Troïlos s'enfuyant pour éviter Achille (détail) - Stamnos attique à figures rouges - 450-440 av.JC - Museo Gregoriano Etrusco, Vatican



1. Portrait

En général, on connaît peu ce personnage : et pourtant il vaut la peine de revoir les témoignages les plus importants à  son sujet.

Le plus jeune des fils de Priam était si beau qu'on le croyait né des amours d'Apollon et Hécube :

Pseudo-Apollodorus Myth., Bibliotheca 3.151
(Hécube) engendra comme fils Déiphobe, Hélénus, Pammon, Polite, Antiphos, Ipponous, Polydore et Troïlus : pour ce dernier, on dit qu'elle l'a engendré d'Apollon. "

Sa beauté fut l'objet d'un célèbre éloge de Polycrate le jeune par Ibycos :

Fragmenta 1a.39-48

[..]α χρυσεόστροφ[ος
Ὕλλις ἐγήνατο, τῶι δ’ [ἄ]ρα Τρωίλον
ὡσεὶ χρυσὸν ὀρει-
⸏χάλκωι τρὶς ἄπεφθο[ν] ἤδη
Τρῶες Δ[α]ναοί τ’ ἐρό[ε]σσαν
μορφὰν μάλ’ ἐίσκον ὅμοιον.
τοῖς μὲν πέδα κάλλεος αἰὲν
καὶ σύ, Πολύκρατες, κλέος ἄφθιτον ἑξεῖς
⸏⸏ὡς κατ’ ἀοιδὰν καὶ ἐμὸν κλέος.

Il engendra le fils d'Hyllis, et, comme l'or trois fois raffiné est comparé à  l'orichalque, Troyens et Danaens le comparaient à  toi comme très égal en beauté. Avec eux toi aussi, Polycrate, tu jouiras pour ta beauté d'une gloire immortelle, aussi longtemps que mon chant sera glorifié.

Et Athénée commente :

Deipnosophistae 2,2.105 :
Et Phrynicus à propos de Troïlus disait que sur ses joues de pourpre brillait la lumière de l'amour.

Tout en condamnant, en bon chrétien, ces amours homosexuelles, le pape Clément (Clemens romanus) faisait de Troïlus l'objet des attentions d'Apollon, comme sa soeur Cassandre :

Pape Clément Ier, Homélies, V 14-16

Qu'aurait-il pensé s'il avait pu lire, quelques siècles plus tard, cet étonnant commentaire de Servius à propos du seul endroit de l'Enéide où Virgile parle de lui ?

Servius, ad Aen. I 477

et veritas quidem hoc habet : Troili amore Achillem ductum palumbes ei quibus ille delectabatur obiecisse : quas cum vellet tenere, captus ab Achille in eius amplexibus periit. sed hoc quasi indignum heroo carmine mutavit poeta.

Lycophron aussi (Alexandra 307) et son scholiaste paraissent confirmer cette remarque :

Achille enleva Troïlus et puis il le posséda dans le temple d'Apollon. Ou peut-être l'attira-t-il par un cadeau et puis il le tua.

Mais comment était vraiment Troïlus? Voilà les portraits que font de lui "nos" auteurs : il faut remarquer que Malalas ne suit pas ici sa source habituelle, Dictys, qui parlera du héros uniquement à propos de sa mort de la main d'Achille.

Joannes Malalas, Chronographia, 105

Troilus corpore magno, naso pulchro, capillitio molli et porrecto, cute flava, oculis venustis, capillo nigro, barba hispida, robustus bellator et cursu velox.

Daretis de excidio Troiae, 12

Troilum magnum, pulcherrimum, pro aetate ualentem, fortem, cupidum uirtutis.
Troïle était d'une taille élevée ; fort beau de visage, d'une vigueur au-dessus de son âge, courageux, et impatient de signaler sa valeur.

Josephus Iscanus, Daretis Ylias IV 61-4

Troilus in spacium surgentes explicat artus,
Mente gigas, etate puer, nullique secundus
Audendo virtutis opus, mixtoque vigore
Gratior illustres insignit gloria vultus.

Benoît de Sainte-Maure - Roman de Troie en prose, 73

Troiolus fu merveillous chevaliers et grant et bien tailliés de membres, le visage cler et amiable, les iauz pleins de joie, et as armes fu tels que nus ne se peûst apareillier a lui fors seulement Hector son frère, qui fu sires et roi des autres et d'armes portanz, meis cestui lien tient bien fraternité et compaignie. Larges et cortois fu et moût mist son cuer en amor.

Guido de Colonne, Historia destructionis Troiae VIII

Troylus uero, licet fuerit corpore magnus, magis fuit tamen corde magnanimus, animosus multum sed multam habuit in sua animositate temperiem, dilectus plurimum a puellis, cum ipse aliqualem seruando modestiam delectaretur in illis. In viribus uero et strennuitate bellandi uel fuit alius Hector uel secundus ab ipso. In toto eciam regno Troye iuuenis nullus fuit tantis uiribus nec tanta audacia gloriosus.

2. Le héros.

Son audace et sa valeur sont constamment soulignées par tous, depuis la décision d'envoyer Pâris en Grèce...

Dares, de excidio Troiae 7

Troilus minimus natu, non minus fortis quam Hector, bellum geri suadebat, et non debere terreri metu uerborum Heleni, quod omnibus placuit, classem comparari, et in Graeciam proficisci.

Troïle, le plus jeune des fils de Priam, mais dont le courage égalait celui d'Hector, soutint avec force qu'il fallait se préparer à  la guerre, sans s'effrayer de la prédiction d'Hélénus. Toute l'assemblée approuva ce sentiment, et décida que l'on équiperait une flotte et que l'on partirait pour la Grèce.

