La naissance d'Athéna
Gaia et Ouranos ayant prédit à Zeus que l'enfant qui naîtrait de son union avec Métis aurait la force de son père et la sagesse de sa mère, mais qu'il gouvernerait à sa place et les hommes et les dieux, Zeus voulut éviter cela et avala donc Métis alors enceinte. Le jour prévu pour l'accouchement, il eut un grand mal de tête et demanda à Héphaïstos de lui fendre le crâne avec une hache. De là surgit Athéna, poussant un cri de guerre et entièrement armée.
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Ce vase est un exaleiptron, une boîte utilisée pour la toilette féminine et le plus souvent pour des onguents parfumés. Sa technique est celle de la céramique à figures noires, consistant à peindre, sur une solution d'argile pure, des figures en noir en laissant le fond de la couleur de l'argile et de détailler par des incisions, ce qui fait réapparaître le fond de la matière d'origine (tracé du nez, des yeux, etc). Elle permettait de dessiner sur des très petits vases avec finesse et précision, et fut utilisée jusqu'à la fin du VIe s. av.JC, puis remplacée par la technique des figures rouges, qui permettait de mieux détailler les dessins, avec des traits au pinceau beaucoup plus réalistes. La facon dont on cuisait la céramique à figures noires est très intéressante : elle demandait beaucoup de technique et se faisait en trois étapes. La première cuisson se faisait dans un four ouvert (appelé cuisson oxydante) ce qui permettait une présence constante d'oxygène, ce qui mettait en valeur la couleur claire de l'argile. Pour la deuxième cuisson, on utilisait un four fermé afin de limiter l'apport en oxygène, le carbone noircissait alors les vases enfumés. Pour terminer, la troisième étape se faisait à nouveau dans un four ouvert, ce qui faisait revenir le rouge, mais les motifs qui étaient déjà de couleur noire le restaient et contrastaient avec le fond clair.
La scène représente Athéna sortant du crâne de son père Zeus. Sous le siège de celui ci, est accroupie une petite Métis afin de montrer que, même avalée par Zeus, elle est malgré tout présente pour la naissance de sa fille. Les personnages sont tous de profil, comme chez les Egyptiens.
De chaque côté du roi des dieux se trouve Ilithyie ou Eileithyia (son nom vient d'un verbe grec qui signifie < aider >), qui est la déesse de l'accouchement et qui est doublée, car dans l'art elle apparaît parfois sous forme de jumelles. Les deux femmes ont une main dirigée vers le haut et l'autre posée sur la tête de Zeus pour l'assister.
Plus à gauche, on reconnaît Héphaïstos muni dans la main gauche de la hache avec laquelle il vient de fendre le crâne de Zeus, et l'autre main levée vers le haut, peut-être en signe d'étonnement, prêt à partir pour aller porter la bonne nouvelle, tout en gardant la tête tournée en direction de Zeus. Le deuxième personnage à droite de Zeus est Poséidon, son frère et dieu des océans, il porte son trident et a l'air sur le point de partir lui aussi, car ses pieds sont dirigés vers la droite.
Les yeux des personnages sont tous les mêmes, de face dans les visages de profil, ce qui nous montre le peu de variations que permettait cette technique à figures noires à ses commencements : ce sont de simples incisions qui nous permettent de voir le contour et la pupille en blanc, et le blanc de l'oil en noir. En revanche, les vêtements portés par les personnages sont noirs mais très décorés par de nombreux motifs géométriques, blancs le plus souvent, dans des bandes. Hormis le siège et le repose-pieds de Zeus, il n'y a aucun meuble, rien d'autre que les neuf personnages visibles (dont Métis et Athéna), mais l'ensemble est très chargé et ne laisse pas beaucoup de place pour distinguer le fond. La scène donne une impression de vivacité et d'intimité.
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Il s'agit cette fois d'une amphore, un vase à deux anses utilisé pour contenir du vin, de l'huile ou de la bière, dont la panse offre une surface décorative plus large que le vase précédent. Elle représente la même scène de la naissance d'Athéna, mais avec des différences dans la composition, l'identification des personnages et le style artistique.
Zeus est assis sur son trône, sa foudre à la main, alors qu'Athéna jaillit de sa tête toute armée. Héphaïstos, habituellement présent avec la hache qu'il a utilisée pour fendre la tête de son père, est cette fois absent. Par contre, à gauche du dieu des dieux, on peut voir deux autres de ses fils, Hermès, dieu messager, qu'on reconnaît grâce aux ailes attachées à ses chevilles, et Apollon, dieu de la beauté et de la poésie qu'on devine par sa barbe, un sorte de chiton joliment décoré mais surtout par le fait qu'il joue de la lyre, son objet fétiche. A droite, une déesse, peut-être sa fille Aphrodite, mais peut-être aussi Ilithyie, la déesse de l'accouchement, lève le bras vers Athéna comme pour l'aider, ainsi qu'Arès, un autre de ses fils et dieu de la guerre, qu'on reconnaît par l'armure complète. Et enfin, sous le trône de Zeus se trouve Métis, représentée allégoriquement (puisque elle a été avalée) avec des ailes.
