'ont rien de divin et ne sont pas d'Achille. La même journée a lieu le défi d'Ajax et d'Hector, qui se reconnaissent cousins : Achille (le croirait-on ?) n'y prend aucune part et se contentera de pleurer son ami. Darès ne fait aucune allusion à sa colère contre Agamemnon.

Darès le Phrygien

XIX - Signo dato naues soluunt, tota classis in latitudine accedit ad Troiam, littora Troiani fortiter defendunt. Protesilaus in terram excensionem facit, fugat, caedit. Cui Hector obuiam uenit, et eum interfecit, ceteros perturbauit: unde Hector recedebat, ibi Troiani fugabantur. Postquam magna caedes utrimque facta est, aduenit Achilles : is totum exercitum in fugam conuertit, redegitque in Troiam. Nox praelium dirimit, Agamemnon exercitum in terram educit, castra facit. Postera die Hector exercitum ex urbe educit, et instruit. Agamemnon contra clamore magno occurrit : praelium acre et iracundum fit : fortissimus quisque in primis cadit. Hector Patroclum occidit, et eum spoliare parat. Merion eum ex acie ne spoliaretur eripuit. Hector Merionem persequitur et occidit.

Ce signal donné, on part de Ténédos, et toute la flotte rangée de front sur une seule ligne, s'avance vers le rivage de Troie, en présence de l'armée troyenne toute prête à s'opposer au débarquement. Protésilas descend le premier et taille en pièces ou met en fuite tous les ennemis qui se rencontrent sur son passage. Hector s'avance contre lui, le tue, et disperse les soldats qui l'accompagnaient. Lorsque ce prince paraissait, les Grecs prenaient la fuite ; lorsqu'il se retirait, les Troyens fuyaient à leur tour. Après un grand carnage de part et d'autre, on voit arriver Achille sur le champ de bataille : il met bientôt en déroute toute l'armée ennemie, et la poursuit jusqu'aux remparts de Troie. La nuit met fin au combat, et Agamemnon en profite pour faire débarquer et camper le reste de ses troupes. Le jour suivant, Hector fit sortir ses Troyens de leurs remparts,et les rangea en bataille. Agamemnon marche contre lui, en faisant pousser de grands cris à ses soldats : alors commence un combat furieux et acharné. Dans ce premier choc, périssent plusieurs vaillants guerriers : Hector tue Patrocle de sa main ; déjà il se disposait à le dépouiller, lorsque Mérion accourt et enlève le cadavre du champ de bataille ; il est poursuivi à son tour et mis à mort par le vainqueur de Patrocle, qui s'apprête à le dépouiller lui-même.

XX - Achilles Patroclum plangit, Graiugenae suos. Agamemnon Protesilaum magnifico funere effert, ceterosque sepeliendos curat. Achilles Patroclo ludos funebres facit.

Achille pleura la mort de son cher Patrocle, et les autres Grecs celle de leurs amis qu'ils avaient perdus. Agamemnon fit de pompeuses funérailles à Protésilas, et ordonna que tous les morts fussent enterrés avec honneur. Achille, de son côté, fit célébrer des jeux funèbres auprès du tombeau de son ami.

Benoît de Sainte-Maure

CIV - Si come Hector et Patroclus et lor gent s'entrecontrerent.
Hector assembla premièrement, et Patroclus essi de sa part. Lor destriers les portèrent moût tost, si feri Patroclus Hector par mi l'escu et brisa sa lance. Mais Hector ne s'enmaia de rien, ançois refiert li si que escu ne hauberc ne le guaranti qu'il ne l'abati mort de la selle. Si ne fu onques nus hons qui si belles armes eùst, et Hector les voloit avoir, si descendi sur lui ; et ja les eùst traites, quant Merion point sus lui et l'escria : « Leus enragiez, autre viande vos covient porchacier ; que lion ne tigre ne feïst ce que tu veus faire. Et bien descendoies en estrange leuc, qui vois dis mile chevaliers que chascun se poine de toi ocirre ». Si le fier sus son escu si que il l'abati a terre. Mais ja por cène guerpi son destrier, ançois le tient par le reine et monte avant que lor gent fust assemblée sur li : si peut Merion estre certain que il a sa mort porchaciee. Les gens Patroclus s'esforcierent de lor seignor vengier, que il voient bien que mors est, si i font droites merveilles. Glaçon, Tesseùs, Archilogus, Diomedès, tous cist estoient rois, si sont venus en la bataille a toute lor gent ; si veïssiés estour fier et merveillous a la rescousse Patroclus por son cors, si ot sus lui tel meslee dont plus de mil perdirent lor vies. Atant Hector revint a l'estor sor le cors l'espee en la main et descendi por les armes que il desiroit a avoir por lor beauté.

