Joseph Margarit de Biure (1602-1685)

Il naquit à Castello-d'Empurias, le 10 février 1602. Son père Philippe était seigneur de ce lieu et sa mère, Béatrix de Biure, appartenait à la famille des barons de Vallespinosa, fief situé dans les environs de Tarragone. A la suite d'un long procès qui avait surgi entre les deux familles alliées, Joseph de Margarit passa sa jeunesse dans les propriétés du domaine maternel. Il était âgé de trente-huit ans, lorsqu'éclata le soulèvement de la Catalogne qui se disposait à secouer le joug de Philippe IV, roi d'Espagne. Joseph de Margarit, à la tête d'un petit nombre de soldats, dut, d'après les ordres de la Députation et des Etats, harceler la grande armée que le cabinet de Madrid envoya contre Barcelone, retarder sa marche, donner ainsi le temps de lever des troupes et de pourvoir à la sûreté de la ville. Il réussit complètement dans cette opération difficile. Ce fut lui qui, après le siège de Tarragone, fut envoyé vers Louis XIII, pour le supplier d'établir un vice-roi en Catalogne et pour démontrer la nécessité d'assiéger Perpignan. Joseph de Margarit eut de fréquentes entrevues avec le cardinal Mazarin (1), dans le palais de Rueil. Dans une circonstance, le ministre de Louis XIII émit des craintes sur l'alliance de la Catalogne avec la France. Il alla jusqu'à prédire un rapprochement de la province annexée et de l'Espagne.