Iosephus Iscanus, Daretis Ylias III 64-74

…(Helenum) orantem haud sustinet ultra
Troilus, utque animo preceps bellique sititor
Et gladii consultor erat”Timidissime fratrum,
Vade, ait, o tenebris antri dampnate loquacis,
Vade, inquam, et quotiens visum tibi fallere plebem,
Finge deum ! Nobis alius iam constat Apollo.
Ibit Alexander. Non, si Cumana senectus
Aut aries Libicus aut Chaonis obstrepatr alers,
Iussum flectet iter. Ibit miseramque reducet,
Quod nolles, tamen Hesionen”. Conclama herilem
Preceps ad nutum plebes…

Benoît de Sainte-Maure, Roman de Troie en prose 53

Come il furent tout mu.
Quant Helenus ot ensi parlé, trestuit furent mu et taisant, ne n'i ot si hardi qui osast mot soner, quar chascuns estoit moût pensis. Adonc sailli en pies Troylus, uns des fis le rei Priant, et dit : « Avoi, franc chevaliers, dont vint ce que je vos voi si pensis ?Estes vos esmaiez por la parolle d'un prevoire qui dist ses mençoignes ? Ou est cil qui sache qu'est a avenir ? Nous veons que il tremble ja de paour : ce li fait dire coardie. Et nos ne nous devons pas merveillier, quar ce est manière de prevoire d'estre tous jors en doutes des choses qui aportent péril et honor. Voi s'ent donc orer en son mostier et faire sacrefice, quar a lui apartient, et pense d'aisier son cors ; quar nos vies ne s'apartienent pas a la lor, car nos devons tous jors aquerre travail por nostre henour acroistre. Et qui laira por ses parolles a vengier si grant honte, si doit estre départis de toutes honors que a chevalerie apartient. »

54. Comme il s'acorderent a Troylus.
A ceste parolle commença moût grant noise en la cort, quar trestuit s'acorderent a la parole Troiolus, dont le rei Priant ot moût grant joie. Mais a tout ce ne se tient il mie, ançois envoia par tous les pais querre les grans barons, quoment il fussent loing, et lor mostra de recief la chose, si corne li Grizois avoient fait et por noient son pais destruit et son lignage mort, et l'orguillouse response qu'il firent quant il envoia querre sa serour, et que ses fis et ses amis li loènt la venjance penre. Et il s'acorderent bien ; mais sans leur conseil ne voloit riens commencier, por quoi il prioit chascun que son plaisir en deïst.

Guido de Columnis, Historia destructionis Troiae VIII

Ad hec igitur uerba Heleni sapientis uacillauit regis animus et titubacione repletus extitit non modicum stupefactus. Propter quod factum est inter astantes tacitum ex omni parti silencium nec erat aliquis inter eos qui presumeret in vocem sermonis erumpere. Tunc ille Troylus, ex regis filiis iunior postremo susceptus, ut uidit omnes pre multa turbacione silere, rupto silencio in hec uerba prorupit: "O viri nobiles et nimium animosi, ad quid turbamini circa plurima ad uocem vnius pusillanimis sacerdotis ? Nonne est timere proprium sacerdotum bella, uitare aggressus, quos sola pusillanimitas facit amare delicias et in sola uescendi ciborum et potus saturitate tumescere ? Quis enim sapiens pro certo tenere potest hominum consciencias ignorantes futura posse prescire deorum ? Non hoc sapientis est credere, cum hoc ex sola procedat stulticie leuitate. Pergat igitur Helenus, si timore concutitur, in templum celebrare diuina et sinat alios qui labe uerecundie obducuntur debitas in armorum conflictu exposcere ultiones. Ad quid circa eius uerba tam vana tam friuola, rex inclite, perturbaris ? iube nauigia soluere et exercitum ad iter accingere bellicosum, cum non sit ferendus de cetero tantus pudor nobis a Grecis illatus absque tallione vindicte." Et hiis dictis tacuit Troylus. Cuius animositatem et dictum astantes ceteri laudauerunt et omnes consilium eius probant,

… jusqu'aux entreprises belliqueuses dont il est le protagoniste (pour abréger, nous citons uniquement les références de Darès) : la dernière voit Troïlus engagé contre Achille.

Dares, de excidio Troiae

18. His ductoribus et exercitibus qui parabantur praefecit Priamus principes et ductores Hectorem, Deiphobum, Alexandrum, Troilum, Aeneam, Memnonem.
A ces princes et à ses propres armées, Priam donna pour chefs, Hector, Déiphobe, Alexandre, Troïle, Enée, Memnon.

20. Agamemnon, Achilles, Diomedes, Menelaus exercitum educunt. Contra Hector, Troilus, Aeneas occurrunt.
Agamemnon, Achille, Diomède, Ménélas, conduisent l'armée sur le champ de bataille : Hector, Enée, Troïle marchent à leur rencontre.

23.Tempus pugnae superuenit post triennium. Hector et Troilus exercitum educunt cum Aenea.
Lorsque cette longue trêve fut expirée, Hector, Troïle et Enée, se mirent à la tête des Troyens.

24. Priamus Helenum, Alexandrum, Troilum, Aeneam et Memnonem iubet accersi, ut illi in pugnam prodirent : in pugnam misit.
Priam accueillit sa demande, et ordonna à Hélénus, Alexandre, Troïle, Enée et Memnon, de prendre le commandement des troupes.

25. Postero die Troilus Troianos educit contra Graecorum exercitum.
Le lendemain, Troïle conduisit l'armée troyenne contre les Grecs.

