Hannibal au cinéma


   

Alexander Siddig dans le film d'Edward Bazalgette - Hannibal, le cauchemar de Rome - 2006

 

Hannibal Barca, général carthaginois du IIe siècle avant J-C, est resté dans l'histoire pour avoir, après avoir accompli de nombreuses prouesses technologiques, logistiques et militaires, défié la puissance naissante de Rome et fait vaciller le monde antique, son plus grand exploit restant la traversée des Alpes avec une armée de presque 40 000 mille hommes et de nombreux éléphants.

Très vite, ce personnage provoqua l'admiration tout autant que la haine chez les artistes et historiens, certains le considérant comme un barbare cruel dénué de scrupules, d'autres, comme un génie militaire humble et attentionné envers ses soldats.

Vingt-deux siècles plus tard, avec l'avènement du nouvel art du cinéma, ce héros oublié refit surface et son incroyable histoire fut adaptée maintes fois et de maintes manières. Hannibal, le pire ennemi de Rome, le général glorieux puis déchu, reprit alors son périple à travers l'histoire du septième art.

Voici une frise chronologique des films que nous allons étudier, qui nous montre l'évolution du péplum au cours de l'Histoire du cinéma.

Nous allons commencer par Cabiria, l'un des premiers péplums de l'Histoire au temps du cinéma muet, destiné à mettre en valeur en particulier les exploits de Maciste. Puis nous nous intéresserons à Scipion l'Africain, un film de propagande mussolinien tourné en 1937, et à Annibal, film américain à gros budget à la mode dans les années 50-60, avant de terminer par deux formats plus modernes : Hannibal l'ennemi de Rome marque en effet le nouveau visage de l'adaptation des histoires antiques pour le média audiovisuel, en passant du cinéma au petit écran avec les docu-fictions, et Hannibal, le cauchemar de Rome, constitue une sorte d'aboutissement du genre, associant sérieux documentaire et efficacité cinématographique.

 


 

 

Giovanni Pastrone - Cabiria (1914)
Scénario et réalisation: Giovanni Pastronev
Letizia Quaranta : Cabiria
Umberto Mozzato : Fulvio Axilla
Bartolomeo Pagano : Maciste
Émile Vardannes : Hannibal

Le tout premier film faisant apparaître le personnage d'Hannibal a vu le jour au début du XXe siècle (1914) alors que le cinéma connaissait un essor progressif. Cabiria, film italien réalisé par Giovanni Pastrone est également l'un des premier péplums de l'histoire, c'est-à-dire un film à grand spectacle, reconstituant souvent en la romançant la réalité des événements de l'histoire ou de la mythologie antique.

Ce long-métrage de deux heures nous narre l'histoire de Cabiria, jeune fille romaine enlevée par les Carthaginois durant la seconde guerre punique. Un espion romain accompagné de son acolyte imposant, Maciste, va donc essayer de la sauver.

 

 


Même si le personnage d'Hannibal apparaît à quelques reprises, son histoire ne sert que de toile de fond au film, en se concentrant davantage sur les aventures du trio principal. En tout cas, le cadre historique n'est pas éludé, dans la mesure où le film nous propose une description, même fantaisiste, des coutumes et mœurs carthaginois (tels que le sacrifice humain).

On peut constater que cette production bénéficie d'un budget assez  imposant pour l'époque (éléphants, décors grandioses et détaillés, nombreux figurants, etc), mis en valeur par certains plans d'ensemble. Le réalisateur fait également preuve d'une certaine audace en utilisant la technique du travelling (déplacement de caméra), encore très peu développée à cette époque.


 

 

Carmine Gallone - Scipione l'Africano (1937)
Réalisation : Carmine Gallone
Scipion l'Africain : Annibale Ninchi
Hannibal : Camillo Pilotto
Massinissa: Fosco Giachetti
Caton : Memo Benassi
Quinto Fabio Massimo: Ciro Galvani

Le film raconte l'histoire de Scipion l'Africain, dans son combat contre Hannibal à la fin de la Deuxième Guerre punique. Film de propagande fasciste, commandé par le gouvernement de Mussolini en pleine guerre de conquête de l'Ethiopie.


