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I. Jusques à quand abuseras-tu de notre
patience, Catilina ? Combien de temps encore serons-nous
ainsi le jouet de ta fureur ? Où s'arrêteront
les emportements de cette audace effrénée ? Ni
la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin (1), ni les postes
répandus dans la ville (2), ni l'effroi du
peuple, ni le concours de tous les bons citoyens, ni le
choix, pour la réunion du sénat, de ce lieu le
plus sûr de tous (3), ni les regards ni
le visage de ceux qui t'entourent (4), rien ne te
déconcerte ? Tu ne sens pas que tes projets sont
dévoilés ? Tu ne vois pas que ta conjuration
reste impuissante, dès que nous en avons tous le
secret ? Penses-tu qu'un seul de nous ignore ce que tu as
fait la nuit dernière et la nuit
précédente (5), où tu es
allé, quels hommes tu as réunis, quelles
résolutions tu as prises ?
0 temps ! ô moeurs ! Le sénat connaît tous
ces complots, le consul les voit ; et Catilina vit encore. Il
vit ? que dis-je ? il vient au sénat ; il prend part
aux conseils de la république ; son oeil choisit et
désigne tous ceux d'entre nous qu'il veut immoler. Et
nous, hommes pleins de courage, nous croyons assez faire pour
la république, si nous échappons à sa
fureur et à ses poignards. Il y a longtemps, Catilina,
que le consul aurait dû t'envoyer à la mort, et
faire tomber sur ta tête le coup fatal dont tu menaces
les nôtres.
Eh quoi ! un citoyen
illustre, le grand pontife P. Scipion (6), frappa de mort,
sans être magistrat (7), T. Gracchus pour
une légère atteinte aux institutions de la
république ; et nous, consuls, nous laisserons vivre
Catilina, qui aspire à désoler l'univers par le
meurtre et par l'incendie ? Je ne rappelle pas l'exemple trop
ancien de C. Servilius Ahala (8), tuant de sa propre
main Sp. Mélius, qui cherchait à faire une
révolution. C'est qu'il y avait autrefois dans cette
république, oui, il y avait des hommes assez courageux
pour infliger des châtiments plus sévères
à un citoyen pernicieux qu'à l'ennemi le plus
acharné. Nous sommes armés contre toi,
Catilina, d'un sénatusconsulte (9) d'une rigueur
terrible ; ni la sagesse ni l'autorité de cet ordre ne
manquent à la république ; c'est nous, je le
dis ouvertement, c'est nous consuls qui lui manquons.
II. Autrefois un
décret du sénat chargea le consul L. Opimius de
veiller à ce que la république ne
souffrît aucun dommage. Avant la fin du jour, C.
Gracchus (10),
malgré l'illustration de son père, de son
aïeul et de ses ancêtres, fut mis à mort
comme soupçonné de quelques projets
séditieux ; le consulaire M. Fulvius (11) périt avec
ses enfants. Un sénatusconsulte semblable remit le
sort de la république aux mains des consuls C. Marius
et L. Valérius : s'écoula-t-il un seul jour
sans qu'une mort, qui devait venger la patrie,
atteignît le tribun du peuple L. Saturninus (12) et le
préteur C. Servilius ? Mais nous, voilà vingt
jours que nous laissons s'émousser dans nos mains le
glaive de l'autorité du sénat. Car nous avons
pour nous ce même décret ; mais il est
enfermé dans nos archives, comme une
épée dans son fourreau ; ce décret
demande, Catilina, que tu meures à l'instant. Tu vis ;
et tu vis non pas pour abjurer, mais pour affermir ton
audace. Je voudrais, pères conscrits, me montrer
clément ; je voudrais aussi, quand la
république est dans un si grand danger, ne pas laisser
voir de faiblesse ; mais je condamne moi-même à
présent ma coupable inertie.
Il y a en Italie, dans les gorges de l'Etrurie (13), un camp
armé contre la république ; le nombre des
ennemis s'accroît de jour en jour ; le
général de cette armée, le chef des
rebelles est dans nos murs, et nous le voyons même dans
le sénat, préparant chaque jour quelque nouveau
malheur au sein de la patrie. Si dans ce moment, Catilina, je
te faisais saisir et mettre à mort, j'aurais à
craindre, je crois, que tous les bons citoyens ne
m'accusassent de l'avoir fait trop tard, plutôt que
d'avoir été trop cruel. Mais ce que j'aurais
dû faire depuis longtemps, de sérieux motifs
(14)
m'engagent à le différer encore. Tu
périras, Catilina, lorsqu'on ne pourra plus trouver un
homme assez méchant, assez pervers, assez semblable
à toi pour ne pas convenir que ton supplice fut
mérité. Aussi longtemps qu'il en restera un
seul qui ose te défendre, tu vivras, mais tu vivras
comme tu vis maintenant, entouré par moi d'une garde
nombreuse et sûre, afin que tu ne puisses rien
entreprendre contre la république. Partout des yeux et
des oreilles continueront, sans que tu le saches, à te
surveiller, à t'épier.
III. Que peux-tu
donc, Catilina, espérer encore, si les
ténèbres de la nuit n'ont pas caché
à nos yeux tes assemblées criminelles, si les
murs d'une maison n'ont pas étouffé la voix de
ta conjuration ? si tout est mis au jour, si tout
éclate ? Renonce à tes desseins, crois-moi ; ne
songe plus au meurtre et à l'incendie. Tu es
enveloppé de toutes parts ; tous tes projets sont pour
nous plus clairs que le jour ; tu peux même les
rappeler avec moi à ton souvenir.
Te souvient-il que, le douzième jour avant les
calendes de novembre (15), je dis dans le
sénat qu'à jour fixe, dans six jours (16), Mallius
prendrait les armes, Mallius le satellite et le ministre de
ton audace ? Me suis-je trompé, Catilina, non
seulement sur un fait si important, si criminel, si
incroyable, mais, ce qui est plus étonnant, me suis-je
trompé sur le jour ? J'annonçai de plus au
sénat que tu avais fixé le massacre des
principaux citoyens au cinquième jour avant les
mêmes calendes, jour où plusieurs d'entre eux
sortirent de Rome, moins pour sauver leur vie que pour faire
échouer tes complots. Peux-tu nier que ce
jour-même, environné de gardes placés par
ma vigilance, il te fut impossible de rien tenter contre la
république, et que tu dis, pour te consoler du
départ des autres, que, puisque j'étais
resté, ma mort te suffisait ?
