I. Les origines

Ulysse, dont le nom signifie, d'après les anciens, celui qui éprouve la rancune des dieux ou le rancunier, n'est pas seulement une des principales figures de l'Iliade et le héros de l'Odyssée ; il tient une grande place dans le cycle épique et dans la tragédie.

Il est plus ancien que la poésie homérique et sa nature doit avoir été originairement divine ; on l'a identifié avec Poseidon ou avec Hermès ; d'autres reconnaissent en lui Apollon, ou du moins une divinité apollinienne. L'Arcadie a été désignée comme sa patrie primitive ; de Phénéos il aurait passé dans le canton d'Aséa, puis en Laconie, où il devint le gendre d'Icarios ; relié de la sorte à la légende achéenne, il entrera dans le cycle troyen et l'épopée le fera régner sur Ithaque. Mais on a aussi considéré cette île et l'Epire comme le berceau du héros voyageur, que les épisodes du Nostos rattacheront à divers points du monde méditerranéen.

II. L'Ulysse homérique

Fils de Laërte et d'Anticlée, Ulysse vit le jour à Ithaque ; tout jeune encore, pendant une visite à son grand-père Aulolykos, il reçut d'un sanglier la blessure dont la cicatrice le fera plus tard reconnaître par Euryclée. Après divers voyages à Méssène, Lacédémone, Ephyra, Taphos, ayant atteint l'âge d'homme, il prend le pouvoir des mains de Laërte. Ses sujets, parfois nommés Kephallênes, habitent les îles d'Ithaque, de Zakynthos, de Samè, de Doulichion, et quelques points du continent voisin. Il épouse la sage et riche Pénélope, fille d'Icarios, et a d'elle un fils, Télémaque. Sur les instances d'Agamemnon et de Ménélas, il laisse sa femme et son enfant pour prendre part à l'expédition contre Troie, malgré les funestes prédictions du devin Halithersès.

Avant l'ouverture des hostilités, Ulysse se rendit à Troie, avec Ménélas, pour réclamer Hélène ; il était aussi allé, avec Nestor, quérir Achille dans Phthie. Le siège entrepris, il montre sa prudence dans le rôle d'ambassadeur et de conseiller : c'est lui qui ramène Chryséis à son père et qui empêche la retraite des Achéens mis à l'épreuve par Agamemnon. Il est au côté de celui-ci quand il conclut l'armistice avec les Troyens ; il règle avec Hector les détails du combat singulier entre Paris et Ménélas. Il prend le premier la parole pour essayer d'apaiser Achille, à qui il remettra, plus tard, les présents expiatoires d'Agamemnon.

L'ambassade auprès d'Achille

Son courage est à la hauteur de sa sagesse : il figure parmi les neuf chefs qui ambitionnent l'honneur de combattre Hector ; de nombreux guerriers tombent sous ses coups et lorsque, dans l'épisode des aristeia d'Agamemnon, celui-ci blessé doit se retirer, Ulysse continue ses exploits. Il protège Diomède atteint à son tour, accomplit à lui seul des prodiges de valeur, et bientôt, frappé lui-même par Sôkos, il n'échappe à la mort que grâce au secours d'Athéna. Malgré ses blessures, il s'oppose fortement à la cessation de la guerre, et il reprend la lutte avec une nouvelle ardeur quand Hector vient menacer le camp des vaisseaux. Entre temps, sa ruse éclate dans la capture de Dolon et le meurtre de Rhésos.

Dispute d'Ulysse et d'Ajax

Les armes d'Achille qu'il obtenait de préférence à Ajax, fils de Télamon, le payèrent de ses services qu'il compléta en allant à Skyros chercher Néoptolème. Couvert de haillons et le visage déchiré, Ulysse s'était aussi glissé dans Troie comme espion et s'était assuré la complicité d'Hélène. Chef des troupes embusquées dans le cheval de bois, il pénétrait avec Ménélas dans la maison de Déiphobe et préludait ainsi à l'anéantissement d'Ilion, dont les Grecs lui étaient en grande partie redevables. Après le second départ de Troie, Ulysse est poussé vers Ismaros, ville des Kikônes (en Thrace, au bord du canal de Thasos ?) ; il se livre à des actes de piraterie et voit tomber, dans un retour offensif des Kikônes, soixante-douze de ses guerriers. Lorsque, au troisième jour d'une navigation orageuse, il veut, pour regagner Ithaque, contourner le cap Malée, les courants et Borée le rejettent par delà Cythère ; il parvient, au bout de neuf jours, dans le pays des Lotophages qui se nourrissent d'une fleur (île de Djerba ou insula Meninx  ?). Régalés du merveilleux lotos qui verse l'oubli du retour, trois compagnons doivent être ramenés malgré leurs larmes et attachés aux bancs des nefs. Les avirons frappent à nouveau la mer blanchissante, et, par une nuit sans lune, un dieu fait aborder les vaisseaux dans une île plantureuse, l'île aux Chèvres (Nisida  ?). Tandis que les onze navires de sa flottille l'attendent là, Ulysse pousse jusqu'à la terre voisine des Cyclopes (Champs Phlégréens, entre Cumes et Naples  ?).

