Le sarcophage et la momie égyptienne
Cliché Stéphane Miquel, service photographique, mairie de Perpignan |
Par Delphine BOUSQUET, Nicolas CARDUS et Henri GRACIA NATAL
Un sarcophage égyptien où se loge une momie
retient souvent l'attention des visiteurs du Muséum
d'Histoire naturelle de Perpignan, qui s'interrogent sur
l'origine de cette pièce, la personnalité du
défunt, les techniques de momification, la
signification des vignettes et même l'ancienneté
de l'oeuvre. Voici quelques éléments de
réponse.
Etudes antérieures
1955 - Marie-Thérèse Ducup de St Paul ouvre le
sarcophage en vue de radiographier la momie ;
1975 - Llorens-Baqués, égyptologue barcelonais,
déchiffre les hiéroglyphes et commente les
scènes religieuses ;
1985 - Béatrice Coursier, restaurateur au Musée
de l'Homme, traite la momie et le sarcophage afin d'en
éviter la dégradation. A cette occasion Madame
le Docteur Sevette mène des examens radiographiques et
Monsieur le Docteur Pellequer des observations
odontologiques.
Le contexte historique
L'ensemble (momie et sarcophage) est daté de la fin du
nouvel empire, période où l'Egypte subissait un
affaiblissement lié à plusieurs facteurs
:
- la décadence du pouvoir monarchique accroft celui du
clergé d'Amon qui dirige la Haute Egypte ;
- la disparition des protectorats entraîne un
affaiblissement économique ;
- les pillages de tombes privées et royales se
multiplient ;
- l'Etat ne bâtit plus, il restaure les monuments
existants ;
- l'Egypte se scinde en 2 : Basse Egypte ayant comme pharaon
Smendès ; Haute Egypte gouvernée par le
prêtre Hérior.
Les Pharaons de la XXIe dynastie (1070-945) qui règnent en Basse Egypte (Tanis)
Smendès 1069-1043, Amememnsout 1043-1040, Pisousennes
ler 1040-993, Aménémopé 993-984,
Osorckom 984-978, Siamon 978-959, Psousennes 11
959-945.
Les grands prêtres d'Amon Rê (1040-945) qui règnent en Haute Egypte (Thèbes)
Pinedjem 1er 1070-1055, Pinedjem "roi" 1055-1032, Masaharta
1054-1046, Menkheperre 1046-992, Simendes 992-990, Pinedjem
990-962, Pisousennes 962-945.
Le prêtre
Iouf-en-Khonsou faisait partie des 120 000 prêtres du
temple de Karnak, composant le clergé d'Amon Rê
(Dieu soleil). Il servait son fils Khonsou : le dieu de la
lune, le nom du prêtre signifie celui qui appartient
à Khonsou.
Le clergé d'Amon comprenait : le grand prêtre
d'Amon Rê ou premier prophète, chef de tous les
prêtres des dieux de Haute et Basse Egypte,
assisté des second, troisième et
quatrième prophètes d'Amon, les prêtres
Ouab veillant à la pureté des offrandes, les
prêtres lecteurs, les prêtres divins, les
prêtres scribes et astronomes auxquels appartient
Iouf-en-Khonsou, les laïcs, une milice privée,
les divines adoratrices et les chanteuses d'Amon.
Les biens matériels du domaine d'Amon Rê
à Karnak étaient considérables. 81 322
hommes au service de la triade Amon Rê / Mout
(déesse épouse d'Amon Ré) / Khonsou ;
421 262 bestiaux, 423 jardins, 2 395 km2 de champs, 83
bâteaux, 46 chantiers, 65 bourgades.
