Nulle part dans l'Iliade ou l'Odyssée il n'est question de Palamède et de sa rivalité avec Ulysse. Tout au plus une allusion des Chants cypriens évoque-t-elle rapidement l'affaire d'Ithaque.

L'incident d'Ithaque

Les mythographes nous permettront d'abord de faire le point sur cette histoire. Avec la fable 95 d'Hygin, l'Epitome d'Apollodore (III, 6-7) résume le problème :

6. Μενέλαος δὲ αἰσθόμενος τὴν ἁρπαγὴν ἧκεν εἰς Μυκήνας πρὸς Ἀγαμέμνονα, καὶ δεῖται στρατείαν ἐπὶ Τροίαν ἀθροίζειν καὶ στρατολογεῖν τὴν Ἑλλάδα. ὁ δὲ πέμπων κήρυκα πρὸς ἕκαστον τῶν βασιλέων τῶν ὅρκων ὑπεμίμνησκεν ὧν ὤμοσαν, καὶ περὶ τῆς ἰδίας γυναικὸς ἕκαστον ἀσφαλίζεσθαι παρῄνει, ἴσην λέγων γεγενῆσθαι τὴν τῆς Ἑλλάδος καταφρόνησιν καὶ κοινήν. ὄντων δὲ πολλῶν προθύμων στρατεύεσθαι, παραγίνονται καὶ πρὸς Ὀδυσσέα εἰς Ἰθάκην. 7. ὁ δὲ οὐ βουλόμενος στρατεύεσθαι προσποιεῖται μανίαν. Παλαμήδης δὲ ὁ Ναυπλίου ἤλεγξε τὴν μανίαν ψευδῆ, καὶ προσποιησαμένῳ μεμηνέναι παρηκολούθει: ἁρπάσας δὲ Τηλέμαχον ἐκ τοῦ κόλπου τῆς Πηνελόπης ὡς κτενῶν ἐξιφούλκει. Ὀδυσσεὺς δὲ περὶ τοῦ παιδὸς εὐλαβηθεὶς ὡμολόγησε τὴν προσποίητον μανίαν καὶ στρατεύεται.

6. Quand Ménélas s’aperçut de l’enlèvement, il alla à Mycènes chez son frère Agamemnon, et lui demanda de rassembler, depuis la Grèce tout entière, une armée pour marcher contre Troie. Agamemnon dépêcha des messagers auprès de chacun des rois, en leur rappelant leur ancien serment, et exhorta chacun à combattre pour la sécurité de leur propre femme, car cet affront avait touché la Grèce entière. La plupart d’entre eux était favorable à la guerre. Ils se rendirent aussi à Ithaque, chez Ulysse. 7. Mais Ulysse n’avait aucunement l’intention de participer à la guerre ; il fit mine d’être fou. Palamède, le fils de Nauplios, comprenant qu’il les trompait, décida de le confondre. Alors qu’Ulysse feignait un accès de démence, il le suivit ; puis, brusquement, il arracha des bras de Pénélope son petit enfant Télémaque, et sortit son épée comme s’il voulait le tuer. Craignant pour son fils, Ulysse avoua son jeu, et participa à la guerre.

On voit deux variantes dans la manière dont Palamède confond Ulysse : Hygin rappelle l'épisode de la charrue devant laquelle Palamède place le petit Télémaque, tandis qu'Apollodore rapporte la tradition d'une menace physique plus directe. Les deux versions coexistent, Lucien penchant plutôt pour la seconde lorsqu'il décrit une fresque représentant cet épisode (Sur un appartement, 30) :

Ὀδυσσεὺς τὸ μετὰ τοῦτο δῆθεν μεμηνώς, ἅτε συστρατεύειν τοῖς Ἀτρείδαις μὴ θέλων· πάρεισι δὲ οἱ πρέσβεις ἤδη καλοῦντες. καὶ τὰ μὲν τῆς ὑποκρίσεως πιθανὰ πάντα, ἡ ἀπήνη, τὸ τῶν ὑπεζευγμένων ἀσύμφωνον, ἡ ἄνοια τῶν δρωμένων· ἐλέγχεται δὲ ὅμως τῷ βρέφει· Παλαμήδης γὰρ ὁ τοῦ Ναυπλίου συνεὶς τὸ γιγνόμενον, ἁρπάσας τὸν Τηλέμαχον ἀπειλεῖ φονεύσειν πρόκωπον ἔχων τὸ ξίφος, καὶ πρὸς τὴν τῆς μανίας ὑπόκρισιν ὀργὴν καὶ οὗτος ἀνθυποκρίνεται. ὁ δὲ Ὀδυσσεὺς πρὸς τὸν φόβον τοῦτον σωφρονεῖ καὶ πατὴρ γίγνεται καὶ λύει τὴν ὑπόκρισιν.

30. Plus loin, Ulysse contrefait l'insensé pour ne pas accompagner les Atrides dans leur expédition. Les ambassadeurs l'invitent à partir. Tous les détails de cette folie simulée sont parfaits, la charrue, la bizarrerie de l'attelage, l'ignorance de ce qui se passe. Il est trahi par sa tendresse pour son petit enfant. Palamède, fils de Nauplios, soupçonnant la vérité, saisit Télémaque et menace de le tuer : il tient son épée nue, et oppose une fureur feinte à cette folie prétendue. Le péril de son fils rappelle Ulysse au bon sens, il redevient père et laisse de côté toute dissimulation.  

Quelle que soit en tout cas la manière dont s'y est pris Palamède, la plupart des auteurs blâment Ulysse d'avoir lâchement tenté d'éviter sa participation à la guerre. Cicéron par exemple réfléchit, dans le De officiis (III, 26-27) aux obligations morales auxquelles on n'a pas le droit de se soustraire :

[3,26] XXVI. Utile uidebatur Ulixi, ut quidem poetae tragici prodiderunt, nam apud Homerum, optimum auctorem, talis de Ulixe nulla suspicio est, sed insimulant eum tragoediae simulatione insaniae militiam subterfugere uoluisse. Non honestum consilium, at utile, ut aliquis fortasse dixerit, regnare et Ithacae uiuere otiose cum parentibus, cum uxore, cum filio. Ullum tu decus in cotidianis laboribus cum hac tranquillitate conferendum putas ? Ego uero istam contemnendam et abiciendam, quoniam quae honesta non sit ne utilem quidem esse arbitror. Quid enim auditurum putas fuisse Ulixem, si in illa simulatione perseuerasset ? Qui cum maximas res gesserit in bello, tamen haec audiat ab Aiace

"Cuius ipse princeps iuris iurandi fuit,
Quod omnes scitis, solus neglexit fidem.
Furere adsimulare, ne coiret, institit.
Quod ni Palamedi perspicax prudentia
Istius percepset malitiosam audaciam
Fide sacratae ius perpetuo falleret."

Illi uero non modo cum hostibus, uerum etiam cum fluctibus, id quod fecit, dimicare melius fuit quam deserere consentientem Graeciam ad bellum barbaris inferendum.

[3,26] XXVI. - Il paraissait utile à Ulysse (tel du moins que le représentent les tragiques, car, dans Homère, qui est la meilleure autorité, il n'est soupçonné de rien de tel) de se soustraire à l'obligation de faire la guerre en simulant la folie. Dessein fort peu glorieux, il est vrai, mais, dira-t-on peut-être, ayant l'avantage de lui assurer un règne et une vie paisibles à Ithaque, entouré de ses parents, de sa femme, de son fils. Peut-on comparer un éclat quelconque acheté par des fatigues et des dangers quotidiens avec cette tranquillité ? Pour moi je la déclare méprisable et la repousse parce que je crois que, n'étant pas honorable, elle ne peut même pas être utile. Quelles paroles penses-tu qu'Ulysse aurait entendues s'il avait persisté dans cette simulation, lui qui, après bien des hauts faits, s'entend dire par Ajax : "Après avoir le premier conseillé le serment que tous vous savez, seul il a manqué à l'engagement et, pour ne pas se joindre aux autres, commencé de simuler la folie. Si Palamède, perspicace, avisé, n'avait pas déjoué sa ruse audacieuse, il se fût jusqu'au bout dérobé à l'obligation qu'imposait la foi jurée". Mieux valait pour Ulysse combattre non seulement l'ennemi, mais, comme il le fit, les flots soulevés que de déserter la cause de la Grèce se dressant d'un seul coeur contre les Barbares.