Ulysse aveuglant Polyphème

Avec ses douze plus braves compagnons, portant à l'épaule une outre du vin précieux donné par Maron, prêtre d'Apollon à Ismaros, il pénètre dans la caverne de Polyphème qui, au mépris des dieux et des lois de l'hospitalité, dévore six des malheureux Achéens. Sous le nom de Personne, Ulysse abuse le Cyclope, l'enivre, l'aveugle, et les survivants s'évadent avec lui, accrochés à l'épaisse toison du bétail.

Ulysse sous le ventre du bélier

Leur navire échappe aux blocs de rochers, mais le héros n'évitera pas l'effet des supplications de Polyphème à son père Poseidon. Après avoir rallié ceux qui étaient restés à l'île aux Chèvres, Ulysse parvient à l'île Aioliè (Strongylè, Stromboli ?) où Aiolos, le maître des vents, l'héberge durant un mois ; à son départ, il lui livre les vents contraires, emprisonnés dans une outre de cuir, et fait souffler un zéphyr favorable. Au dixième jour de la navigation, en vue d'Ithaque, pendant que le sommeil s'appesantit sur les veux d'Ulysse, ses matelots ouvrent l'outre qu'ils supposent recéler des richesses, et déchaînent la tempête. Ils sont ramenés vers Aiolos, qui les chasse comme maudits des dieux. Reprenant la mer, ils arrivent, au bout de six jours, chez les farouches Lestrygons, mangeurs d'hommes (au détroit de Bonifacio ?) ; ils sont écrasés sous des blocs de rochers, dans les anses profondes du rivage ; Ulysse échappe seul au désastre, avec ses camarades de nef, et ils arrivent à l'île Aiaiè (Monte Circeo, près de Terracine ?), où Circé métamorphose en pourceaux les Achéens envoyés en exploration, sauf Euryloque. Averti par lui, et pourvu du moly, fleur laiteuse à la racine noire, Ulysse résiste à la magicienne et obtient la délivrance des siens.

Ulysse chez Circé

Ulysse évoquant les ombres

Il demeure un an auprès de Circé, dans un doux commerce d'amour et quand il la prie, à la requête de ses compagnons, de les renvoyer dans leur patrie, elle lui impose de se rendre au pays des Morts pour consulter l'âme de Tirésias. A la limite de l'Okéanos, dans la sombre région des Cimmériens (Averne ?), il accomplit le sacrifice prescrit : Tirésias lui recommande de s'abstenir de toucher aux boeufs du Soleil, dans l'île Thrinakiè ; il lui annonce aussi sa vengeance sur les prétendants, après quoi, une rame sur l'épaule, il lui faudra rechercher des hommes qui ne connaissent point la mer, et faire chez eux un sacrifice à Poseidon.

De retour à Aiaiè, Ulysse rend les devoirs funèbres à Elpénor. Grâce aux conseils de Circé, il passe sans dommage près des flots des deux Sirènes (les Coqs, Galli, à la porte du détroit de Capri ?) ; il franchit les Planktes, échappe au tourbillon de Charybde, mais Scylla lui ravit six hommes (Charybde et Scylla, à l'entrée du détroit de Sicile).

Les compagnons d'Ulysse enlevés par Scylla

A Thrinakiè (Messine ?), les survivants, sous la conduite d'Euryloque, profitent du sommeil d'Ulysse pour immoler les boeufs du Soleil. Alors Zeus, sur la prière d'Hélios, fracasse la nef de sa blanche foudre ; dans la tempête, tous succombent sauf Ulysse, qui, juché sur une épave, arrive au bout de neuf jours à Ogygie, chez Calypso (île de Perejil, près de Ceuta ?). L'amoureuse nymphe garde le héros près d'elle pendant sept années, sans que ses charmes ni ses promesses d'immortalité puissent effacer le souvenir d'Ithaque. Elle ne consent au départ, la huitième année, qu'après un ordre formel des dieux.