L'emploi du temps d'Iouf-en-Khonsou était strict :
chaque matin purification dans le lac sacré, puis il
entrait dans le saint des saints du temple de Khonsou,
s'inclinait devant le naos, brisait les sceaux d'argile qui
fermaient les portes du ciel, enlevait les bandelettes de la
veille, parfumait la statue du dieu, lui présentait
des offrandes, récitait des prières, versait
des libations, refermait le tabernacle en apposant de
nouveaux sceaux d'argile, répandait du sable sur le
sol, en reculant. Par cette cérémonie
quotidienne, le chaos était vaincu, l'ordre cosmique
rétabli.
Le sarcophage d'Iouf-en-Khonsou
Ce sarcophage est en bois de sycomore recouvert d'une couche
de stuc jaune. Le couvercle intérieur possède
un décor tiré du livre des morts et
évoque la renaissance du soleil assisté des
déesses Isis et Nephtys ; des caractères
floraux et végétaux complètent
l'ornementation.
La signification des vignettes du livre des morts
Le défunt s'entourait pour le voyage dans
l'au-delà de tout le nécessaire (le sarcophage,
le mobilier, les provisions funéraires) dans un but
précis : la renaissance. En effet, l'égyptien
croyait qu'après la mort, alors que le corps
momifié restait dans la tombe, l'âme, le
Bâ, quittait l'enveloppe charnelle pour monter vers le
dieu Osiris où elle allait être jugée.
Les deux éléments, esprit et âme,
devaient se retrouver pour renare. Afin que le jugement soit
favorable, le défunt devait connaître les
prières et les formules magiques adressées aux
dieux. C'est pourquoi à partir du nouvel empire
(1580-1070) et encore sous la 3ème période
intermédiaire, on décorait les sarcophages de
formules du livre des morts : recueil de prières
adressées aux dieux et tout particulièrement
à Amon Rê.
Ces vignettes du livre des morts figurent sur le sarcophage
d'louf-en-Khonsou. Nous décrivons ici les
scènes les plus importantes du voyage dans
l'au-delà.
Les quatre fils d'Horus sont les génies protecteurs
des entrailles, ils aident à la reconstitution du
corps du défunt, ils sont donc très importants
pour le voyage dans les ténèbres. Ils sont
placés dans la tombe sous un dais près du
sarcophage. Sur le cercueil d'Iouf-en-Khonsou, nous les
apercevons : Amset à tête humaine contient le
foie, Hapi à tête de singe les poumons,
Douamoutef à tête de chacal l'estomac,
Qebehsenouf à tête de faucon les intestins. Les
vases, représentés par les 4 fils d'Horus, sont
enfermés dans un coffre de style des XXe et XXIe
dynasties ; les génies protecteurs sont
emmaillotés dans une gaine qui rappelle le suaire des
momies.
Les scènes représentant les dieux et les
déesses sont séparées par les formules
du livre des morts qui sont récitées devant
chacune des portes du monde souterrain qui en compte
douze.
La scène la plus importante du livre des morts est la traversée du monde souterrain par la barque solaire qui doit passer les douze portes peuplées de génies monstrueux prêts à la dévorer. Cette vignette figure sur le cercueil du prêtre car le voyage du défunt s'identifie à celui du soleil et, comme Amon Rê, Iouf-en-Khonsou doit affronter les périls du monde des ténèbres. La scène représente, au centre, la barque du soleil où sont installées les déesses Nephtys, Isis et Mâât qui guident la barque et comptent aider le dieu soleil présenté ici sous la forme de Râ : Horakti. A l'arrière, l'oeil Oudjat et la déesse vautour Nekbeth, emblème de la monarchie pharaonique, jouent un rôle protecteur. Ces personnages doivent lutter contre le serpent Apopis force du mal qui a pour but de détruire Râ durant son voyage nocturne. Grâce à la vigilence des déesses et des autres dieux, Apopis est tué, le soleil sort vainqueur et apparaît à l'horizon, c'est la renaissance. Le défunt lui aussi renaît puisqu'il effectue le même itinéraire que le soleil.