Eh quoi ! lorsque, le 1er novembre, tu comptais t'emparer de
Préneste (17) à la
faveur de la nuit, ne t'es-tu pas aperçu que cette
colonie se trouvait sous la protection de postes et de gardes
que mes ordres y avaient placés ? Il n'est pas une de
tes actions, pas un de tes projets, pas une de tes
pensées, non seulement dont on ne m'instruise, mais
encore que je ne voie, que je ne connaisse à
fond.
IV. Rappelle enfin
avec moi l'avant-dernière nuit à ta
mémoire ; tu comprendras alors que je veille avec plus
d'ardeur pour le salut de la république que toi pour
sa perte. Je dis que l'avant-dernière nuit tu te
rendis au quartier des fourbisseurs (18) (je ne cacherai
rien), dans la maison de M. Léca, où se
réunirent en grand nombre les complices de ta
criminelle fureur. Oses-tu le nier ? Tu te tais ! Je te
convaincrai, si tu le nies. Car je vois ici dans le
sénat quelques-uns de ceux qui se trouvaient avec toi
(19).
0 dieux immortels ! Où sommes-nous ? quelle
république est la nôtre ? dans quelle ville
vivons-nous ? Ici, ici même, au milieu de nous,
pères conscrits, dans ce conseil le plus auguste et le
plus imposant de l'univers, il y a des hommes qui conspirent
ma perte, celle de nous tous, la ruine de Rome, celle du
monde entier. Moi, consul, je les vois, et je prends leur
avis sur les intérêts de l'Etat ! J'aurais
dû les faire tomber sous le fer, et ma voix même
les épargne encore ! Tu as donc été chez
Laeca cette nuit-là, Catilina ; tu as fait à
tes complices le partage de l'Italie (20) ; tu as
assigné les lieux où chacun devait se rendre ;
tu as choisi ceux que tu laisserais à Rome, ceux que
tu emmènerais avec toi ; tu as désigné
les quartiers de la ville où l'on devait allumer
l'incendie (21) ; tu as
donné l'assurance que tu allais partir bientôt ;
tu as dit que si tu tardais quelques moments encore,
c'était parce que je vivais. Il s'est trouvé
deux chevaliers romains (22) pour te
délivrer de cette inquiétude, et te promettre
que, cette nuit-là même, un peu avant le jour,
ils viendraient me tuer dans mon lit.
A peine étiez-vous séparés, que j'ai
tout connu (23). J'ai fait
protéger et défendre ma maison par une garde
plus nombreuse, et j'en ai fermé l'entrée
à ceux que tu avais envoyés le matin pour me
saluer ; c'étaient ceux-là mêmes que
j'avais nommés d'avance à plusieurs citoyens de
la plus haute distinction et dont j'avais annoncé la
visite pour ce moment.
V. Ainsi donc,
Catilina, poursuis tes desseins ; sors enfin de Rome ; les
portes sont ouvertes, pars : il y a trop longtemps que le
camp de Mallius, que ton année attend son
général. Emmène avec toi tous tes
complices, ou du moins le plus grand nombre ; que la ville en
soit purgée ; tu me délivreras de grandes
alarmes, dès qu'un mur me séparera de toi. Tu
ne peux demeurer plus longtemps avec nous ; je ne veux pas le
souffrir, je ne le tolérerai, je ne le permettrai
pas.
Grâces soient à jamais rendues aux dieux
immortels, et surtout au maître de ce temple, à
Jupiter Stator, le plus antique protecteur de cette ville,
pour nous avoir fait échapper tant de fois à ce
fléau si cruel, si effrayant, si funeste pour la
république. Il ne faut pas qu'un seul homme mette une
fois encore la patrie entière en danger. Aussi
souvent, Catilina, que tu m'as tendu des pièges,
lorsque j'étais consul désigné, je me
suis défendu par ma propre vigilance, sans invoquer le
secours public. Lorsque, aux derniers comices consulaires
(24), tu as
voulu m'assassiner dans le champ de Mars (25) et les
compétiteurs (26) avec moi, j'ai
trompé tes efforts criminels avec l'aide de mes
nombreux amis (27), sans que la
tranquillité publique en ait été
troublée : toutes les fois enfin que tes coups m'ont
menacé, c'est par moi-même que je m'en suis
garanti, quoiqu'il fût évident à mes yeux
que ma perte entraînerait de grands malheurs pour
l'Etat. Aujourd'hui c'est la république
elle-même que tu menaces ouvertement ; c'est la mort de
tous les citoyens que tu veux ; c'est sur les temples des
dieux, sur les maisons de Rome, en un mot sur l'Italie
entière que tu appelles la ruine et la
dévastation.
Aussi, puisque je n'ose pas prendre encore le premier parti,
celui que réclamaient et mon autorité de consul
et les exemples de nos ancêtres, j'en prendrai un autre
moins rigoureux et plus utile au salut de tous. En effet, si
j'ordonne ta mort, tes complices épargnés
resteront au sein de la république. Mais si tu pars,
comme je t'y exhorte depuis longtemps, Rome verra
s'écouler hors de ses murs cette lie de
conjurés, cette troupe immonde si dangereuse pour
l'Etat.
Eh quoi, Catilina, tu hésites à faire pour
m'obéir ce que tu faisais déjà de
toi-même ? Le consul veut qu'un ennemi sorte de la
ville. Tu me demandes si c'est pour aller en exil (28) ? je ne l'ordonne
pas, mais, si tu me consultes, je t'y engage.
VI. Quel charme,
Catilina, peut désormais avoir pour toi le
séjour d'une ville dans laquelle, à l'exception
de ces hommes perdus entrés dans ta conjuration, il
n'est personne qui ne te craigne, personne qui ne te
haïsse ? Est-il un opprobre domestique qui n'ait
laissé à ton front sa flétrissure ?
Est-il un genre d'infamie dont la honte ne s'attache à
ta vie privée ? Quelle impureté, quel forfait,
quelle turpitude n'ont pas souillé tes yeux, tes
mains, toute ta personne ? Quel est l'adolescent (29),
enchaîné par tes séductions corruptrices,
dont tu n'aies armé le bras pour le crime, ou servi
les débauches ?
Mais quoi ! lorsque dernièrement, par le meurtre d'une
première épouse (30), tu eus fait
place dans ta maison à un nouvel hymen, n'as-tu pas
mis le comble à ce crime par un incroyable forfait
(31) ? Je
m'abstiens d'en parler, et je consens aisément
à ce qu'on le taise, afin qu'on ne sache pas qu'un
attentat aussi monstrueux a été commis dans
Rome, ou qu'il y est resté impuni. Je ne dis rien de
la ruine complète de ta fortune, dont tu es
menacé pour les ides prochaines (32) ; je ne m'occupe
pas de l'ignominie dont tes désordres personnels te
couvrent, ni des embarras domestiques qui t'avilissent, je ne
m'attache qu'aux faits qui intéressent la
république tout entière, le salut et la vie de
tous les citoyens.