Les querelles entre les deux hommes

Ulysse le rusé, confondu par plus rusé que lui, voilà qui ne peut qu'alimenter entre les deux hommes une rivalité dont un commentaire de Servius sur le vers II, 81 de l'Enéide se fait l'écho :

Postea cum Ulixes frumentatum missus ad Thraciam nihil advexisset, a Palamede est vehementer increpitus. et cum diceret adeo non esse neglegentiam suam, ut ne ipse quidem si pergeret quicquam posset advehere, profectus Palamedes infinita frumenta devexit.

Par la suite, alors qu'Ulysse avait été envoyé en Thrace chercher du blé et n'avait rien rapporté, il fut violemment pris à parti par Palamède et répondit que ce n'était pas de sa faute, et que Palamède n'avait qu'à y aller : lui non plus ne pourrait rien rapporter. Palamède y alla, et ramena une énorme quantité de blé...

Deuxième affront pour Ulysse, qui cherche à présent le moyen de se débarrasser de son rival.

La vengeance d'Ulysse

Le Cycle épique semble avoir proposé de la mort de Palamède cette version, que nous a conservée Pausanias dans sa description d'une fresque de la Lesché des Cnidiens à Delphes (X, 31, 2) :

ἐς δὲ τὸ αὐτὸ ἐπίτηδες τοῦ Ὀδυσσέως τοὺς ἐχθροὺς ἤγαγεν ὁ Πολύγνωτος· ἀφίκετο δὲ ἐς Ὀδυσσέως δυσμένειαν ὁ τοῦ Ὀιλέως Αἴας, ὅτι τοῖς Ἕλλησιν Ὀδυσσεὺς παρῄνει καταλιθῶσαι τὸν Αἴαντα ἐπὶ τῷ ἐς Κασσάνδραν τολμήματι· Παλαμήδην δὲ ἀποπνιγῆναι προελθόντα ἐπὶ ἰχθύων θήραν, Διομήδην δὲ τὸν ἀποκτείναντα εἶναι καὶ Ὀδυσσέα ἐπιλεξάμενος ἐν ἔπεσιν οἶδα τοῖς Κυπρίοις.

2] Le peintre semble avoir voulu rassembler en un même lieu tous les ennemis d'Ulysse. Car Ajax fils d'Oïlée le haïssait mortellement, parce qu'après le viol de Cassandre il avait conseillé aux Grecs de le lapider. Pour Palamède, j'ai lu dans les Cypriaques qu'étant allé un jour pêcher sur le bord de la mer, Ulysse et Diomède le poussèrent dans l'eau et furent cause de sa mort.

Il est intéressant de constater que Palamède semblait, dans l'imaginaire grec classique, former un couple, mais avec l'autre Ajax, le fils de Télamon, et symboliser l'innocent injustement mis à mort. C'est en tout cas l'exemple qui vient à l'esprit de Socrate lorsque, dans son Apologie (41b), il évoque son arrivée au royaume des morts :

ἐπεὶ ἔμοιγε καὶ αὐτῷ θαυμαστὴ ἂν εἴη ἡ διατριβὴ αὐτόθι, ὁπότε ἐντύχοιμι Παλαμήδει καὶ Αἴαντι τῷ Τελαμῶνος καὶ εἴ τις ἄλλος τῶν παλαιῶν διὰ κρίσιν ἄδικον τέθνηκεν, ἀντιπαραβάλλοντι τὰ ἐμαυτοῦ πάθη πρὸς τὰ ἐκείνων.

Dans quels transports de joie ne serais-je point quand je me trouverais avec Palamède, avec Ajax, fils de Télamon, et avec tous les autres héros de l'antiquité qui ont été les victimes de l'injustice ? Quel agrément de comparer mes aventures avec les leurs !

Malgré la perte des tragédies classiques sur cet épisode, nous pouvons cependant nous faire une idée de cette dernière aventure de Palamède et de sa mise à mort par la fable 105 d'Hygin :

CV.  PALAMEDES.

1. Vlixes quod Palamedis Nauplii dolo erat deceptus, in dies machinabatur quomodo eum interficeret. Tandem inito consilio ad Agamemnonem militem suum misit qui diceret ei in quiete vidisse ut castra uno die moverentur. 2. Id Agamemnon verum existimans castra uno die imperat moueri ; Vlixes autem clam noctu solus magnum pondus auri ubi tabernaculum Palamedis fuerat obruit, item epistulam conscriptam Phrygi captivo ad Priamum dat perferendam, militemque suum priorem mittit qui eum non longe a castris interficeret. 3. Postero die cum exercitus in castra rediret, quidam miles epistulam quam Vlixes scripserat super cadaver Phrygis positam ad Agamemnonem attulit, in qua scriptum fuit PALAMEDI A PRIAMO MISSA, tantumque ei auri pollicetur quantum Vlixes in tabernaculum obruerat, si castra Agamemnonis ut ei convenerat proderet. 4. Itaque Palamedes cum ad regem esset productus et factum negaret, in tabernaculum eius ierunt et aurum effoderunt, quod Agamemnon ut vidit, vere factum esse credidit. Quo facto Palamedes dolo Vlixis deceptus ab exercitu universo innocens occisus est. 

Ulysse, qui avait été confondu par la ruse de Palamède, fils de Nauplius, cherchait tous les jours le moyen de le tuer. Finalement il conçut un plan : il envoya un de ses soldats à Agamemnon pour lui dire qu'il avait été averti en songe de déplacer le camp pour un jour. Agamemnon, le croit et fait déplacer le camp pour un jour. Alors Ulysse, furtivement, va seul, la nuit, enterrer une grande somme d'argent à l'emplacement de la tente de Palamède, donne à un captif phrygien une lettre à porter à Priam, et envoie en avant un de ses soldats tuer ce captif non loin du camp. Le lendemain, une fois l'armée revenue au camp, un soldat vint apporter à Agamemnon la lettre écrite par Ulysse et qu'il avait trouvée sur le cadavre du Phrygien. Il y était écrit : "Lettre de Priam à Palamède", et on lui promettait autant d'or que ce qu'avait caché Ulysse sous sa tente, s'il trahissait le camp d'Agamemnon comme convenu. On amena Palamède devant le roi, il nia, on alla à sa tente et on y trouva l'or qui y avait été enterré. Ce que voyant, Agamemnon crut à la véracité de la charge. Ainsi Palamède, confondu par la ruse d'Ulysse, fut mis à mort par toute l'armée, malgré son innocence.

Une autre future victime d'Ulysse, précisément cet Ajax fils de Télamon qu'évoquait Socrate et qui va bientôt se suicider, rappelle le pouvoir de nuisance de l'homme aux mille tours dans le discours qu'il prononce au moment du jugement des armes (Ovide - Métamorphoses, XIII (55-62) :

ille tamen vivit, quia non comitavit Ulixem ;
mallet et infelix Palamedes esse relictus,
(viveret aut certe letum sine crimine haberet)
quem male convicti nimium memor iste furoris
prodere rem Danaam finxit fictumque probavit
crimen et ostendit, quod iam praefoderat, aurum.
ergo aut exilio vires subduxit Achivis,
aut nece : sic pugnat, sic est metuendus Ulixes !

Pourtant [Philoctète] vit, parce qu'il n'a pas accompagné Ulysse ;
L'infortuné Palamède aurait préféré être lui aussi abandonné :
Il vivrait, ou du moins serait mort sans avoir été accusé.
Ne se souvenant que trop de sa folie peu convaincante,
Cet individu prétendit qu'il trahissait la cause grecque
Et, pour prouver le crime, montra de l'or que lui-même venait d'enfouir.
Il a donc, par l'exil ou la mort, diminué les forces achéennes ;
C'est ainsi que combat Ulysse, ainsi qu'il se fait craindre.

