Thétis et Pélée


   

La déesse Thémis avait prédit que celui qui épouserait la Néréide Thétis aurait un fils qui dépasserait son père en puissance. Prudents, les deux dieux concurrents, Zeus et Poséidon, se retirèrent et Zeus incita un mortel, Pélée, à se porter volontaire. Mais Thétis n'avait pas la moindre intention de se laisser faire...



*
Ovide - Les Métamorphoses, XI, 221-265

Au livre XI des Métamorphoses, Ovide revient sur les origines de la guerre de Troie. Pour présenter Achille, le fils de Pélée et de Thétis, il évoque les circonstances de sa naissance.


Namque senex Thetidi Proteus : « Dea, dixerat,
                                                       [undae,
concipe : mater eris juvenis, qui fortibus annis
acta patris vincet majorque vocabitur illo. »
Ergo, ne quicquam mundus Jove majus haberet,
quamvis haut tepidos sub pectore senserat ignes,
Juppiter aequoreae Thetidis conubia fugit,
in suaque Aeaciden succedere vota nepotem
jussit et amplexus in virginis ire marinae.
Est sinus Haemoniae curvos falcatus in arcus,
bracchia procurrunt : ubi, si foret altior unda,
portus erat ; summis inductum est aequor harenis ;
litus habet solidum, quod nec vestigia servet
nec remoretur iter nec opertum pendeat alga ;
myrtea silva subest bicoloribus obsita bacis.
Est specus in medio, natura factus an arte,
ambiguum, magis arte tamen : quo saepe venire
frenato delphine sedens, Theti, nuda solebas.
Illic te Peleus, ut somno vincta iacebas,
occupat, et quoniam precibus temptata repugnas,
vim parat, innectens ambobus colla lacertis ;
quod nisi venisses variatis saepe figuris
ad solitas artes, auso foret ille potitus ;
sed modo tu volucris : volucrem tamen ille tenebat ;
nunc gravis arbor eras : haerebat in arbore Peleus ;
tertia forma fuit maculosae tigridis : illa
territus Aeacides a corpore bracchia solvit.
Inde deos pelagi vino super aequora fuso
et pecoris fibris et fumo turis adorat,
donec Carpathius medio de gurgite vates :
« Aeacide, dixit, thalamis potiere petitis,
tu modo, cum rigido sopita quiescet in antro,
ignaram laqueis vincloque innecte tenaci.
Nec te decipiat centum mentita figuras,
sed preme, quicquid erit, dum, quod fuit ante,
                                                   [reformet. »
Dixerat haec Proteus et condidit aequore vultum
admisitque suos in verba nouissima fluctus.
Pronus erat Titan inclinatoque tenebat
Hesperium temone fretum, cum pulchra relicto
Nereis ingreditur consueta cubilia ponto ;
vix bene virgineos Peleus invaserat artus :
illa novat formas, donec sua membra teneri
sentit et in partes diversas bracchia tendi.
Tum denum ingemuit, « neque, ait, sine numine
                                                         [vincis »
exhibita estque Thetis : confessam amplectitur heros
et potitur votis ingentique inplet Achille.