Peux-tu jouir avec bonheur, Catilina, de la lumière
qui nous éclaire ou de l'air que nous respirons,
lorsque tu sais qu'il n'est aucun de nous qui ignore que la
veille des calendes de janvier, sous le consulat de
Lépidus et de Tullus (33), tu te
présentas dans les comices armé d'un poignard ?
que tu avais aposté une troupe de
scélérats pour assassiner les consuls et les
principaux citoyens ? que ce ne fut ni le repentir ni la
crainte qui mirent obstacle à ta fureur, mais la
fortune du peuple romain ? Mais je passe sur ces crimes
(34). Ils ne
sont pas ignorés, et beaucoup d'autres les ont suivis.
Combien de fois lorsque j'étais consul
désigné, combien de fois depuis que j'exerce le
consulat, n'as-tu pas voulu m'arracher la vie ! Combien de
fois ne me suis-je pas dérobé par un
léger détour, et, comme on le dit, par un
mouvement du corps, à tes attaques si bien
dirigées (35) qu'elles
paraissaient inévitables ! Il n'est aucun de tes
actes, aucun de tes succès, aucune de tes intrigues
qui n'arrivent à temps à ma connaissance, et
cependant rien ne décourage tes efforts ni ne change
ta volonté. Combien de fois ce poignard a-t-il
été arraché de tes mains ? Combien de
fois encore le hasard l'en a-t-il fait tomber ou
échapper malgré toi ? Tu ne peux
néanmoins t'empêcher de le ressaisir
aussitôt. J'ignore sur quels autels tes voeux l'ont
consacré (36) pour que tu te
croies obligé de le plonger dans le sein d'un
consul.
VII. Mais maintenant
quelle vie est la tienne ? Car je vais te parler non plus
avec la haine que tu mérites, mais avec la
pitié dont tu n'es pas digne. Tu viens d'entrer dans
le sénat : eh bien ! dans cette assemblée si
nombreuse, où tu as tant d'amis et de proches, qui est
celui qui t'a salué ? Si personne jusqu'ici n'a subi
cet affront, peux-tu attendre que la voix du sénat
prononce le honteux arrêt que t'inflige si
énergiquement son silence ? Pourquoi à ton
arrivée ces sièges sont-ils restés vides
? Pourquoi tous ces consulaires, dont tu as si souvent
résolu la mort, ont-ils, aussitôt que tu t'es
assis, abandonné et laissé désert ce
côté de l'enceinte ?
Comment as-tu le courage de supporter cet opprobre ? Certes,
si mes esclaves me redoutaient comme tous tes concitoyens te
redoutent, je me croirais obligé d'abandonner ma
maison : et toi, tu ne crois pas devoir quitter la ville ? Si
je me voyais, même injustement, l'objet de tant de
soupçons et de tant de haines de la part de mes
concitoyens, j'aimerais mieux me bannir de leur
présence, que de ne rencontrer partout que des regards
irrités : et toi, quand ta conscience coupable te
force à reconnaître que cette haine universelle
est méritée, qu'elle t'est due depuis
longtemps, tu hésites à éviter l'aspect
et la rencontre de ceux dont tu blesses tous les sentiments ?
Si tu voyais ceux qui t'ont donné le jour te redouter
et te haïr, sans qu'il te fût possible de les
ramener, tu chercherais, je pense, une retraite loin d'eux :
eh bien ! la patrie, notre mère commune à tous,
te hait, te redoute ; elle n'attend de toi depuis longtemps
que des complots parricides. Ne montreras-tu ni respect pour
son autorité, ni soumission à son jugement, ni
crainte de sa puissance ?
Elle s'adresse à toi, Catilina ; elle semble te tenir
ce langage : «Depuis quelques années il ne s'est
pas commis un seul forfait dont tu ne sois l'auteur ; pas un
scandale auquel tu n'aies pris part ; toi seul tu as pu
massacrer impunément des citoyens (37), tyranniser et
piller des alliés (38) ; tu as eu le
pouvoir non seulement de mépriser les lois et les
tribunaux, mais de les renverser et de les détruire
(39). Quoique
ces attentats fussent intolérables, je les ai
cependant soufferts comme j'ai pu : mais être
réduite par toi à de continuelles alarmes ; au
moindre bruit, trembler devant Catilina ; penser que je ne
peux être l'objet d'aucun complot qui ne se rattache
à ta conspiration, voilà ce que je ne saurais
supporter. Retire-toi donc, et délivre-moi de ma
terreur : si elle est fondée, pour que je ne succombe
pas, si elle est chimérique, pour que j'en sois enfin
affranchie».
VIII. Si la patrie te
parlait ainsi, ne devrait-elle pas être obéie,
quand bien même elle ne pourrait l'exiger par la force
? Et d'ailleurs, n'as-tu pas offert toi-même de te
constituer prisonnier (40) ? N'as-tu pas
déclaré que, pour écarter les
soupçons, tu voulais habiter la maison de M.
Lépidus (41) ? Repoussé
par lui, tu as osé venir chez moi, tu m'as prié
de t'y garder. Je t'ai répondu aussi que je ne pouvais
vivre en sûreté dans la même maison que
toi, puisque c'était déjà pour moi un
grand danger de me trouver dans la même ville ; tu t'es
rendu alors chez le préteur Q. Métellus
(42). Sur son
refus, tu as cherché un asile auprès de ton
ami, l'excellent citoyen M. Marcellus (43) ; tu
espérais sans doute trouver en lui la plus grande
vigilance à te surveiller, la plus habile
pénétration à deviner tes desseins, et
la plus ferme énergie à les réprimer.
Mais est-il bien loin de mériter la prison et les
fers, celui qui de lui-même se juge indigne de la
liberté ?
Puisqu'il en est ainsi, Catilina, puisque tu ne peux attendre
ici une mort paisible, hésiterais-tu à te
retirer dans quelque autre pays, et à cacher dans
l'exil et dans la solitude une vie arrachée plus d'une
fois à des supplices bien justes et bien
mérités ? «Fais ton rapport au
sénat», dis-tu ; car c'est là ce que tu
demandes, et s'il plaît à cette assemblée
de décréter ton exil, tu promets
d'obéir. Je ne ferai pas une proposition qui
répugne à mon caractère ; et cependant
je saurai te faire comprendre le sentiment des
sénateurs. Sors de Rome, Catilina, délivre la
république de ses craintes ; pars pour l'exil, si
c'est le mot que tu attends. Eh bien ! Catilina, remarques-tu
le silence de tes juges ? Ils ne réclament pas, ils se
taisent. Pourquoi attendre que leur voix prononce ta
sentence, lorsque, sans parler, ils te la font clairement
connaître ?