Le défunt (à gauche) lève ses bras en
signe d'adoration à Anubis le dieu Chacal en charge
des morts. Anubis est assis sur un trône cubique et
coiffé de la double couronne des Haute et Basse Egypte
; il tient dans sa main gauche un fouet et dans la droite un
bâton. Il est vêtu d'un corselet à deux
bretelles. Derrière lui, Nephtys fait un geste de
protection à Anubis et tient la croix ansée,
ankh, signe de vie. Anubis présentera le
défunt à Osiris, son père, qui
décidera s'il peut accéder aux champs d'Ialsu
ou être dévoré par la déesse
lionne Sekhmet.
Le sarcophage d'Iouf-en-Khonsou comporte toutes les vignettes
essentielles du livre des morts, le prêtre était
ainsi assuré de sortir victorieux du voyage dans les
ténèbres.
La momification
La momification permettait au corps de traverser
l'éternité.
La méthode de conservation variait selon le rang et la
fortune du défunt. La momification est composée
de 12 opérations pour la bonne conservation du corps
:
- l'ablation du cerveau - l'éviscération - un
premier lavage du corps - le traitement des viscères -
la déshydratation du corps - un second lavage du corps
- le bourrage du crâne et des cavités - le
traitement particulier des ongles, des yeux et des organes
génitaux externes - les onctions et le massage du
corps après la déshydratation - la pose de la
plaque de flanc - les ultimes préparatifs avant le
bandelettage, le traitement du corps avec de la résine
- le bandelettage.
Notre prêtre a subi ces différents traitements.
L'extraction du cerveau se pratiquait à travers la
narine gauche à l'aide d'un crochet en bronze. Le
parachite (prêtre responsable de l'opération)
retirait l'intestin à travers une entaille sur le
flanc gauche.
Le coeur était le seul organe laissé dans le
corps. Le premier lavage du corps consistait à
nettoyer avec du vin de palme (14,6°, pouvoir
antiseptique) les cavités abdominale et thoracique qui
ensuite étaient aspergées de parfum
pilé. Les viscères étaient
traités séparément, lavés dans le
natron, enduits de gomme résine et emmaillotés
dans des bandes de toile. Quatre paquets étaient
formés, puis déposés dans des vases
canopes à l'effigie des quatre fils d'Horus,
génies protecteurs des entrailles (ils sont peints sur
les parois du sarcophage). Lors de la XXIe dynastie, le
rituel des vases canopes était parfois
évité, on insérait quatre figurines
à l'effigie des fils d'Horus dans les viscères
emmaillotés.
Le corps subissait une déshydratation dans un bain de
natron pendant 70 jours. Les tarichentes, prêtres
spécialistes de l'embaumement, s'en occupaient. Le
natron débarrassait le cadavre des corps gras.
Placé sur un lit d'embaumement
légèrement incliné, les graisses
diluées s'écoulaient par des rigoles.
Un second lavage à l'eau permettait d'éliminer
les dernières impuretés du corps.
Ensuite, on procédait au bourrage du crâne avec
des linges imprégnés. Les cavités
viscérales étaient colmatées avec des
tampons de lin. Sur notre momie, des restes de tissudans les
narines et les orbites confirment ce procédé.
Les ongles étaient peints, les parties
génitales laissées en place et les yeux
remplacés par des tissus sur lesquels était
dessiné un iris.
Après tous ces traitements, le corps subissait un
dernier massage afin d'assouplir la peau. Enfin on appliquait
des graisses odoriférantes qui imprégnaient le
premier suaire : c'est ce parfum que M.T. Ducup a ressenti
lors de l'ouverture du sarcophage.
L'ultime préparatif avant le bandelettage devait
protéger le corps contre une attaque
bactérienne.
Le bandelettage était composé de 12
opérations ponctuées de rites très
complexes.
Finalement le corps était placé dans le
sarcophage.
Toutes ces opérations étaient régies par
un contrôleur des mystères qui surveillait le
bon déroulement des opérations. Il était
entouré des prêtres lecteurs et des choachytes,
prêtres ordonnateurs des funérailles.