Cette autre céramique à figures noires est plus lisible, moins chargée et en même temps plus détaillée que la première, même si elle n'a été réalisée que vingt ans plus tard. Mais elle manifeste un grand progrès technique, en accentuant le côté polychrome avec quatre couleurs : le fond du vase a la couleur ocre jaune de l'argile, et le noir est typique de la technique des figures noires. Mais le peintre a aussi utilisé du rouge pour colorer certains vêtements ou objets, par exemple le tour du bouclier d'Arès, et du blanc pour la peau des deux déesses et toutes les décorations des objets, contrastant avec le fond : la tête de Méduse sur le bouclier, les contours du siège et la foudre de Zeus, etc.
Malgré ces progrès, le fait de devoir graver avec un poincon empêche de réaliser des détails trop fins et n'est pas comparable avec les courbes beaucoup plus fines et fluides qui vont caractériser bientot les figures rouges.
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Contrairement aux deux exemples précédents, cette péliké est peinte avec la technique des figures rouges. Cette nouvelle technique, développée à Athènes à partir de 530 av.JC, permet de beaucoup plus détailler les dessins, de tracer des lignes beaucoup plus fines et fluides. Les images se détachent bien du fond noir. Le peintre dessinait le contour des figures, les cernait de noir puis affinait les détails grâce à un pinceau très fin. Avec cette technique, l'emploi de couleurs n'était plus nécessaire, puisque la calligraphie était devenue bien plus importante. Par rapport aux figures noires, cette nouvelle méthode apporte de la profondeur, avec des effets de perspective. Afin d'obtenir ce résultat, on recouvrait le vase d'un vernis d'argile sur lequel étaient déjà peints les motifs. Après la cuisson, on obtenait finalement des figures rouges sur fond noir. Il était possible d'utiliser une autre méthode, qui consistait à appliquer du vernis rouge seulement après la cuisson du vase sur lequel avait déjà été appliquée la peinture noire.
Sur cette péliké attique, Zeus est assis sur un trône en haut duquel on peut voir des chapiteaux ioniques, puis un damier en pointillés ainsi qu'une étoile et comme un palmier. Il est assis face à nous mais tête de profil, barbu avec des cheveux bouclés et couronnés de laurier ; il tend un bras vers la gauche et tient de l'autre son sceptre, le regard dirigé vers la droite. On remarque que le dessin de ses yeux a beaucoup évolué par rapport à l'exemple précédent : ils ne sont plus représentés de face, mais de profil, de manière cette fois réaliste
Au-dessus de sa tête jaillit une petite Athéna qui court vers la droite, en se détachant sur la frise de palmettes qui sépare la panse du col du vase. Elle porte un haut casque à crête, un long chiton, une égide en guise de bouclier ainsi qu'une lance qu'elle porte dans la main droite, déjà prête à la lancer.
Cette naissance miraculeuse surprend beaucoup les personnages qui assistent à la scène. A gauche de Zeus, on reconnaît Héphaïstos, barbu et portant sa hache ; il s'éloigne tout en gardant les yeux rivés sur Athéna et en levant la main droite dans un geste de surprise. Encore à sa gauche, on apercoit Poséidon, frère de Zeus et dieu des océans, vêtu d'un chiton et portant son trident le long de son bras droit. Ensuite, à droite de Zeus, il y a Eileithyia, déesse de l'accouchement, qui est positionnée de la même facon que Héphaïstos mais symétriquement. Elle porte un chiton dorique avec une ceinture et elle a les cheveux bouclés attachés avec un filet. Plus à droite, on apercoit Artémis, déesse de la nature, une autre fille de Zeus. On la reconnaît grâce à un arc pendu à ses côtés. Elle est en train de s'approcher, les yeux tournés vers Athéna et la main levée dans un geste de surprise. Au-dessus de chaque personnage, leurs noms sont affichés en lettres grecques.
La scène représentée est donc toujours la même : la naissance étonnante d'Athéna suscite des réactions de stupéfaction qui se manifestent surtout par les mains levées des assistants. Mais le changement de technique, des figures noires aux figures rouges, permet un réalisme tout à fait nouveau dans le rendu des détails, des visages, des plis des vêtements et des éléments décoratifs en particulier.