Si je tenais le même langage au jeune et vertueux P.
Sextius (44),
ou à l'illustre M. Marcellus (45),
déjà, malgré mon titre de consul, et
dans ce temple même, le sénat, justement
irrité, aurait sévi contre moi. Mais lorsque
c'est à toi, Catilina, que je parle ainsi, s'ils ne
s'émeuvent pas, c'est qu'ils m'approuvént ;
leur calme est un jugement ; leur silence, un éclatant
arrêt. Ainsi pensent non seulement ces
sénateurs, dont tu respectes sans doute beaucoup
l'autorité, et dont tu comptes la vie pour si peu de
chose mais encore ces honorables et vertueux chevaliers
romains, et tous ces généreux citoyens qui
environnent le sénat, dont, tout à l'heure, tu
as pu voir l'affluence, reconnaître les sentiments et
entendre les murmures. Depuis longtemps j'ai peine à
te défendre de leurs coups ; mais, si tu quittes cette
ville dont tu médites depuis si longtemps la ruine,
j'obtiendrai facilement d'eux qu'ils t'accompagnent jusqu'aux
portes (46).
IX. Mais, que dis-je
? espérer que rien t'ébranle ? que jamais tu
renonces au crime et que tu conçoives l'idée de
fuir ? que tu songes à t'exiler ? Puissent les dieux
immortels t'en inspirer la résolution ! Cependant je
n'ignore pas, si mes paroles t'effrayent et te
décident à l'exil, de quels orages la haine va
menacer ma tête, si ce n'est aujourd'hui que le
souvenir de tes crimes est encore récent, du moins
dans l'avenir. Eh bien ! j'y consens, pourvu que ce malheur
n'atteigne que moi et préserve la république de
tout danger. Mais que tu te révoltes toi même
contre tes propres vices, que tu craignes la vengeance des
lois, que tu fasses un sacrifice à la patrie, il ne
faut pas le demander. Ce n'est pas toi, Catilina, que la
honte peut détourner de l'infamie, ou la crainte
éloigner du danger, ou la raison calmer dans ta
fureur.
Pars donc, je te le répète encore ; et, si je
suis ton ennemi, comme tu le proclames, si tu veux à
ce titre soulever la haine contre moi, va droit en exil :
j'aurai peine à soutenir les clameurs de l'envie, si
tu prends ce parti ; j'aurai peine à supporter
l'odieux de ton bannissement, si c'est l'ordre du consul qui
le prononce. Si tu aimes mieux, au contraire, servir ma
réputation et ma gloire, sors avec cette dangereuse
troupe de scélérats ; rends-toi près de
Mallius ; soulève les mauvais citoyens ;
sépare-toi des bons ; fais la guerre à ta
patrie ; sois fier de mener des brigands (47) à ce
combat sacrilège : on ne dira pas alors que je t'ai
rejeté dans une terre étrangère, mais
que je t'ai invité à aller rejoindre tes
amis.
Mais qu'est-il besoin de t'y inviter, quand je sais que tu as
déjà fait partir en avant des hommes
armés pour t'attendre au forum d'Aurélius
(48) ? que tu
as pris jour avec Mallius ? que tu as encore envoyée
devant toi cette aigle d'argent (49), qui te sera
fatale, j'en suis sûr, ainsi qu'à tous les tiens
; cette aigle à laquelle tu as consacré dans ta
maison un sanctuaire de crimes ? Comment resterais-tu
séparé plus longtemps de cet objet de ton
culte, auquel tu adressais toujours tes voeux en partant pour
un assassinat, dont tu as souvent quitté l'autel pour
aller plonger ton bras dans le sang des citoyens ?
X. Tu iras donc
enfin où t'appelait depuis longtemps ta fureur, ton
désir effréné. Car ce départ,
bien loin de t'affliger, te cause je ne sais quelle
inexprimable joie. C'est pour de semblables fureurs que la
nature t'a fait naître, que les travaux t'ont
formé, que la fortune t'a réservé.
Jamais tu n'as aimé le repos ; que dis-je ! la guerre
même ne t'a plu qu'autant qu'elle était
criminelle. Tu as trouvé une armée
composée d'hommes perdus et dénués non
seulement de toute fortune, mais de toute espérance.
Quelle satisfaction tu vas goûter au milieu d'eux !
quels transports d'allégresse ! quelle ivresse de
plaisir, lorsque, dans cette foule innombrable des tiens, tu
n'entendras, tu ne verras aucun homme de bien ! C'est comme
préparation à ce genre de vie, que tu as
enduré ces fatigues dont on veut te faire gloire :
coucher sur la dure, non seulement pour attenter à
l'honneur des familles, mais pour trouver l'occasion du crime
; veiller pour tendre à la fois des pièges et
au sommeil des maris, et à la sécurité
des riches (50). Voici l'occasion
de signaler ce courage fameux à supporter la faim, le
froid, le manque absolu de toutes choses, dont tu vas
bientôt te sentir accablé.
J'ai gagné du moins, en te faisant repousser du
consulat (51),
que la république fût attaquée par un
banni, mais non pas déchirée par un consul, et
que ton entreprise criminelle prît le nom d'une
incursion de brigands plutôt que d'une guerre.
XI. Maintenant,
pères conscrits, pour prévenir et
détourner un reproche que la patrie pourrait
m'adresser avec une sorte de justice, donnez, je vous prie,
toute votre attention à ce que je vais dire, et
gardez-le fidèlement dans votre souvenir. Si la
patrie, en effet, qui m'est beaucoup plus chère que la
vie, si toute l'Italie, si la république
entière m'adressait ces paroles : «M. Tullius,
que fais-tu ? Cet homme que tu as reconnu pour mon ennemi,
que tu sais être prêt à diriger la guerre,
celui que les ennemis attendent dans leur camp pour les
commander, l'auteur de cette criminelle tentative, le chef de
la conjuration, l'instigateur des esclaves et des mauvais
citoyens, je le laisseras partir, pour qu'on dise qu'au lieu
de l'expulser de Rome, tu l'as déchaîné
contre elle ? Ne le feras-tu pas charger de fers,
traîner à la mort, livrer au dernier supplice
?
Qui peut donc te retenir ? Les usages de nos ancêtres ?