CXIV. Si come Achillès ploroit Patroclus.
Cil dehors firent assement de lor amis. Qui veïst Achillès plourer Patroclus dire poroit qu'il l'amoit de très grant amor, quar il se paumoit sus le cors menu et sovent, disant : « Biauz dous amis, trop fis que vilein quant je vos laissoie aler sanz moi en la bataille : mauvaise amor et mauvaise compaignie vos moustroie adonques. Et bien reconoi que li tors est mien, quant vos estes mors sanz moi. Quar se je eusse esté deriere vos a dolourouz conroi, je ne croi mie que nus hons peùst nostre compaignie départir : por coi je di que jamais n'avrai amor ne compaignie aveuc nulle rien qui vive, quar avec vos en portés mon cuer. Haï ! biaus amis, estiez debonaires et biaus et prouz : por coi je ne croi que jamais ferai chose dont joie me peùst venir, quar après toi que j'ai perdu ne seroit ou je metroie jamais mon cuer qui si bien fust enploiés ; quar vos m'amïés plus que nule chose, et je vos, assi comme celui qui ert tous miens, et je vostre. Por coi tous jors mais vos plaindrai en lermes et en dolours, mais sur toutes choses me penerai de vos vengier. Et bien sache Hector, se jamais le puis trover en leuc, ou il ocira moi, ou je lui. Haï ! las, que je n'i fui, quant il descendi sur vos ! » Et alors se pasma, et puis fist le cors ensevelir. Et illeuques ment le proverbe qui dist que home mort n'avra ja amis. Mais Achillès li moustre a la mort coment il l'avoit amé a la vie.

Guido delle Colonne, XV

(de secundo bello) Licet enim Hector suas acies sic ordinasset, numquid Agamenon negligens extitit uel remissus in ordinacione suarum ? Sane de gente sua xxvi acies ordinauit. In quarum prima Patroclum ductorem constituit, qui secum in ipsa duxit totam gentem suam necnon et totam gentem Achillis, Mirmidones uidelicet bellicosos. Achilles enim eo die non poocessit ad bellum, cum in tentorio suo maneret, faciens de quibusdam suis uulneribus se curare. Aciebus igitur omnibus ex utraque parte sic sollempniter institutis, utraque pars in liberum campum egreditur causa belli. Sed ille fortissimus Hector, quietis impaciens primus, ante omnes alios potenter equum suum coegit in cursum, contra Grecorum primam aciem quasi furibundus anhelans. Quem ut presentit Patroclus, qui prime aciei Grecorum, ut dictum est, ductor erat, contra Hectorem in equi sui cursu uelociter dyametro recto procedens Hectorem acuta lancea sua petit, et cum ea uiriliter ipsum inpellens scutum quod sibi Hector opposuit uiriliter perforauit, sic eciam quod ad arma interiora perueniens aliquid disrupit ex eis, non tamen ad nude carnis intima usque transiuit. Hector vero in uiolencia ictus ipsius non trepidans neque nutans, multo ardore furoris accensus, non in ictu lancee petiit simili relacione Patroclum, sed nudato ense in ipsum irruit et ex ictu ensis crudeliter sic percussit in capite quod eius caput per medium duas diuisit in partes. Quare Patroclus se in equo sustinere non ualens, utpote qui peruenerat ad ultima spiramina uite sue, mortuus in terram decidit in medio pugnatorum. Sed Hector, qui eum precipitem mortuum uidit ab equo prosterni, arma quibus Patroclus erat armatus intuens et contemplans, raptus desiderio habendi ipsa a suo equo descendit et per vnam habenam retinens equum suum ad corpus Patrocli peruenit, uolens exspoliare ipsum fulgentibus armis suis. Et ad corpus Patrocli iterum Hector rediit, adhuc ipsum expoliare proponens. Quare descendere ab equo non curans, quod Ydumeneus, rex Crete, cum duobus milibus pugnatorum contra eum peruenit ad bellum, et dum circa corpus expoliandum Hector insisteret, rex Merion iterum in maxima caterua militum in Hectorem irruit, sic eum fortiter expugnando quod nullo modo suum peruenire permisit ad uotum; ymo crebris et multis ictibus ipse et sui percusserunt eundem. Qui cum se uideret peditem et contra tot equites bellum letale feruere, uires uiribus cumulat, Grecos acriter inpetit ense nudo, equos interficiendo quam plures, crura, brachia, et pedes mutilando multorum, sic quod breui hora xv interfecit ex illis qui ipsum intercipere conabantur. Merion uero rex interim corpus Patrocli, eleuatum a terra coram se, recipit equo suo et asportando illud secum ad Grecorum tentoria duxit illud.