La vengeance de Nauplios, père de Palamède

Mais Palamède a un père, Nauplios, qui n'entend pas laisser impunie la mort de son fils. Les Nostoi, dans le Cycle épique, mentionnaient une tempête au cours de laquelle, après la prise de Troie, avait péri Ajax de Locres, mais on ignore si Nauplios jouait un rôle actif dans ce poème. En revanche, on sait que Sophocle lui avait consacré une tragédie, aujourd'hui perdue. Voici, à l'aide d'Hygin, ce que l'on sait de la légende de Nauplius :

CXVI.  NAVPLIVS.

1. Ilio capto et diuisa praeda Danai cum domum redirent, ira deorum quod fana spoliauerant et quod Cassandram Aiax Locrus a signo Palladio abripuerat, tempestate et flatibus aduersis ad saxa Capharea naufragium fecerunt. 2  in qua tempestate Aiax Locrus fulmine est a Minerua ictus, quem fluctus ad saxa illiserunt, unde Aiacis petrae sunt dictae; ceteri noctu cum fidem deorum implorarent, Nauplius audiuit sensitque tempus uenisse ad persequendas filii sui Palamedis iniurias. 3  itaque tamquam auxilium eis afferret, facem ardentem eo loco extulit quo saxa acuta et locus periculosissimus erat; illi credentes humanitatis causa id factum nauis eo duxerunt, quo facto plurimae earum confractae sunt militesque plurimi cum ducibus tempestate occisi sunt membraque eorum cum uisceribus ad saxa illisa sunt; si qui autem potuerunt ad terram natare, a Nauplio interficiebantur. 4 at Vlixem uentus detulit ad Mar[ath]onem, Menelaum in Aegyptum, Agamemnon cum Cassandra in patriam peruenit. 

Après la prise de Troie et la répartition du butin, les Danaens rentrèrent chez eux ; mais la colère des dieux, après le pillage des temples et l'épisode au cours duquel Ajax de Locres avait arraché Cassandre à la statue du Palladium, cette colère provoqua une tempête et des vents contraires qui jetèrent les navires contre les rochers de Capharée. Au cours de cette tempête, Ajax de Locres fut foudroyé par Athéna et jeté par les vagues contre les rochers auxquels il a donné son nom ; quant aux autres, qui dans la nuit imploraient l'aide des dieux, Nauplius les entendit, et il comprit que l'heure était venue de venger l'injustice subie par son fils Palamède. C'est pourquoi, sous prétexte de leur apporter de l'aide, il alluma un feu à l'endroit même où les écueils étaient saillants et la côte la plus dangereuse. Eux, interprétant ce feu comme un secours, dirigèrent vers lui leurs navires, dont la plus grande part furent fracassés, la plupart des soldats comme des chefs tués par la tempête, leurs membres et leurs viscères jetés contre les rochers. Ceux qui purent nager jusqu'à la terre furent tués par Nauplius. Mais le vent emporta Ulysse vers Marathon, Ménélas vers l'Egypte, Agamemnon avec Cassandre dans sa patrie.

Et voici justement le récit que fait à Clytemnestre un messager venu annoncer que son époux Agamemnon vient d'échapper à cette tempête et est en route pour Mycènes (Sénèque - Agamemnon, v.557-578) :

Nos alia maior naufragos pestis uocat.
est humilis unda, scrupeis mendax uadis,
ubi saxa rapidis clusa uorticibus tegit
fallax Caphareus; aestuat scopulis fretum
feruetque semper fluctus alterna uice.
arx imminet praerupta quae spectat mare
utrimque geminum: Pelopis hinc oras tui
et Isthmon, arto qui recuruatus solo
Ionia iungi maria Phrixeis uetat,
hinc scelere Lemnon nobilem, hinc et Chalcida;
tardamque ratibus Aulida: hanc arcem occupat
Palamedis ille genitor et clarum manu
lumen nefanda uertice e summo efferens
in saxa duxit perfida classem face.
haerent acutis rupibus fixae rates;
has inopis undae breuia comminuunt uada,
pars uehitur huius prima, pars scopulo sedet;
hanc alia retro spatia relegentem ferit
et fracta frangit. iam timent terram rates
et maria malunt. cecidit in lucem furor:
postquam litatum est Ilio, Phoebus redit
et damna noctis tristis ostendit dies.

Un autre fléau plus cruel nous était réservé. Il est une eau basse à fond perfide et plein de rochers que le traître Capharée cache dans les gouffres qu'il domine. La mer bouillonne entre ces écueils, et les vagues écument dans un flux et reflux perpétuel. Au-dessus de la montagne est une citadelle escarpée qui regarde les deux mers. D'un côté, c'est le royaume de votre aïeul Pélops, et l'Isthme qui, se recourbant sur une terre étroite, ferme à la mer d'Hellé l'entrée de la mer Ionienne; de l'autre, c'est Lemnos immortalisée par le crime, et Chalcis; et Aulis qui retint trop longtemps nos vaisseaux dans ses ports. Cette forteresse est occupée par le père de Palamède. D'une main perfide il allume au sommet de ses tours des feux éclatants qui conduisent nos vaisseaux contre les rochers. Ils s'accrochent à leurs pointes aiguës, et, faute d'eau, ils se brisent contre les récifs. L'un a sa proue à flot, et sa poupe sur un roc. A peine il se dégage, qu'un autre vient le heurter par derrière, et le brise en se brisant lui-même. Dans cette extrémité, nous redoutons le rivage et préférons la mer. Enfin la tempête se calme au retour de la lumière. Troie était vengée. Le soleil reparaît, et le jour découvre à nos yeux attristés les ravages de la nuit.

On trouve à peu près le même récit chez Quintus de Smyrne (XIV, 606-628). En revanche, dans l'Epitome (VI, 7-11), qui rend probablement compte d'autres traditions antérieures, Apollodore complète le tableau de la vengeance de Nauplios :

τῶν δὲ ἄλλων Εὐβοίᾳ προσφερομένων νυκτὸς Ναύπλιος ἐπὶ τοῦ Καφηρέως ὄρους τῆς Εὐβοίας πυρσὸν ἀνάπτει· οἱ δὲ νομίσαντες εἶναί τινας τῶν σεσωσμένων προσπλέουσι, καὶ περὶ τὰς Καφηρίδας πέτρας θραύεται τὰ σκάφη καὶ πολλοὶ τελευτῶσιν. (8.) ὁ γὰρ αὐτοῦ τοῦ Ναυπλίου καὶ Κλυμένης τῆς Κατρέως υἱὸς Παλαμήδης ἐπιβουλαῖς Ὀδυσσέως λιθοβοληθεὶς ἀναιρεῖται. τοῦτο μαθὼν Ναύπλιος ἔπλευσε πρὸς τοὺς Ἕλληνας καὶ τὴν τοῦ παιδὸς ἀπῄτει ποινήν· (9.) ἄπρακτος δὲ ὑποστρέψας, ὡς πάντων χαριζομένων τῷ ἄπρακτος δὲ ὑποστρέψας, ὡς πάντων χαριζομένων τῷ βασιλεῖ Ἀγαμέμνονι, μεθ’ οὗ τὸν Παλαμήδην ἀνεῖλεν Ὀδυσσεύς, παραπλέων τὰς χώρας τὰς Ἑλληνίδας παρεσκεύασε τὰς τῶν Ἑλλήνων γυναῖκας μοιχευθῆναι, Κλυταιμνήστραν Αἰγίσθῳ, Αἰγιάλειαν τῷ Σθενέλου Κομήτῃ, τὴν Ἰδομενέως Μήδαν ὑπὸ Λεύκου· (10.) ἣν καὶ ἀνεῖλε Λεῦκος ἅμα Κλεισιθύρᾳ τῇ θυγατρὶ ταύτης ἐν τῷ ναῷ προσφυγούσῃ, καὶ δέκα πόλεις ἀποσπάσας τῆς Κρήτης ἐτυράννησε· καὶ μετὰ τὸν Τρωικὸν πόλεμον καὶ τὸν Ἰδομενέα κατάραντα τῇ Κρήτῃ ἐξήλασε. (11.) ταῦτα πρότερον κατασκευάσας ὁ Ναύπλιος, ὕστερον μαθὼν τὴν εἰς τὰς πατρίδας τῶν Ἑλλήνων ἐπάνοδον, τὸν εἰς τὸν Καφηρέα, νῦν δὲ Ξυλοφάγον λεγόμενον, ἀνῆψε φρυκτόν· ἔνθα προσπελάσαντες Ἕλληνες ἐν τῷ δοκεῖν λιμένα εἶναι διεφθάρησαν.