Mais souvent, dans cette république, même de
simples particuliers ont frappé de mort des citoyens
dangereux. Les lois qui ont été portées
sur le supplice des citoyens romains (52) ? Mais jamais,
dans cette ville, ceux qui se sont révoltés
contre la république n'ont conservé leurs
droits de citoyens. Redoutes-tu la haine de la
postérité ? Tu témoignes alors une noble
reconnaissance au peuple romain, qui, ne te connaissant que
par toi-même (53), et sans que tu
fusses recommandé par le nom de tes aïeux, t'a si
promptement (54)
élevé par toutes les charges jusqu'à la
magistrature suprême, si la pensée de quelque
haine ou la crainte de quelque danger te fait sacrifier le
salut de tes concitoyens. Mais si c'est la haine que tu
redoutes, est-elle donc plus effrayante quand on l'a
soulevée par sa vigueur et son courage que lorsqu'elle
poursuit une coupable faiblesse ? Quand la guerre ravagera
l'Italie, quand les villes seront saccagées, les
maisons livrées aux flammes, penses-tu donc
échapper alors aux feux de la haine allumée
contre toi ?»
XII. A ces paroles
sacrées de la patrie, et à ceux dont le
sentiment les approuve, je réponds en peu de mots :
Oui, si j'avais jugé, pères conscrits, que
mettre à mort Catilina fût le meilleur parti
prendre, je n'aurais pas laissé ce vil gladiateur
vivre une heure de plus. Car si autrefois de grands hommes,
d'illustres citoyens, bien loin de ternir leur gloire, se
sont honorés par le meurtre de Saturninus, des
Gracques, de Flaccus et de plusieurs autres, certes je ne
devais pas craindre que le supplice de l'assassin impie de
ses concitoyens attirât sur ma tête le
ressentiment de la postérité. Et quand je
serais certain de ne pas l'éviter, j'ai toujours
pensé qu'une disgrâce méritée par
le courage est moins une flétrissure qu'une
gloire.
Mais il est dans cette assemblée des hommes qui ne
voient pas, ou qui feignent de ne pas voir le danger qui nous
menace ; ils ont nourri les espérances de Catilina par
la mollesse de leurs conseils, et donné des forces
à la conjuration naissante en refusant d'y croire.
Forts de leur autorité, bien des gens, je ne dis pas
seulement méchants, mais encore mal informés,
si j'avais sévi contre lui, m'accuseraient de
cruauté et de tyrannie. Je sais que si Catilina
exécute son projet, s'il se rend au camp de Mallius,
il n'y aura plus un homme assez aveugle pour ne pas voir
qu'il existe une conjuration, ou assez pervers pour ne pas en
convenir. D'un autre côté, si Catilina seul
eût péri, je veux bien que sa mort eût
arrêté le mal pour un moment, mais elle ne
l'aurait pas étouffé pour toujours. Si au
contraire il se bannit lui même, s'il emmène
tous ses complices, s'il appelle autour de lui tous ceux qui
ont vu le naufrage de leur fortune, non seulement alors ce
fléau, dont les progrès sont si
menaçants pour la république, sera
détruit à jamais, mais nous aurons
extirpé la racine, étouffé le germe de
tous nos maux.
XIII. Depuis
longtemps, pères conscrits, nous vivons
entourés des dangers et des piéges de la
conjuration ; mais je ne sais par quelle fatalité tous
ces crimes, longuement médités par la fureur et
par l'audace, se sont trouvés prêts à
faire explosion sous mon consulat. Si de tous ces brigands le
chef seul était enlevé, nous serions
peut-être délivrés pour quelque temps de
nos inquiétudes et de nos craintes ; mais le
péril continuerait d'exister tout entier,
enfermé au coeur même de la république.
Le malade que dévore une fièvre brûlante
paraît un moment soulagé, quand il a bu de l'eau
glacée ; mais bientôt le mal redouble et
achève de l'abattre : ainsi la maladie qui travaille
la république, calmée par le châtiment de
Catilina, s'aggravera de nouveau si ses complices lui
survivent.
Que les méchants se retirent donc, pères
conscrits, qu'ils se séparent des bons ; qu'ils se
rassemblent dans un même lieu ; qu'ils mettent, comme
je l'ai dit souvent, un mur entre eux et nous ; qu'ils
cessent de tendre des embûches au consul dans sa propre
maison, d'entourer le tribunal du préteur de la ville
(55),
d'assiéger le sénat les armes à la main,
d'amasser des torches (56) pour mettre nos
maisons en flammes ; enfin que chacun porte écrits sur
son front les sentiments qui l'animent à
l'égard de la république. Je vous promets,
pères conscrits, qu'il y aura tant de vigilance dans
les consuls, tant d'autorité dans le sénat,
tant de courage chez les chevaliers romains et d'accord entre
tous les bons citoyens, qu'après le départ de
Catilina vous verrez tous ses projets découverts, mis
au grand jour, étouffés et punis.
Que ces présages t'accompagnent, Catilina ; va pour le
salut de la république, pour ton malheur et ta ruine,
pour la perte de ceux que le crime et le parricide unissent
à toi, va commencer cette guerre impie et
sacrilège. Et toi, Jupiter, toi, dont le temple fut
fondé par Romulus sous les mêmes auspices que la
ville elle-même ; toi, que nous nommons à juste
titre le conservateur (57) de Rome et de
l'empire ; tu protégeras contre les coups de ce
furieux et de ses complices tes autels, les temples des
autres dieux, les maisons et les murs de la ville, la vie et
la fortune de tous les citoyens ; et ces hommes hostiles
à tous les gens de bien, ces ennemis de la patrie, ces
dévastateurs de l'Italie, unis entre eux par le lien
des crimes et par un pacte sacrilège, tu les livreras
et pendant leur vie et après leur mort à des
supplices qui ne cesseront jamais.
(1) Palatii.
Le mont Palatin, situé à peu près au
centre des sept collines sur lesquelles la ville
s'était successivement étendue, les
dominait toutes. Ce lieu, premier berceau de Rome,
offrait donc dans les temps de trouble la position la
plus favorable pour établir des postes de
surveillance et résister aux tentatives
populaires. C'était en même temps le plus
beau, le plus salubre quartier de la ville, celui que les
plus riches citoyens aimèrent toujours à
habiter, et où demeuraient Cicéron et
Catilina lui-même. Octave et Tibère s'y
établirent plus tard, et achetèrent alors
la plupart des habitations particulières pour
agrandir leurs somptueux palais. |
|
(2) Urbis
vigiliae. A la nouvelle donnée par L. Saenius,
que Mallius avait pris les armes en Etrurie, le
sénat avait ordonné, entre autres mesures
de précaution et de défense, que des postes
seraient établis dans tous les quartiers de la
ville et placés sous la main des magistrats
inférieurs (Sall. Cat., xxx). |
|
(3) Munitissimus
locus. Entre les différents édifices
dont le consul avait le choix pour tenir les
assemblées du sénat, et qui, pour la
plupart, étaient des temples (les autres
étaient des curies), Cicéron avait
préféré, dans cette circonstance
critique, celui de Jupiter Stator, comme étant le
plus à l'abri d'un coup de main par sa situation
à l'extrémité d'une des grandes
voies (la voie neuve), et au pied du mont Palatin. |
|
(4) Ora
vultusque. L'entrée de Catilina dans le
sénat avait été accueillie par les
signes de répulsion et de mépris de tous
les sénateurs. |
|
(5) Superiore
nocte. Venant après le mot proxima, qui
désigne la nuit qui avait
précédé immédiatement la
séance, superiore s'applique à celle
d'auparavant, c'est-à-dire celle où
s'était tenue chez Léca l'assemblée
dans laquelle avait été résolue la
mort de Cicéron (Voy. chap. IV). |
|
(6) P.