XVI. (de IIIo bello, vrbis Troie obsidione iam firmata.)
Greci uero interim mortuos eorum quos uoluerunt tradiderunt funerarie sepulture; ceterorum autem corpora mortuorum statuerunt igne consumi. Achilles uero, qui de morte Patrocli solari non poterat, de morte ipsius mestis et flebilibus uocibus in multo flumine lacrimarum diucius lamentatur. Demum, constructa Patroclo ex insignibus marmoreis lapidibus sepultura, Patrocli corpus in ea in multo honore fecit Achilles humari et secura firmitate recondi.

Benoît de Sainte-Maure et, avec une autre amplification, Guido delle Colonne ajoutent (mais c'est une invention tout à fait médiévale et chevaleresque) qu'Hector et Achille se rencontrent pendant une trève et se promettent mutuellement la mort. L'amour platonique entre Achille et Patrocle revient dans les paroles d'Hector, mais en bon chrétien, l'auteur déclare par la bouche d'Hector qu'il n'y croit pas.

Benoît de Sainte-Maure

CXXXV. Si come Achillès ala veoir Hector.

Achillès ala veoir Hector lui et sa compaignie, et Hector et les siens vindrent encontre lui, et salua li uns l'autre. La veïssiés de chascune part grant richeces de biauz chevauz et de dras de soie et d'or. Si furent sus une rivière li uns d'une part et li autre d'autre et se firent moût beau semblant selonc gens qui henemis estoient. Si parla premièrement Achillès et dist a Hector : « Biau sire, voirs est que je ne vous vi onques se armé non. Et si demoustrés si bien vostre proësce vers moi que bien puis dire que mavaise amor me moustrés. Et certes mes armes le tesmoignent, qui sovent sont desmaillees par les cos de vostre espee, que mainte fois s'est ja moillee de mon sanc ; si puis bien estre certain de mort, se de vos ne me puis défendre, que tant se moustre vostre fellon cuer envers moi que il me semble que vos n'aies nul autre henemi. Et moût avés doné en mon cuer grant duel de Patroclus, que vos oceïstes, dou quel jamais la dolour n'oblierai. Il estoit la chose au monde que je plus amoie, dont vos m'avés tollue la conpaignie. Mais se je puis, je vos en ferai repentir ; mais ce sera a tart, quar miaux ameroie estre mort que je mon pooir n'en face de lui vengier. Et ce vos mousterai je bien, se nos maintenons longement la guerre. Et por ce ne vos fies en moi, quar vostre lance, dont vos mon chier ami oceïstes, toicha jusques a mon cuer. Por quoi je vos di que je porpence chascun jor de faire vostre vie finer par mes mains, ou je porte vostre mort. De ce ne poés eschaper que je ne confonde le grant pooir qui en vos est; et ce sera prochainement, se Dieuz plaist ».

