Basilique

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Basilique et côté méridional du Forum

Tite-Live nous apprend que la Basilique, dont l'origine est purement grecque, ainsi que son nom même l'indique, ne fut connue des Romains qu'après la première guerre de Macédoine, c'est-à-dire environ 200 ans avant J.-C. Dans le principe, la Basilique (basileuV, roi ; oikoV, maison) dépendait de l'habitation des rois, et c'est sans doute parce que, dans ces temps reculés, les princes y rendaient eux-mêmes les jugements, que plus tard, lorsqu'un édifice spécial fut consacré à l'administration de la justice, cet édifice conserva le nom de basilique. La dénomination de cour royale appliquée chez les modernes à certains tribunaux pourrait bien avoir une origine semblable.

Cette portion de la demeure royale consistait, selon Vitruve, en de grandes salles somptueusement décorées et capables de recevoir de nombreuses assemblées : «Il doit s'y trouver, dit-il en décrivant les palais de son temps, des bibliothèques et des basiliques qui aient la magnificence qu'on voit aux édifices publics, parce que dans ces demeures il se fait des assemblées pour les affaires de l'Etat et pour les jugements et arbitrages par lesquels se terminent les différends des particuliers» (1).

L'usage des basiliques fut, ainsi que je l'ai déjà dit, commun aux Grecs et aux Romains ; mais Vitruve ne nous apprend pas quelles différences caractérisaient cette sorte d'édifice chez les deux peuples, ce qui semblerait indiquer qu'il n'en existait point de notables. Après avoir fait observer les dissemblances de forme et de construction qui distinguaient le Forum romain de l'Agora des Grecs, il passe sans faire aucune autre remarque à la description de la Basilique.

«Les basiliques, dit Vitruve (2), édifices adjoints au Forum, doivent être situées dans l'endroit le plus chaud, afin que ceux qui y viennent trafiquer pendant l'hiver n'y ressentent pas autant la rigueur de cette saison. Leur largeur doit être au moins de la troisième partie de leur longueur et de la moitié au plus, à moins que l'emplacement ne permet le pas d'observer cette proportion. S'il y a trop d'espace en longueur, on fera des Chalcidiques aux extrémités. La hauteur des colonnes des basiliques doit être égale à la largeur des portiques, et cette largeur sera de la troisième partie de l'espace du milieu. Les colonnes de l'étage supérieur doivent être plus petites que celles d'en bas ; ce second ordre sera posé sur un piédestal continu qui forme appui, pluteus, ou balustrade assez élevée pour empêcher ceux qui sont dans les galeries hautes d'être vus par les marchands qui occupent la partie inférieure. Quant aux architraves, aux frises et aux corniches, elles auront les proportions qu'on leur donne dans les autres édifices. Les basiliques peuvent réunir tout ce qu'il y a de beau et de majestueux dans l'architecture».

La forme et la disposition des basiliques étaient en effet les plus avantageuses qu'on pût imaginer pour de grandes salles, et leur construction réunissait le double mérite de la solidité et de l'économie. D'après la description de Vitruve, on pourrait croire que les basiliques n'étaient jamais divisées qu'en trois nefs, et c'est ainsi que nous les présentent tous ceux qui en ont restitué le plan d'après ces données ; il en était ainsi en général, mais nous avons des exemples de basiliques ayant quatre rangs de colonnes et par conséquent cinq nefs. Lorsque, sous le règne de Constantin, le christianisme put enfin se montrer au grand jour et secouer la poussière des catacombes, il s'empara avec empressement des basiliques romaines, édifices purement civils et qui n'avaient pas été, comme les temples, souillés par le culte des faux dieux ; leur disposition parut même si favorable, que, jusqu'au XIe siècle, on ne s'en écarta que fort peu. On sait que plusieurs de ces premières basiliques chrétiennes sont parvenues jusqu'à nous ; Saint-Paul, Saint-Laurent, Sainte-Agnès-hors-les-Murs de Rome, avaient pu nous donner une idée exacte de la basilique antique ; la basilique de Pompéi, reconnue dès 1806, mais qu'on n'acheva de découvrir qu'en 1815, nous présente ces édifices sous un nouveau jour, car en plusieurs points elle s'écarte des règles tracées par Vitruve, et par conséquent du plan ordinaire de ces monuments, c'est-à-dire d'un parallélogramme rectangle terminé par un hémicycle, et divisé par deux rangées de colonnes surmontées d'un second ordre formant galerie.