 

Ce film est principalement axé sur l'histoire d'Hannibal Barca et celle de Scipion l'Africain durant la deuxième guerre punique : les deux personnages sont mis en parallèle tout au long de l'histoire.


Scipione l'Africano est un film de propagande conforme à son contexte – celui des années 33/45 dans l'Italie fasciste : il impose en effet un discours favorable au modèle mussolinien, dans le contexte de la guerre de conquête de l'Ethiopie.

Ce même discours de persuasion tient ici à l'opposition entre Hannibal et Scipion : c'est une opposition manichéenne. Dans l'extrait étudié, l'opposition réside dans les valeurs politiques portées par les deux hommes. Scipion est un modèle vertueux pour l'Italie fasciste : il prend le pouvoir grâce au peuple, et agit pour Rome et son peuple. Il est lié à sa patrie et lui voue presque un culte.Hannibal, lui, se montre dénué de toutes ces valeurs ; lorsqu'il dit : "Ma patrie c'est l'Italie" (1:27), le spectateur est particulièrement surpris et peut trouver que sa manière de prononcer cette phrase n'implique pas qu'il aime l'Italie pour autant. Il ne fait, en effet, qu'énoncer des conditions qui, en elles-mêmes, n'attestent pas d'un sentiment d'amour : "Si la patrie est la terre pour laquelle souffrir et combattre est une joie", il peut ainsi éprouver du bonheur à combattre en Italie, car il serait heureux du conflit et des victoires qui peuvent en découler. Cependant la scène reste ambiguë, car il semble qu'il aime réellement l'Italie et qu'il soit prêt au sacrifice et à la souffrance pour elle. Il traite d'ailleurs sa patrie natale, Carthage, de "perfide" : son régime politique républicain est défaillant, le règne du conseil est chaotique, il y a un désordre intérieur manifeste. Hannibal, servant ce régime en tant que général, remet même en cause l'autorité du conseil, l'imperium, quand il affirme qu'il mènera la bataille quand il le désirera.

La fragilité de l'autorité de l'Etat est responsable de la perte de Carthage. C'est en cela que ce film comporte une dimension mussolinienne : le mode républicain est critiqué par l'intermédiaire du désordre du conseil, au profit du règne d'un seul, le modèle fasciste.


 

 

Carlo Ludovico Bragaglia et Edgar G. Ulmer - Annibal (1959)
Réalisation : Carlo Ludovico Bragaglia et Edgar G. Ulmer  (Italie/Usa)
Victor Mature : Hannibal
Rita Gam : Sylvia
Gabriele Ferzetti : Quintus Fabius
Milly Vitale : Danila femme d’Hannibal
Rik Battaglia : Hasdrubal frère d’Hannibal
Mario Girotti : Quintilius (Terence Hill)
Carlo Pedersoli : Rutarius (Bud Spencer)

Hannibal traverse les Alpes avec ses troupes pour attaquer Rome. Sur sa route, il kidnappe Sylvia, et veut se servir d'elle pour désinformer l'ennemi. Ses plans sont remis en cause lorsque Hannibal tombe amoureux de la belle ; de plus, elle est promise au fils de Quintus Fabius qui est un des principaux orateurs du Sénat de Rome.

 

 


Avec un scénario simpliste propre aux péplums et un respect historique presque inexistant, ce film nous offre quand même un bon aperçu du cinéma des années 50-60. Les batailles et les costumes sont un peu ridicules par moments, mais les acteurs sont plutôt bons. Au final, ce film est assez représentatif des limites des péplums que l'on pouvait filmer avant l'arrivée des effets spéciaux numériques.


 

 

Richard Bedser - Hannibal, l'ennemi de Rome (2005)
Réalisation : Richard Bedser
Royaume-Uni
En deux épisodes

Au IIIe siècle avant J.-C., Hannibal tente de traverser les Alpes avec une armée de mercenaires, des éléphants et tout son matériel militaire pour attaquer Rome. Poussé par les honneurs et la gloire, obsédé par son sens du devoir envers sa patrie et son père, Hannibal va se livrer à un combat qui va transformer l'Occident. Docu-fiction assez méconnu. 