Scipio. Scipion Nasica, fils de Scipion le Censeur et
petit-fils de celui qui avait été
déclaré le plus honnête homme de la
république (optimus), et avait
été chargé à ce titre de
recevoir la mère des dieux arrivant de Pessinonte.
Il avait tué de sa main, au milieu du forum, le
tribun Tib. Gracchus, qui, par des harangues
séditieuses, cherchait à soulever le peuple
contre le sénat ; et cependant Gracchus
était beaucoup moins coupable que Catilina,
puisqu'il n'attaquait qu'un des ordres de l'Etat. |
|
(7) Privatus.
La dignité de grand pontife n'étant pas une
magistrature, ne donnait pas un caractère public
à celui qui en était revêtu. |
|
(8) C.
Servilius Ahala. Il avait été choisi
pour général de la cavalerie par l'illustre
dictateur Cincinnatus, et envoyé par lui pour
sommer Sp. Mélius de comparaître à
son tribunal. Celui-ci, accusé par le sénat
d'aspirer à la tyrannie, pour avoir fait dans un
temps de disette des distributions gratuites de grain au
peuple, dont cette générosité
l'avait rendu l'idole, refusa d'obéir à
l'ordre de Cincinnatus. Servilius Ahala le tua, et sa
conduite fut approuvée par le dictateur. |
|
(9) Senatusconsultum.
Le premier soin de Cicéron alarmé avait
été de provoquer de la part du sénat
le décret dont la formule solennelle : Danto
operam consules, ne... mettait entre les mains des
consuls une véritable dictature temporaire (Sall,
Cat., XXIX). |
|
(10) C.
Gracchus. Les Gracques avaient pour père
Sempromus Gracchus, censeur, deux fois honoré du
consulat et du triomphe, et pour aïeul le premier
Scipion l'Africain. C. Gracchus fut tué dans un
soulèvement, par le parti de la noblesse, dont le
consul Opimius était le chef. |
|
(11) M.
Fulvius. Consul et triumvir, ami des Gracques, il
seconda leurs tentatives, fit exécuter la loi
agraire, et voulut faire donner le droit de bourgeoisie
à tous les peuples d'Italie. Il succomba dans la
même circonstance et en même temps que C.
Gracchus. Opimius eut la barbarie d'immoler aussi ses
deux fils, dont l'un était encore enfant (Voy.
Sall, Jugurtha, XLII). |
|
(12) L.
Saturninum. Il avait été questeur et
deux fois tribun du peuple. En cette dernière
qualité, il avait favorisé puissamment les
élections de Marius à son quatrième
et à son sixième consulat. Jaloux de se
faire proroger dans le tribunat, il n'avait pas craint de
se l'assurer par le meurtre de son compétiteur.
Encouragé par ce premier succès, il fit
tuer ensuite Memmius, qui disputait le consulat à
Servilius Glaucia, associé ou plutôt
complice de Saturninus. Mais, au bruit de cet attentat,
les sénateurs coururent aux armes, et Marius,
quoique favorisant en secret les desseins de Saturninus
et de Glaucia, fut obligé de marcher contre eux,
les vainquit et les fit mettre à mort. |
|
(13) In
Etruriae faucibus. C'était à
Fésules que Mallius avait réuni une
armée composée, en grande partie, des
vétérans de Sylla. |
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(14) Certa
de causa. Ce motif est celui qu'il explique
aussitôt après et sur lequel il revient
encore à la fin du discours. (Voy. ch. XI et
XII). |
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(15) Ante
diem XII kalendas novembres. Les calendes
étaient les premiers jours de chaque mois. Leur
nom venait du mot calare, appeler, annoncer, parce
que anciennement, et lorsque les computs des temps
étaient soigneusement dérobés au
public, à l'apparition de la nouvelle lune qui
fixait les calendes, un petit pontife annonçait au
peuple, convoqué pour cet objet devant la curie
Calabra, sur le mont Capitolin, l'intervalle qui devait
s'écouler des calendes aux nones, en
répétant calo autant de fois que cet
intervalle contenait de jours. En effet, les nones, la seconde division du mois, étaient mobiles, c'est-à-dire qu'elles revenaient tantôt le cinquième, tantôt le septième jour, mais constamment neuf jours avant les ides, ce qui leur avait fait donner leur nom. Enfin les ides, la troisième division, variaient aussi du treizième au quinzième jour du mois, mais de manière à le partager en deux intervalles égaux. Leur dénomination leur venait du vieux mot iduare, partager. Maintenant, si l'on veut se rendre compte des différentes dates citées dans les Catilinaires, il faut savoir que l'on comptait isolément les jours de chaque fraction du mois, et que la numération s'en faisait en rétrogradant ; ainsi, par exemple, si l'on se trouve dans un mois où les nones tombent le cinquième jour, le jour qui suit les calendes, c'est-à-dire le deuxième jour, s'appelle le quatrième avant les nones, etc., et le quatrième se nomme la veille des nones, pridie nonas. Il en était de même pour les deux autres fractions ; ainsi le dernier jour d'un mois s'appelait la veille des calendes du mois suivant, pridie kalendas ; et les autres jours, en remontant jusqu'aux ides, se désignaient par le nombre de ceux qui les séparaient des calendes prochaines. Donc, le douzième jour avant les calendes de novembre, correspondait, d'après notre manière de compter, au 20 octobre. |
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(16) Diem
VI. Ce jour répondait au 26 octobre. |
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(17) Préneste.
