Au Moyen Âge le livre enluminé est un objet rare et précieux, dont le prix élevé est dû aux matériaux nécessaires, à la main d'œuvre et aux diverses étapes de fabrication : préparation du parchemin, copie, enluminure, reliure. Ainsi, le clergé et les seigneurs étaient les seuls à avoir accès à ce type de manuscrit qui valorisait la puissance et la richesse de celui qui en possédait.
La beauté d'une page enluminée repose avant tout sur son organisation, indiquée par les réglures. Mais elle peut tenir aussi à la fantaisie avec laquelle ses marges peuvent être ornées de motifs purement décoratifs, ou de motifs plus surprenants, qu'on appelle des drôleries.
Dans Le Nom de la Rose, il est possible de voir de telles drôleries lorsque Guillaume inspecte avec ses verres grossissants un manuscrit enluminé par Adelme d'Otrante :
Frère Guillaume : Un âne…enseignant les Ecritures aux évêques (Il glousse). Le pape en renard... et Messer l’Abbé en singe... Il avait un vrai don pour l'irrévérence et les images de comédie.
Nous pouvons donc nous poser les questions suivantes : Comment étaient présentées les drôleries ? Quelle était leur charge critique et le lien qu'elles entretenaient avec le texte ?
1. Comment étaient présentées les drôleries ?
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Les drôleries sont apparues au XIIIe siècle, grâce au développement de l'initiale enluminée qui prend de plus en plus d'importance dans les marges...
et grâce au désir de commenter |
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d'illustrer...
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et d'indiquer un passage important dans le texte.
Pied de mouche : il peut être prolongé par des antennes pour et de mémoriser des passages importants du texte. |
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La présence d'index permet aussi de mettre en relief un mot ou une phrase, ce qui donne lieu au développement de personnages qui apparaissent grâce à la prolongation de la main indiquant un passage du texte.
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Les lettrines, ou initiales enluminées, se prolongent dans la marge grâce à des lianes et à des antennes fleuries, qui permettent de structurer le monde des drôleries.
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La marge donne de l'équilibre à la page de par sa structure et ses couleurs qui rappellent celles de la
lettrine.
Les marges se caractérisent aussi par des réseaux créés à partir d'engendrements et de métamorphoses hybrides.
Au fil du temps, les marges prennent de plus en plus d'importance par rapport au texte et se parent de décors végétaux, au détriment des drôleries.
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2. Quelle était leur charge critique et le lien qu'elles entretenaient avec le texte ?
Les oiseaux
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Les oiseaux sont en lien avec l'univers végétal des marges, qui évoque la nature et les arbres. Les oiseaux permettent de donner du mouvement lorsqu'ils volettent autour d'une liane ou d'une antenne.
Le chant répétitif et régulier du coq rappelle aux fidèles de respecter les heures de prières. |
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Les lapins
Le lapin est un animal commun très présent dans les marges. Il est en lien avec l'univers de la chasse, qui s'intègre parfaitement au décor végétal.
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Le lapin, dont les racines latines signifient aussi terrier, désigne parfois une femme. Ainsi il peut quelquefois faire allusion au sexe féminin, notamment quand il est représenté à l'entrée de son terrier.
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Par exemple dans cette image, le caractère phallique de la cornemuse et le masque qui couvre le postérieur de l'homme font référence à l'homosexualité, qui était considérée comme une « bestialité ». De plus le masque a une signification négative.
Les chiens
Comme le lapin, le chien fait référence à la chasse car il est le compagnon du chasseur.
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Les singes
Les singes sont considérés comme des animaux qui imitent les hommes, et le plus souvent leurs mauvais comportements. Ainsi ils sont beaucoup utilisés pour dénoncer les défauts de la société.
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Sur cette image, le singe a une position assise et statique comme celle de l'homme. De plus, sa ceinture rouge indique que ce singe appartient à la ménagerie du roi. Elle dénonce donc les défauts des courtisans.
Les hommes des marges
Les hommes qui figurent habituellement dans les marges sont des chasseurs, car ils sont en lien direct avec la nature évoquée par les marges fleuries.
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marges.
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Conclusion
Les drôleries sont des décorations en marge des manuscrits médiévaux, qui mettent en scène parfois de façon grotesque des personnages humains, animaux et hybrides, dans le but de critiquer la société du Moyen Âge, de divertir ou d'illustrer le texte.
1. Commentaires sur les psaumes, BM Douai, ms 250, fol.84v
2. Décret de Gratien, Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne
3. Grandes chroniques de Saint-Denis, BM Toulouse, ms 512, fol.339v
4. Code de Justinien, BM Lyon, ms. 0373, f. 085
5. Bréviaire de Martin d'Aragon, BnF, ms Rothschild 2529, fol. 403
6. Heures à l'usage de Thérouanne, BM Marseille, ms 111, fol.132v
7. Ordinaire prémontré, BM Amiens, ms 190, fol.3
8. Heures à l'usage de Thérouanne, BM Marseille, ms 111, fol.15v
9. Pontifical à l'usage de Lyon, BM Carpentras, ms 96, fol.4
10. Heures à l'usage de Thérouanne, BM Marseille, ms 111, fol.132v
11. Roman de la Rose, BM Amiens, ms 437, fol.1
12. Bréviaire de Renaud de Bar, BM Verdun, ms 107, fol.101
13. Heures à l'usage de Thérouanne, BM Marseille, ms 111, fol.132v
14. Bréviaire de Marie de Savoie, BM Chambéry, ms 4, fol.319
15. Les Miracles de la Vierge, BM Besançon, ms 551, fol.
16. Psautier - BM Avignon, ms 0121, fol.66
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