29. Postquam maior pars diei transiit, procedit in primis Troilus, caedit, deuastat, Argiuos in castra fugat.
Enfin Troïle s'avance aux premiers rangs des Troyens, et les Grecs sont taillés en pièces et poursuivis jusqu'à  leur camp.

30. Diomedes et Ulysses dicere coeperunt, Troilum non minus fortem uirum esse quam Hectorem.
Diomède et Ulysse prennent la parole après Ménélas, et soutiennent que Troïle n'est pas moins vaillant qu'Hector.

31. Troilus negat dari tam longo tempore inducias, sed potius impressionem fieri, naues incendi.
Troïle s'oppose à  une trêve si longue, et soutient qu'il faut attaquer l'ennemi au plus tôt et incendier sa flotte.

32. Troilus enim in prima acie Argiuos caedit, Myrmidonas persequitur : impressionem facit in castra : multos occidit : plurimos sauciat.
Troïle, à la tête de ses bataillons, fait un grand carnage des Grecs ; il poursuit les Myrmidons, se porte contre le camp, et tue ou blesse tous ceux qui s'opposent à  son impétuosité.

33.Tempus pugnae superuenit. Troiani exercitum educunt. Contra Agamemnon omnes duces in pugnam cogit. Praelio commisso fit magna caedes : acriter saeuiunt. Postquam primum tempus diei transiit, prodit in praelio Troilus, caedit, prosternit. Argiui fugam cum clamore fecerunt. Achilles, ut uidit Troilum ita saeuire et Argiuis insultare simulque sine intermissione prosternere, Argiuos laborare, prosiluit in bellum. Eum continuo Troilus praecipit et sauciat. Achilles de praelio saucius redit: pugnatur continuis diebus sex. Die septimo,dum uterque exercitus praelio commisso fugaretur, Achilles qui aliquibus diebus uexatus in pugnam non prodierat Myrmidonas instruit. Hortatur, alloquitur ut fortiter impressionem in Troilum faciant. Postquam maior pars diei transiit, prodit Troilus ex equo laetus. Argiui clamore magno fugam faciunt. Myrmidones superuenere, impressionem in Troilum faciunt, de quorum numero multi a Troilo occiduntur.
L'expiration de cette trêve fut suivie d'un combat non moins meurtrier que les précédents. Il y avait déjà  quelques heures que le jour avait paru, lorsque Troïle se montra sur le champ de bataille. Bientôt les Grecs éprouvent sa valeur : tous ceux qui se présentent devant lui sont renversés, taillés en pièces, et de tous côtés on ne voit que des bataillons en désordre, qui prennent la fuite en poussant de grands cris. Lorsque Achille voit ce héros insulter aux Grecs, les poursuivre sans relâche, et les faire plier de toute part, il s'élance sur le champ de bataille ; Troïle s'avance contre lui, l'attaque le premier et lui fait une blessure qui l'oblige de se retirer. On se battit sans interruption pendant six jours ; le septième, lorsque les deux armées, au plus fort du combat, prenaient la fuite chacune de son côté, Achille, que sa blessure avait empêché de se montrer pendant quelques jours, assembla ses Myrmidons, les harangua, et les exhorta à  se jeter sur Troïle. La plus grande partie du jour s'était écouolée quand Troïle, d'un air triomphant, parut à cheval à la tête des Troyens. A son aspect, les Grecs poussent un grand cri et prennent la fuite. Dans ce moment paraissent les Myrmidons; ils se précipitent sur lui, et plusieurs d'entre eux reçoivent la mort de sa main.

3. La mort de Troilus.

Toutes les sources, classiques et médiévales, attribuent la mort de Troïlus à Achille, mais avec bien des variantes. Quelques-uns (Dictys, Malalas) paraissent le confondre avec Polydore ou Lycaon et suivre Homère, qui le fait combattre avec son frère Lycaon pour venger Patrocle ou pour obliger Priam à livrer Polyxène ; d'autres, comme le vieil Ibycos et les rhéteurs hellénistes, Darès et ses épigones, parlent expressément d'un guet-apens et d'un lâche assaut, qui exalte Troïlus et condamne Achille comme assassin ; enfin, n'oublions pas Virgile et Stace, qui semblent parler d'un duel normal, ni le singulier témoignage de Servius. Intéressant est aussi le témoignage de Plaute, le seul qui présente la mort de Troïlus comme l'une des conditions de la chute de Troie.

A) Une action de guerre normale ?

Plaute, Bacchides 953-4

Ilio tria fuisse audivi fata quae illi forent exitio :
signum ex arce si periisset ; alterum etiamst Troili mors.
tertium, cum portae Phrygiae limen superum scinderetur.


Par un arrêt du ciel, trois choses devaient être fatales à Pergame :
l'enlèvement du Palladium, la mort de Troïle,
la démolition de la muraille au dessus de la porte Scée.

Virgile, Enéide, I 478

parte alia fugiens amissis Troilus armis,
infelix puer atque impar congressus Achilli,
fertur equis curruque haeret resupinus inani,
lora tenens tamen ; huic ceruixque comaeque trahuntur
per terram, et uersa puluis inscribitur hasta.


