XL. De Penelope Ulixis coniuge.Penelopes Ycari regis filia fuit et Ulixis strenuissimi viri coniunx : illibati decoris atque intemerate pudicitie matronis exemplum sanctissimum et eternum. Huius quidem pudoris vires a fortuna acriter agitate, sed frustra, sunt ; nam cum iuvencula virgo, et ob venustatem forme plurimum diligenda, a patre iuncta fuisset Ulixi peperissetque ex eo Thelemacum ; et ecce in expeditionem troiani belli vocatus, imo vi fere tractus, Ulixes, ab eo cum Laerte patre iam sene et Anthyclia matre et parvo filio relicta est. Sane, perseverante bello, nullam preter decennalem viduitatis iniuriam passa est. Attamen, Ylione deiecto, cum repetentes domum proceres aut in scopulos tempestate maris illisos, aut in peregrinum litus inpulsos aut undis absortos, seu paucos in patriam receptos, fama monstraret, solius Ulixis erat incertum quo cursum tenuissent naves. Quam ob rem cum expectatus diu non reverteretur in patriam, nec appareret ab ullo usquam visum, mortuus existimatus est ; qua credulitate Anthyclia genitrix miseranda, ad leniendum dolorem, vitam terminavit laqueo. Penelopes autem, etsi egre plurimum ferret viri absentiam, longe tulit egrius sinistram mortis eius suspitionem. Sed post multas lacrimas et Ulixem frustra vocatum sepissime, inter senem Laertem et Thelemacum puerum in castissimam et perpetuam viduitatem senescere firmato animo disposuit. Verum cum et forma decens moresque probabiles et egregium genus ad se diligendam atque concupiscendam quorundam nobilium ex Ythachia atque Cephalania et Etholia provocasset animos, plurimum instigationibus eorum vexata est. Nam cum in dies spes vite Ulixis aut reditus eiusdem continuo videretur minui, eo ventum est ut, abeunte rus ob fastidium procatorum Laerte, procatores ipsi Ulixis occuparent regiam et Penelopem precibus atque suasionibus pro viribus, et sepissime, in suum provocarent coniugium. | Boccace, De claris mulieribus |
Ast mulier, metuens ne forte sacri pectoris violaretur propositum, cum iam cerneret viam negationibus auferri, divino profecto illustrata lumine, terminis et astutia infestos, saltem ad tempus, fallendos esse arbitrata est; petiit instantibus sibi tam diu liceret expectare virum donec telam, quam more regalium mulierum ceperat, perfecisse posset. Quod cum facile concessissent competitores egregii, ipsa femineo astu quicquid in die solerti studio texens videbatur operi iungere, clam revocatis filis, subtrahebat in nocte. Qua arte cum eos in regia Ulixis bona assiduis conviviis consumentes aliquandiu lusisset, nec iam amplius videretur locum fraudi posse prestari, Dei pietate factum est ut ex Pheycum regno navigans, post vigesimum sui discessus annum, solus et incognitus Ulixes Ythachiam veniret pastoresque suos scitaturus rerum suarum statum adiret ; et cum ex astutia pauper incessisset habitu, a Sybote iam sene porcario suo comiter susceptus, ab eodem referente fere omnem rerum suarum comprehendit seriem et Thelemacum a Menelao redeuntem vidit seque clam illi cognitum fecit et consilium suum aperuit omne; factumque est ut a Sybote incognitus deduceretur in patriam. Quo cum vidisset quo pacto rem suam traherent procatores atque pudicam Penelopem eorum renuentem coniugium, irritatus, cum Sybote subulco et Phylitia opilione suo atque Thelemaco Elio, clausis regie ianuis, in procatores convivantes insurgens, Eurimacum, Polibi filium, et Anthinoum, Anphinonem atque Clisippum samium, Agelaum aliosque, frustra veniam exorantes, una cum Melantheo caprario suo, hostibus arma ministrante, atque mulieribus domesticis, quas noverat cum procatoribus contubernium habuisse, occidit; suamque Penelopem ab insidiis procantium liberavit. Que tandem, cum vix eum recognoscere potuisset, summo perfusa gaudio, diu desideratum suscepit. Vult tamen Lycophron quidam, novissimus poetarum ex Grecis, hanc suasionibus Nauplii senis, ob vindictam occisi Palamedis filii sui, fere omnes Grecorum coniuges lenocinio in meretricium deducentis, Penelopem cum aliquo ex procatoribus in amplexus et concubitum venisse. Quod absit ut credam, celebrem castimonia multorum autorum literis mulierem, unius in contrarium asserentis, Penelopem preter castissimam extitisse. Cuius quidem virtus tanto clarior atque commendabilior quanto rarior invenitur et, maiori inpulsa certamine, perseveravit constantior inconcussa.
De Pénélope, femme d'Ulysse
Pénélope, très saint et très éternel exemple de pudicité à toutes femmes, fut fille du roi Icarus et femme d'Ulysse, homme très prudent et de grande finesse ; la constance de laquelle Pénélope, en ferme propos de garder cette chasteté conjugale, fut par diverses manières combattue de fortune mais en vain, comme vous orrez.
Etant jeune fille, digne d'être aimée de plusieurs par sa beauté gracieuse, fut par son père mariée à Ulysse ; duquel engendra un fils nommé Télémaque. Peu de temps après, il la laissa, ensemble son petit fils, avec Laerte son père et Anticlée sa mère, déjà vieux tous deux, et pour garder la maison, étant appelé, ou plutôt tiré presque par force à la guerre de Troie. Durant laquelle guerre la bonne Dame n'endura aucune peine, sinon que d'être sans mari l'espace de dix ans seulement.