VI, 7, ES. Les autres [Grecs] furent poussés nuitamment vers les côtes de l’Eubée ; Nauplios alluma des feux de signalement sur le promontoire Capharée ; les Grecs, imaginant qu’il s’agissait d’un de leurs compagnons qui s’était sauvé, se dirigèrent vers la lumière, mais les navires se fracassèrent contre les roches Capharées, et de nombreux hommes périrent. 8, E. Parce qu’en effet Palamède, fils de Nauplios et de Clyméné fille de Catrée, était mort lapidé à cause des machinations d’Ulysse. Quand il l’apprit, Nauplios embarqua pour rejoindre les Grecs, réclamant que la mort de son fils soit vengée. 9, E. Mais il dut rebrousser chemin sans avoir rien obtenu, car personne ne voulait s’opposer au roi Agamemnon, avec la complicité duquel Ulysse avait tué Palamède. Alors Nauplios, tout le long des côtes de la Grèce, poussa les femmes des chefs grecs à tromper leurs maris absents : Clytemnestre avec Égisthe ; Égialée avec Cométès, le fils de Sthénélos, et Méda, l’épouse d’Idoménée, avec Leucos. 10, E. Leucos par la suite la tua, en même temps que sa fille Clisithyra qui s’était réfugiée dans un temple ; puis il souleva dix cités de Crète, et y instaura une tyrannie. Après la guerre de Troie, quand Idoménée aborda en Crète, Leucos le chassa. 11, E. Nauplios avait déjà tramé tout cela, quand il apprit que les Grecs retournaient dans leur patrie ; alors il alluma des feux au cap Capharée, celui que maintenant on appelle Xylophagos [Mangebois] : les Grecs suivirent la lumière, croyant qu’il s’agissait d’un port, et se brisèrent sur les rochers.

Tout cela ne constituerait, somme toute, qu'un classique feuilleton de vengeances sans fin. Mais le mythe de Palamède a trouvé un intéressant prolongement dans la lecture qu'en ont fait les sophistes.


Palamède, un modèle de science

Palamède jouit en effet d'une réputation de premier ordre, comme inventeur d'objets et de techniques dont la liste ne cesse de s'allonger à mesure qu'on progresse vers la fin de l'antiquité. Voici un aperçu non exhaustif des inventions qu'on lui attribuait :

A/ Les mathématiques

Théon de Smyrne - Exposition - De l’utilité des mathématiques

ἐν δὲ τῷ ἑβδόμῳ τῆς Πολιτείας περὶ ἀριθμητικῆς λέγων ὡς ἔστιν ἀναγκαιοτάτη πασῶν φησιν, ἔπειτα ἧς δεῖ πάσαις μὲν τέχναις, πάσαις δὲ διανοίαις καὶ ἐπιστήμαις καὶ τῇ πολεμικῇ. παγγέλοιον γοῦν στρατηγὸν Ἀγαμέμνονα ἐν ταῖς τραγῳδίαις Παλαμήδης ἑκάστοτε ἀποφαίνει. φησὶ γὰρ ἀριθμὸν εὑρὼν τάς τε τάξεις καταστῆσαι τῷ στρατοπέδῳ ἐν Ἰλίῳ καὶ ἐξαριθμῆσαι ναῦς τε καὶ τὰ ἄλλα πάντα, ὡς πρὸ τοῦ ἀναριθμήτων ὄντων καὶ τοῦ Ἀγαμέμνονος ὡς ἔοικεν οὐδὲ ὅσους εἶχε πόδας εἰδότος, εἴγε μὴ ἠπίστατο ἀριθμεῖν.

Dans le septième livre de la République (VII, 522d) , parlant de l’arithmétique, ii dit que c’est de toutes les connaissances la plus nécessaire, puisque c’est celle dont ont besoin tous les arts, toutes les conceptions de notre esprit, toutes les sciences et l’art militaire lui-même. «Palamède, dit-il, représente souvent, dans les tragédies, Agamemnon comme un plaisant général ; il se vante d’avoir inventé les nombres et d’avoir mis de l’ordre dans le camp et dans la flotte des Grecs devant Ilion et dans tout le reste, tandis qu’auparavant on n’avait fait aucun dénombrement et qu’Agamemnon lui-même semblait ne pas savoir combien il avait de pieds, car il ignorait complètement l’art de compter.

B/ Certaines lettres de l'alphabet

Hygin - Fable 277

CCLXXVII.  RERVM INVENTORES PRIMI.

Parcae, Clotho Lachesis Atropos, inuenerunt litteras Graecas septem, Α Β Η Τ Ι Υ [?] ; alii dicunt Mercurium ex gruum uolatu, quae cum uolant litteras exprimunt; Palamedes autem Nauplii filius inuenit aeque litteras undecim [...] Simonides litteras aeque quattuor, Ω Ε Ζ Φ, Epicharmus Siculus litteras duas, Π et Υ. has autem [Graecas] Mercurius in Aegyptum primus detulisse dicitur, ex Aegypto Cadmus in Graeciam.

Les premiers inventeurs

Les Parques Clotho, Lachesis et Atropos ont inventé sept lettres grecques : Α Β Η Τ Ι Υ [?] ; d'autres disent que c'est Mercure, en observant le vol des grues qui en volant forment des lettres. Palamède, le fils de Nauplios, a également inventé onze lettres, Simonide également quatre : Ω Ε Ζ Φ, Epicharme de Sicile deux : Π et Υ. Mais ces lettres grecques, Mercure, à ce qu'on dit, les a le premier apportées en Egypte, et Cadmus d'Egypte en Grèce.


Philostrate - Vie d'Apollonios de Thyane, IV, 33

ὁ δέ, ὡς εἶδε διεστηκότας, παρῆλθέ τε ἐς τὸ κοινὸν αὐτῶν καὶ ὧδε ἐβραχυλόγησε· „Παλαμήδης εὗρε γράμματα οὐχ ὑπὲρ τοῦ γράφειν μόνον, ἀλλὰ καὶ ὑπὲρ τοῦ γιγνώσκειν, ἃ δεῖ μὴ γράφειν.“ οὕτω μὲν δὴ Λακεδαιμονίους ἀπῆγε τοῦ μήτε θρασεῖς μήτε δειλοὺς ὀφθῆναι.

Apollonius, voyant la divergence des opinions, vint à l'assemblée et ne dit que ces mots : « Si Palamède a inventé l'écriture, ce n'est pas seulement pour qu'on pût écrire, mais pour qu'on sût quand il ne faut pas écrire. » C'est ainsi qu'il les détourna de montrer ni audace ni lâcheté.

C/ Le jeu de dés

Ajax et Achille jouant aux dés - Amphore attique à figures noires attribuée à Exékias (v. 540-530) - Musée du Vatican

Pausanias, II, 20, 3

πέραν δὲ τοῦ Νεμείου Διὸς Τύχης ἐστὶν ἐκ παλαιοτάτου ναός, εἰ δὴ Παλαμήδης κύβους εὑρὼν ἀνέθηκεν ἐς τοῦτον τὸν ναόν.

[3] Au-dessus du temple de Jupiter il y a celui de la Fortune, qui est très ancien ; on y conserve des dés que Palamède y a autrefois consacrés, et dont il avait été l'inventeur.

Pausanias, X, 31, 1

εἰ δὲ ἀπίδοις πάλιν ἐς τὸ ἄνω τῆς γραφῆς, ἔστιν ἐφεξῆς τῷ Ἀκταίωνι Αἴας ὁ ἐκ Σαλαμῖνος, καὶ Παλαμήδης τε καὶ Θερσίτης κύβοις χρώμενοι παιδιᾷ, τοῦ Παλαμήδους τῷ εὑρήματι·

XXXI. [1] Si vous jetez les yeux au haut du tableau, vous y verrez Ajax de Salamine près d'Actéon, ensuite Palamède et Thersite qui jouent ensemble aux dés, jeu que l'on croit avoir été inventé par Palamède même.

D/ Tout cela.. et bien d'autres choses encore, symboles de civilisation

Gorgias - Défense de Palamède (30)

τίς γὰρ ἂν ἐποίησε τὸν ἀνθρώπειον βίον πόριμον ἐξ ἀπόρου καὶ κεκοσμημένον ἐξ ἀκόσμου, τάξεις τε πολεμικὰς εὑρὼν μέγιστον εἰς πλεονεκτήματα, νόμους τε γραπτοὺς φύλακας [τε] τοῦ δικαίου, γράμματά τε μνήμης ὄργανον, μέτρα τε καὶ σταθμὰ συναλλαγῶν εὐπόρους διαλλαγάς, ἀριθμόν τε χρημάτων φύλακα, πυρσούς τε κρατίστους καὶ ταχίστους ἀγγέλους, πεσσούς τε σχολῆς ἄλυπον διατριβήν;

Qui aurait pu donner à la vie humaine les ressources qu'elle n'avait pas, l'organisation qu'elle n'avait pas, en inventant la disposition des troupes, fondamentale pour prendre l'avantage à la guerre, les lois écrites, garantes de justice, les lettres de l'alphabet, instruments de mémoire, les mesures et les poids, qui facilitent les échanges du commerce, le calcul, gardien des richesses, les signaux de feu, messagers de grande puissance et rapidité, et les jetons, passe-temps sans danger ?

