Le petit Astyanax ("le maître de la ville"), fils d'Hector et d'Andromaque, apparaît généralement dans la mythologie comme le symbole de la faiblesse massacrée, au même titre d'ailleurs que son grand-père Priam, avec lequel il forme souvent, dans de nombreux témoignages artistiques, le couple complémentaire et emblématique du vieillard et de l'enfant assassinés.

Mais avant le carnage, il est aussi le centre d'une très belle scène de l'Iliade, célèbre à juste titre, qui met en scène les derniers instants d'une famille unie, mais que le malheur va frapper ( Iliade, VI, 399 sqq) :

 

Néiptolème s'apprête
à frapper Priam avec le cadavre d'Astyanax
Dessin de Notor d'après une amphore

ὃ δ’ ἀπέσσυτο δώματος Ἕκτωρ
τὴν αὐτὴν ὁδὸν αὖτις ἐϋκτιμένας κατ’ ἀγυιάς.
εὖτε πύλας ἵκανε διερχόμενος μέγα ἄστυ
Σκαιάς, τῇ ἄρ’ ἔμελλε διεξίμεναι πεδίον δέ,
ἔνθ’ ἄλοχος πολύδωρος ἐναντίη ἦλθε θέουσα
Ἀνδρομάχη θυγάτηρ μεγαλήτορος Ἠετίωνος [...]

ἥ οἱ ἔπειτ’ ἤντησ’, ἅμα δ’ ἀμφίπολος κίεν αὐτῇ
παῖδ’ ἐπὶ κόλπῳ ἔχουσ’ ἀταλάφρονα νήπιον αὔτως
Ἑκτορίδην ἀγαπητὸν ἀλίγκιον ἀστέρι καλῷ,
τόν ῥ’ Ἕκτωρ καλέεσκε Σκαμάνδριον, αὐτὰρ οἱ ἄλλοι
Ἀστυάνακτ’· οἶος γὰρ ἐρύετο Ἴλιον Ἕκτωρ.
ἤτοι ὃ μὲν μείδησεν ἰδὼν ἐς παῖδα σιωπῇ·
Ἀνδρομάχη δέ οἱ ἄγχι παρίστατο δάκρυ χέουσα,
ἔν τ’ ἄρα οἱ φῦ χειρὶ ἔπος τ’ ἔφατ’ ἔκ τ’ ὀνόμαζε·

δαιμόνιε φθίσει σε τὸ σὸν μένος, οὐδ’ ἐλεαίρεις
παῖδά τε νηπίαχον καὶ ἔμ’ ἄμμορον, ἣ τάχα χήρη
σεῦ ἔσομαι· τάχα γάρ σε κατακτανέουσιν Ἀχαιοὶ
πάντες ἐφορμηθέντες· ἐμοὶ δέ κε κέρδιον εἴη
σεῦ ἀφαμαρτούσῃ χθόνα δύμεναι· οὐ γὰρ ἔτ’ ἄλλη
ἔσται θαλπωρὴ ἐπεὶ ἂν σύ γε πότμον ἐπίσπῃς
ἀλλ’ ἄχε’· [...]

Ἕκτορ ἀτὰρ σύ μοί ἐσσι πατὴρ καὶ πότνια μήτηρ
ἠδὲ κασίγνητος, σὺ δέ μοι θαλερὸς παρακοίτης·
ἀλλ’ ἄγε νῦν ἐλέαιρε καὶ αὐτοῦ μίμν’ ἐπὶ πύργῳ,
μὴ παῖδ’ ὀρφανικὸν θήῃς χήρην τε γυναῖκα·
λαὸν δὲ στῆσον παρ’ ἐρινεόν, ἔνθα μάλιστα
ἀμβατός ἐστι πόλις καὶ ἐπίδρομον ἔπλετο τεῖχος.
τρὶς γὰρ τῇ γ’ ἐλθόντες ἐπειρήσανθ’ οἱ ἄριστοι
ἀμφ’ Αἴαντε δύω καὶ ἀγακλυτὸν Ἰδομενῆα
ἠδ’ ἀμφ’ Ἀτρεΐδας καὶ Τυδέος ἄλκιμον υἱόν·
ἤ πού τίς σφιν ἔνισπε θεοπροπίων ἐῢ εἰδώς,
ἤ νυ καὶ αὐτῶν θυμὸς ἐποτρύνει καὶ ἀνώγει.

