Chapitre 38 - Petites affiches

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La porte d'Herculanum - in Chevalier (1888) p.89

Nous suivîmes la voie Consulaire et nous arrivâmes à la porte d'Herculanum. Disons un mot de la voie Consulaire et de la porte d'Herculanum ; puis nous ferons un tour dans la ville même de Pompéi.

La voie Consulaire était un rameau de cette fameuse voie Appienne qui allait de Rome à Naples ; elle la joignait au nord à Capoue, et s'étendait au midi jusqu'à Reggio : c'était la troisième voie romaine décrite par Strabon, qui passait par le pays des Brutiens, la Lucanie, le Samnium, la Campanie, où elle rejoignait la voie Appienne.

Ces grands chemins étaient sous l'inspection des censeurs, qui devaient les tenir en bon état. Tite-Live trace à ces estimables magistrats les devoirs qu'ils avaient à remplir à cet égard. «Les censeurs, dit-il, doivent, dans l'intérieur des villes, faire construire les chemins avec de la pierre de silex ; mais, dans la campagne et hors les murs, c'est avec des cailloux que les routes et les trottoirs doivent être fabriqués». Or, qu'était-ce que ces chemins en cailloutis, si ce n'est nos routes ferrées ? M. Mac-Adam est un grand plagiaire d'avoir donné la recette comme de lui, tandis qu'elle date, ainsi qu'on le voit, d'une vingtaine d'années avant le Christ.

La ville de Pompéi est encore aujourd'hui pavée selon les règlements de l'époque. Seulement, hors des murs, dans la campagne, les routes se sont un peu détériorées, et il n'y aurait pas de mal que les censeurs s'en occupassent.

Quant à la porte d'Herculanum, il n'y faut rien changer, elle est bien celle qui convient à la nécropole à laquelle elle donne entrée : ruine qui conduit à des ruines, poterne sans gardes qui mène à une ville sans habitants.

Sa voûte s'est écroulée, lassée qu'elle était de porter dix-sept siècles. La herse s'est faite poussière comme la poussière qui la couvrait ; mais les ouvertures latérales, plus étroites et plus basses, ont conservé leurs voûtes ; on voit encore la rainure où glissait la barrière disparue.

En arrivant sur le seuil de Pompéi, on s'arrête un instant, on regarde autour de soi, on regarde devant soi, on plonge les yeux devant toutes les courbures des rues, dans tous les angles des ruines, dans tous les plis du terrain ; on ne voit pas un être vivant ; on écoute, on n'entend pas un seul bruit.

Alors se présente un escalier aux larges marches ; cet escalier conduit aux murailles publiques, qui furent découvertes de 1811 à 1814, c'est-à-dire pendant le règne de Murat.

Ces murailles furent bâties, comme celles de Fiesole, de Roselle et de Volterra, avec de grandes pierres de travertin à leur base, et dans leur partie supérieure avec des pierres volcaniques posées les unes sur les autres, sans autre lien que leur propre aplomb, sans autre ciment que leur seul poids. Trois chars pouvaient y passer de front, et aujourd'hui l'on peut s'y promener comme aux jours de Sylla et de Cicéron.

Des lettres osques et étrusques sont gravées sur le revers de chaque pierre ; on suppose que, ces pierres se taillant d'avance dans la carrière d'où on les tirait, les lettres étaient des signes tracés par les ouvriers pour reconnaître la position qu'était destinée à occuper chacune d'elles.

Du haut de cette muraille, on plane, comme Asmodée, sur une ville sans toits.

En redescendant de la muraille, on trouve à gauche la maison du Triclinium ; un banc recouvert d'une treille lui a fait donner ce nom gastronomique. Elle avait été mise par son maître sous la garde de la Fortune, dont on retrouva l'image dans une espèce de petite chapelle.

En face de cette maison est celle de Jules Polybe. Il n'y avait point à se tromper sur celle-là, le nom de JVLIVS POLIBIVS étant écrit sur la porte en lettres noires.

Maintenant, quelle était sa destination ? Les savants veulent, les uns que ce soit une auberge, les autres un relais de poste. Ils se fondent sur ce qu'on y a trouvé des ossements de chevaux et des pièces de fer qui ne pouvaient être que des essieux.

Après cette maison s'élève un grand pilier dont la nature occupa fort l'académie d'Herculanum. Elle prétendit d'abord, entre autres choses, que cette image était un talisman contre la jettatura, et puis elle y reconnut une enseigne de bijoutier. Comme cette opinion était la moins plausible, tout le monde s'y rallia.

Il est vrai que les fouilles exécutées dans la maison attenante produisirent une très grande quantité d'objets pareils en corail, en or et en argent, lesquels se portaient autrefois comme se portent encore aujourd'hui à Naples les mains et les cornes. Il faut dire le pour et le contre.