CXXXVI. Coment Hector respont a Achillès.

Hetor qui moût estoit sages et amesurés, li respondi tout en riant moût simplement et dit : « Sire Achillès, se je sui vostre henemi, ce n'est pas de merveilles, quar vos savés que de guerre ne vint pas amor. Et si devés savoir que, quant il me sovient que vos me volez desirreter et occirre, que je en sui moût dolent. Por coi je vos di que ce seroit mout grant contraire se je fusse vostre amis. Quar quant il me menbre coment vos feïstes vostre pooir de moi desireter, dont je sui tant espris d'ire et de mautalent, que tous li cors me tressue et trenble d'angoisse, et ne poroie dire la mesaiseque je ai en mon cuer. Mais se je puis longeraient vivre, assés en ferai a vos et a tout le plus fort de vostre compaignie. Et non porquant, si ai je dit come vileins, quar manacier ne partint pas a franc cuer, et meïsment entre nous covient user plus ouvres que parolles. Et por ce vos di je que li poins en est venus, se vos avés tant de proësce en vos corne vos demoustrés ici par semblant, et se vos avés talent de vengier Patroclus que vos tant amastes, de quele amor aucune folles gens distrent cruel vilenie, la quel chose je ne vossice por amor de vos por mil mars d'or que ce fust voirs. Mais tout ce laissons ester, et vos soies cortois et vaillans et vos conbatés a moi cors a cors por la vostre partie, et je por la moie, quar a nos dous apent li afaires. Et ensi porons saver la vie as maintes gens qui n'ont pas deservi a morir. Et por ceste achoison, se vos me poés outrer d'armes, je vos laisserai la terre et tout le reaume, et de cen vos ferai je bien seùr. Et se je vos puis outrer d'armes, autre chose ne vos demant, mais que seulement me quités ma terre sens plus. Et se moi semble que vos ce ne devés refuser, quar ensi doit uns frans hons user et vengier soi de son henemi. Et puis, se vos me conquerés en champ, tout vostre pris en sera doublés ».

Guido, Liber XIX.

Treug[u]a igitur ipsa durante Hector ad Grecorum castra se contulit, quem Achilles libenter inspicit, cum nunquam uiderit eum inermem, et in eius tentorio Hector in multorum suorum nobilium comitiua Achille petente descendit. Dum inter se de aliquibus multa conferrent, Achilles Hectori dixit hec uerba : « Hector, Hector, gratum est michi quod uideo te inermem pro eo quod sine armis nunquam potui te uidere, sed gracius michi esset si de manu mea mortem festinanter subeas, sicut opto. Ego enim in tua uirtute bellandi sensi tuarum uirium potenciam multam esse, cum eam senserim in mei effusione cruoris in grauibus ictibus ensis tui. Et licet de hoc animus meus semper anxietur, maiori tamen anxietate concutitur de eo quod Patroclum intimum meum michi morti tradideris, quem non minus quam me sinceriter diligebam. Separasti me ab eo, quem michi uera dileccio indissolubilis affectionis uinculo copulauit. Sed tu pro certo teneas quod antequam elabetur annus mors Patrocli acerbe uindicabitur in teipso. Nam necesse est ut de manu mea crudeliter moriaris, et eo pocius quod ego pro certo cognosco te in necem meam totaliter aspirare ». Cui Hector hec uerba respondit : « Domine Achilles, si in tuam mortem anhelo et te odio habeo in toto corde meo, iniuste miraris, cum scire te credam ex iusticia non posse procedere ut eum diligere debeam qui me prosequitur odio capitali et qui in terram meam meos et me in tante guerre strepitu inpugnare presumpsit. Ex guerra enim procedere amor nunquam potest nec ex odio dileccio karitatis. Amor enim ex dulci animorum conueniencia ducit originem et ex odio procedit hostilitas, cuius precipue mater est guerra. Sane uolo te scire quod me tua uerba non terrent; ymo si hinc ad duos annos, uita comite, uigeat ensis meus, spero pro certo me tantum in mee uirtutis potencia preualere quod non solum tu verum omnes maiores Grecorum exercitus, qui contra me continua bella fouent, manibus meis amara morte succumbetis crudeliter. Scio enim te et omnes maiores presentire Grecorum exercitus fatuitate maxima circumductos. Nam tale [h]onus assumere presumpsistis quod eius oppressi pondere nichil aliud quam mortis excidium incurretis. Securus enim sum quod tu prius morte uinceris quam contra me preualeat ensis tuus. Sed si te tanta ortatur uigoris audacia ut contra me putes in viribus preualere, fac quod omnes reges Grecorum et principes in hoc sincera mente consenciant et manuteneant inconcusse quod, constituto bello inter nos duos tantum, si contingat me te posse deuincere, ego et parentes mei ab hoc regno et aliis regnis nostris perpetuo curabimus exulare et regna ipsa in dominio Grecorum relinquemus. Faciam enim vos de hoc sufficienti cautela securos per sufficientem numerum obsidum et deorum corporalia sacramenta. Quod si feceris, non solum tibi prodesse poteris uerum aliis, qui per belli abstinenciam incurrent cum integritate salutem. Et si me te forte uincere contingat, fac ut vniuersus Grecorum exercitus ab hac terra discedat et nos in quiete dimittat, ab omni inquietudine liberatos ».