Sur l'embarcation qu'il a construite lui-même, Ulysse, après dix-sept jours de traversée, arrive en vue de Skhéria, quand Poseidon fait chavirer son radeau. Protégé par la bandelette d'Inô, il parvient néanmoins au rivage des Phéaciens (île de Corfou ?).

Ulysse et Nausicaa

Conduit par Nausicaa, il reçoit l'accueil le plus favorable d'Alcinoos et d'Arétè à qui il raconte ses aventures. Le roi fait équiper une de ses nefs merveilleuses, et les matelots déposent Ulysse endormi sur la terre natale qu'il a quittée depuis vingt ans. Métamorphosé en vieillard mendiant, il est conduit par Athèna chez Eumée, où arrive bientôt Télémaque qui revient de son voyage d'enquête à Pylos et à Sparte. Ulysse recouvre un instant son aspect naturel pour se faire secrètement reconnaître par son fils, et tous deux complotent la perte des prétendants.

Le jour suivant, ayant repris son extérieur misérable, il se rend, avec Eumée, à la ville où Télémaque va de son côté. Maltraité par Mélanthios, par Mélanthô et par les prétendants, il n'est deviné que par son vieux chien Argos, qui meurt de joie en le retrouvant.

Il se présente à Pénélope sous le nom d'Aithôn, Crétois ; il essaie de raviver son espoir et empêche Euryclée, qui l'a reconnu, de le trahir.

Ulysse reconnu par Euryclée

Pendant l'épreuve de l'arc, il se découvre à Philoitos et à Eumée ; puis, se faisant remettre l'arc, il traverse d'une flèche les anneaux des douze haches et commence aussitôt le massacre de ses ennemis. Après les avoir tués jusqu'au dernier, il se fait reconnaître non sans peine par la prudente Pénélope et, dès le lendemain, il va aux champs pour se présenter à Laërte. Il doit encore lutter contre les partisans des prétendants conduits par Eupeithès, mais celui-ci une fois mort, Athèna, sous les traits de Mentor, arrête le combat et rétablit la concorde. Par ces exploits et à travers ces aventures, un noble caractère s'affirme, où l'intrépidité s'allie à la clairvoyance, et où le dévouement n'est point subordonné au souci du retour. L'Iliade met en lumière «le sang-froid et l'énergie réfléchie» d'Ulysse (Croiset) ; ces qualités, qui n'excluent pas la sensibilité, le distinguent aussi dans l'Odyssée, où il apparait comme «le type de l'homme qui veut parce qu'il aime et qui réussit parce qu'il veut» (Croiset). La beauté poétique de cette image s'achève par sa haute valeur morale : Ulysse «nous offre un raccourci des épreuves et des douleurs auxquelles nous sommes sujets, et il nous donne le spectacle fortifiant du triomphe de l'intelligence associée à l'énergie» (Croiset). Il est vrai que la poésie cyclique et la tragédie altéreront certains traits de cette figure ; elles recueilleront des traditions hostiles, dont nous relevons un premier exemple en ce qui concerne la naissance même du héros, que les poètes tragiques représentent comme fils illégitime d'Anticlée et du roi de Corinthe Sisyphe.

III. Ulysse après Homère

Le développement de la légende d'Ulysse après Homère est riche et complexe. Pour apporter plus de clarté dans cette matière, il est bon de rassembler, dans leur ordre chronologique, les faits qui se rattachent aux oeuvres épiques postérieures à l'Iliade et à l'Odyssée, oeuvres auxquelles ont largement puisé les poètes tragiques.

Les Chants Cypriens, qui comprenaient les événements de la guerre troyenne antérieurs au sujet de l'Iliade, racontaient comment Ulysse avait essayé de se dérober au départ en simulant la folie. Palamède, émissaire des Achéens, le trouva labourant avec un boeuf et un cheval, ou ensemençant la terre de sel. Pour le convaincre d'imposture, il plaça le petit Télémaque devant le soc de la charrue, ou menaça l'enfant de son glaive. On a, chez les tragiques, une réplique de cette légende : Ulysse serait allé à son tour découvrir Achille caché à Scyros, parmi les filles de Lycomède. Lorsque la première expédition des Grecs eut dérivé par erreur sur la Teuthranie, et quand le roi Télèphe eut été blessé par Achille, c'est Ulysse qui, en interprétant un oracle d'Apollon, amena la guérison du malheureux et obtint son appui contre Troie. A Aulis, où la flotte rassemblée une seconde fois est retenue par les vents contraires, Ulysse est un des principaux artisans du sacrifice d'Iphigénie. Il conseille l'abandon de Philoctète dans l'île de Lemnos. A Ténédos, il apaise une première querelle entre Agamemnon et Achille. C'est de là encore, ou aussitôt après avoir abordé au rivage troyen, qu'il est envoyé en ambassade avec Ménélas pour réclamer Hélène. Pendant le siège, sa gloire était ternie par sa conduite envers Palamède, qu'il noyait traîtreusement au cours d'une partie de pêche.