La surface occupée par la basilique de Pompéi est longue au midi de 67m 08, et au nord de 66m 60 ; nous dirons bientôt d'où provient cette différence ; la largeur est de 27m 35. L'édifice était isolé de trois côtés par des rues plus ou moins larges et la façade tournée à l'orient était raccordée avec l'alignement du forum a b, à l'aide d'un vestibule, d'une sorte de Chalcidique c, de profondeur inégale à ses deux extrémités, qui ont l'une 5m 15 et l'autre seulement 4m 55. On y pénétrait par cinq portes d d, cataractae, qui, pour se fermer, tombaient dans des rainures entaillées dans les pilastres qui les séparaient et répondaient exactement à ces espèces de trappes que dans les châteaux du moyen âge on a appelées herses ou sarrazines. Nous verrons que c'est de la même manière que se fermaient les portes extérieures de Pompéi. Deux piédestaux e e, adossés aux piliers du milieu, et les restes d'une statue de bronze doré trouvés en ce lieu, annoncent que cette entrée était richement décorée.

A l'extrémité méridionale de la façade se trouve un escalier entièrement indépendant de la basilique, ayant son entrée sur la rue de la Basilique et non sur le Forum et découvert le 17 octobre 1813 ; il était du nombre de ceux que nous avons mentionnés comme servant à monter aux galeries supérieures du Forum. Outre l'entrée principale, la basilique avait deux portes latérales g h, percées au milieu des grands côtés. A l'extérieur et à droite de la première de ces portes, le mot bassilica était tracé plusieurs fois à la pointe ; on avait protégé ces précieuses inscriptions par des tuiles qui malheureusement sont brisées, et aujourd'hui elles ont disparu.

Quatre degrés de lave règnent dans toute la largeur du vestibule c ; ils sont partagés par quatre colonnes, dont deux sont engagées dans des piliers rectangulaires. Entre ces colonnes s'ouvrent cinq portes, ou plutôt cinq baies, car on n'y voit aucune trace de fermeture ; elles correspondent aux cinq portes de la façade d d et donnent accès à l'intérieur de la basilique. L'édifice, malheureusement, avait été bouleversé par le tremblement de terre ; ses colonnes, ses murailles avaient été en grande partie renversées et nulle part elles n'avaient conservé leur hauteur primitive. On est donc, sur beaucoup de points, réduit aux conjectures. D'abord, et c'est par là surtout que la basilique de Pompéi s'éloigne des règles tracées par Vitruve, il nous paraît hors de doute que la nef du milieu N ne fut jamais couverte et qu'on ne doit y voir qu'une espèce d'area ou d'impluvium. Les preuves ne nous manquent pas à l'appui de cette assertion, qui cependant a été combattue par plusieurs auteurs. Si le centre de l'édifice eût été couvert, les quatre colonnes i i i i n'eussent point été placées à chacune de ces extrémités, tandis qu'évidemment elles continuent le portique k l m n qui environnait l'area. En outre le sol de cette area, autrefois dallé en marbre, se trouvait à un niveau inférieur à celui du portique ; au pied du degré qui porte les colonnes règne un caniveau de terre cuite destiné à conduire les eaux pluviales clans une citerne où l'on puisait l'eau par une margelle ou puteal o, qui existe encore dans l'entre-colonnement qui fait face à l'entrée latérale du nord. Cette margelle même est un nouvel argument à l'appui de notre opinion ; eût-elle été placée de manière à intercepter le passage de la porte au centre de l'édifice, si cette porte n'eût eu pour unique destination de permettre d'entrer sous les portiques ? Ajoutons enfin qu'on a trouvé d'élégants fragments de chéneaux et des antéfixes ornés de têtes de lion, de masques et de palmettes qui ne peuvent avoir appartenu qu'à l'entablement du portique du côté de l'area.

Cette disposition une fois admise, d'autres difficultés se présentent. Le portique était soutenu par vingt-huit colonnes qui s'éloignent absolument des règles de Vitruve, suivant lesquelles ces colonnes devaient avoir une hauteur égale à la largeur des portiques. Ici, elles n'ont pas moins de 11 mètres de hauteur, tandis que les portiques n'ont que 5m 85 de largeur. Contre les murailles sont appuyées des colonnes engagées, d'ordre corinthien, hautes seulement de 6m 90, ce qui, au premier abord, pourrait faire supposer que, contrairement à un usage presque constant, le toit aurait été incliné à l'extérieur, on qu'un plafond aurait reposé à scellement sur le fût des grandes colonnes, ce qui eût été du plus mauvais effet. Cette inégalité eût été encore plus choquante si, comme à l'ordinaire, les colonnes du milieu eussent été surmontées d'un second ordre. Voici ce qui nous paraît le plus vraisemblable : le second ordre n'existait pas, et Vitruve lui-même s'était permis cette innovation dans la construction de la basilique de Fano ; nous-mêmes avons pu naguère en voir un exemple dans la basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs, à Rome. Au-dessus des colonnes engagées dans la muraille et de leur corniche, dut régner une sorte d'attique avec des pilastres atteignant la hauteur de l'architrave des grandes colonnes, et alors sur les colonnes et sur les pilastres purent reposer des fermes en charpente portant un toit à deux rampants. Nous regrettons que l'état des ruines de la basilique ne permette pas de vérifier ce que notre supposition peut avoir de juste ou d'erroné.