La mort de Patrocle paraît chez Dictys suivre assez fidèlement le récit d'Homère, mais sans la moindre intervention divine, comme à son habitude : toutefois, à y bien regarder, les différences plus profondes ne manquent pas. Comme chez Homère, il se bat vigoureusement, mais retourne dans le camp des Grecs et reçoit les félicitations d'Achille, blessé à son tour et immobilisé sous sa tente ; il tue ensuite Sarpédon mais est blessé par Euphorbe avant de tomber sous les coups d'Hector ; cette mort n'est d'ailleurs quasiment pas déveoppée : deux lignes seulement sont consacrées à son duel avec Hector.

D'autre part, Achille, brouillé avec Agamemnon à cause de Briséis-Hippodamie, est déjà retourné au combat grâce à Patrocle, qui avait participé à leur réconciliation. Mais dans le même temps, il est tombé amoureux de Polyxène et pense se retirer de la guerre : Patrocle, avec Ajax et Diomède, a craint pour cette raison une possible trahison.

On attendrait de la part de Johannes Malalas, d'habitude lié à Dictys, quelques correspondances, mais il ne parle presque pas de Patrocle.

Dictys de Crète

III - CAPUT VII. At in alia belli parte Patroclus et Lycius Sarpedon locati in cornibus, nullis propinquorum praesentibus, signo inter se dato solitarii certaminis extra aciem prooessere. Moxque telis advorsum jactis, ubi uterque intactus est, curru desiliunt, atque arreptis gladiis pergunt obviam. Jamque crebris advorsum se ictibus congressi, neque vulneratus quisquam, multum diei consumpserant; quum Patroclus amplius audendum ratus colligit in arma sese, et cautius contectus ingressusque hostem complectitur, manu dextra poplitem succidens : quo vulnere debilitatum, atque exsectis nervis invalidum propulsat corpore, ruentemque interficit.

D'un autre côté, Patrocle et le Lycien Sarpédon, placés aux ailes, et sans être accompagnés, sortent des rangs, et se donnent le signal d'un combat singulier. Ils lancent d'abord leurs traits sans s'atteindre ; bientôt ils sautent à bas de leurs chars, se saisissent de leurs épées, et commencent une nouvelle attaque. Ils s'étaient déjà portés plusieurs coup, sans se faire aucune blessure. Déjà une partie du jour était écoulée, lorsque Patrocle, persuadé qu'il faut un coup de hardiesse, se couvre de son bouclier, fait un dernier effort, serre de près son ennemi, et lui porte un coup au jarret : les nerfs une fois coupés, la force abandonne Sarpédon ; il tombe, et Patrocle le met à mort.

CAPUT VIII. - Quod ubi animadvertere Trojani, qui juxta steterant, magnum clamorem tollunt relictisque ordinibus, signo dato, arma in Patroclum vertunt, scilicet Sarpedonis interitu publicam cladem rati. At Patroclus praeviso hostium agmine telum positum humi propere rapit compositusque in armis audentius resistit. Tum ingruentem Deiphobum hasta cominus tibiam ferit atque excedere ex acie coegit, interfecto prius Gorgythione fratre ejus : neque multo post adventu Ajacis fusi reliqui.

Les Troyens qui se trouvaient là, poussent un cri de désespoir, regardant la mort de Sarpédon comme une calamité publique ; ils se précipitent en foule et dirigent leurs efforts contre Patrocle. Celui-ci voyant venir à lui une nuée d'ennemis, ramasse son javelot, qui était à terre, se couvre de ses armes, et oppose à leur attaque une courageuse résistance. Il frappe à la jambe, de sa lance, Déiphobe, qui était le plus près de lui, et l'oblige à quitter le champ de bataille, après avoir tué d'abord son frère Gorgithion. Bientôt l'arrivée d'Ajax force les autres de prendre la fuite.