Palamède, le modèle des sophistes

Dans le discours XIII, 21, Dion Chrysostome imagine que Palamède, avec toutes ces connaissances, a servi de professeur à une armée d'Achéens particulièrement incultes avant son intervention, puis particulièrement ingrats :

καὶ τὸν Παλαμήδην οὐδὲν ὤνησεν αὐτὸν εὑρόντα τὰ γράμματα πρὸς τὸ μὴ ἀδίκως ὑπὸ τῶν Ἀχαιῶν τῶν ὑπ´ αὐτοῦ παιδευθέντων καταλευσθέντα ἀποθανεῖν· ἀλλ´ ἕως μὲν ἦσαν ἀγράμματοι καὶ ἀμαθεῖς τούτου τοῦ μαθήματος, ζῆν αὐτὸν εἴων· ἐπειδὴ δὲ τούς τε ἄλλους ἐδίδαξε γράμματα καὶ τοὺς Ἀτρείδας δῆλον ὅτι πρώτους, καὶ μετὰ τῶν γραμμάτων τοὺς φρυκτοὺς ὅπως χρὴ ἀνέχειν καὶ ἀριθμεῖν τὸ πλῆθος, ἐπεὶ πρότερον οὐκ ᾔδεσαν οὐδὲ καλῶς ἀριθμῆσαι τὸν ὄχλον, ὥσπερ οἱ ποιμένες τὰ πρόβατα, τηνικαῦτα σοφώτεροι γενόμενοι καὶ ἀμείνους ἀπέκτειναν αὐτόν.

Et le fait d'avoir inventé les lettres de l'alphabet n'a pas empêché Palamède de subir une injustice de la part de ces mêmes Achéens qu'il avait instruits, et de se faire lapider à mort. Tant qu'ils étaient analphabètes et ignorants de sa science, ils l'ont laissé vivre. Mais une fois qu'il leur eut appris, aux autres et aux Atrides les premiers, évidemment, à lire et écrire, et en même temps que cela, à envoyer des signaux de feu et à compter les grands nombres (parce qu'auparavant ils étaient incapables de compter correctement la masse des troupes, comme le font les bergers avec leurs bêtes), à ce moment là, devenus plus instruits et bonifiés, ils le mirent à mort.

Palamède constitue donc le modèle du bon sophiste, celui qui met son savoir au service d'autrui, alors que le brillant Ulysse dispose d'une ingéniosité égoïste et destructrice. Nous avons vu plus haut que Gorgias, l'un des plus emblématiques représentants de la première sophistique à la fin du Ve siècle avant JC, avait composé une Défense de Palamède. Quelques siècles plus tard, c'est Dion Chrysostome qui, au début du IIe siècle après JC, oppose les deux personnages dans le discours 59. Pour persuader Philoctète de lui faire confiance et de l'accompagner à Troie, Ulysse se présente à lui comme un Grec qui, après l'injuste mise à mort de son ami Palamède, a réussi à s'échapper de justesse. Voici la réaction de Philoctète, lui aussi ennemi d'Ulysse :

Ὦ μηδενὸς ἀποσχόμενος τῶν χαλεπωτάτων, λόγῳ τε καὶ ἔργῳ πανουργότατε ἀνθρώπων, Ὀδυσσεῦ, οἷον αὖ τοῦτον ἄνδρα ἀνῄρηκας, ὃς οὐδὲν ἧττον ὠφέλιμος ἦν τοῖς ξυμμάχοις ἤπερ — οἶμαι — σύ, τὰ κάλλιστα καὶ σοφώτατα ἀνευρίσκων.

9. Ô toi, qui ne t'es dispensé d'aucune malveillance, qui en paroles et en actes te montres le plus méchant des hommes, Ulysse, quel personnage remarquable tu viens, une fois de plus, de détruire ! il n'était pourtant pas moins utile aux alliés que toi - à ce que je crois - lui qui a conçu et mis en pratique les plus merveilleuses et sages des inventions !

L'ultime manoeuvre d'Ulysse

A la suite de Dion Chrysostome, c'est Philostrate, un sophiste du début du IIIe siècle après JC, qui entreprend de réhabiliter Palamède de manière systématique. Il faut pour cela commencer par expliquer comment un personnage d'une telle importance ne figure nulle part chez Homère : un tel oubli ne peut venir que d'une intention délibérée de l'aède. Une première explication est esquissée dans la Vie d'Apollonios de Thyane (III, 22) où le philosophe rencontre un Indien qui lui présente une réincarnation de Palamède :

οὗτος γὰρ“ δείξας τι μειράκιον εἴκοσί που γεγονὸς ἔτη „πέφυκε μὲν πρὸς φιλοσοφίαν ὑπὲρ πάντας ἀνθρώπους, ἔρρωται δέ, ὡς ὁρᾷς, καὶ κατεσκεύασται γενναίως τὸ σῶμα, καρτερεῖ δὲ πῦρ καὶ τομὴν πᾶσαν, καὶ τοιόσδε ὢν ἀπεχθάνεται τῇ φιλοσοφίᾳ.“ „τί οὖν,“ εἶπεν „ὦ Ἰάρχα, τὸ μειρακίου πάθος; δεινὸν γὰρ λέγεις, εἰ ξυντεταγμένος οὕτως ὑπὸ τῆς φύσεως μὴ ἀσπάζεται τὴν φιλοσοφίαν, μηδὲ ἐρᾷ τοῦ μανθάνειν καὶ ταῦτα ὑμῖν ξυνών.“ „οὐ ξύνεστιν,“ εἶπεν „ἀλλ’ ὥσπερ οἱ λέοντες, ἄκων εἴληπται, καὶ καθεῖρκται μέν, ὑποβλέπει δὲ ἡμῶν τιθασευόντων αὐτὸν καὶ καταψώντων. γέγονε μὲν οὖν τὸ μειράκιον τοῦτο Παλαμήδης ὁ ἐν Τροίᾳ, κέχρηται δὲ ἐναντιωτάτοις Ὀδυσσεῖ καὶ ὁ ἐν Τροίᾳ, κέχρηται δὲ ἐναντιωτάτοις Ὀδυσσεῖ καὶ Ὁμήρῳ, τῷ μὲν ξυνθέντι ἐπ’ αὐτὸν τέχνας, ὑφ’ ὧν κατελιθώθη, τῷ δὲ οὐδὲ ἔπους αὐτὸν ἀξιώσαντι. καὶ ἐπειδὴ μήθ’ ἡ σοφία αὐτόν τι, ἣν εἶχεν, ὤνησε, μήτε Ὁμήρου ἐπαινέτου ἔτυχεν, ὑφ’ οὗ πολλοὶ καὶ τῶν μὴ πάνυ σπουδαίων ἐς ὄνομα ἤχθησαν, Ὀδυσσέως τε ἥττητο ἀδικῶν οὐδέν, διαβέβληται πρὸς φιλοσοφίαν καὶ ὀλοφύρεται τὸ ἑαυτοῦ πάθος. ἔστι δὲ οὗτος Παλαμήδης, ὃς καὶ γράφει μὴ μαθὼν γράμματα.“

[3,22] Que moi, Indien, je sois passé dans un Indien, il n'y a encore là rien d'étonnant; mais voyez celui-ci (il montrait un jeune homme de vingt ans environ) : il est mieux doué que personne pour la philosophie. De plus, il a une constitution robuste, comme vous voyez, son corps est des plus vigoureux, il ne craint ni le feu ni les blessures; et avec tout cela il ne peut sentir la philosophie. — Que veut dire cela? demanda Apollonius. Quoi ! un homme ainsi favorisé par la nature, ne pas embrasser la philosophie, ne pas être épris du savoir, et cela quand il vit avec vous ! — Ce n'est pas avec nous qu'il vit. Il est comme un lion captif; il se sent prisonnier chez nous, et bien que nous le caressions pour l'apprivoiser, il nous regarde avec colère. Ce jeune homme a été Palamède, l'un des héros du siège de Troie : ses grands ennemis sont Ulysse et Homère, le premier qui a ourdi contre lui un complot et l'a fait lapider, le second qui n'a pas même daigné lui consacrer un vers. Aussi, comme sa science (car il était savant) ne lui a servi à rien, et ne lui a pas même valu les éloges d'Homère, qui a rendu célèbres même des hommes peu dignes de la célébrité, comme il a été écrasé par Ulysse, auquel il n'avait fait aucun mal, il parle fort mal de la philosophie et déplore son infortune. Voilà ce Palamède, qui écrit sans avoir jamais appris à écrire. »