Le don d'Ibrahim Pacha
La momie dans son sarcophage fut offerte au Dr L. Companyo
père pour le Muséum de Perpignan en 1847, par
Ibrahim Pacha, fils de Méhémet-Ali et futur
vice-roi d'Egypte.
Ibrahim Pacha était venu en cure à
Vernet-les-Bains sur les conseils du Dr Lallemand, Professeur
à la Faculté de Médecine de Montpellier,
dépêché en Egypte auprès de lui
car son état de santé inquiétait le
Gouvernement français. Ibrahim Pacha séjourna
à Vernet-les-Bains du 8 décembre 1845 au 15
février 1846, entouré de plusieurs
«officiers en uniformes chamarrés et
galonnés d'or, et de toute une suite
enturbannée». Ibrahim était
accompagné du généralissime Soliman
Pacha, alias Joseph Sève, colonel de l'armée
napoléonnienne, né à Lyon en 1788 et
passé au service de l'Egypte.
Pendant son séjour, Ibrahim Pacha faisait l'objet de
toutes les attentions du Général de Castellane,
qui, dans ses mémoires, le décrit ainsi :
«Il a des yeux spirituels et vifs. Son visage est
marqué de petite vérole. Ses manières
sont libres et annoncent le désir d'être
agréable. Il ne manque ni de malice ni de finesse. Il
est petit, replet, le cou court, le visage long, une barbe
blanche. Il marche difficilement à cause de son
embonpoint. Il est vêtu magnifiquement avec plusieurs
décorations en diamants. Il a, comme les personnes de
sa suite, une veste rouge couverte de galons d'or, une longue
ceinture de drap d'or».
Pendant deux mois, il mène la vie convenable d'un
curiste mais pour le distraire, le Général de
Castellane organise des bals en son honneur. Il faut dire que
la vie à Vernet est triste pour le prince, bon vivant
et aimant les belles femmes.
Son voyage en France est aussi profitable à sa
santé qu'au bien de son pays, car il assiste à
toutes les revues militaires et note les différents
équipements et tenues des soldats français. Il
visite aussi le Roi Louis Philippe ainsi que son
gouvernement.
De retour en Egypte et en souvenir de son merveilleux
séjour dans le Roussillon, il fait don au Dr L.
Companyo de la momie dans son sarcophage. Elle sera
déposée au Muséum et examinée
pour la première fois en 1955.
Outre le don de la momie, ce séjour fut
bénéfique à la renommée du
Roussillon, puisque François Arago saisit l'occasion
d'annoncer à la tribune de la chambre des
députés qu'Ibrahim proclamait, en voyant la
végétation de palmiers et d'orangers des
jardins de Perpignan : «Je me crois au bord du
Nil». Après Ibrahim Pacha, Vernet-les-Bains
accueillait le Général Mougel Bey,
lui-même suivi de nombreuses
célébrités tels Rudyard Kipling et
Andersen. Le thermalisme en Roussillon était
lancé.
Souvenirs des époques florissantes de l'Egypte et du
Roussillon, Iouf-en-Khonsou demeure sereinement dans le calme
d'un cabinet particulier spécialement
aménagé du vénérable
Muséum ; cela mérite bien le détour
d'une visite.
Article publié dans les Annales du Muséum
d'Histoire naturelle de Perpignan, 3, 1993 :
pp.31-35
Résumé d'un exposé
présenté au Muséum d'Histoire naturelle
le Mercredi 8 avril 1992.
© Delphine BOUSQUET
© Nicolas CARDUS
© Henri GRACIA NATAL
Pour en savoir plus
- Sur l'Egypte ancienne : allez consulter le site des Amis de l'Egypte ancienne, de Saint-Estève dans les Pyrénées-Orientales
- Sur la momie de Perpignan : voyez sur ce site des Amis de l'Egypte ancienne la page de Iouefenkhonsou