L'Aithiopis, qui continuait l'Iliade, héritait naturellement de ses héros. On y voyait en effet Ulysse purifiant Achille du meurtre de Thersite ; lorsque le Péléide était atteint par la flèche de Pâris, Ulysse repoussait vaillamment les ennemis qui s'acharnaient sur son corps. Aussi obtenait-il les armes d'Achille malgré les prétentions d'Ajax, fils de Télamon qui se tuait de désespoir.

Cette dispute pour les armes d'Achille figurait encore, ainsi que la folie et le suicide d'Ajax dans la Petite Iliade, épopée dont Ulysse était le personnage principal. S'emparant par surprise du devin troyen Hélénos, il le forçait à dévoiler les conditions d'où dépendait la chute de Troie. Comme il fallait d'abord avoir les flèches de Philoctète, Diomède, ou, selon d'autres, Ulysse lui-même, se rendait à cette fin à Lemnos. Ulysse allait ensuite à Scyros pour y chercher le jeune Néoptolème, à qui il remettait les armes de son père. Pendant que les Grecs, sous la direction d'Epeios, construisent le cheval de bois, il se glisse en espion dans Troie, sous l'aspect d'un mendiant au visage meurtri, et il s'entend avec Hélène pour la prise de la ville. A peine revenu au camp des Grecs, il repart avec Diomède pour conquérir le Palladion, dont les deux héros se disputent ensuite la possession. L'oeuvre d'Epeios achevée, Ulysse prend place dans le cheval de bois comme chef de l'embuscade.

Ulysse emportant le Palladion

La fin de la Petite Iliade et l'Ilioupersis d'Arctinos le montraient dans la ville conquise. Il saccageait la maison de Déiphobe et protégeait Hélène contre la fureur des Grecs. Il sauvait aussi du massacre les fils d'Anténor, Hélicaon et Glaucos. Il réclamait la lapidation d'Ajax, fils d'Oïlée, coupable envers Cassandre. Mais il précipitait le petit Astyanax du haut des murailles de Troie, et il était l'instigateur du sacrifice de Polyxène. Lors du partage du butin, la malheureuse Hécube était attribuée comme captive au meurtrier de ses enfants.

Il est difficile de déterminer quelle place tenait Ulysse dans les Nostoi ; pour les uns, ce poème ne négligeait pas le plus intéressant des Retours, et il y était même déjà question du mariage de Pénélope avec Télégonos et de Circé avec Télémaque, ce qui suppose le récit de la fin d'Ulysse. Selon d'autres, les Nostoi ne comprenaient à son sujet que les aventures antérieures à celles qui font la matière propre de l'Odyssée ; ils contaient le premier départ d'Ulysse en compagnie de Ménélas, après la querelle des Atrides, les nouveaux dissentiments qui éclataient à Ténédos et qui poussaient Ulysse à revenir à Troie ; le héros s'éloignait ensuite en même temps qu'Agamemnon, dont la tempête le séparait bientôt ; il était aussi question de son séjour à Ismaros et de sa rencontre en ce lieu avec Néoptolème.