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La naissance d'Athéna |
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Michael Mayer (1569-1622) | ||
Jean-Théodore de Bry et Matthieu Merian | ||
Gravure XXIII de l'album Atalanta fugiens (1617) |
L'album de gravures ésotériques Atalanta fugiens est publié en 1617 par Michael Maier (1569-1622), physicien de l'empereur Rodolphe II. Il est aussi appelé Les nouveaux emblèmes chimiques des petits secrets de la nature.
C'est un livre d'emblèmes alchimiques qui contient des gravures, mais aussi des poèmes ainsi que des partitions de musique. Ses cinquante emblèmes (chacun composé d'une gravure, d'une devise et d'un épigramme) sont tous précédés d'une fugue (morceau de musique spécifique) écrite en latin ; elles étaient peut-être destinées à être jouées pendant les expériences de l'alchimiste et, selon des études, leur composition et leur structure font appel à la symbolique chimique et ce sont elles qui font de ce livre un ouvrage unique de la littérature alchimique. Ces emblèmes sont aussi suivis de textes explicatifs très documentés, mais dont le sens est très complexe, qui sont appelés discursus.
Le titre de cet ouvrage fait référence au mythe grec d'Atalante, une jeune femme conquise par Hippomène qui la bat à la course grâce à trois pommes d'or que lui a données Aphrodite (déesse grecque de la beauté) qu'il lance sur son chemin afin de la ralentir. Atalante symboliserait le mercure, un élément volatile et fuyant, et Hippomène le sulfure et les pommes de sel. Michael Maier fait souvent référence aux mythes comme des allégories des processus chimiques, mais pas seulement, car le symbolisme qu'il utilise est puisé à d'autres sources très variées : philosophie, histoire antique, sciences de la nature, traditions populaires... Enfin, le mot "fugiens" fait à la fois référence à la fuite d'Atalante et aux fugues qui se trouvent dans l'ouvrage.
Au centre de la gravure, Zeus (Jupiter) est allongé sur le sol ; il a une longue barbe et est recouvert d'un simple drap. Il tient sa foudre dans la main droite et soutient sa tête de son bras droit, le regard baissé et l'air ennuyé ou peut-être fatigué par la naissance d'Athéna (Pallas). à leur gauche, Héphaïstos tient de ses deux mains la hache dont il vient de se servir pour fendre le crâne de son père : il est grand, musclé, et a pour tout vêtement un pagne autour de la taille. à l'arrière plan vers la droite, on reconnaît Aphrodite (Vénus) et le Soleil en pleine union sexuelle ; ceci symboliserait l'union du Volatil et du Fixe. Juste derrière eux, l'enfant nu qui les regarde est Cupidon : il est complice de cette union qui produit le Colosse de Rhodes, qu'on peut voir au fond, muni d'un arc et des flèches et rayonnant de majesté puisqu'une forme de soleil se trouve autour de sa tête. Ce Colosse, qui représentait le Soleil, était l'une des sept merveilles du monde dans l'antiquité.
Alors qu'Athéna est habituellement représentée avec son casque, son égide et une lance, elle n'a cette fois-ci rien du tout pour la couvrir, pas même un vêtement, elle est complètement nue. Elle a de longs cheveux qui semblent relevés par le vent et lève son bras gauche vers le ciel, sous une sorte de pluie d'or provenant du coin droit en haut de la gravure, et mentionnée dans sa devise en latin :
Aurum pluit, dum nascitur Pallas Rhodi, & Sol concumbit Veneri.
(Il pleut de l'or tandis que Pallas naît à Rhodes et que le Soleil partage la couche de Vénus.)
Or l'île de Rhodes est la terre philosophique où Bernard Le Trévisan aurait découvert le secret de la pierre philosophale en 1472. Cette pluie d'or simultanée, que ne mentionne pas la mythologie traditionnelle, est donc à interpréter sur un plan hermétique : elle fait référence à la rosée alchimique qui dans le Grand œuvre, donne naissance au sel philosophique capable d'affiner les métaux. Athéna est une représentation symbolique de la fonction Pensée, et pour les alchimistes d'autrefois, elle symbolisait le Mercure sublimé au plus haut point de la coction (une technique consistant à faire cuire au bain-marie). Dans le mythe disant qu'elle est née de la tête de Zeus ouverte par un coup de hache de Héphaïstos, les alchimistes comprennent que c'est le mercure qui est sublimé par la coction effectuée par le feu, Héphaïstos.
On voit qu'il est aussi compliqué de déchiffrer le sens des emblèmes que de comprendre l'interprétation des textes alchimiques, et c'est volontaire, le but voulu étant que seuls des initiés puissent s'en servir. Chaque image a différentes significations, avec l'utilisation alchimique de l'analogie, le symbole et l'allégorie.
Lila G., 211