Mais ce qui nous frappa surtout, c'est la quantité, la variété des inscriptions en lettres noires ou rouges, en caractères osques ou samnites, en latin ou en grec, qui couvrent les murailles. Londres, la ville des puffs par excellence, où chaque coin de muraille blanche est loué, où les affiches, après s'être hissées du premier au second étage, grimpent du second étage au troisième, enjambent le toit et vont se coller à la cheminée, Londres est, sous ce rapport, bien en arrière de Pompéi : qu'est-ce qu'un malheureux lambeau de papier que le premier vent emporte, que la première pluie décolle, que le premier gamin arrache, près de cette encre indélébile qui dure depuis dix huit cents ans !

Aussi, au lieu d'entrer tout d'abord dans les maisons, nous nous mîmes à courir les rues le nez en l'air comme de véritables badauds, lisant les enseignes des boutiques et les affiches des spectacles, exactement comme ces provinciaux qui se demandent : «Achèterons-nous une canne ou un parapluie ? irons-nous aux Variétés ou à l'Opéra ?» N'est-ce pas une chose curieuse, en effet, que de voir encore survivre aux habitants, aux maisons, à la ville, cet intérêt personnel qui, alors comme aujourd'hui, par les plus humbles prières et par les plus belles promesses, essayait d'attirer à lui l'attention du public, les faveurs des puissants, l'argent de tous ?

Voulez-vous lire quelques-unes de ces inscriptions ? Voici les plus curieuses :

Marcellinum aedilem lignarii et plausirarii rogant ut faveat.

Ce qui veut dire :

«Les charpentiers et les charretiers se recommandent à l'édile Marcellinus».

Voulez-vous savoir où vous pouviez loger ? Tâchez de déchiffrer cet avis en langue étrusque :

EKSVC. AMVIANVR. EITVNS. ANTER. TIVRRI.
XII. INI. HEIS. ARINV. PVPH. PHAAMAT.
MR. AARIRIIS. V.

Ce qui signifie, au dire des gens qui parlent étrusque, et je prie le lecteur de ne pas me confondre avec ces messieurs :

«Voyageur, en traversant d'ici à la douzième tour, tu trouveras Sarinus, fils de Publius, qui tient auberge. Salut !»

Maintenant que vous savez où vous loger, voulez-vous aller au spectacle ? Appelez le garçon et dites-lui d'aller vous louer une place. Il vous rapportera un billet ainsi conçu :

CAR. II
CUN. III
GRAD. VIII
CASINA
PLAUTI

Vous voilà tranquille : vous avez la seconde travée, dans le troisième coin, sur le huitième gradin, et l'on joue la Casina de Plaute.

Au reste, si vous aimez mieux les spectacles du cirque que ceux du théâtre, si vous préférez la réalité à la fiction, faites mieux, allez jusqu'au carrefour de la Fontaine ; c'est là que sont les programmes des spectacles ; il y en a pour tous les goûts. Voyez :

Glad. paria XXX. matutini erunt.
«Trente paires de gladiateurs combattront au lever du soleil».

Car, vous le savez, les combats de gladiateurs étaient si appréciés des Romains, qu'il y avait ordinairement deux combats de ce genre par jour, l'un le matin, l'autre à midi : il fallait bien faire quelque chose pour les paresseux.

Aimez-vous mieux une chasse ? Vous savez ce que les Romains appelaient une chasse ? On plantait des arbres dans l'amphithéâtre pour simuler une forêt, puis dans cette forêt on lâchait deux ou trois lions, quatre ou cinq tigres, cinq ou six panthères, un rhinocéros, un éléphant, un boa et un crocodile ; puis une dizaine de bestiaires entraient, et la lutte de l'instinct et du jugement, de la force et de l'adresse commençait.

Aussi, c'est là que véritablement les Romains se récréaient. Avec les hommes, nature civilisée, combattants sortis de l'école, meurtriers qui se poignardaient avec art, tout était à peu près prévu d'avance. On aurait pu, pour peu qu'on fût un habitué, donner le programme de l'assaut, dire comment tel maître porterait tel coup, comment tel autre le parerait. Mais avec les lions, avec les tigres, avec les panthères, avec les rhinocéros, avec les boas et les crocodiles, c'était bien différent ; là, tout était imprévu. Chaque animal déployait le courage, la force ou la ruse qui lui étaient propre : c'était véritablement un combat, c'était plus qu'un combat, c'était un carnage.