CAPUT IX. - At Graeci in castra regressi, primum omnium Achillem revisunt : eumque de vulnere percunctati, ubi sine dolore agere vident, laeti ad postremum narrare occipiunt Patrocli facta fortia : dein reliquos qui vulnerati erant, per ordinem circumeunt : ita inspectatis omnibus ad tentoria sua quisque digreditur. Interim Achilles regressum Patroclum extollere laudibus, dein monere, uti reliquo quoque bello memor rerum quas gesserat hostibus vehementius ingrueret. Hoc modo nox consumitur.

Les Grecs, de retour dans leur camp, s'empressent de se rendre auprès d'Achille, et de s'informer de l'état de sa blessure ; ils apprennent avec joie qu'il ne souffre plus, et lui font avec empressement le récit des hauts faits de Patrocle. Ensuite ils vont visiter les autres blessés. Ce devoir rempli, chacun se retire dans sa tente. Cependant Achille donne les plus grands éloges à Patrocle, qui était de retour, l'engage à ne jamais oublier ses premiers exploits, et à ne s'en souvenir que pour faire sentir plus vivement sa valeur aux ennemis. La nuit se passe ainsi.

CAPUT X. - Inter quae tam foeda, tanta inclinatione rerum, Patroclus fortunam belli vincere agressus, dum hortatur suos simul atque instat hostibus, promptior quam bellandi mos est, telo Euphorbi ictus ruit : statimque Hector advolans eum opprimit ac de super vulneribus multis fodit; moxque nititur abstrahere proelio, scilicet insolentia gentis suae illudere cupiens per universa genera dehonestamenti. Quod ubi Ajaci cognitum est, relicto ubi pugnaverat, propere accurrit, jamque eripere cadaver occipientem proturbat hasta. Interim Euphorbus a Menelao et Ajace altero summo studio circumventus, scilicet auctor interempti ducis, morte poenas luit. Dein occipiente vespera, proelium dirimitur, male et cum dedecore plurimis nostrorum interfectis.

Au milieu de ce désastre, Patrocle entreprend de tenter la fortune du combat, peut-être plus tôt qu'il ne fallait (12). Il exhorte les siens, et tombe sur l'ennemi ; mais bientôt il est atteint d'un trait lancé de la main d'Euphorbe. Aussitôt Hector arrive, achève de l'abattre, et, le tenant sous ses pieds, lui fait plusieurs blessures. Bientôt il tente de l'entraîner du champ de bataille, sans doute pour le mutiler d'une manière honteuse, suivant l'insolence ordinaire à sa nation. Ajax, instruit de ce malheur, quitte le poste où il combattait, se porte en cet endroit, et repousse avec sa lance Hector, qui s'efforçait en vain d'enlever le cadavre. Cependant Euphorbe, auteur de la mort de Patrocle, surpris et entouré par Ménélas et Ajax Oïlée, porte bientôt la peine due à son audace. Comme la nuit approchait, et que nous avions perdu beaucoup de monde par cette attaque insidieuse et contraire aux lois de la guerre, nous mîmes fin. au combat.

Dictys, comme Homère, parle amplement de la cruauté et des pleurs d'Achille, des jeux funèbres offerts en l'honneur de Patrocle, de Priam et Polyxène qui vont racheter le corps d'Hector, et des funérailles parallèles des deux amis, qui seront ensevelis ensemble, à Sigée. On possède de nombreux témoignages sur les amours d'Achille, envers hommes et femmes, et parfois même sur ses perversions : mais on peut croire, avec Platon, que son sentiment le plus vif et le plus fort était pour Patrocle, son ἐραστής.

Dictys de Crète

III, CAPUT XI. - Sed postquam reductae utrimque acies, et jam in tuto miles noster erat, cuncti reges Achillem conveniunt, deformatum jam lacrimis atque omni supplicio lamentandi : qui modo prostratus humi, nunc cadaveri superjacens, adeo reliquorum animos pertentaverat, ut Ajax etiam, qui solandi causa adstiterat, nihil luctui remitteret : nec Patrocli tantum mors gemitum illum cunctis incusserat, sed praecipue recordatio vulnerum per loca corporis pudibunda. Quod exemplum pessimum per mortales tum primum proditum est, numquam antea a Graecis solitum. Igitur reges multis precibus, atque omni consolationis modo tandem Achillem flexum, humo erigunt. Dein Patrocli corpus elutum mox veste circumtegitur, maxime ob tegenda vulnera, quae multis modis impressa haud sine magno gemitu cernebantur.