Ville du Latium, non loin de Rome, et dont Catilina
voulait s'emparer, à cause de sa proximité
même, qui en faisait un poste avantageux pour
l'exécution de ses desseins. |
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(18) Inter
falcarios. Ce mot ne désigne pas des hommes
armés de faux comme l'ont cru quelques
interprètes, mais bien des ouvriers qui fabriquent
des faux et des armes, des fourbisseurs. Rome
était divisée en quatorze grandes
régions, dont chacune renfermait plusieurs
quartiers. Chaque région avait un numéro
d'ordre, et un nom emprunté soit à quelque
monument, soit à la localité principale de
sa circonscription, soit même à sa situation
topographique : par exemple, les régions de la
porte Capène, du mont Coelius, du Forum, du Cirque
Maxime, etc. Les quartiers, au nombre de près de deux cents, n'avaient point de numéro d'ordre, mais seulement un nom pris d'un magistrat ou d'un monument, et souvent du genre d'individus ou d'artisans qui l'habitaient. Inter falcarios ne signifie donc autre chose que in falcariorum vice. C'est parce que la maison de Léca se trouvait dans ce quartier éloigné que Catilina l'avait choisie, comme offrant un asile plus sûr. |
|
(19) Quosdam.
Salluste (Cat., ch. XVII) nomme onze
sénateurs attachés aux projets de
Catilina. |
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(20) Distribuisti
partes Italiae. D'après Salluste, Catilina
avait envoyé Mallius en Etrurie, Septimius dans le
Picénum, et C. Julius dans l'Apulie, etc. |
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(21) Ad
incendia. Statinius et Gabinius étaient
chargés de faire incendier à la fois douze
quartiers désignés (Sall, Cat., ch.
XLIII). |
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(22) Duo
equites romani. Suivant Salluste, ces deux chevaliers
se nommaient C. Cornélius et L.
Varguntéius. |
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(23) Comperi.
Au moyen des révélations de Fulvie, dans
l'esprit de laquelle Q. Curius, l'un des conjurés,
avait fait naître des soupçons par
d'extravagantes promesses (Sall., Cat., ch.
XIll). |
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(24) Comitiis
consularibus. Les comices tenus par Cicéron,
et dans lesquels son influence avait fait désigner
pour consuls Silanus et Muréna. |
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(25) In
campo. C'était dans le champ de Mars que se
tenaient les comices pour les élections des
magistrats. On distinguait trois sortes de comices : les comices par curies, les comices par centuries et les comices par tribus. L'institution des premiers remontait à Romulus, qui avait partagé tout le peuple en trois tribus, composées chacune de dix curies, Servius Tullius établit à son tour les comices par centuries : c'est le nom qu'il avait donné aux 193 nouvelles divisions dans lesquelles il avait partagé le peuple. L'ordre équestre en formait dix-huit ; les cent soixante-quinze autres se composaient du reste du peuple, et étaient distinguées en cinq classes qui prenaient rang suivant leur plus ou moins de richesse, et qui étaient toutes inégales entre elles quant au nombre de centuries qu'elles renfermaient. La première, par exemple, et la plus riche, en comptait quatre-vingts, et la cinquième, celle des prolétaires et des capitecensi, n'en avait que trente. Dans cette nouvelle combinaison, les votes se comptaient, non plus par tête, comme dans les comices par curies, mais par centurie ; et comme ils se recueillaient suivant l'ordre numérique, il en résultait que les centuries des riches formaient toujours une majorité suffisante avant qu'on les eût épuisées toutes, et que les affaires étaient décidées sans que les dernières centuries fussent seulement appelées à donner leurs suffrages, surtout la dernière de toutes, qui renfermait à elle seule plus de citoyens que toutes les autres ensemble. Après l'établissement des comices par tribus, les cent quatre-vingt-treize centuries de Servilius se trouvèrent réduites à quatre-vingt-deux, et les cinq classes à deux, celle des chevaliers et celle des simples citoyens. L'ordre équestre se composa de douze centuries et les soixante-dix autres furent réparties également dans les trente-cinq tribus. Pour garantir l'indépendance des comices par tribus, il fut réglé qu'à chaque réunion le sort déciderait laquelle des centuries donnerait son suffrage la première. Celle-ci prenait le nom de centurie prérogative, parce qu'elle exerçait sur les autres une influence morale si puissante que son vote devenait ordinairement celui de la majorité (Voy. pro Murena, ch. XVIII). La composition et les attributions des trois sortes de comices étaient différentes. Les seuls habitants de Rome avaient voix dans les comices par curies, où l'on élisait les magistrats inférieurs seulement. Dans les deux autres, où il s'agissait de l'élection des consuls et des premiers magistrats, les habitants des colonies et des villes municipales avaient le droit de suffrage. |
|
(26) Competitores
tuos. Silanus et Muréna. |
|
(27) Amicorum
praesidio. Le consul, pour rendre évidente aux
yeux de tous la grandeur du danger qu'il courait dans
cette circonstance, revêtit une cuirasse apparente,
et se fit accompagner par ses amis (Voy. pro
Murena, ch. XXVI). |
|
(28) Num
in exsilium ? Tout accusé, quelle que
fût la peine à laquelle il s'était
exposé, même la mort, pouvait
l'éviter en s'exilant lui-même (Voy. pro
Caecina, ch. XXXIV). |
|
(29) Cui
tu adolescentulo. Salluste, que l'on a cru pouvoir
accuser d'une sympathie secrète pour Catilina,
trace néanmoins un tableau bien plus
énergique et bien plus complet de ses
désordres (Voy. Sall, Catil, ch. XIV et
XVI). |
|
(30) Superioris
uxoris. Aurélia Orestilla, dans laquelle, dit
Salluste, il n'y avait à louer que la
beauté, avait inspiré à Catilina une
si folle passion, que celui-ci fut
soupçonné d'avoir fait mourir sa femme pour
épouser cette courtisane. Il est vrai que ce crime
ne fut jamais prouvé. |
|
(31) Alio...
scelere. On regarda du moins comme certain le crime
par lequel il écarta l'obstacle que formait encore
à ses projets l'existence d'un fils
déjà grand (Sall, Cat., ch. xv).
Cicéron fait peut-être allusion de
préférence à un autre crime dont il
accusa formellement Catilina dans une autre circonstance
(orat. in Toga candida), en disant qu'il avait
épousé sa propre fille. |
|
(32) Idibus.
Les ides étaient le treizième ou le
quinzième jour de chaque mois. C'était
l'époque à laquelle les débiteurs
payaient à leurs créanciers
l'intérêt des sommes empruntées.
