Zeus/Jupiter et Ganymède


   

Ganymède est le fils de Trôs, le fondateur de Troie, et de la nymphe Callirhoé. Pendant qu'il surveille le troupeau de son père, Zeus l'enlève car c'est le plus beau des mortels. Pour cela Zeus s'est métamorphosé en aigle, et l'amène sur l'Olympe. Ganymède devient l'échanson des dieux à la place d'Hébé, fille d'Héra : son travail consiste à donner aux dieux l'ambroisie et le nectar qui les rendent immortels. Mais Zeus a négligé la jalousie de sa femme Héra, qui exige que Ganymède soit renvoyé chez les mortels. Zeus décide alors de faire de lui une constellation, celle du Verseau qu'il place juste à côté de celle de l'aigle.

 

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Comparaison de textes

1. Textes antiques


Homère - L'Iliade, XX, 231-235

Pendant la guerre de Troie, le troyen énée et le grec Achille se rencontrent sur le champ de bataille. Achille essaie d'impressionner énée, mais celui-ci sans se démonter énumère toute la généalogie de ses ancêtres, pour montrer à son adversaire que lui aussi compte des divinités parmi ses ascendants.

De Trôs, à son tour, trois fils irréprochables naquirent,
Ilos, Assaracos, et Ganymède, rival des dieux,
qui devint le plus beau des mortels.
Celui-ci, les dieux le ravirent au ciel pour verser à boire à Zeus,
afin que, vu sa beauté, il fût parmi les immortels.

 

Ovide - Les Métamorphoses, X,  152-161

Au livre X des Métamorphoses, le poète Orphée, dégoûté de la gent féminine, entreprend de chanter des amours homosexuelles, heureuses ou malheureuses, en commençant par l'aventure extraordinaire qui arriva à Ganymède.


Rex superum Phrygii quondam Ganymedis amore
arsit, et inventum est aliquid, quod Juppiter esse,
quam quod erat, mallet. Nulla tamen alite verti
dignatur, nisi quae posset sua fulmina ferre.
Nec mora, percusso mendacibus aere pennis
abripit Iliaden ; qui nunc quoque pocula miscet
invitaque Jovi nectar Junone ministrat.

 

Jadis le roi des immortels aima le beau Ganymède. Dès lors à l'éclat de son rang il eût préféré l'humble condition des mortels. Il prend la forme trompeuse de l'oiseau qui porte son tonnerre ; et soudain, fendant les airs, il enlève le jeune Phrygien, qui lui sert d'échanson dans l'Olympe, et verse le nectar dans sa coupe, en dépit de Junon.

 

2. Texte contemporain


Diderot - L'Encyclopédie - Article « Ganymède » - 1757

GANYMEDE, (Mytholog.) Homère déclare que c'était le plus beau de tous les hommes, & que les dieux le ravirent par cette raison : si l'on en croit les autres poètes, il fut aimé du seul Jupiter, qui en fit son échanson, depuis le mariage d'Hébé avec Hercule. Un jour, disent-ils, que ce charmant phrygien chassait sur le mont Ida, l'aigle de Jupiter ou Jupiter lui-même sous la forme d'un aigle, l'enleva dans l'Olympe pour lui servir à boire, & le plaça au nombre des douze signes du Zodiaque, sous le nom de verseau : tel est l'usage des Poètes, dit Cicéron, de transporter aux dieux les passions des hommes, au lieu qu'il serait à souhaiter qu'ils eussent appliqué aux hommes les vertus des dieux.

La fable de Ganymède paraît fondée sur un fait historique, mais qui est narré diversement par les anciens. Les uns prétendent que Tros ayant envoyé en Lydie son fils Ganymède avec quelques seigneurs de sa cour, pour offrir des sacrifices dans un temple consacré à Jupiter, Tantale qui était souverain du pays, ignorant les projets du roi de Troie, prit cette troupe pour des espions, arrêta le jeune Ganymède, le retint prisonnier, ou peut-être le fit servir d'échanson à sa table.

D'autres racontent que Ganymède fut enlevé par Tantale, qui en était amoureux ; qu'Ilus marcha contre le ravisseur pour arracher son frère de ses mains ; qu'on en vint à un combat très vif, où les troupes de Tantale portaient un aigle sur leurs enseignes, & où Ganymède perdit la vie ; son corps que l'on chercha ne s'étant point trouvé, on feignit que Jupiter l'avait enlevé.

Quoi qu'il en soit, la fable de Ganymède brille dans un ancien monument qui s'est conservé jusqu'à nous ; on y voit un aigle avec les ailes déployées, ravissant un beau jeune homme, qui tient de la main droite une pique, symbole du dieu qui l'enlève, & de la main gauche une urne à verser de l'eau, marque de l'office d'un échanson. Aussi le nom de Ganymède désignait tout valet qui donne à boire ; tu getulum Ganymedem respice-quum sities : mais ce même mot désignait principalement un efféminé.

La statue de Ganymède fut transportée de la Grèce à Rome, au temple de la paix ; & Juvénal y a fait allusion : nuper enim, dit-il, repeto fanum Isidis, & Ganymedem hic facis. (D. J.)

 

Commentaire

Tous ces textes racontent à peu près la même chose : Ganymède est un Phrygien, fils de Trôs et frère d'Ilus, un fondateur mythique de Troie. Comme c'est le plus beau des mortels, Zeus a décidé de le rendre immortel. L'intrigue est assez mince et pas très dramatique, ce qui explique que les auteurs antiques n'aient pas eu l'occasion de la développer.

L'article de l'Encyclopédie, en revanche, est intéressant puisqu'il montre comment pouvait être abordée la mythologie à l'époque des Lumières.

D'abord, il reprend une citation de Cicéron qui met en évidence l'absence de morale de ces dieux gréco-romains, présentés par les poètes comme très anthropomorphiques : « Tel est l'usage des Poètes, dit Cicéron, de transporter aux dieux les passions des hommes, au lieu qu'il serait à souhaiter qu'ils eussent appliqué aux hommes les vertus des dieux. » Ces dieux inventés par les hommes sont loin d'être des modèles de vertu, et c'est donner de la divinité une image dégradante, qui les démythifie.

Par ailleurs, un raisonnement rationaliste est appliqué sur ces fables, de manière à déterminer quelle peut en avoir été la source historique. Celle de Ganymède peut s'expliquer de deux manières : sa disparition et son affectation à titre d'échanson donne lieu à une première hypothèse, et son enlèvement par un aigle est attribué au fait qu'une bataille aurait eu lieu sous les enseignes d'un aigle.

Ce type d'explication, déjà présent dans l'antiquité sous la plume d'auteurs comme Palaiphatos, montre que tout le monde ne croyait pas à ces fictions et que certains esprits cherchaient à démêler la part de fondement réel et la part d'inventions poétiques. Dans le cas d'épisodes de divinisations de mortels et de catastérisations, c'était une manifestation d'esprit critique que l'esprit des philosophe des Lumières a systématisé au XVIIIe siècle.

 

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Iconographie

 

Ganymède au cerceau
Cratère en cloche attique
à figures rouges
500-490 av. JC
Musée du Louvre

 

 

 


Ganymède recevant la coupe d'Hébé
Peinture à l'huile sur toile de Pierre Paul Rubens
1611-1612
National Gallery of Canada

 


Ganymède et l'aigle
Sculpture en marbre de Bertel Thorvaldsen
1817
Thorwaldsen-Museum, Copenhague


Sarah N., 203