D'un autre côté, c'est Troïlus qui fuit, sans ses armes,
malheureux enfant engagé dans un combat inégal avec Achille :
emporté par ses chevaux, il reste accroché, tête en arrière, à  son char vide,
mais tient encore les rênes ; sa tête, sa chevelure traînent sur le sol,
et sa lance retournée trace des marques dans la poussière.

et Servius, ad locum (commentaire du passage précédent)

parte alia scilicet templi. … fvgiens fugere volens accepto iam vulnere. amissis armis vel aetatis inbecillitate, vel vulneris dolore incipientibus… infelix multi hoc loco distinguunt et subiungunt 'puer atque inpar congressus Achilli', ut ex eo inparem ostendat, quod puer ; sed tamen etiam si iungas 'puer', unus est sensus. atqve inpar ac si diceret, etiam si puer non esset. ..fertvr eqvis trahitur… resvpinvs resupinus quo modo hastam trahebat ? sed intellegitur Achillis hastam transisse per pectus et a parte qua ferrum est a tergo trahi. inani sine rectore ; nam corpus haerebat. lora tenens tamen quamquam mortuus.

Attention : la référence au temple, que Servius n'explique pas, est très suspecte, et paraît rappeler les vers d'Ibycos. Mais c'est au temple d'Apollon Thymbrée qu'Achille sera tué par Pâris et Déiphobe : ainsi donc, si l'on en croit Ibycos et Servius, il faut considérer que deux guets-apens ont eu lieu dans ce temple, dont Achille fut le premier auteur contre Troïlus, et la juste victime par la suite…Il en va de même pour Eustathe, cf. infra. Au contraire, Stace paraît faire allusion à la ville de Troie, édifiée par Apollon, plus qu'à son temple avec les mots moenia Phoebi. Quintus de Smyrne et Libanios font déclarer par Achille même ses entreprises, et donc aussi la mort de Troîlus.

Stace, Silves, II, 6, 33

non fallo aut cantus assueta licentia ducit :
vidi et adhuc video, qualem nec bella caventem
litore virgineo Thetis occultavit Achillen,
nec circum saevi fugientem moenia Phoebi
Troilon Haemoniae deprendit lancea dextrae.


Je ne mens pas, ni ne prends des libertés de poète. Je l'ai vu, et je le vois encore, plus aimable qu'Achille au rivage où Thétis le cachait parmi les jeunes filles pour le soustraire aux combats, plus aimable que Troïle fuyant les murs du cruel Phébus et qui frappa de sa lance le héros thessalien.

Dictys, Ephemerides belli Troiani, IV 9

At post paucos dies Graeci instructi armis processere in campum, lacessentes si auderent ad bellandum Troianos. Queis dux Alexander cum reliquis fratribus militem ordinat atque aduersum pergit. Sed priusquam ferire inter se acies aut iaci tela coepere, Barbari desolatis ordinibus fugam faciunt : caesique eorum plurimi aut in flumen praecipites dati, quum hinc atque inde ingrueret hostis atque undique adempta fuga esset. Capti etiam Lycaon et Troilus Priamidae, quos in medium productos Achilles iugulari iubet : indignatus, nondum sibi a Priamo super his quae secum tractauerat mandatum. Quae ubi animaduertere Troiani, tollunt gemitus et clamore lugubri Troili casum miserandum in modum deflent, recordati aetatem eius admodum immaturam : qui in primis pueritiae annis cum uerecundia ac probitate tum praecipue forma corporis amabilis atque acceptus popularibus adolescebat.

Peu de jours après, les Grecs s'avancent en armes dans la plaine, et provoquent les Troyens au combat. Alors Alexandre, aidé de ses frères, range son armée et marche à nous ; mais à peine les armées ont eu le temps de se choquer et de lancer les premiers traits, que les Barbares abandonnent leurs rangs, et prennent honteusement la fuite : un grand nombre périrent par nos armes ou se précipitèrent dans le fleuve, parce que, poursuivis vivement par nous, la fuite leur devenait impossible. Lycaon et Troïle sont pris. Achille se les fait amener, et, en présence de l'armée, ordonne qu'on les mette à mort : il était indigné de ce que Priam avait oublié ce dont il était convenu avec lui au sujet de sa fille Polyxène. Les Troyens, instruits de ce malheur, poussent des cris douloureux. Ils déplorent surtout la perte de Troïle, moissonné à la fleur de son âge ; prince d'autant plus sincèrement regretté, que sa beauté, et plus encore son amabilité, sa modestie et sa probité, l'avaient rendu cher et agréable à  toute la nation.

Quintus de Smyrne, Posthomerica 4.146-170

Il célébra ensuite au milieu d'eux les exploits immortels du grand Achille ; tout le peuple l'acclamait avec enthousiasme ; et alors, en termes choisis, il comble de louanges éclatantes ce guerrier illustre ; il dit comment il avait en naviguant vers Troie pris douze villes sur la mer et onze sur la terre ferme, comment il avait frappé Télèphe et le noble Eétion sur la terre de Thèbes ; comment il avait tué de sa lance Cycnos, fils de Posidon, Polydore, semblable aux dieux, le beau Troïle et le vaillant Asténopée ; comment il avait rougi de sang les flots du Xanthe et couvert de cadavres sans nombre le fleuve irrité, quand près de ses ondes sonores il ôta le souffle à Lycaon ; comment il avait vaincu Hector, abattu Penthésilée et tué le fils divin de l'Aurore au trône superbe. Il racontait ces grandes choses aux Argiens qui en avaient été les témoins ; il leur disait encore qu'Achille était grand et fort, que personne n'avait pu se mesurer avec lui de près, soit à la lutte, soit à la course, soit à cheval, soit à pied ; qu'il était le plus beau de tous les Danaens, qu'il était aussi le plus brave dans les combats d'Arès. Il demandait aux dieux que son fils, laissant les bords de Scyros, fût un jour semblable à lui.