Mais encore cela ne lui fut point si grief à porter que le malheureux soupçon que l'on eut longtemps de la mort d'icelui. Car après que l'on eut fait courir le bruit que peu de ces princes qui étaient à la destruction de Troie s'en étaient retournés à sauveté en leur maison, ayant les uns été par fortune de mer engloutis au profond et les autres tués par diverses aventures, et ne se trouvant aucun qui approtât nouvelles où Ulysse fût abordé, ni qu'il était devenu, après avoir été longtemps attendu, on crut fermement par toute la Grèce qu'il était mort ; en sorte que la piteuse Dame Anticlée, sa mère, par une telle créance n'en pouvant supporter la douleur, finit sa vie en s'étranglant ; et sa bonne épouse, quand elle l'eut pleuré et regretté par plusieurs jours, le huchant pour néant par son nom, de coeur délibéré proposa de vouloir vivre le demeurant de sa vie veuve et chaste, avec son fils Télémaque et le vieillard Laerte.
De quoi la cuidèrent bien empêcher les importunes requêtes de plusieurs amants : pour ce qu'à raison de sa merveilleuse beauté, de ses bonnes moeurs, de la noblesse de sa race, avait provoqué les coeurs de plusieurs seigneurs d'ithaque, de Céphalonie et d'Etolie, non seulement à l'aimer mais aussi à la désirer pour femme ; de manière qu'elle commença d'être fort vivement importunée de leurs poursuites. Quoi voyant, Laerte, tout fâché de cette multitude d'amoureux et lui faillant de jour en jour l'espoir de la vie ou du retour d'Ulysse, s'en alla passer son ennui aux champs et y faire sa demeure ; dont ces beaux mariollets prirent hardiesse d'entrer au palais d'Ulysse et recommencer plus fort que devant, par prières et persuasions amoureuses, le plus instamment qu'ils pouvaient, à demander sa femme en mariage. A cause de quoi la chaste Dame, craignant que sa sainte délibération ne trébuchât, vu qu'elle ne pouvait plus les entretenir d'excuses, par la grâce divine s'avisa d'essayer si, à tout le moins, elle pourrait point les tromper pour quelque temps par sa finesse : et ainsi les pria de lui faire cette grâce de la laisser attendre son mari jusques à tant qu'elle eût achevé certaine toile qu'elle leur montra toute commencée, ainsi que les Dames nobles et royales s'amusent alors à tels exercices. Ce que lui étant octroyé facilement par ces messieurs les amoureux, d'un esprit de femme caute et fine, défaisait de nuit en cachette, retirant les filets, ce qu'elle avait fait de jour en grande diligence. Par laquelle astuce ayant la sage Dame une bonne espace de temps trompé ces fâcheux importuns, qui cependant demeuraient au palais roya d'Ulysse, dépensant son bien par grands banquets et festins, lors que le temps approchait qu'elle ne les pourrait plus guère tromer, advint, par la grâce de Dieu, qu'après le vingtième an de son départ Ulysse, revenant du royaume de Phénicie, arriva par mer en Ithaque seul et inconnu.
Puis s'en alla trouver ses pasteurs pour savoir d'eux en quels termes étaient ses affaires ; et combien qu'il se fût expressément vêtu de pauvres accoutrements, fut reconnu et humainement reçu de Sybootes, son ancien porcher, duquel il entendit presque tout le train de ses affaires ; et vit Télémaque qui revenait de chez le roi Ménélas, auquel il se fit couvertement connaître, lui communiquant sa délibération. Après, se fit mener, tout ainsi déguisé qu'il était, en son pays par Sybootes ; et là, voyant comment ces maoureux dépensaient son avoir, poursuivant continuellement sa Pénélopequi refusait de se marier à pas un d'eux, enflambé d'une colère subite, fit fermer les portes du palais et en compagnie de Sybootes et de Philoetios ses porchers et de Télémaque son fils, prit les armes, assaillant cette troupe inutile qui banquetait à sa table si brusquement qu'il tua Eurymaque, fils de de Polybe, Antinous fils d'Amphion, Chrysippe, Samius, Agelaus et plusieurs autres qui pour néant lui requéraient merci, avec Mélantheus son porcher, pour ce qu'il avait baillé les armes à ses ennemis, tuant aussi tous ceux de sa maison qu'il sut avoir quelque intelligence avec les susdits.
Et par ainsi, délivra d'ennuis et d'importunités sa femme Pénélope, qui le reçut en très grande joie après l'avoir longtemps désiré et à peine reconnu.
Toutefois, nonobstant tout ce que dessus, Lycophron, l'un des plus modernes poètes grecs, soutient qu'elle eut affaire par amour avec aucuns de ses amoureux, par les persuasions de Nauplius le vieillard qui s'efforça de faire commettre adultère presque à toutes femmes des seigneurs qui étaient allés à Troie, pour venger la mort de son fils Palamède qui avait été occis par le conseil d'Ulysse. Mais quant à moi, je ne croirai jamais, par les paroles d'un seul qui dit le contraire, que Pénélope, tenue pour Dame chaste et pudique par plusieurs auteurs dignes de foi, fut oncques autre que très honnête ; la vertu de laquelle est d'autant plus noble et louable que moins s'en rencontre de telles, et d'autant plus encore qu'étant grandement sollicitée et poursuivie d'infinis amants, moins se laissa gagner, se défendant vaillamment par un long temps, avec merveilleuse constance, contre leurs tentations.
Traduction par Guillaume Rouville, 1551 ; la ponctuation et l'orthographe ont été modernisées.