Lorsque les armées se furent retirées et que nos soldats eurent pourvu à leur sûreté, tous les rois se rendirent auprès d'Achille. Ils le trouvèrent baigné de ses larmes, et accablé par sa douleur; tantôt il se roulait dans la poussière, tantôt il se couchait sur le corps de son ami. Sa douleur avait tellement pénétré Ies assistants, qu'Ajax, qui était venir pour le consoler, ne pouvait retenir ses larmes. Les blessures honteuses dont le corps était couvert, plutôt que la mort du héros, inspiraient à tous un sentiment vif et profond. Cet exemple abominable de mutilation, jusqu'alors inconnu aux Grecs, était donné pour la première fois au monde par les Troyens. Cependant les rois, à force de prières et de consolations, parviennent à relever Achille et à l'apaiser un peu. On lave le corps de Patrocle, et on le couvre d'un voile, principalement pour cacher ses blessures, cause de tant de douleurs.

CAPUT XII. - His actis Achilles monet uti custodes vigilias agere curarent neque hostes, detentis circa funus nostris, more solito irruerent. Ita per distributionem officia sua quisque procurantes igni plurimo in armis pernoctant. At lucis principio placet uti ex omni ducum numero quinque in montem Idam vaderent silvam caesum, qua Patroclus cremaretur : decretum quippe ab omnibus erat uti funus ejus publice curaretur. Iere igitur Ialmenus, Ascalaphus, Epios, et cum Merione Ajax alter. Moxque Ulixes et Diomedes busto locum dimetiuntur, quinque hastarum longitudine totidemque in transversum. Advecta deinde ligni copia bustum exstruitur impositumque desuper cadaver igni supposito cremant, exornatum jam decore omni pretiosae vestis : id namque Hippodamia et Diomedea curaverant, quarum Diomedea nimium juveni et omni affectu dilecta fuerat.

Achille ensuite nous invite à placer des sentinelles partout où il serait nécessaire, de peur que les Barbares ne se jetassent sur nos gens pendant qu'ils seraient occupés aux funérailles. Les chefs se partagent entre eux les postes à garder, et nous passons la nuit sous les armes, éclairés par les feux que nous avions allumés. Au point du jour, on convient que cinq d'entre les chefs se rendront au mont Ida, afin de couper le bois nécessaire pour le bûcher de Patrocle ; en même temps on arrête que ses funérailles se feront aux dépens de l'armée, et que tous seront tenus d'y prendre part. Ialmenus, Ascalaphus, Epéus, Mérion et Ajax Oïliée, partent pour remplir leur mission. Bientôt Ulysse et Diomède mesurent l'espace réservé pour le bûcher. Ils lui donnent cinq piques de longueur, et autant de largeur. La matière apportée, on élève le bûcher, on place le corps dessus, on y met le feu ; le corps était revêtu d'habillements précieux, préparés par Hippodamie et Diomédée : cette dernière avait été surtout l'objet du tendre amour de Patrocle.

CAPUT XIV. - Caeterum ubi Trojani muros ingressi clausere portas et finis instandi factus est, nostri spoliata armis hostilia cadavera apportataque in flumine praecipitant, memores paulo ante in Patroclo insolentiae Barbarorum : dein captivos omnes, uti quemque ceperant, in ordine Achilli offerunt : isque vino multo sopita jam favilla, reliquias in urnam collegerat : decretum quippe animo gerebat secum, in patrium solum uti adveheret, vel, si fortuna in se casum mutaret, una atque eadem sepultura cum carissimo sibi omnium contegi. Itaque eos qui oblati erant deduci ad bustum, una etiam Priami filios, ibique seorsum aliquantum a favilla jugulari jubet, scilicet inferias Patrocli manibus : ac mox regulos canibus dilaniandos jacit, confirmatque, se non prius desinere pernoctando humi, quam in auctorem tanti luctus sui sanguine vindicasset.