Posthomerica 4.418-35

Aussi la noble femme de Pélée lui donna les belles armes du divin Troïle, le plus beau des enfants que dans la ville sacrée de Troie Hécube mit au jour ; inutile beauté ! la lance et la force du terrible Achille le privèrent de la vie ; comme dans un jardin plein de rosée et de fleurs, près d'un ruisseau, tombe avant d'avoir porté sa graine un lis ou un pavot que la faux tranchante a coupé ; le fer brillant ne le laisse pas venir doucement au terme de sa croissance ou durer jusqu'à  la moisson prochaine, il le tranche vide et vert encore, à moitié nourri des sucs du printemps radieux : ainsi le fils de Pélée avait tué le fils de Priam, égal aux dieux par sa beauté ; il l'avait tué dans la fleur de l'âge, encore ignorant des joies de l'hymen et jouant encore avec les enfants ; la Parque l'avait entraîné dans la guerre funeste aux premiers pas de son aimable jeunesse, alors que l'audace naît dans le coeur de l'homme et que sa force augmente de jour en jour.

Malalas - Chronographia, 129-130

Paucis itaque diebus interjectis, patre tuo Achille nobisque Achivis Trojanos ad praelium provocantibus egressi sunt Paridis Deiphobique sub auspiciis cumque his Lycaon Troilusque et ipsi Priami filii in aciem devenerunt. Pater itaque tuus Achilles cum nobis omnibus in praelium descendens barbaros profligavit, quorum plurimi inter fugiendum in Scamandrium fluvium delapsi interierunt ; plurimi etiam vivi capti sunt. At vero Priami filii Troilus et Lycaon Achillis manu occiderunt, reliqui a nobis interfecti. Ingens autem Trojanis, Troili ob casum, luctus incessit, ut qui juvenis admodum magnique animi fuit et formae eximiae.

Libanius, Declamationes 5.1.12.

Eustathe - Commentarii ad Homeri Iliadem 4.897-8

Et dans ce même discours et par la suite, (Priam, ou Homère) évoquant ses fils morts compta Hector comme le troisième, après Mestor pareil aux dieux et Troïlus aimant des chevaux, qui, dit-on, fut tué par Achille d'un coup de lance pendant qu'il exerçait ses chevaux au temple Thymbrée.

B) Un guet-apens ?
Pour Ibycos, Servius et Eustathe, le guet-apens aurait eu lieu au temple d'Apollon, tandis que Darès et ses épigones le font survenir au cours d'une bataille où le valeureux jeune est entouré par les Myrmidons et lâchement tué par Achille. Dion Chrysostome, qui refuse toute autorité à Homère et à son Iliade, reproche à Achille son manque de valeur et son habileté aux lâches embuches nocturnes. Il faut aussi signaler l'apostrophe de Guido à Homère, qui a exalté le couard Achille comme le héros le plus noble et le plus valeureux.

Ibicus, Fragmenta S224.4-19

de Troïlus…le meurtre…en commettant un guet-apens (Achille) tua l'enfant pareil aux dieux en dehors des murailles de Troie ; il tua Troïlus en dehors de la ville, dans le temple d'Apollon Thymbrée ; ainsi donc c'est l'enfant pareil aux dieux que les dieux résidant hors de Troie (virent mourir ? firent mourir ?).

Hesychius, Scholia In Iliadem, 24.257-8

À partir de là Sophocle dans son Troïlus dit qu'Achille lui tendit un guet-apens pendant qu'il s'exerçait avec ses chevaux près du temple Thymbrée, et qu'il le tua.

Dio Chrysostomus Soph., Orationes 11.77

ἀκροβολισμοὶ δὲ καὶ κλωπεῖαι τῶν Ἑλλήνων· καὶ Τρωίλος τε οὕτως ἀποθνῄσκει παῖς ὢν ἔτι καὶ Μήστωρ καὶ ἄλλοι πλείους. ἦν γὰρ ὁ Ἀχιλλεὺς ἐνεδρεῦσαι δεινότατος καὶ νυκτὸς ἐπιθέσθαι.

Skirmishes and forays there were on the part of the Greeks, and it was thus that Troius, still a boy, perished, and Mestor and many others ; for Achilles was very skilful in laying ambushes and making night attacks.

Darès, 33

Dum acriter praeliatur, equus Troili saucius corruit, Troilum implicitum excutit. Eum Achilles cito adueniens occidit, et ex praelio trahere coepit. Et subtraxisset, nisi Memnon eripuisset, et Achillem uulnere sauciasset. Achilles de praelio saucius redit. Memnon insequitur et cum multis impressionem facit. Ut respexit eum Achilles, restitit: curato itaque uulnere, et aliquantulum praeliatus, Memnonem multis plagis occidit, et ipse uulneratus ab eo ex praelio recessit. Postquam Persarum dux occisus est, et Troianorum exercitus fusus est, reliqui in oppidum confugerunt, portasque clauserunt : praelium nox dirimit. Postera die a Priamo legati ad Agamemnonem missi sunt, ut inducias peterent: Agamemnon ex consilii sententia in dies XXX. inducias facit. Priamus Troilum et Memnonem magnifico funere effert : ceterosque milites utrique sepeliendos curant.

Dans la chaleur du combat, son cheval reçoit une blessure et tombe. Pendant qu'il fait ses efforts pour se dégager, Achille survient et lui arrache la vie. Déjà le vainqueur entraîne son cadavre, lorsque Memnon accourt, le lui enlève, le blesse, et le poursuit dans sa fuite. Achille s'arrête et se retourne. Après avoir fait panser sa blessure, il revint au combat pour attaquer Memnon. Pendant quelques instants, ces deux guerriers se battent avec un succès égal : enfin le premier porte à  son adversaire un coup mortel, suivi de plusieurs autres, non sans avoir lui-même été blessé. Après la mort du chef des Perses, l'armée troyenne fut mise en déroute, et tous ceux qui échappèrent à  la poursuite des Grecs s'enfuirent dans la ville dont ils fermèrent les portes. Le lendemain, Priam envoya demander à Agamemnon une trêve de trente jours, qui lui fut accordée : il en profita pour faire à Troïle et à Memnon de magnifiques funérailles. Les deux partis ensevelissent leurs morts.