Pourquoi Homère n'a-t-il donc pas daigné consacrer un seul vers à Palamède ? Philostrate l'explique par une étonnante et pittoresque théorie du complot (Heroikos, 43, 11 sqq) :

γέγονε μὲν δή, ξένε, ποιητὴς Ὅμηρος καὶ τὰ ποιήματα ἀνθρώπου ταῦτα καὶ τὰ ὀνόματα ᾔδει καὶ τὰ ἔργα ξυνελέξατο μὲν ἐκ τῶν πόλεων, ἃς ἕκαστοι ἦγον, ἐπῆλθε μὲν γὰρ [περὶ] τὴν Ἑλλάδα μετὰ χρόνον τῶν Τρωικῶν οὔπω ἱκανὸν ἐξαμαυρῶσαι τὰ ἐν τῇ Τροίᾳ, ἔμαθε δὲ αὐτὰ καὶ τρόπον ἕτερον δαιμόνιόν τε καὶ σοφίας πρόσω· ἐς Ἰθάκην γάρ ποτε τὸν Ὅμηρον πλεῦσαί φασιν ἀκούσαντα, ὡς πέπνυται ἔτι ἡ ψυχὴ τοῦ Ὀδυσσέως καὶ ψυχαγωγίᾳ ἐπ’ αὐτὸν χρήσασθαι, ἐπεὶ δὲ ἀνελθεῖν τὸν Ὀδυσσέα, ὁ μὲν ἠρώτα αὐτὸν τὰ ἐν Ἰλίῳ, ὁ δὲ εἰδέναι μὲν πάντα ἔλεγε καὶ μεμνῆσθαι αὐτῶν, εἰπεῖν δ’ ἂν οὐδὲν ὧν οἶδεν, εἰ μὴ μισθὸς αὐτῷ παρ’ Ὁμήρου γένοιτο εὐφημίαι τε ἐν τῇ ποιήσει καὶ ὕμνος ἐπὶ σοφίᾳ τε καὶ ἀνδρείᾳ. ὁμολογήσαντος δὲ τοῦ Ὁμήρου ταῦτα καὶ ὅ τι δύναιτο, χαριεῖσθαι αὐτῷ ἐν τῇ ποιήσει φήσαντος, διῄει Ὀδυσσεὺς πάντα ξὺν ἀληθείᾳ τε καὶ ὡς ἐγένετο, ἥκιστα γὰρ πρὸς αἵματι καὶ βόθροις αἱ ψυχαὶ ψεύδονται. ἀπιόντος δὲ ἤδη τοῦ Ὁμήρου βοήσας ὁ Ὀδυσσεὺς „Παλαμήδης με“ ἔφη „δίκας ἀπαιτεῖ τοῦ ἑαυτοῦ φόνου καὶ οἶδα ἀδικῶν καὶ πάντως μὲν πείσομαί τι, οἱ γὰρ θεμιστεύοντες ἐνταῦθα δεινοί, Ὅμηρε, καὶ τὰ ἐκ Ποινῶν ἐγγύς, εἰ δὲ τοῖς ἄνω ἀνθρώποις μὴ δόξω εἰργάσθαι τὸν Παλαμήδην ταῦτα, ἧττόν με ἀπολεῖ τὰ ἐνταῦθα· μὴ δὴ ἄγε τὸν Παλαμήδην ἐς Ἴλιον, μηδὲ στρατιώτῃ χρῶ, μηδέ, ὅτι σοφὸς ἦν, εἴπῃς. ἐροῦσι μὲν γὰρ ἕτεροι ποιηταί, πιθανὰ δὲ οὐ δόξει μὴ σοὶ εἰρημένα“. αὕτη, ξένε, ἡ Ὀδυσσέως τε καὶ Ὁμήρου ξυνουσία, καὶ οὕτως Ὅμηρος τὰ ἀληθῆ μὲν ἔμαθε, μετεκόσμησε δὲ πολλὰ ἐς τὸ συμφέρον τοῦ λόγου, ὃν ὑπέθετο.

Ainsi donc, étranger, Homère a existé, ces poèmes sont ceux d'un homme ; il chantait les noms et recueillait les faits en s'informant auprès des cités que chaque protagoniste avait dirigées. Il est allé en Grèce peu après la guerre de Troie, en un temps où la mémoire des événements troyens ne s'était pas encore dissipée ; mais il s'est informé aussi avec une autre méthode, surnaturelle celle-là et exigeant la plus grande habileté. Homère, à ce qu'on dit, alla un jour en Ithaque parce qu'il avait appris que l'âme d'Ulysse bougeait encore, et il la consulta par nécromancie. Quand Ulysse fut monté, Homère l'interrogea sur les événements d'Ilion, mais l'autre répondit qu'il savait et se rappelait tout, mais qu'il ne dirait ce qu'il savait qu'en échange d'une récompense : des louanges dans sa poésie et l'éloge de sa sagesse et de son courage. Homère accepta le marché et promit de le valoriser autant que possible dans sa poésie. Ulysse alors lui raconta tout, avec sincérité, exactement comme cela s'était passé, parce qu'en présence du sang et des fosses les âmes ne mentent absolument pas. Au moment du départ d'Homère, Ulysse se mit à crier : "Palamède demande justice contre moi pour son meurtre ! je reconnais l'injustice, j'en suis tout à fait persuadé ; mais les juges d'ici sont terribles, Homère, et les châtiments des dieux sont imminents. Mais si les hommes d'en-haut ne pensent pas que j'ai commis cela envers Palamède, les forces d'ici me détruiront moins. Ne conduis pas Palamède à Ilion, ne le traite pas en soldat, ne dis pas qu'il était savant. Les autres poètes en parleront, mais on ne les croira pas si tu n'en as pas parlé." Voilà, étranger, quelle fut la rencontre entre Ulysse et Homère, et voilà comment Homère, tout en sachant la vérité, a modifié beaucoup d'éléments, dans l'intérêt du sujet qu'il a choisi.

Philostrate ultime défenseur de Palamède

Il ne reste plus à Philostrate qu'à rétablir toutes les vérités déformées ou occultées par Homère. En voici quelques unes (Heroikos, 33, passim). Elle dressent le portrait d'un véritable savant, d'un guerrier courageux et d'un sage, bref d'un sophiste idéal selon les critères de Philostrate.

A/ La science de Palamède

αὐτομαθῆ ἀφικέσθαι αὐτὸν καὶ σοφίας ἤδη γεγυμνασμένον καὶ πλείω γιγνώσκοντα ἢ ὁ Χείρων· πρὸ γὰρ δὴ Παλαμήδους ὧραι μὲν οὔπω ἦσαν οὖσαι, μηνῶν δὲ οὔπω κύκλος, ἐνιαυτὸς δὲ οὔπω ὄνομα ἦν τῷ χρόνῳ, οὐδὲ νόμισμα ἦν, οὐδὲ σταθμὰ καὶ μέτρα, οὐδὲ ἀριθμεῖν, σοφίας δὲ οὔπω ἔρως, ἐπεὶ μήπω ἦν γράμματα. βουλομένου δὲ Χείρωνος ἰατρικὴν διδάσκειν αὐτὸν „ἐγώ“, ἔφη „ὦ Χείρων, ἰατρικὴν μὲν ἡδέως οὐκ οὖσαν ἂν εὗρον, εὑρημένην δὲ οὐκ ἀξιῶ μανθάνειν.

1. Palamède arriva, déjà instruit par lui-même, entraîné à la sagesse et bien plus savant que Chiron. Car avant Palamède, il n'y avait pas encore de notions de saisons, de cycle des mois, année n'était pas encore un nom pour le temps. Il n'y avait pas de monnaie, pas de poids et mesures, pas de calcul, pas de désir de science, puisqu'il n'y avait pas encore de lettres de l'alphabet. 2. Quand Chiron voulut lui apprendre la médecine, Palamède lui rétorqua : "Chiron, j'aurais volontiers découvert la médecine, si elle n'existait pas ; mais comme elle a déjà été découverte, cela ne m'intéresse pas de l'apprendre".