Τὴν δ’ αὖτε προσέειπε μέγας κορυθαίολος Ἕκτωρ·
ἦ καὶ ἐμοὶ τάδε πάντα μέλει γύναι· ἀλλὰ μάλ’ αἰνῶς
αἰδέομαι Τρῶας καὶ Τρῳάδας ἑλκεσιπέπλους,
αἴ κε κακὸς ὣς νόσφιν ἀλυσκάζω πολέμοιο·
οὐδέ με θυμὸς ἄνωγεν, ἐπεὶ μάθον ἔμμεναι ἐσθλὸς
αἰεὶ καὶ πρώτοισι μετὰ Τρώεσσι μάχεσθαι
ἀρνύμενος πατρός τε μέγα κλέος ἠδ’ ἐμὸν αὐτοῦ.
εὖ γὰρ ἐγὼ τόδε οἶδα κατὰ φρένα καὶ κατὰ θυμόν·
ἔσσεται ἦμαρ ὅτ’ ἄν ποτ’ ὀλώλῃ Ἴλιος ἱρὴ
καὶ Πρίαμος καὶ λαὸς ἐϋμμελίω Πριάμοιο.
ἀλλ’ οὔ μοι Τρώων τόσσον μέλει ἄλγος ὀπίσσω,
οὔτ’ αὐτῆς Ἑκάβης οὔτε Πριάμοιο ἄνακτος
οὔτε κασιγνήτων, οἵ κεν πολέες τε καὶ ἐσθλοὶ
ἐν κονίῃσι πέσοιεν ὑπ’ ἀνδράσι δυσμενέεσσιν,
ὅσσον σεῦ, ὅτε κέν τις Ἀχαιῶν χαλκοχιτώνων
δακρυόεσσαν ἄγηται ἐλεύθερον ἦμαρ ἀπούρας·
καί κεν ἐν Ἄργει ἐοῦσα πρὸς ἄλλης ἱστὸν ὑφαίνοις,
καί κεν ὕδωρ φορέοις Μεσσηΐδος ἢ Ὑπερείης
πόλλ’ ἀεκαζομένη, κρατερὴ δ’ ἐπικείσετ’ ἀνάγκη·
καί ποτέ τις εἴπῃσιν ἰδὼν κατὰ δάκρυ χέουσαν·
Ἕκτορος ἧδε γυνὴ ὃς ἀριστεύεσκε μάχεσθαι
Τρώων ἱπποδάμων ὅτε Ἴλιον ἀμφεμάχοντο.
ὥς ποτέ τις ἐρέει· σοὶ δ’ αὖ νέον ἔσσεται ἄλγος
χήτεϊ τοιοῦδ’ ἀνδρὸς ἀμύνειν δούλιον ἦμαρ.
ἀλλά με τεθνηῶτα χυτὴ κατὰ γαῖα καλύπτοι
πρίν γέ τι σῆς τε βοῆς σοῦ θ’ ἑλκηθμοῖο πυθέσθαι.

Ὣς εἰπὼν οὗ παιδὸς ὀρέξατο φαίδιμος Ἕκτωρ·
ἂψ δ’ ὃ πάϊς πρὸς κόλπον ἐϋζώνοιο τιθήνης
ἐκλίνθη ἰάχων πατρὸς φίλου ὄψιν ἀτυχθεὶς
ταρβήσας χαλκόν τε ἰδὲ λόφον ἱππιοχαίτην,
δεινὸν ἀπ’ ἀκροτάτης κόρυθος νεύοντα νοήσας.
ἐκ δ’ ἐγέλασσε πατήρ τε φίλος καὶ πότνια μήτηρ·
αὐτίκ’ ἀπὸ κρατὸς κόρυθ’ εἵλετο φαίδιμος Ἕκτωρ,
καὶ τὴν μὲν κατέθηκεν ἐπὶ χθονὶ παμφανόωσαν·
αὐτὰρ ὅ γ’ ὃν φίλον υἱὸν ἐπεὶ κύσε πῆλέ τε χερσὶν
εἶπε δ’ ἐπευξάμενος Διί τ’ ἄλλοισίν τε θεοῖσι·

Ζεῦ ἄλλοι τε θεοὶ δότε δὴ καὶ τόνδε γενέσθαι
παῖδ’ ἐμὸν ὡς καὶ ἐγώ περ ἀριπρεπέα Τρώεσσιν,
ὧδε βίην τ’ ἀγαθόν, καὶ Ἰλίου ἶφι ἀνάσσειν·
καί ποτέ τις εἴποι πατρός γ’ ὅδε πολλὸν ἀμείνων
ἐκ πολέμου ἀνιόντα· φέροι δ’ ἔναρα βροτόεντα
κτείνας δήϊον ἄνδρα, χαρείη δὲ φρένα μήτηρ.