On cessa de poursuivre les Troyens lorsque, rentrés dans la ville, ils se furent mis à couvert derrière leurs remparts ; alors les Grecs dépouillent les morts de leurs armes, et précipitent les cadavres dans le fleuve. Ils n'avaient pas oublié les excès auxquels les Barbares s'étaient livrés envers le corps de Patrocle. On offre ensuite â Achille les prisonniers, en suivant l'ordre dans lequel chacun d'eux avait été pris. Celui-ci venait de faire d'amples libations de vin sur les cendres encore chaudes du bûcher, et avait renfermé dans une urne les restes de Patrocle. Il avait résolu en lui-même d'emporter ces restes précieux dans sa patrie, ou bien, si sa mauvaise fortune l'en empêchait, en le faisant périr lui-même, il voulait que ses cendres fussent mêlées à celles de son meilleur ami. Cependant il ordonne de conduire au bûcher les prisonniers qu'on lui avait amenés, ainsi que les fils de Priam ; là il les fait égorger comme des victimes expiatoires offertes aux mânes de Patrocle : bientôt après il jette à des chiens furieux les fils du roi, pour en être dévorés, en assurant qu'il n'aurait point d'autre lit que la terre, jusqu'à ce qu'il eût vengé la mort de Patrocle dans le sang de l'auteur de sa douleur.

CAPUT XVII. - Interim apud Graecos, ubi Achilles ad naves rediit, et cadaver Hectoris in ore omnium est, dolor, quem ob Patrocli interitum paullo ante perceperant, nece metuendi hostis et ob id praecipua laetitia circumscribitur. Ac tum universis placet, uti in honorem ejus, quoniam abesset hostilis metus, certamen ludis solitum celebraretur : neque minus tamen reliqui populi, qui non certaturi spectandi gratia convenerant, instructi armis paratique adessent, ne qua scilicet hostis, quamvis fractis rebus, solito tamen insidiandi more inrueret. Igitur Achilles victoribus praemia quae ei videbantur maxima, statui imperat, et postquam nihil reliquum erat, reges omnes ad considendum hortatur, ipse medius atque inter eos excelsior. Tum primum quadrijugis equis Eumelus ante omnes victor declaratur : bigarum praemia Diomedes meruit, secundo post eum Menelaus.

Du côté des Grecs, aussitôt qu'Achille fit de retour aux vaisseaux, et qu'il eut exposé à la vue de tout le monde le cadavre d'Hector, de cet ennemi si redouté, une joie universelle prend la place de la douleur qu'avait occasionnée peu auparavant la mort de Patrocle. Alors on est d'avis de célébrer, en l'honneur de l'ami d'Achille, des jeux et des combats, puisqu'on n'avait plus rien à craindre de la part des ennemis. Cela n'empêcha point que ceux qui étaient venus, non pour entrer en lice, mais pour assister comme spectateurs, ne se revêtissent de leurs armes, et ne se tinssent sur la défensive, dans la crainte que les Barbares, malgré la perte qu'ils venaient de faire, ne tentassent, suivant leur coutume, quelque attaque soudaine contre le camp. Achille destina aux vainqueurs les prix les plus magnifiques. Après avoir tout disposé, il invita les rois à s'asseoir, et lui-même s'assit au milieu d'eux, sur un siège plus élevé. D'abord Eumèle est vainqueur dans la course des quadriges ; Diomède obtient le premier prix du bige, et Ménélas mérite le second.

IV CAPUT XIII. - Sed ubi clausis portis finis caedendi factus est, Graeci Achillem ad naues referunt. .. Igitur propere ex Ida apportata ligni uis multa, atque in eodem loco, quo antea Patroclo, bustum extruunt. Dein imposito cadauere, subiectoque igni, iusta funeri peragunt.

Lorsque les Troyens eurent fermé leurs portes le carnage cessa ; alors les Grecs reportèrent Achille aux vaisseaux [...] Cependant on fait descendre à la hâte une grande quantité de bois du mont Ida, et l'on élève un bûcher à l'endroit même où peu auparavant Patrocle avait eu le sien ; ensuite on place le corps dessus, on met le feu à la matière, et l'on rend au héros les honneurs funèbres qui lui sont dus.

CAPUT XV. - Interim Graeci ossa Achillis urna recondita adiunctaque simul Patrocli in Sigaeo sepeliuere.

De leur côté, les Grecs renferment dans une urne les restes d'Achille, mêlés avec ceux de Patrocle, et les placent dans un tombeau construit sur le promontoire de Sigée.


Merci au professeur Francesco Chiappinelli, auteur de l'Impius Aeneas, de nous avoir fourni ces textes.