B/ Le contentieux entre Ulysse et Palamède

Démentant tous les poètes qui ont raconté l'épisode d'Ithaque et de la feinte folie d'Ulysse, Philostrate, par la voix de son héros Protésilas, nie qu'il ait eu lieu et prétend qu'au contraire Ulysse se rendit à Aulis avec beaucoup d'enthousiasme. Mais ensuite, les occasions de se heurter à Palamède furent nombreuses ; en voici deux :

ἔκλειψις ἡλίου ἐν Τροίᾳ ἐγένετο καὶ ὁ στρατὸς ἄθυμοι ἦσαν λαμβάνοντες τὴν διοσημίαν ἐς τὰ μέλλοντα. παρελθὼν οὖν ὁ Παλαμήδης αὐτὸ τὸ πάθος τοῦ ἡλίου διεξῆλθε καὶ ὅτι τῆς σελήνης ὑποτρεχούσης αὐτὸν ἐξαμαυροῦται καὶ ἀχλὺν ἕλκει, „κακῶν δὲ εἴ τινα σημαίνοι, ταῦτα δήπου“ ἔφη „οἱ Τρῶες πείσονται, οἱ μὲν γὰρ ἀδίκων ἦρξαν, ἡμεῖς δὲ ἀδικούμενοι ἥκομεν. προσήκει δὲ καὶ ἀνίσχοντι τῷ Ἡλίῳ εὔχεσθαι πῶλον αὐτῷ καταθύσαντας λευκόν τε καὶ ἄνετον.“ ταῦτα τῶν Ἀχαιῶν ἐπαινεσάντων, καὶ γὰρ ἥττηντο τῶν τοῦ Παλαμήδους λόγων, παρελθὼν ὁ Ὀδυσσεύς „ἃ μὲν χρὴ θύειν“ ἔφη „ἢ ὅ τι εὔχεσθαι ἢ ὅτῳ, Κάλχας ἐρεῖ, μαντικῆς γὰρ τὰ τοιαῦτα, τὰ δὲ ἐν τῷ οὐρανῷ καὶ εἴ τις τῶν ἄστρων ἀταξία τε καὶ τάξις, Ζεὺς οἶδεν, ὑφ’ οὗ ταῦτα κεκόσμηταί τε καὶ εὕρηται, σὺ δέ, Παλάμηδες, ἧττον ληρήσεις προσέχων τῇ γῇ μᾶλλον ἢ τὰ ἐν τῷ οὐρανῷ σοφιζόμενος.“ ὑπολαβὼν οὖν ὁ Παλαμήδης „εἰ σοφὸς ἦσθα, ὦ Ὀδυσσεῦ“, εἶπεν „ξυνῆκας ἄν, ὅτι μηδεὶς ἂν δύναιτο λέγειν σοφόν τι περὶ τῶν οὐρανίων μὴ πλείω περὶ τῆς γῆς γιγνώσκων. σὲ δὲ ἀπολελεῖφθαι τούτων οὐκ ἀπιστῶ, φασὶ γὰρ ὑμῖν τοῖς Ἰθακησίοις μήτε ὥρας μήτε γῆν εἶναι.“ ἐκ τούτων ὁ μὲν Ὀδυσσεὺς ἀπῆλθεν ὀργῆς πλέως, Παλαμήδης δὲ ὡς πρὸς βασκαίνοντα ἤδη παρασκευάζων ἑαυτόν.

5. Il y eut une éclipse de soleil à Troie et l'armée était abattue, parce qu'elle l'interprétait comme un présage de Zeus pour l'avenir. 6. Palamède s'avança alors et expliqua ce phénomène solaire : comme la lune passait devant lui, il était obscurci et provoquait les ténèbres. "Si c'est le signe de quelque malheur, peut-être, dit-il, les Troyens en seront-ils persuadés, puisqu'ils ont pris l'initiative d'une injustice dont nous étions les victimes quand nous sommes venus. Il convient donc, lorsqu'Hélios réapparaîtra, de lui faire une prière et de lui sacrifier un poulain blanc non dressé". 7. Les Achéens l'approuvèrent, séduits par les paroles de Palamède, mais Ulysse s'avança et dit : "Ce qu'il faut sacrifier, quelle prière faire et à qui, c'est à Calchas de le dire : cela relève de la divination. Les phénomènes célestes, le bon ou mauvais emplacement des astres, c'est Zeus qui les connaît, puisqu'il les a organisés et créés. Toi, Palamède, tu diras moins de sottises en t'occupant de la terre au lieu parler du ciel en sophiste." 8. Ce à quoi Palamède répondit : "Si tu étais sage, Ulysse, tu aurais compris que personne ne peut parler du ciel avec pertinence sans connaître d'abord la terre. Que tu aies des lacunes dans ce domaine, je n'en doute guère : on dit que vous, en Ithaque, vous n'avez ni saisons ni terre". Sur ce, Ulysse s'en alla, fou de rage, et Palamède se prépara à se défendre contre un personnage qui le jalousait déjà.

ἐν ἐκκλησίᾳ δέ ποτε τῶν Ἀχαιῶν ὄντων γέρανοι μὲν ἔτυχον πετόμεναι τὸν εἰωθότα αὐταῖς τρόπον, ὁ δὲ Ὀδυσσεὺς ἐς τὸν Παλαμήδην βλέψας „αἱ γέρανοι“ ἔφη „μαρτύρονται τοὺς Ἀχαιούς, ὅτι αὐταὶ γράμματα εὗρον, οὐχὶ σύ.“ καὶ ὁ Παλαμήδης „ἐγὼ γράμματα οὐχ εὗρον“ εἶπεν, „ἀλλ’ ὑπ’ αὐτῶν εὑρέθην· πάλαι γὰρ ταῦτα ἐν Μουσῶν οἴκῳ κείμενα ἐδεῖτο ἀνδρὸς τοιούτου, θεοὶ δὲ τὰ τοιαῦτα δι’ ἀνδρῶν σοφῶν ἀναφαίνουσι. γέρανοι μὲν οὖν οὐ μεταποιοῦνται γραμμάτων, ἀλλὰ τάξιν ἐπαινοῦσαι πέτονται, πορεύονται γὰρ ἐς Λιβύην ξυνάψουσαι πόλεμον σμικροῖς ἀνθρώποις, σὺ δ’ οὐδὲν ἂν περὶ τάξεως εἴποις, ἀτακτεῖς γὰρ τὰς μάχας.“

10. Un jour, pendant l'assemblée des Achéens, des grues passèrent en volant dans leur disposition habituelle ; Ulysse dit alors en regardant vers Palamède : "Les grues montrent bien aux Achéens que ce sont elles qui ont trouvé les lettres de l'alphabet, pas toi". 11. Alors Palamède : "Je n'ai pas trouvé les lettres, j'ai été trouvé par elles : elles étaient depuis longtemps dans la maison des Muses et avaient besoin d'un homme tel que moi : les dieux révèlent de telles choses aux hommes savants. Les grues ne revendiquent pas les lettres, mais elles volent en approuvant leur organisation, et elles vont en Libye faire la guerre aux Pygmées. Quant à toi, tu ne devrais pas parler d'organisation, vu ta désorganisation au combat."

C/ Un bon guerrier

τὸν Ἀχιλλέα στρατεύοντα ἐπὶ τὰς νήσους καὶ τὰς ἀκταίας πόλεις αἰτῆσαι τοὺς Ἀχαιοὺς ξὺν Παλαμήδει στρατεῦσαι. ἐμάχοντο δὲ ὁ μὲν Παλαμήδης γενναίως καὶ σωφρόνως, ὁ δὲ Ἀχιλλεὺς οὐ καθεκτῶς, ὁ γὰρ θυμὸς ἐξαίρων αὐτὸν ἐς ἀταξίαν ἦγεν· ὅθεν ἔχαιρε τῷ Παλαμήδει ξυνασπίζοντι καὶ ἀπάγοντι μὲν αὐτὸν τῆς φορᾶς, ὑποτιθεμένῳ δέ, ὡς χρὴ μάχεσθαι. καὶ γὰρ δὴ καὶ ἐῴκει λεοντοκόμῳ λέοντα γενναῖον πραύνοντι καὶ ἐγείροντι, καὶ οὐδὲ ἐκκλίνων ταῦτα ἔπραττεν, ἀλλὰ καὶ βάλλων καὶ φυλαττόμενος βέλη καὶ ἀσπίδα ἀντερείδων καὶ διώκων στῖφος. [...] αἱ μὲν οὖν πόλεις ἡλίσκοντο καὶ εὐδόκιμα τοῦ Παλαμήδους ἔργα ἀπηγγέλλετο ἰσθμῶν διορυχαὶ καὶ ποταμοὶ ἐς τὰς πόλεις ἐπιστρεφόμενοι καὶ σταυροὶ λιμένων καὶ ἐπιτειχίσματα νυκτομαχία τε ἡ περὶ Ἄβυδον, ὁπότε τρωθέντες ὁ μὲν Ἀχιλλεὺς ἀνεχώρησεν, ὁ Παλαμήδης δὲ οὐκ ἀπεῖπεν, ἀλλὰ πρὶν μέσην ἑστάναι νύκτα, εἷλε τὸ χωρίον.