Les grandes colonnes sont d'ordre ionique, et leurs chapiteaux offrent beaucoup d'analogie avec ceux du temple de Vesta, à Tivoli, monument de l'ancien style italique ; ils doivent sans cloute appartenir à peu près à la même époque, c'est-à-dire au commencement du dernier siècle avant Jésus-Christ.

La construction de ces colonnes est très remarquable ; elles sont composées d'un noyau de briques rondes de Om 034 d'épaisseur, entourées de dix briques pentagonales superposées, pleins sur joints ; les angles extérieurs de ces pentagones forment les arêtes d'autant de cannelures, et le nombre de celles-ci est doublé par dix autres arêtes prises dans le stuc dont la colonne est revêtue. Les chapiteaux en tuf volcanique offraient encore les traces d'un enduit dont l'application, faite avec le plus grand soin, donnait aux ornements et aux moulures une finesse que n'avait pas la pierre, plus grossièrement travaillée. Quant aux murs et aux colonnes engagées, ils étaient construits en blocage et en briques ordinaires revêtues de stuc colorié.

Le nu de la muraille est décoré de refends peints à l'imitation de marbres de différentes couleurs ; le soubassement est formé de deux larges bandes, l'une rouge, l'autre noire, séparées par des filets jaunes, rouges, verts et blancs. Sur le stuc dur et brillant, des oisifs avaient tracé au pinceau ou à la pointe une foule d'inscriptions toutes devenues illisibles. Quelques-unes nous ont été conservées par les auteurs qui ont encore pu les copier avant leur destruction ; je n'en citerai qu'une seule, trouvée le 28 octobre 1813, qui, malgré le solécisme qu'elle renferme (sitit pour sitiat), rappelle par sa forme et sa concision les épigrammes de Martial :

SVAVIS VINARIA SITIT ROGO VOS VALDE SITIT.

«Suavis la marchande de vin a soif ; je vous en prie, qu'elle ait donc bien soif, pour boire tout son vin».

La peinture n'avait pas été appelée seule à la décoration de l'intérieur de la basilique ; la sculpture y jouait aussi un grand rôle, si l'on en juge par les statues, les hermès, les vasques et même les fragments de statues équestres qui y ont été trouvés. Au fond de l'édifice est une tribune p qui, au lieu de s'arrondir en hémicycle, se présente sous la forme d'un grand stylobate élevé de 2 mètres au-dessus du sol du portique, orné de demi-colonnes, et présentant à sa façade six petites colonnes isolées, également d'ordre corinthien. Ces colonnes avaient été renversées par le tremblement de terre, et l'on a retrouvé et déposé sur le devant de la tribune plusieurs bases et chapiteaux de marbre qui devaient remplacer les anciens. L'opinion la plus généralement reçue est que ce stylobate servait de tribunal au duumvir chargé de rendre la justice. L'entre-colonnement du milieu étant plus large que les autres, on pouvait en effet y placer la chaise curule du magistrat. Si telle fut réellement, et des preuves nombreuses se réunissent pour le faire croire, la destination de cette tribune, il faut avouer que sa disposition était bien peu commode ; on ne pouvait y monter que par des escaliers, sans doute en bois, dont il ne reste plus de traces, et le magistrat se trouvait caché aux yeux de tous ceux qui ne se pressaient pas immédiatement à ses pieds dans l'étroit portique, par deux colonnes de ce portique et par un grand piédestal q, revêtu de marbre blanc, qui dut porter une statue équestre de bronze doré dont des fragments furent retrouvés épars dans la basilique en décembre 1813 et dans les premiers mois de 1814. Malgré cette découverte, quelques auteurs ont pensé que ce piédestal pourrait bien avoir été un autel sur lequel, selon l'usage, le duumvir, avant l'audience, aurait fait serment de juger selon la loi et sa conscience. Cette supposition ne nous semble pas admissible, le piédestal n'ayant pas moins de 2m 25 de hauteur.

Enfin, sous la tribune, et ce n'est pas un des moindres arguments en faveur de l'opinion qui veut y voir un tribunal, se trouve un véritable cachot auquel on descendait par deux petits escaliers r qui existent encore. Les murailles sont d'une grande épaisseur et les deux soupiraux qui ouvrent à l'extérieur du monument étaient garnis de barreaux de fer. Ce souterrain, long de 8m 30 et large de 4 mètres, recevait en outre de l'air par deux trous ronds ouverts dans la voûte.


(1)  C'était aussi quelquefois dans les basiliques que professaient les philosophes : «A la prière de mes amis, dit Apulée, j'avais prononcé une dissertation publique ; une foule nombreuse avait rempli la basilique où j'avais parlé. Ingenti celebritate basilicam (qui locus auditorii erat) complentes». (Apologia).

(2)  Vitruve, V, 1.