Au seul énoncé de cette hypothèse, Joseph de Margarit bondit de son siège et, s'exprimant en catalan, dit à Mazarin : «Senyor, Vostre Eminencia saber desitja, com es just, si 'ls catalans faltaran a llur promesa : sobre lo que obligat me veig a dirli que 'ls catalans saber desitjan tambe si la Fransa mancara a lo capitulat ; assegurantli de part de tota la provincia que si la Fransa no falta, tampoch Catalunya faltara... » Margarit s'engagea à donner, comme témoignage de fidélité au gouvernement français, les membres de sa famille en ôtage. «Fort bien, répliqua Mazarin en prenant les mains de Margarit. Puisque les catalans tiendront leur engagement, comme vous voulez me l'assurer, pour ma part, je vais maîtriser l'Espagne comme le cavalier qui impose le mors à un coursier... Je lui imposerai ma loi, et puisqu'il y a de réels avantages pour Sa Majesté d'occuper la Catalogne, cette province nous ouvrira les portes pour circonvenir le roi d'Espagne dans son palais de Madrid». Dès lors, Joseph de Margarit obtint tout ce qu'il sollicita de Louis XIII. Ce prince vint en personne attaquer la capitale du Roussillon et nomma Margarit gouverneur. En cette qualité, il empêcha le marquis de Pubar de porter secours à la ville de Perpignan, fut promu maréchal de camp en 1642, reprit possession de la vallée d'Aran au coeur de l'hiver 1613, commanda à Barcelone et maintint cette place au pouvoir des Français,malgré les défaites de d'Harcourt et de Condé. Ce fut lui qui se chargea, en 1650, d'arrêter Marchin, devenu suspect au cardinal Mazarin, et de le conduire à Perpignan. Sa fermeté ainsi que les nombreux sacrifices personnels qu'il ne cessait de faire à la cause française lui valurent, en 1651, le grade de lieutenant-général. Cependant, dès cette époque, tout espoir était perdu pour les Français, d'occuper plus longtemps la Catalogne. Privé de secours et réduit à une garnison déjà affaiblie par de perpétuels combats, Margarit n'hésita pas à défendre Barcelone jusqu'à la dernière extrémité. En ce temps une maladie contagieuse jonchait de morts les rues et les places de la cité. Cinquante mille catalans avaient succombé. La ville n'avait plus de troupes. Margarit qui avait vu périr autour de lui quarante de ses domestiques, frappés par le fléau, voulut, du moins, retarder la soumission de Barcelone. Il retira des hôpitaux quatre mille hommes échappés à la peste, qui avait décimé autour de lui les populations effrayées ; il renforça tous les postes, et se prépara avec le comte d'Ille, à une résistance opiniâtre. La flotte ennemie parut à la vue du port et en ferma l'entrée. Du côté de la terre, une armée nombreuse pressait la place : on vit que celle-ci ne pouvait être secourue. Cependant Margarit repoussa les sommations du général ennemi, comme il repoussa ses attaques vives et prolongées. Quinze mois s'écoulèrent et durant ce long intervalle le héros catalan se multipliait partout : hors des murs, pour commander les sorties, sur les remparts, pour les défendre, dans les hôpitaux, pour y secourir les blessés. Enfin, toute résistance devint impossible. Le peuple murmura, une sédition allait livrer les portes à l'ennemi qui, déjà, proclamait le pardon de tous, à l'exception de celui de Margarit. Satisfait d'avoir rempli toutes ses obligations envers le roi et d'avoir vu quarante mille Espagnols perdre la vie au pied des murs dont la défense avait été confiée à son courage et à sa loyauté, Margarit se jeta dans une frêle embarcation, traversa la flotte ennemie et arriva sain et sauf à Perpignan. Là, il reçut de Louis XIV la récompense de sa bravoure et de sa fidélité. La terre d'Aguilar fut érigée en marquisat pour lui. Il avait perdu en Espagne son immense fortune ; ses châteaux avaient été incendiés ; sa tête avait été mise à prix. Le traité de 1659 lui rendit une partie de sa fortune, et lorsque Philippe V monta sur le trône des Espagnes, la famille de Margarit recouvra toutes les possessions que lui avaient léguées ses pères. Margarit obtint, en outre, le 18 juin 1653, les biens de Thomas de Banyuls, d'Antoine de Genères et du vicomte d'Evol ; le 8 novembre de cette même année, il reçut concession de rentes sur les domaines de Gabriel et Emmanuel de Llupia, père et fils. Par une lettre datée de Paris, le 26 janvier 1658, le roi de France le nomma vice-roi et lieutenant-général de Catalogne, en remplacement du duc de Candale. Joseph de Margarit occupa cette haute situation jusqu'à la paix qui fut conclue au Traité des Pyrénées. Dans le cours du mois de juillet 1667, des lettres patentes de Louis XIV lui concédèrent la jouissance des villes de Thuir et de Toluges pour lui et ses enfants mâles ; mais le 11 avril 1669, de nouvelles instructions royales ordonnèrent que ces deux villes feraient retour au Domaine. Le marquis d'Aguilar reçut en dédommagement la baronnie de Brens, avec la métairie de la Grange. Il mourut en 1685. Du mariage qu'il avait contracté avec sa cousine Marie de Biure, Joseph de Margarit avait eu sept enfants : Hyacinthe, qui mourut à onze ans : Gaspard, né en 1631, qui combattait aux côtés de son père, dès l'âge de dix-huit ans et qui mourut à Perpignan en 1656, étant colonel de cavalerie ; Jean, l'héritier du nom, des titres et des biens de la famille ; Joseph, qui fut abbé de Saint-Martin du Canigou depuis 1692 jusqu'en 1698 et qui, avant résigné cette prélature pour une autre dignité ecclésiastique de Narbonne, mourut en 1701 ; Jacques, qui épousa une demoiselle Castello, décédée sans postérité ; Raphaëlle, qui se maria à Galcerand de Cruilles, comte de Montagu, et Béatrix, qui unit ses destinées à celles de Jean-François de Gléon, vicomte de Durban.

Archives des Pyrénées-Orientales, B 394-399-401 - Pella y Forgas, Un catala il.lustre ; Biografia de D. Joseph Margarit y de Biure, Gérone, in-4°, 1876


(1) M. Pere Margarit i Daroca nous a aimablement signalé l'erreur de l'abbé Capeille sur ce point : il ne s'agit pas de Mazarin mais bien du cardinal Richelieu. C'est ce qu'indique l'historien Josep Pella y Forgas dans son livre Un catala il.lustre ; Biografia de D. Joseph Margarit y de Biure.
Note de Robert Vinas.