Combats de gladiateurs sur le tombeau de Scaurus
in Chevalier (1888) p.171

Les duels entre gladiateurs finissaient tous de la même manière à peu près : le blessé tombait sur un genou, s'avouait vaincu, tendait la gorge et recevait le coup de la manière la plus gracieuse qu'il lui était possible. Mais on se lasse de tout, même de voir mourir avec grâce. Puis, d'ailleurs, ces diables de gladiateurs s'entendaient entre eux ; ils ne se faisaient pas souffrir le moins du monde : ils coupaient la carotide, et tout était dit. Il y avait si peu d'agonie que ce n'était pas la peine d'en parler ; tandis que les animaux, peste ! ils n'y mettaient pas de complaisance ; ils frappaient où ils pouvaient et comme ils pouvaient, des dents, des griffes, de la corne ; ils brisaient bras et jambes, faisaient voler des lambeaux de chair jusqu'au trône de l'empereur, jusqu'à la tribune des vestales et des chevaliers ; ils s'acharnaient sur le moribond, lui fouillaient la poitrine, lui rongeaient la tête, lui buvaient le sang ; il n'y avait pas moyen de prendre une pose théâtrale, de choisir une attitude académique : il fallait souffrir, il fallait se débattre, il fallait crier ; cela du moins, c'était amusant à voir, c'était curieux à étudier ! Aussi, l'empereur Claude, de grotesque mémoire, ne s'en rassasiait-il pas. Il y venait au point du jour, il y restait jusqu'à midi, et souvent encore, quand le peuple s'en allait pour dîner, il demeurait seul sur son trône, interrogeait l'inspecteur des jeux sur l'heure où ils allaient recommencer. Eh bien ! je vous le disais, avez-vous les goûts de l'empereur Claude ? Voici votre affaire.

N. Popidi
Rufi. fam. glad. IV. H. nov. Pompeis
Venatione et XII. H. mai.
Mala et vela erunt
O. Procurator, felicitas.

«La troupe des gladiateurs de Numerius Popidius Rufus donnera une chasse à Pompéi, le quatrième jour des calendes de novembre et le douzième jour des calendes de mai. On y déploiera les voiles. Octavius, procurateur des jeux. Salut !»

Annonce de boutiques à louer
in Lagrèze (1888) p.165

Au reste, si vous ne vous trouvez pas bien dans l'auberge de M. Varinus, vous savez que vous pouvez vous loger en ville. Cherchez, il y a des pancartes d'appartements à louer de tous côtés. Un second étage vous va-t il ?

«Cneus Pompeius Diogenes louera aux calendes de juillet l'étage supérieur de sa maison».

Ou bien aimez-vous mieux être principal locataire et gagner quelque chose en détaillant ? Il y a une certaine Julia Felix, fille de Spurius, qui propose de louer, du premier au six des ides d'août, et pour cinq années consécutives, une partie de son patrimoine, se composant d'un appartement de bains, d'un venereum, et de neuf cents boutiques et étaux. Seulement vous êtes prévenu que c'est une personne honnête et qui tient à ce qu'il ne se passe chez elle que des choses convenables. Autrement le bail sera résilié de plein droit. Voici les conditions ; c'est à prendre ou à laisser :

In praediis Juliae S.P.F. Felicis locantur balneum,
Venereum et nongentum tabernae, pergulae.
Coenacula et idibus Aug. primis, in id.
Aug. sextas, annos continues quinque
S. Q. D. L. E. N. C.

Je vous avais bien qu'elle était très sévère ; sa dernière condition n'est indiquée que par des initiales.

Maintenant, si vous n'êtes venu ni pour louer ni pour sous-louer, si vous ne voulez pas dépenser votre argent au théâtre ou au cirque, si votre bourse est vide, ce qui peut arriver aux plus honnêtes gens de la terre, et ce qui arrive même plutôt à ceux-là qu'à d'autres, attendez jusqu'au jour des calendes de juin : l'édile donne spectacle gratis.

Vous savez ce que c'est qu'un édile, n'est-ce pas ? C'est un homme qui a mangé le tiers de sa fortune pour arriver où il est, et qui mangera les deux autres tiers pour devenir préteur. Aussi, quant à la justice qu'il doit rendre, il ne s'en occupe pas le moins du monde. Jugeât-il comme l'empereur Claude depuis le matin jusqu'au soir, personne ne lui en aurait la moindre obligation. Non, son état est d'amuser le peuple ; c'est pour cela que le peuple l'a nommé. Aussi donne-t-il une fête tous les huit jours, un combat de gladiateurs tous les mois, et une chasse tous les semestres. C'est que les animaux coûtent cher ; il faut les faire venir de l'Atlas, du Nil, de l'Inde. Avec le prix d'un lion à crinière, on achète huit gladiateurs. Les panthères coûtent six mille sesterces, et les tigres dix mille. On ne trouve plus de rhinocéros qu'au delà du lac Natron. Il faut remonter jusqu'à la troisième cataracte pour pêcher un crocodile de dix pieds, et le moindre boa est hors de prix.