Aussi Catilina, écrasé de dettes, avait-il
fixé l'exécution de ses projets au jour qui
précédait immédiatement cette
époque fatale. |
|
(33) Lepido
et Tulle consulibus. Salluste parle (Catil,
ch. XVIII) de cette conjuration du dernier jour de
décembre 68, à laquelle on dit que
César et Crassus prirent part, et qui ne manqua
que par l'incertitude de César, qui, ne voyant pas
paraître Crassus au moment convenu, ne donna pas le
signal. |
|
(34) Non
multa post commissa. Cicéron aurait pu citer
en effet beaucoup d'autres crimes connus de tout le monde
; et c'est probablement ce qu'il a voulu dire. On trouve
néanmoins dans plusieurs éditions : Non
multo post ; et alors l'orateur ferait allusion
seulement à une seconde tentative faite par
Catilina, le 5 février suivant, dans le même
but que celle qui avait échoué la veille
des calendes de janvier ; cette tentative serait devenue
inutile à son tour, mais par un motif contraire,
par la trop grande précipitation de Catilina
à donner le signal. |
|
(35) Tuas
petitiones. Métaphore empruntée aux
luttes des gladiateurs. L'expression suivante, corpore
effugi, se rapporte aussi à leur pratique
habituelle d'esquiver les coups par un brusque mouvement
du corps. |
|
(36) Quibus
initiata sacris. On consacrait les couteaux
destinés aux sacrifices. L'orateur suppose que
Catilina avait voué le sien à l'immolation
des consuls, puisqu'il voulait le tremper dans son sang,
après avoir essayé déjà d'en
percer Cotta et Torquatus. |
|
(37) Civium
neces. A la faveur des troubles du temps de Sylla,
Catilina avait pu tuer impunément plusieurs
citoyens. |
|
(38) Direptio
sociorum. Catilina, pendant sa préture en
Afrique, avait exercé tant de dilapidations,
qu'à son retour à Rome il fut accusé
de concussion, circonstance qui l'empêcha de se
mettre sur les rangs pour le consulat. |
|
(39) Ad...
perfringendasque. Catilina avait
échappé à cette accusation de
concussion en achetant son accusateur lui-même, P.
Clodius. Il avait su se soustraire également
à plusieurs autres poursuites criminelles. |
|
(40) Te
ipse in custodiam dedisti. Accusé par
Cicéron, cité devant les tribunaux par
L.Paullus,Catilina,voulant payer d'audace jusqu'au bout,
feignit de se livrer lui-même à la justice,
et de se constituer prisonnier volontaire. On confiait
alors les accusés de quelque distinction à
la garde d'un magistrat dans sa propre maison et sous sa
responsabilité. |
|
(41) M.
Lepidum. Non pas Marius Lépidus, le
collègue de Cicéron, mais Manius
Lépidus, qui avait été consul avec
Volcatius Tullus. |
|
(42) Q.
Metellum, Q. Metellus Céler, qui fut plus tard
consul avec L. Afranius. |
|
(43) M.
Marcellum. Ce Marcellus, auquel Cicéron
applique par ironie l'épithète de virum
optimum, ne doit pas être confondu avec celui
dont il est question plus loin. |
|
(44) P.
Sextio. Alors questeur du consul Antoine. |
|
(45) M.
Marcello. C'est ici le M. Marcellus pour le rappel
duquel Cicéron prononça dix-sept ans plus
tard le beau discours connu sous le titre de pro
Marcello. Descendant du Marcellus qui, le premier,
vainquit Annibal et se rendit maître de Syracuse,
aussi distingué par ses talents et son courage que
par sa naissance, il s'était montré pendant
son consulat assez ami de la liberté de sa patrie
pour se déclarer hautement contre César et
s'opposer énergiquement dans le sénat
à ses prétentions ambitieuses. Après
la journée de Pharsale, il crut devoir s'exiler
volontairement à Mitylène, et il s'y retira
avec la résolution d'y passer le reste de ses
jours et de se consoler avec les lettres et la
philosophie. Quelques années après, sa
constance fut ébranlée par les instances de
son frère et de Cicéron ; il consentit
à ce qu'on fît des démarches pour
obtenir son rappel, et César se rendit à
l'intercession du sénat. |
|
(46) Ad
portas prosequantur. Allusion ironique à
l'usage d'après lequel les citoyens illustres ou
les magistrats élevés qui partaient pour un
voyage étaient accompagnés jusqu'aux portes
de la ville par un cortège de clients et
d'amis. |
|
(47) Impie
latrocinio. Le mot brigandage, qui offre la
traduction littérale de latrocinio, ne rend
pas toute l'étendue du sens de ce dernier,
latronum bello. |
|
(48) Forum
Aurelium. On appelait fora les villes, bourgs
ou villages où se tenaient les marchés
appelés Nundinae. Le forum d'Aurelius
était sur la voie Aurelia, conduisant de Rome en
Etrurie. |
|
(49) Aquilam
illam argenteam. Si l'on en croit Salluste, cette
aigle était celle qui avait servi à Marius
dans la guerre des Cimbres. C'est à
côté d'elle que Catilina se fit tuer
à la bataille de Pistoie. |
|
(50) Otiosorum.
Ce mot offre un sens plus naturel que celui
d'occisorum, qu'il faut expliquer par une
circonstance à laquelle l'orateur a
déjà fait allusion plus haut (Voy. la note
37). |
|
(51) Te
a consulatu repuli. Les efforts et la vigilance de
Cicéron avaient fait échouer la candidature
de Catilina au consulat et triompher celle de
Muréna (Voy. Sall., Cat., ch. XXVI). |
|
(52) Leges...
de civium romanorum supplicio. Les lois Porcia et
Sempronia, qui établissaient en faveur des
citoyens romains des garanties contre les supplices, et
particulièrement contre la peine de mort, qui ne
pouvait être prononcée que par le
peuple. |
|
(53) Per
te cognitum. On sait que Cicéron était
d'une naissance obscure ; il s'applique ici à
lui-même ce qu'il dit ailleurs de Q. Pompée
: Qui summos honores, homo per se cognitus, sine alia
commendatione majorum, est adeptus (Brutus,
ch. xxv). |
|
(54) Tam
mature. Cicéron avait parcouru tous les
degrés des honneurs dans une seule et même
année ; distinction dont il avait fourni le
premier exemple. |
|
(55) Praetoris
urbani. C'était L. Valérius Flaccus,
que Catilina et ses complices, tous chargés de
dettes comme lui, voulaient empêcher de porter
contre eux un jugement en faveur de leurs
créanciers. |
|
(56) Malleolos.
Sorte de pièce d'artifice, à laquelle la
flèche qui servait à la lancer avait fait
donner le nom de l'outil dont elle présentait la
forme (marteau). |
|
(57) Statorem.
Ce mot n'est plus ici le surnom seulement de Jupiter,
mais bien la qualification même qui s'y rattache et
qui le motive. Stator, celui qui maintient debout, qui
conserve. |