Benoît de S.M., Roman de Troie en prose

154. Le guet-apens d'Achillès. Mort de Troylus.
A l'andemain par matin s'apareillierent les uns et les autres, chascun dou mielz qu'il pot, pour istre a la bataille. Si se plaint molt Achillés a ses barons et a ses chevaliers de Troÿlus et leur dist qu'il n'estoit riens ou monde qu' il haist autant comme lui pour ce que il l'avoit navré, et que se il le poaient encontrer a point, qu'il meissent toute la poine qu'il porroient en lui retenir ou ocirre. Lors fu la bataille, quant il furent assemblez, merveillosement crieuse et fort duques a midi. Adonc vint Troÿlus a tout sa gent a la bataille, et fist tant d'armes que tuit li Grizois li vuidierent place et reculerent duques prés des tentes, et se ne feussent les genz Achillés, il eussent esté desconfit. Si se tindrent molt bien et fort a Troÿlus et a sa gent et meesmement por la priere que Achillés lor avoit faite, et se metoient dou tout a bandon et a tenir esta sanz point foÿr; si se joindrent fort et vigrosement a la bataille Troÿlus et meint en ocistrent et navrerent. Et quant Troÿlus vit sa gent si maumener, si en fu dolenz et corrociez et se feri entre les genz Achillés et les Grizois qui estoient revenuz pour le secors qui si bien se tenoit; si les mena si Troÿlus qu'il estoient a foÿr, quant son destrier li fu ocis souz lui, et convint que Troÿlus cheÿst a terre, dont li Troyen furent molt domagiez. Et ainçois que il eust secors ne ayde, i fu Achillés sorvenuz qui prés d'ilec estoit et li desarma le chief et li copa la teste, et par la grant hayne que il avoit a lui, traÿna le cors a la quoe de son cheval. Mes quant Troyen sorent que Troÿlus estoit morz, si firent duel merveilleux et grant et il n'en poaient mes, car en lui estoit tout lor secours; et sor toz cels de la bataille en firent duel Paris, Eneas, Polidamas et le roy Magon de Perse. Quant li roys Magon vit le cors Troÿlus trahiner a Achillés, si en ot duel et ire, et li corut sus pour le rescorre et dist: « Ha ! Cuivers ! Traytres desloiaux ! Con faiz ore grant crualté qui traynes le fil de si vaillant roy ! Certes plus grant joie feust que tu feusses morz que lui. Car tu as morz Hector et cestui par ta grant trahison et par ta mauvestié ». Lors li donna Magon tiel III. cops sor le hyaume que il estonna tout et cheÿ a terre tout paumez. Si fu rescoux le cors Troÿlus des Troyens par la proesce Magon le roy de Perse, et Achillés en fu portez touz navrez en son paveillon ne ne revint pois de grant tans a la bataille, ainz lessa avant guerir ses plaies. Et ainsi fina la bataille cele journee mes ce fu au grief des Troyens por Troÿlus qui i fu morz et ocis, et non mie chevalerosement mes aussi comme en trayson; si ot Magon toutevoies le pris de la bataille de cele jornee. Si s'en alerent Troyen en la cité molt corrociez de la mort Troÿlus, et Troyen et Grizois s'acorderent ensemble par messages que les uns envoierent aus autres, que trives feussent prises duques a XX. jorz pour les morz enterrer. Mes les Grizois voldrent que bataille feüst ainçois l'andemain, et en eust qui avoir en porroit, et Troyen s'i acorderent…

Guido de Colonne, Historia destructionis Troiae

XXVI [Incipit liber xxvius de xio bello et de morte Troili et regis Menonis interfectorum.]

Achilles uero antequam bellum intraret, coram se suis Mirmidonibus conuocatis, de Troilo eis grauem querelam exposuit, et ideo mandatis et precibus monet eos qualiter contra Troilum in bello debeant procedere, et eis omnibus simul iunctis, ad nichil aliud cor apponant quam ut Troilum in medio eorum includere studeant, sic quod eum firmiter ualeant detinere, et detentum non ipsum interficiant sed tamdiu ipsum impediant debellando donec ipse ad eos perueniat, qui non longe semper in bello erit remotus ab eis. Et Achilles tunc, suo colloquio fine facto, bellum ingreditur, quem sui Mirmidones insecuntur. Interea Troilus in maxima militum comitiua et in magna uirtutis audacia bellum intrat, in Grecos irruit, eos sternit, uulnerat et occidit, sic quod in breui hora factum est in sue uirtutis potencia quod Greci sunt dare terga coacti et a facie fugere Troyanorum, constituente sole meridiem ea hora, sic quod Greci quasi deuicti fugiendo precipites ad tentoria sua festinant. Tunc Mirmidones, qui erant numero duo milia pugnatorum, in bello se ingerunt animosi, simul tamen iuncti et mandati eorum domini non obliti. In Troyanos igitur in ore gladii se inmittunt et Greci campum recuperant et durum prelium committitur inter utrosque. Mirmidones autem Troilum inter bellantes sollicita mente querunt, ipsum animose bellantem inter turmas inueniunt. Tunc ipsum ex omni parte circumdant, in medio eorum ipsum constituunt. Sed ipse ex eis plurimos interfecit et infinitos ex eis letaliter uulnerauit. Verum dum nullus esset ex suis qui tunc ipsi Troilo succurreret, Mirmidones interficiunt eius equum, in eorum lanceis ipsum multi-pliciter uulnerant. Cassidem eius ab eius capite uiolenter extirpant, capucium lorice sue sibi per uiolenciam disrumpendo. Propter quod Troilus, nudato capite, exterminatis uiribus se defendit a Grecis. Tunc superuenit Achilles, qui postquam uidit Troilum habentem caput inerme et omni defensionis auxilio destitutum, in eum irruit furibundus, et nudato ense ictus ictibus cumulando caput eius crudeliter amputauit, caput ipsum proiciendo inter pedes equorum. Corpus autem eius suis manibus interceptum ad caudam equi sui firmiter alligauit, et per totum exercitum inuerecunde post equum suum crudeliter ipsum traxit.