21. Achille, pour sa guerre contre les îles et les cités de la côte, demanda aux Achéens de faire campagne avec Palamède ; ce dernier combattait avec noblesse et sagesse, et Achille sans retenue, car l'emportement qui l'exaltait lui faisait quitter les rangs. Il se réjouissait donc d'avoir Palamède comme camarade de combat : ce dernier le sortait de la mêlée et lui montrait comment se battre en bataille rangée. Bien mieux, il ressemblait à un dresseur de lion qui apprivoise et dresse un lion de noble race, et il le faisait sans se détourner, en continuant à lancer des traits et à se garder de ceux d'en face, bouclier contre bouclier, et en faisant avancer la troupe en carré [...] 23. Les villes étaient prises et on rapportait les exploits de Palamède : tranchées creusées de part en part des isthmes, fleuves détournés vers les villes, fondations de ports, fortifications, et une bataille de nuit près d'Abydos, au cours de laquelle, alors qu'ils étaient blessés, Achille fit retraite mais Palamède, sans renoncer, emporta la place avant minuit.

D/ La beauté de Palamède

μέγεθος μὲν τοίνυν αὐτὸν κατὰ Αἴαντα τὸν μείζω γενέσθαι, κάλλος δὲ Ἀχιλλεῖ τε ἁμιλλᾶσθαι καὶ Ἀντιλόχῳ καὶ ἑαυτῷ φησιν ὁ Πρωτεσίλεως καὶ Εὐφόρβῳ τῷ Τρωί, γένεια μὲν γὰρ αὐτῷ ἁπαλὰ ἐκφύεσθαι καὶ ξὺν ἐπαγγελίᾳ βοστρύχων, τὴν κόμην δὲ ἐν χρῷ εἶναι, τὰς δὲ ὀφρῦς ἐλευθέρας τε καὶ ὀρθὰς καὶ ξυμβαλλούσας πρὸς τὴν ῥῖνα τετράγωνόν τε οὖσαν καὶ εὖ βεβηκυῖαν. τὸν δὲ τῶν ὀφθαλμῶν νοῦν ἐν μὲν ταῖς κυῖαν. τὸν δὲ τῶν ὀφθαλμῶν νοῦν ἐν μὲν ταῖς μάχαις ἄτρεπτόν τε φαίνεσθαι καὶ γοργόν, ἐν δὲ τῇ ἡσυχίᾳ φιλέταιρόν τε καὶ εὐπροσήγορον τὰς βολάς, λέγεται δὲ καὶ μεγίστοις ἀνθρώπων ὀφθαλμοῖς χρήσασθαι. καὶ μὴν καὶ γυμνόν φησι τὸν Παλαμήδην μέσα φέρεσθαι βαρέος ἀθλητοῦ καὶ κούφου καὶ αὐχμὸν περὶ τῷ προσώπῳ ἔχειν πολὺν ἡδίω τῶν Εὐφόρβου πλοκάμων τῶν χρυσῶν·

39. Il avait la même taille que le grand Ajax ; mais en beauté, d'après Protésilaos, il rivalisait avec Achille, Antiloque, Protésilaos lui-même et le Troyen Euphorbe. Il avait une légère barbe naissante qui laissait présager des boucles, des cheveux coupés court, des sourcils nobles, droits, qui se rejoignaient au-dessus du nez, qui était lui-même parfaitement régulier et bien planté. 40. Son regard dans les batailles était droit et ardent, mais au repos il était amical et affable. On dit qu'il avait les plus grands yeux du monde. 41. Bien plus, d'après Protésilaos, quand il était nu Palamède avait une corpulence intermédiaire entre celles d'un athlète et d'un homme mince ; son visage avait des traits rudes, bien plus agréables que les boucles d'or d'Euphorbe.

E/ Le mode de vie et la sagesse de Palamède

αὐχμοῦ δὲ ἐπεμεμέλητο ὑπὸ τοῦ καθεύδειν τε, ὡς ἔτυχεν, αὐλίζεσθαί τε πολλάκις ἐν τῇ ἀκρωνυχίᾳ τῆς Ἴδης ἐν σχολῇ τῶν πολεμικῶν· τὴν γὰρ κατάληψιν τῶν μετεώρων ἐντεῦθεν ἀπὸ τῶν ὑψηλοτάτων οἱ σοφοὶ ποιοῦνται. ἦγε δὲ ἐς Ἴλιον οὔτε ναῦν οὔτε ἄνδρα, ἀλλ’ ἐν πορθμείῳ ξὺν Οἴακι τῷ ἀδελφῷ ἔπλευσε πολλῶν, φασί, βραχιόνων ἀντάξιον ἑαυτὸν ἡγούμενος. οὐδὲ ἀκόλουθος ἦν αὐτῷ οὐδὲ θεράπων οὐδὲ Τέκμησσά τις ἢ Ἶφις λούουσά τε καὶ στρωννῦσα τὸ λέχος, ἀλλ’ αὐτουργὸς βίος καὶ ἔξω τοῦ κατεσκευάσθαι. εἰπόντος γοῦν ποτε πρὸς αὐτὸν Ἀχιλλέως „ὦ Παλάμηδες, ἀγροικότερος φαίνῃ τοῖς πολλοῖς, ὅτι μὴ πέπασαι τὸν θεραπεύσοντα“ „τί οὖν“, ὦ Ἀχιλλεῦ, ταῦτα;“ ἔφη τὼ χεῖρε προτείνας ἄμφω. διδόντων δὲ αὐτῷ τῶν Ἀχαιῶν ἐκ δασμοῦ χρήματα καὶ κελευόντων αὐτὸν πλουτεῖν „οὐ λαμβάνω“, ἔφη „κἀγὼ γὰρ ὑμᾶς κελεύω πένεσθαι καὶ οὐ πείθεσθε“. ἐρομένου δέ ποτε αὐτὸν Ὀδυσσέως ἐξ ἀστρονομίας ἥκοντα „τί πλέον ἡμῶν ὁρᾷς ἐν τῷ οὐρανῷ„; „τοὺς κακοὺς“ εἶπεν. ἀμείνων δ’ ἂν ἦν τοὺς Ἀχαιοὺς ἐκδιδάξας, ὅτῳ ποτὲ τῶν τρόπων φανεροὶ οἱ κακοί· οὐ γὰρ ἂν προσήκαντο τὸν Ὀδυσσέα ἐπαντλοῦντα αὐτῷ ψευδεῖς οὕτω καὶ πανούργους τέχνας.

42. Il cultivait cette rudesse en dormant n'importe où et en campant souvent au sommet de l'Ida pendant les temps morts de la guerre ; car les savants observent les astres justement depuis les points les plus élevés. Il alla à Troie sans navire et sans hommes, mais sur un bateau de transport, avec son frère Oiax, considérant, à ce qu'on dit, qu'il valait autant que bien des bras. Il n'avait ni serviteur ni compagnon, pas de Tecmesse ou d'Iphis pour le laver ou dresser son lit : il menait une vie simple et sans bagages. Achille lui dit un jour : "Palamède, tu passes aux yeux de beaucoup de gens pour assez rustique, parce que tu n'as pas de serviteur. - Et cela, Achille, qu'est-ce que c'est ?" lui répondit-il en lui montrant ses deux mains. Quand les Achéens lui donnèrent une part du butin et l'invitèrent à s'enrichir : "Je refuse, car moi je vous invite à être pauvres, et vous refusez". Un jour qu'il venait d'observer les astres, Ulysse lui demanda : "Que vois-tu de plus que nous dans le ciel ? - Les méchants", répondit-il. Il aurait bien mieux fait d'apprendre aux Achéens comment se révélaient ces méchants : car ils n'auraient pas suivi Ulysse quand ce dernier déversa sur lui des mensonges et des trames sournoises.

Que devient Palamède à présent dans la littérature tardo-latine, byzantine et médiévale ? C'est ce que vous saurez en lisant la contribution du professeur Francesco Chiappinelli.


Références des traductions