Ὣς εἰπὼν ἀλόχοιο φίλης ἐν χερσὶν ἔθηκε
παῖδ’ ἑόν· ἣ δ’ ἄρα μιν κηώδεϊ δέξατο κόλπῳ
δακρυόεν γελάσασα· πόσις δ’ ἐλέησε νοήσας,
χειρί τέ μιν κατέρεξεν ἔπος τ’ ἔφατ’ ἔκ τ’ ὀνόμαζε·
δαιμονίη μή μοί τι λίην ἀκαχίζεο θυμῷ·
οὐ γάρ τίς μ’ ὑπὲρ αἶσαν ἀνὴρ Ἄϊδι προϊάψει·
μοῖραν δ’ οὔ τινά φημι πεφυγμένον ἔμμεναι ἀνδρῶν,
οὐ κακὸν οὐδὲ μὲν ἐσθλόν, ἐπὴν τὰ πρῶτα γένηται.
ἀλλ’ εἰς οἶκον ἰοῦσα τὰ σ’ αὐτῆς ἔργα κόμιζε
ἱστόν τ’ ἠλακάτην τε, καὶ ἀμφιπόλοισι κέλευε
ἔργον ἐποίχεσθαι· πόλεμος δ’ ἄνδρεσσι μελήσει
πᾶσι, μάλιστα δ’ ἐμοί, τοὶ Ἰλίῳ ἐγγεγάασιν.

Ὣς ἄρα φωνήσας κόρυθ’ εἵλετο φαίδιμος Ἕκτωρ
ἵππουριν· ἄλοχος δὲ φίλη οἶκον δὲ βεβήκει
ἐντροπαλιζομένη, θαλερὸν κατὰ δάκρυ χέουσα.
αἶψα δ’ ἔπειθ’ ἵκανε δόμους εὖ ναιετάοντας
Ἕκτορος ἀνδροφόνοιο, κιχήσατο δ’ ἔνδοθι πολλὰς
ἀμφιπόλους, τῇσιν δὲ γόον πάσῃσιν ἐνῶρσεν.
αἳ μὲν ἔτι ζωὸν γόον Ἕκτορα ᾧ ἐνὶ οἴκῳ·
οὐ γάρ μιν ἔτ’ ἔφαντο ὑπότροπον ἐκ πολέμοιο
ἵξεσθαι προφυγόντα μένος καὶ χεῖρας Ἀχαιῶν.

Hector sort de la maison, et, reprenant la même route, dévale par les bonnes rues. Il traverse ainsi la vaste cité et il arrive aux portes Scées : c'est par là qu'il doit déboucher dans la plaine, et c'est là qu'il voit accourir au-devant de lui l'épouse qu'il a jadis payée de si riches présents, Andromaque, la fille du magnanime Éétion [...] Elle vient donc à sa rencontre, et, derrière elle, une servante, sur son sein, porte son fils au tendre coeur, encore tout enfant, le fils chéri d'Hector, pareil à un bel astre, qu'Hector nomme Scamandrios, et les autres Astyanax, parce qu'Hector est seul à protéger Troie. Hector sourit, regardant son fils en silence. Mais Andromaque près de lui s'arrête, pleurante ; elle lui prend la main, elle lui parle, en l'appelant de tous ses noms :

« Pauvre fou !.. ta fougue te perdra. Et n'as-tu pas pitié non plus de ton fils si petit, ni de moi, misérable, qui de toi bientôt serai veuve ? Car les Achéens bientôt te tueront, en se jetant tous ensemble sur toi; et pour moi, alors, si je ne t'ai plus, mieux vaut descendre sous la terre. Non, plus pour moi de réconfort, si tu accomplis ton destin, plus rien que souffrances ! [...]