Sed O Homere, qui in libris tuis Achillem tot laudibus, tot preconiis extulisti, que probabilis ratio te induxit ut Achillem tantis probitatis titulis exaltasses, ex eo precipue quod dixeris Achillem ipsum in suis uiribus duos Hectores peremisse, ipsum uidelicet et Troilum, fratrem eius fortissimum ? Sane si te induxit Grecorum affeccio, a quibus originem diceris produxisse, verum non motus diceris racione sed pocius ex furore. Nonne Achilles fortissimum Hectorem, cui nullus in strennuitate fuit similis neque erit, proditorie morti dedit, cum Hector tunc regem quem in bello ceperat ipsum a bello extrahere tota intencione vacabat, scuto suo tunc post terga reiecto, quo quasi factus inermis tunc ad nihil aliud intendebat quam regem captum a turmis extrahere ut ipsum captiuum suis bellantibus assignaret ? Nonne si Hector tunc Achillis insidias persensisset, in defensionem suam scuto suo reuoluto uelociter se opposuisset eidem, qui Achillem multis grauare dispendiis consueuit ? Sic et fortissimum Troilum, quem non ipse in sua uirtute peremit sed ab aliis mille militibus expugnatum et victum interficere non erubuit, in quo resistenciam nullius defensionis inuenit et ideo non uiuum sed quasi mortuum hominem interfecit amplius. Nunquid Achilles dignus est laude, quem scripsisti multa nobilitate decorum, qui nobilissimi regis filium, uirum tanta nobilitate et strennuitate uigentem, non captum neque deuictum ab eo, ad caudam sui equi, dimisso pudore, detraxit ? Sane si nobilitas eum mouisset, si strennuitas eum duxisset, compassione motus nunquam ad tam uilia crudeliter declinasset. Sed ipse ad ea moueri non potuit que vere non erant in ipso.

5. La douleur pour la mort de Troîlus.

Cette section veut faire remarquer que la mort du jeune héros fut l'objet d'un débat entre les Grecs et plus tard les Romains : si l'homme est né pour être malheureux, il vaut mieux ne point naître ou, du moins, mourir jeune. La phrase célèbre de Silène, Sophocle, Hérodote et Ménandre s'oppose à l'optimisme mesuré de la philosophie et de la religion anthropomorphe des Grecs. Les Romains aussi en débattront à partir d'une expression de Callimaque. L'épigramme de Straton apporte une conclusion pas très différente de la note de Servius, pendant que les auteurs tardo-latins et médiévaux augmentent progressivement le pathos.

Callimaque, Fragmenta inc sed.491

Troïlus pleura moins que Priam.

Cicéron, Tusculanes, I 94

quamquam non male ait Callimachus multo saepius lacrimasse Priamum quam Troilum. eorum autem, qui exacta aetate moriuntur, fortuna laudatur. cur ?

Priam, dit Callimaque, et c'est une sage réflexion, Priam a plus souvent pleuré que Troïlus. On loue la destinée de ceux qui meurent de vieillesse. Par quelle raison ?

Horace, Carmina II 9, 17

At non ter aevo functus amabilem
ploravit omnis Antilochum senex
annos nec inpubem parentes
Troilon aut Phrygiae sorores
flevere semper.

Mais le vieillard qui vécut trois âges d'homme
ne pleura pas toute sa vie l'aimable Antilochus ;
ni ses parents, ni ses soeurs Phrygiennes
ne pleurèrent toujours le jeune Troilos.

Seneca, Agamemnon. 748

(Cassandra)
Quid me uocatis sospitem solam e meis,
umbrae meorum ? te sequor, tota pater
Troia sepulte ; frater, auxilium Phrygum
terrorque Danaum, non ego antiquum decus
uideo aut calentes ratibus exustis manus,
sed lacera membra et saucios uinclo graui
illos lacertos. te sequor, nimium cito
congresse Achilli Troile ; incertos geris,
Deiphobe, uultus, coniugis munus nouae.
iuuat per ipsos ingredi Stygios lacus,
iuuat uidere Tartari saeuum canem
auidique regna Ditis !


Ombres de mes parents, pourquoi m'appelez-vous,
moi la dernière de toute ma famille ? Je te suis,
ô mon père ! à  qui Troie entière a servi de tombeau. 0 mon frère, l'appui des Phrygiens
et la terreur des Grecs, qu'est devenu l'éclat de ton front ?
Je ne vois plus tes mains échauffées par l'embrasement de la flotte ennemie ;
mais tes membres déchirés, et tes illustres bras meurtris
par le poids des chaînes. Troïle, je te suis,
toi qui te mesuras trop tôt contre Achille. 0 Déiphobe !
c'est à peine si je reconnais ton visage défiguré par ta nouvelle épouse.
Traversons les fleuves de l'enfer :
voyons le redoutable chien du Tartare
et le royaume de l'avare Pluton.