Nous arrivons, avec les dernières années d'Ulysse, au point le plus obscur de sa légende. Deux récits de l'Odyssée, relatant un prétendu séjour auprès de Pheidôn, roi des Thesprôtes émanent vraisemblablement d'anciennes traditions qui rattachaient Ulysse à l'Epire, traditions recueillies dans les histoires thesprôtes de Musée, comme dans la Thesprôtis. On signalait à Trampya un culte d'Ulysse, et il est probable que sa mort fut parfois localisée dans ce pays où, disait-on, il avait fait souche royale. La prophétie de Tirésias nous ramène à cette contrée, s'il est vrai qu'il faille reconnaître les Epirotes dans ce peuple ignorant de la mer chez lequel Ulysse doit aller offrir un sacrifice à Poseidon. Mais la prophétie de Tirésias situe à Ithaque la fin du héros ; un doux trépas lui viendra, dans un âge avancé, hors de la mer, parmi ses peuples heureux. Cette prédiction si naturelle, faite à un navigateur durement éprouvé, semble avoir déterminé assez tôt, par exégèse, un nouveau développement légendaire, à moins que, inversement, cette autre forme de la légende, étant la primitive et dérivant d'une tradition cultuelle, n'ait été dénaturée par le poète de l'Odyssée ou ses commentateurs, et seulement remise en lumière par les poètes des âges suivants : la mort, pour Ulysse, viendra «de la mer», sous la forme de l'aiguillon d'une raie, qu'un héron, d'après Eschyle, laissera tomber sur la tête du vieillard, ou qui, selon Eugammon de Cyrène, formera la pointe de la lance de Télégonos. Toutes ces traditions d'origine diverse ont été combinées, vers le milieu du VIe siècle, dans la Télégonie qui faisait la suite de l'Odyssée.

La Télégonie partait de la victoire d'Ulysse. Après les funérailles des prétendants, Ulysse offrait un sacrifice aux Nymphes, et allait à Elis, chez Polyxène, pour visiter son fameux bétail, afin sans doute de remonter ses étables en vue de nouvelles offrandes. De retour à Ithaque, il exécutait le sacrifice prescrit par Tirésias, puis il partait chez les Thesprôtes dont il épousait la reine Callidicè. Avec l'aide d'Athéna, il dirigeait les Thesprôtes dans une guerre contre leurs ennemis, les Bryges. Le fils d'Ulysse et de Callidicè, Polypoilés, héritait du pouvoir à la mort de sa mère, et Ulysse revenait alors chez lui. Cependant, le fils qu'il avait eu de Circé, Télégonos, qui courait le monde à la recherche de son père, débarquait à Ithaque et se mettait à piller l'île ; Ulysse volait au combat et tombait, mortellement blessé par la lance armée d'un aiguillon fatal. Télégonos, reconnaissant trop tard son erreur, recueillait le cadavre d'Ulysse et retournait auprès de Circé, emmenant avec lui Télémaque et Pénélope. Circé leur donnait l'immortalité et épousait Télémaque, tandis que Pénélope s'unissait elle-même à Télégonos.

IV. Ulysse dans l'art et la religion

Rien n'atteste mieux la popularité d'Ulysse que ce riche développement littéraire de sa légende dont l'épopée, la poésie lyrique la tragédie, et meme la comédie, se sont emparées tour à tour. Mais sa personne et ses aventures ont aussi joui d'une grande faveur dans le domaine de l'art : Onatas, Lykios, fils de Myron, avaient exécuté sa statue, et quelques ouvres intéressantes comme la statuette du musée Chiaramonti. Celle du musée archéologique de Venise, le camée du Cabinet des Médailles nous offrent encore les traits de l'homme au pilos qu'on retrouve aussi sur les monnaies. Polygnote faisait d'Ulysse un des personnages de sa Nekyia et de son Ilioupersis, à Delphes ; il le montrait ailleurs, en compagnie de Nausicaa, parmi les filles de Lycomède ou auprès de Philoctète ; il représentait, au temple d'Athéna à Platées, la scène tragique du massacre des prétendants. Le procès contre Ajax, le sacrifice de Polyxène lui donnaient aussi l'occasion d'évoquer la figure du héros. Parmi les artistes des âges suivants, plusieurs imitèrent l'exemple de leur grand devancier : Parrhasios, Timanthès, Euphranor et d'autres, s'inspirèrent de la légende d'Ulysse qui fournit aussi de nombreux motifs aux peintres de vases.

La mémoire d'Ulysse se perpétuait encore, soit par les fondations religieuses qu'on lui attribuait, en Laconie par exemple, en Arcadie, ou sur la côte d'Afrique, dans l'île de Meninx, soit par les cultes dont il était l'objet, comme à Sparte où il possédait un hérôon, à Trampya en Epire, ou à Tarente. Une chlamyde et une cuirasse du héros étaient conservées en reliques dans le sanctuaire d'Apollon à Sicyone, et l'on voyait aussi des armes d'Ulysse parmi les ex-voto d'un temple d'Engyion en Sicile. Comme il était devenu le type idéal du navigateur et du créateur de cités, son renom s'étendit bien au delà du bassin oriental de la Méditerranée, et l'on retrouve son souvenir, non seulement en Italie, mais encore en Lusitanie, en Gaule, et jusque dans les pays lointains de Calédonie et de Germanie.

Article de Louis Séchan