Hector, tu es pour moi tout ensemble, un père, une digne mère ; pour moi tu es un frère autant qu'un jeune époux. Allons ! cette fois, aie pitié ; demeure ici sur le rempart ; non, ne fais ni de ton fils un orphelin ni de ta femme une veuve. Arrête donc l'armée près du figuier sauvage, là où la ville est le plus accessible, le mur le plus facile à emporter. C'est là que, par trois fois, leurs meilleurs chefs nous sont venus tâter, les deux Ajax, l'illustre Idoménée, les Atrides, le vaillant fils de Tydée, soit que quelqu'un le leur ait dit, bien instruit des arrêts du ciel, soit que leur propre coeur les pousse et leur commande. »

Le grand Hector au casque étincelant, à son tour, lui répond : «Tout cela, autant que toi, j'y songe. Mais aussi j'ai terriblement honte, en face des Troyens comme des Troyennes aux robes traînantes, à l'idée de demeurer, comme un lâche, loin de la bataille. Et mon coeur non plus ne m'y pousse pas : j'ai appris à être brave en tout temps et à combattre aux premiers rangs des Troyens, pour gagner une immense gloire à mon père et à moi-même. Sans doute, je le sais en mon âme et mon coeur : un jour viendra où elle périra, la sainte Ilion, et Priam, et le peuple de Priam à la bonne pique. Mais j'ai moins de souci de la douleur qui attend les Troyens, ou Hécube même, ou sire Priam, ou ceux de mes frères qui, nombreux et braves, pourront tomber dans la poussière sous les coups de nos ennemis, que de la tienne, alors qu'un Achéen à la cotte de bronze t'emmènera pleurante, t'enlevant le jour de la liberté. Peut-être alors, en Argos, tisseras-tu la toile pour une autre ; peut-être porteras-tu l'eau de la source Messéis ou de l'Hypérée, subissant mille contraintes, parce qu'un destin brutal pèsera sur toi. Et un jour on dira, en te voyant pleurer : « C'est la femme d'Hector, Hector, le premier au combat parmi les Troyens dompteurs de cavales, quand on se battait autour d'Ilion. » Voilà ce qu'on dira, et, pour toi, ce sera une douleur nouvelle, d'avoir perdu l'homme entre tous capable d'éloigner de toi le jour de l'esclavage. Ah ! que je meure donc, que la terre sur moi répandue me recouvre tout entier, avant d'entendre tes cris, de te voir traînée en servage ! »

Ainsi dit l'illustre Hector, et il tend les bras à son fils. Mais l'enfant se détourne et se rejette en criant sur le sein de sa nourrice à la belle ceinture : il s'épouvante à l'aspect de son père ; le bronze lui fait peur, et le panache aussi en crins de cheval, qu'il voit osciller, au sommet du casque, effrayant. Son père éclate de rire, et sa digne mère. Aussitôt, de sa tête, l'illustre Hector ôte son casque : il le dépose, resplendissant, sur le sol. Après quoi, il prend son fils, et le baise, et le berce en ses bras, et dit, en priant Zeus et les autres dieux :

« Zeus ! et vous tous, dieux ! permettez que mon fils, comme moi, se distingue entre les Troyens, qu'il montre une force égale à la mienne, et qu'il règne, souverain, à Ilion ! Et qu'un jour l'on dise de lui : « Il est encore plus « vaillant que son père », quand il rentrera du combat ! Qu'il en rapporte les dépouilles sanglantes d'un ennemi tué, et que sa mère en ait le coeur en joie ! »

Il dit et met son fils dans les bras de sa femme; et elle le reçoit sur son sein parfumé, avec un rire en pleurs. Son époux, à la voir, alors a pitié. Il la flatte de la main, il lui parle, en l'appelant de tous ses noms : « Pauvre folle ! que ton coeur, crois-moi, ne se fasse pas tel chagrin. Nul mortel ne saurait me jeter en pâture à Hadès avant l'heure fixée. Je te le dis; il n'est pas d'homme, lâche ou brave, qui échappe à son destin, du jour qu'il est né. Allons ! rentre au logis, songe à tes travaux, au métier, à la quenouille, et donne ordre à tes servantes de vaquer à leur ouvrage. Au combat veilleront les hommes, tous ceux — et moi, le premier — qui sont nés à Ilion. »

Ainsi dit l'illustre Hector, et il prend son casque à crins de cheval, tandis que sa femme déjà s'en revient chez elle, en tournant la tête et en versant de grosses larmes. Elle arrive bientôt à la bonne demeure d'Hector meurtrier. Elle y trouve ses servantes en nombre ; et, chez toutes, elle fait monter les sanglots. Toutes sanglotent sur Hector encore vivant, dans sa propre maison. Elles ne croient plus désormais qu'il puisse rentrer du combat, en échappant à la fureur et aux mains des Achéens.


La mort d'Astyanax


Traduction de Paul Mazon (1954)