« Déesse de l'onde, dit un jour à Thétis le vieux Prôtée, cesse de fuir l'hymen. De toi doit naître un héros qui, par l'éclat de sa gloire, effacera la gloire de son père, et dont le nom sera plus grand que le sien. » La beauté de Thétis n'avait que trop su plaire au souverain des dieux. Mais voulant que le monde n'ait rien de plus grand que Jupiter, il craignit de s'unir à la reine des mers, et commanda que Pélée, son petit-fils, recherchât cette déesse, et devînt son époux. Il est dans la Thessalie un large bassin en forme de croissant, dont les deux bras s'avancent dans la mer. Il offrirait aux nautoniers un port tranquille, si ses eaux étaient plus profondes, mais à peine cœuvrent-elles un sable léger. Le rivage sec et solide ne garde point l'empreinte des pieds du voyageur ; rien n'y retarde ses pas. L'algue ne croît point sur ses humides bords. Non loin est un bois de myrtes et d'oliviers; une grotte est au milieu : fut-elle creusée par la nature, ou bien est-elle l'ouvrage de l'art ? C'est ce qui paraît douteux. Mais on dirait plutôt que l'art voulut imiter la nature. Thétis, c'est dans cet antre qu'un dauphin te portait souvent, nue, assise sur son dos. C'est là que Pélée te surprit un jour sans défense, vaincue par le sommeil. Ta pudeur combattait son amour ; ses prières étaient vaines, il a recours à la force, il te serre dans ses bras : tu succombais, si tu n'eusses opposé à la violence la ruse, en trompant ses regards sous des formes nouvelles. Oiseau, tu voulais fuir, il te retient; tu deviens arbre, il embrasse ton écorce. Enfin tu parais sous les traits hideux d'une tigresse tavelée : le fils d'éaque s'épouvante, et te laisse échapper de ses bras. Il invoque alors les divinités des mers. Il fait des libations de vin dans les ondes; il les rougit du sang d'une victime, et l'encens fume sur le rivage. Bientôt le vieux Prôtée s'élevant sur les flots, lui tient ce discours : « éacide, l'hymen objet de tes voux doit s'accomplir. Mais il faut surprendre Thétis dans son antre endormie. Il faut l'enchaîner par des liens qu'elle ne puisse rompre. Quelque forme qu'elle prenne, ne crains rien. Retiens-la captive dans tes chaînes et dans tes bras, jusqu'à ce qu'enfin elle ait repris ses véritables traits. » Il dit, et se replongeant au vaste sein des mers, les derniers mots qu'il prononce expirent dans les flots. Le dieu du jour, achevant sa carrière, inclinait déjà son char aux bords de l'Hespérie, quand la belle Néréide, sortant du sein de l'onde, vient dans l'antre accoutumé se livrer au doux repos. à peine Pélée a-t-il attaché et saisi ses membres délicats, elle s'éveille, prend mille formes vaines ; et s'apercevant qu'elle est enchaînée, elle étend ses bras qu'elle ne peut dégager ; elle gémit et s'écrie : « Tu l'emportes, les dieux favorisent ta victoire. » Alors elle reprend sa forme naturelle. Le héros l'embrasse, elle cède à ses voux, et dans ses flancs porte le grand Achille.



Apollodore - Bibliothèque, III, 13

Au IIe siècle apr.JC, le mythographe Apollodore propose plusieurs versions de l'épisode raconté par Ovide.


Par la suite il épousa Thétis, la Néréide. Zeus et Poséidon s'étaient disputé sa main ; mais quand Thémis eut prophétisé que de Thétis naîtrait un fils plus fort que son père, tous deux avaient renoncé. Il y en a qui racontent qu'au temps où Zeus était pris d'une grande passion pour Thétis, Prométhée avait prédit que le fils qu'elle mettrait au monde deviendrait le roi du ciel ; d'autres, toutefois, soutiennent que Thétis refusait de s'unir à Zeus parce qu'elle avait été élevée par Héra ; aussi Zeus, furieux, voulut qu'elle épousât un mortel. Chiron avait conseillé à Pélée d'attraper Thétis et de la maintenir fermement, même si la Néréide prenait d'étranges formes. Pélée l'épia donc et l'enleva. Thétis se transforma en feu, en eau et en bête féroce, mais Pélée ne lâcha pas sa proie avant que la Néréide eût repris son aspect premier. L'épouse gravit le mont Pélion ; tous les dieux participèrent à leurs noces, en chantant des hymnes. Chiron offrit à Pélée une lance en bois de frêne, Poséidon les coursiers Balios et Xanthos, qui étaient immortels.

 

*

Iconographie

 

L'enlèvement de Thétis
par Pélée
Péliké attique à figures rouges
460 av. JC
Musée du Louvre

 

 

 

 

Sur ce vase du Ve siècle av.JC, on voit Thétis, bras levés, luttant pour éviter de se faire enlever par Pélée. Elle vient de se transformer en fauve et en serpent, mais elle a actuellement une forme humaine, et c'est le moment où Pélée la maintient fermement jusqu'à ce qu'elle tombe de fatigue. Ce vase représente donc fidèlement le mythe que nous ont par ailleurs transmis les textes.

 

 


Les Métamorphoses de Thétis
Enluminure de l'Ovide moralisé
Ms Velins 559, fol.122R - 1493-94
BnF

 


Les métamorphoses de Thétis
Enluminure de l'Ovide moralisé
Ms Velins 560, fol. 122R - 1493-94
BnF


Sur ces deux enluminures appartenant à des manuscrits jumeaux, Thétis se métamorphose en loup ou en arbre dans les bras de Pélée. Celui-ci porte des vêtements du XVe siècle et l'on aperçoit dans le paysage des châteaux et des vaisseaux du Moyen âge. Mais la méthode utilisée par Pélée est la même que dans le mythe antique, ce qui prouve le texte et les illustrations de l'Ovide moralisé constituent une modernisation du texte païen, mais avec un traitement des questions du mariage, de la sexualité et du péché adapté au cadre de la religion chrétienne.



Arthur L., 207