Aulus Svezius Cerius, qui vous promet une chasse pour le mois de juin, sera ruiné au mois de septembre ; mais qu'importe ? Au mois d'octobre se font les élections, et si l'édile a bien amusé le peuple, il sera élu préteur, c'est-à- dire roi d'une province, non pas d'une province comme le Languedoc ou le Berry, la Bretagne ou l'Artois, l'Alsace ou la Franche-Comté : ce n'est pas de pareils lambeaux que Rome a pour provinces ; les provinces de Rome, c'est l'Afrique, l'Espagne, la Syrie, l'Egypte, la Grèce, la Cappadoce ou le Pont ; c'est mille lieues carrées de terrain, six cents villes, dix mille villages, vingt millions d'habitants, non pas à gouverner, non pas à régir, non pas à civiliser, mais à piller, à voler, à pressurer, car tout est au préteur ; le préteur a pleins pouvoirs, le préteur a droit de vie et de mort ; c'est au préteur les temples et les statues, les hommes et leurs trésors, les femmes et leur honneur. Tous les créanciers de l'édile ont suivi le préteur comme une meute : la province est leur curée ; chacun en emporte une bribe, une parcelle, un lambeau ; la province épure les comptes, paie les créanciers, enrichit le débiteur. On donnait à Tibère le conseil de changer les préteurs qu'il avait envoyés en Grèce, en Judée et en Egypte, attendu, disait-on, qu'ils dévoraient ces malheureuses provinces que tant d'autres avaient déjà dévorées avant eux. «Si vous chassez les mouches qui boivent le sang d'un blessé, répondait Tibère, il en reviendra d'autres à jeun, et par conséquent plus affamées».

Allez donc à la chasse du futur préteur, car il le sera, puisqu'il est assez riche pour donner le spectacle gratis aux soixante-dix mille spectateurs que contient le cirque. Voici son affiche :

La famille de gladiateurs d'Aulus Svezius Cerius, édile,
Combattra dans Pompéi
Le dernier jour des calendes de juin.
Il y aura chasse et velarium.

Le velarium, comme vous le savez, était une tente qui couvrait l'amphithéâtre. Il y en avait de toutes couleurs, de grises, de jaunes, de bleues. Néron en avait fait faire une en soie azurée avec des étoiles d'or, au milieu de laquelle il s'était fait représenter en Apollon, une lyre à la main et conduisant le char du soleil.

Maintenant, il y a peut-être quelque chose de plus curieux encore pour l'observateur que ces affiches pour ainsi dire officielles : ce sont ces lignes grossières, ces sentences de cabaret, ces refrains de taverne, tracés sur le mur avec la pointe d'un charbon ou l'extrémité d'un couteau. Allez dans la rue qui longe le petit théâtre, et vous y lirez les aventures amoureuses de deux soldats, arrivées sous le consulat de Marcus Messala et de Lucius Lentulus, c'est-à-dire trois ans avant la naissance du Christ. C'est une chose très plaisante.

Puis, pendant que vous y êtes, entrez dans le cabaret même : c'est une de ces riches thermopoles où les anciens passaient la nuit à jouer et à boire. Comme l'établissement de la célèbre commère de l'abbé Dubois, il avait deux faces : l'une visible, et qui s'ouvrait sur la rue ; l'autre voilée, et qui se cachait sur la cour. On passait de la boutique dans l'appartement intérieur.

Il n'y a pas à s'y tromper. Par la seule inspection des murailles on sait où l'on est. Les peintures représentent des hommes qui boivent et qui jouent. L'un deux crie au garçon de lui apporter du vin à la glace : Da mihi frigidum pusillum. A une table voisine, des jeunes gens boivent avec des dames dont la tête est couverte d'un capuchon. Le capuchon indique que ce sont des femmes honnêtes. C'est le cucullus dont Juvénal couvre la tête de Messaline lorsqu'elle déserte le palais impérial du mont Palatin pour le corps de garde de la porte Flaminia. Aussi, comme vous le comprenez bien, ces dames ne sont point entrées par la boutique ; il y a une petite porte qui donne dans une rue étroite, solitaire et sombre : c'est par là qu'elles sont venues, c'est par là qu'elles s'en iront. Allez voir cette porte.

Il y avait encore dans cette chambre d'autres peintures non moins curieuses que celles-ci et qu'on a enlevées. On les retrouve dans le Musée de Naples, où ont les reconnaît à cette inscription : Lente impelle.

J'ai promis à mes lecteurs de ne pas leur faire faire une trop longue visite domiciliaire. Je vais donc les conduire maintenant à la maison du Faune, et tout sera dit sur Pompéi.


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