Plutarque, Consolatio ad Apollonium, 113

En effet vraiment Troïlus pleura moins que Priam ; et celui-ci, s'il était mort plus tôt, quand son royaume et ses richesses étaient encore puissants, il n'aurait pas pleuré son fils autant qu'il le fit, dit-on.

Scholia in Pindarum P 2.121c.

Et Sophocle (fr. 562) à propos de Troïlus (Chœur) : J'ai perdu mon seigneur homme-enfant, enfant pour âge, homme pour sagesse.

Anthologia Graeca, 12.191

Nonne heri puer eras ? ita sane et ne barbae quidem hujus suberat suspicio. Quomodo venit hoc portentum, et quae prius pulchra erant pilis texit ? heu ! quid hoc prodigium ? Qui heri Troilus eras, quomodo Priamus factus es ?

Dares - De excidio Troiae

[34] Hecuba, maesta quod duo filii eius fortissimi Hector et Troilus ab Achille interfecti essent, consilium muliebre temerarium iniit ad dolorem suum ulciscendum. Alexandrum filium accersit, orat, hortatur, ut se et suos fratres ulciscatur, insidias Achilli faciat, et eum nec opinantem occidat : quoniam ad se miserit, et rogauerit ut sibi Polyxena in matrimonio daretur, se ad eum missuram Priami uerbis, ut pacem foedusque inter se firment, constituantque in fano Apollinis Thymbraei, ante portam: eo Achillem uenturum, collocuturum : ibi insidias collocari : satis uitae suae esse si eum occiderit : quod temerarius Alexander erat, cito se promisit facturum.

Hécube, affligée de ce que les plus vaillants de ses fils, Hector et Troïle, avaient été tués par Achille, prit pour se venger une résolution aussi lâche que téméraire. Elle manda auprès de sa personne son fils Alexandre, et lui tint ce discours : “Mon fils, il faut que vous me vengiez, moi et vos frères : tendez à cet effet des embûches à Achille, et donnez lui la mort au moment où il s'y attendra le moins. Comme il m'a fait demander Polyxène en mariage, je dois l'inviter au nom du roi, votre père, à se rendre à la porte de la ville dans le temple d'Apollon Thymbréen, pour y conclure la paix et l'alliance qu'il désire. Je ne doute pas qu'il ne vienne aussitôt. Vous cacherez des soldats dans le temple, et lorsqu'il s'entretiendra avec nous, vous vous jetterez sur lui : j'aurai assez vécu si vous le tuez.” Comme Alexandre avait de l'audace, il promit à Hécube d'exécuter au plus tôt ses volontés.

Benoît de Sainte-Maure - Roman de Troie en prose

155. Les funerailles de Troylus.
Cele nuit furent Troyen molt doulent pour la mort Troÿlus et dou roy Magon. Si en fesoit li roys Prianz merveilleux grant duel, mes la reyne Ecuba sor toutes et touz ploroit et regretoit Troÿlus son chier fil que ele tant amoit; si cheÿ sor le cors paumee si que il n'i soit ne fui n'aleine et cuidoit l'en bien que ele feüst morte, et quant dame Helaine vit ce, si la fist porter en sa chambre, merveilleux duel fesant. Mes au duel que Paris faisoit et Polidamas qui amoient Troÿlus sor toute riens ne se pooit nul panre, et furent toute la nuit Troyens en pleur et en doleur. Et sachiez, vos ne porriés croire le grant duel que cil de Perse fesoient por le roy Magon lor seignor dont il n'avoient pas le cors, ainz estoit demorez ou champ, ne il n'estoit rernés dedenz Troye nul si bon chevalier. A l'andemain matin envoia li roys Prianz ses messages a Agamenon por requerre trives de XX. jorz et il, les Grizois, les ostroierent volentiers. Et lors fu le cors au roy Magon rasemblez et aportez en la cité et enterrez molt honorablement. Si fist li roys Prianz mestre en terre le cors Troylus molt richement, mes molt i ot granz brez et granz criz et d'uns et d'autres….

Guido de Columnis, Historia destructionis Troiae

XXVI Achille uero corpus Troili sic sine pudore trahente, postquam innotuit Paridi, Pollidame, et Henee de morte Troili, intermoritur Paris et anxiose factus est semiuiuus. Troyani uero in recuperacione corporis Troyli multum adhibuere laborem, sed illud minime rehabere potuerunt propter Grecorum multitudinem, qui pro eius recuperacione nimium restiterunt. Rex autem Menon, de morte Troili multo dolore commotus, Achillem animosus inuadit, primo obprobriosis uerbis dicens eidem: "O nequam proditor, vnde te tanta potuit exacerbare crudelitas quod tam nobilissimum, tam strennuum nobilissimi regis filium equi tui ligares ad caudam et tamquam uilissimum per terram trahere nullatenus horruisses ? Sane illud amodo non sine tue persone dampno poteris amplius amouere." Et statim in eum irruens cursu [s]celeri equi sui sic ipsum in sue ictu lancee grauiter in pectore uulnerauit quod Achilles uix se potuit sustinere, et statim extracto ense Achillem super cassidem quam gerebat in capite ictibus duris inpugnat adeo quod Achilles, grauiter uulneratus, ab equo corruit semiuiuus in terram. Propter quod Troyani corpus Troili recuperauerunt sed non sine maximo belli labore.

L'histoire dont nous avons parlé continuera à intéresser les littératures européennes. Nous vous invitons à élargir cette recherche au moins aux oeuvres de Boccace, Chaucer et Shakespeare qui, d'un point de vue littéraire, sont au-delà du Moyen Age.


Merci au professeur Francesco Chiappinelli, auteur de l'Impius Aeneas, de nous avoir fourni ces textes.