 

 


Avec une réalisation basique au possible, des effets spéciaux décevants et des acteurs presque tous d'origine africaine (parce qu'ils sont moins chers à payer), ce docu-fiction nous expose scolairement le grand périple d'Hannibal. Le seul véritable attrait de ce docu-fiction, ce sont les interviews des historiens qui entrecoupent le film.


 

Hannibal au cinema

 

Edward Bazalgette - Hannibal, le cauchemar de Rome (2006)
Réalisation : Edward Bazalgette
Alexander Siddig : Hannibal Barca
Emilio Doorgasingh : Maharbal (général Numide)
Mido Hamada : Magon Barca (frère cadet)
Shaun Dingwall : Scipion l'Africain
Ben Cross : Quintus Fabius Maximus

Fortement inspiré de Tite-Live, ce film commence en 218 av J.-C., Sagonte est assiégée par les troupes carthaginoises d'Hannibal Barca. Hannibal investit la ville, qu'il brûlera ensuite entièrement. Rome et Carthage entrent alors en guerre. Hannibal Barca, Magon et Hasdrubal et Maharbal, décident depuis l'Espagne de la stratégie à adopter mais Hannibal a une idée bien plus audacieuse...

 

 

Cet extrait évoquant la bataille de Cannes se situe au milieu du film, entre la 51e et la 60e minute.


Cet extrait pose la question de la subjectivité dans la représentation d'Hannibal, car au-delà du souci d'informer le spectateur de façon rigoureuse, on remarque chez ce réalisateur une volonté de s'approprier l'histoire de son personnage et de la mettre en scène avec des partis-pris très originaux. En effet, la focalisation choisie utilise le point de vue d'Hannibal pour faire comprendre l'histoire : c'est lui, en tant que narrateur, qui commente en prolepse les événements qui vont survenir : cette planification tactique de la bataille de Cannes le valorise évidemment, puisqu'il expose dans un premier temps sa stratégie, mais que très vite un montage nerveux et très efficace alterne prévisions et réalisation effective sur le terrain. Les choses se passent exactement comme Hannibal les avait prévues, ce qui suggère de sa part une sorte d'omniscience : il a une maîtrise totale de la bataille, il semble dépasser le genre humain, le cours des événements semble dicté par sa volonté.

On pourrait arguer que Hannibal ne serait «qu'un» génie militaire, et qu'il n'y aurait ainsi nulle légitimité à le considérer comme divin, mais cette facilité à imposer ce qu'il veut grâce à son intelligence ne peut qu'entraîner l'admiration des spectateurs. C'est l'homme providentiel (pour les Carthaginois) qui, par ses capacités, est reconnu comme un chef naturel et tout à fait incontesté.


A travers les diverses adaptations de l'histoire d'Hannibal dans le domaine audio-visuel, on peut observer deux modifications fondamentales au niveau du traitement des personnages et des scènes historiques :

1. Le changement de support et de technologie, du grand au petit écran, et de l'analogique au numérique : le grand écran autorise depuis les débuts du cinéma des spectacles grandioses, mais au prix d'investissements financiers souvent coûteux. Le petit écran semble a priori plus limité dans ses ambitions, mais l'arrivée du numérique et des effets spéciaux a modifié la donne et permet, même à la télévision, de recréer de manière satisfaisante des événements surdimensionnés, comme la bataille de Cannes par exemple.

2. Le souci assez récent d'aborder l'histoire sous un angle plus scientifique, moins romancé : les docu-fictions mêlent actuellement de doctes interventions de spécialistes à des reconstitutions fictives qui viennent illustrer le propos, sans se permettre les fantaisies qui dominaient dans les péplums précédents.

Pourtant, l'Antiquité n'a pas fini de passionner les réalisateurs et de leur inspirer des spectacles grandioses sur grand écran, puisqu'encore aujourd'hui, des films tels que Gladiator de Ridley Scott en 2003, ou du même réalisateur en 2014 le film Exodus : Gods and Kings, narrant l'affrontement entre Moïse et Ramsès, sortent en salles et connaissent le succès.



 Maxime N., Gwendal T. 1ES1, Philip D. 209