Introduction - La résurrection de la ville

Intro 8 Introduction Chapitre 1
     

Nous voyons cependant reparaître les noms de Pompéi, d'Herculanum et de Stabies dans des ouvrages bien antérieurs à leur découverte. On lit dans l'histoire écrite au IXe siècle par le moine Martin qu'en 838, Sicard, prince de Bénévent, campa avec son armée in Pompeio campo qui a Pompeia urbe Campanie nunc deserta nomen accepit. Dès 1488, Niccolo Perotto fait mention de ces villes dans sa Cornucopia ; Sannazar parle de Pompéi dans son Arcadia (Prosa, XII), dont la première édition parut en 1504 ; dans la carte d'Ambrogio Leone, 1513, on trouve marqué au lieu qu'occupe Portici Herculaneum Oppidum ; Leandro Alberti (Descrizione di tutta l'Italia, 1561) rappelle les villes d'Herculanum, de Pompéi et de Stabies, ensevelies par le Vésuve, indiquant le site où à cette époque on croyait qu'elles avaient existé ; dans l'Historia Neapolitana de Giulio Cesare Capaccio, publiée en 1607, on lit un chapitre consacré aux antiquités d'Herculanum ; Camillo Pellegrino (Apparato alle antichità di Capua, 1651) dit, en parlant de la ville d'Herculanum, qu'on pense qu'elle occupait le site actuel de la Torre del Greco ; le dictionnaire géographique de Baudran, 1682, mentionne les villes détruites ; en 1688, Francesco Bolzano publiait l'Antico Ercolano ovvero la Torre del Greco tolta dall' obblio, plaçant, il est vrai, Herculanum dans un lieu tout différent du véritable ; enfin en 1689, une fouille faite sur l'emplacement de Pompéi fit trouver quelques fragments de serrures et une pierre où on lisait le mot POMPEI ; seulement on en conclut que là se trouvait une villa de Pompée.

Il est bien difficile de comprendre comment, mentionnée depuis plus de deux siècles par tant d'auteurs différents, Pompéi put rester enfouie pendant 1676 ans, quand la cendre recouvrait à peine le sommet de ses édifices, quand la plus haute muraille du grand théâtre s'élevait au-dessus du sol, quand les remparts, ayant retenu dans leur enceinte toutes les matières que le volcan avait vomies, marquaient distinctement toute l'étendue de ses constructions ; quand le célèbre architecte Dominique Fontana, chargé, en 1592, de conduire les eaux du Sarno à la Torre dell'Annunziata, creusait un canal souterrain qui traversait la ville et rencontrait souvent les substructions de ses édifices ; quand le nom de Cività donné à cet endroit semblait annoncer qu'il restait encore quelque souvenir de la ville qui y avait existé.

Il est bien plus étonnant encore de voir Herculanum, engloutie à plus de vingt mètres sous un massif de pierre, se révéler au monde la première ; telle fut pourtant leur destinée. En 1684, un boulanger, creusant un puits à Portici, rencontra quelques ruines romaines ; ce puits, qui existe encore aujourd'hui, descendait préci-sément au milieu du théâtre d'Herculanum. Le prince Emmanuel d'Elboeuf, Français de naissance, envoyé à Naples à la tête d'une armée impériale, y ayant épousé la fille du prince de Salsa, fit en 1706 l'acquisition du terrain où se trouvait le puits et y bâtit un palais. Vers 1713, en élargissant ce puits, il trouva des marbres dont il orna ses terrasses et ses escaliers et trois statues de femmes drapées qu'il envoya à Vienne, d'où elles sont passées à Dresde. De nouveaux travaux exécutés par ses ordres amenèrent, dit-on, la découverte d'un temple circulaire, soutenu par quarante-huit colonnes d'albâtre.

Bientôt le gouvernement napolitain intervint et fit suspendre les fouilles, et ce ne fut que plus de vingt ans après, vers 1736, qu'elles furent reprises par ordre du roi Charles III. Une nouvelle entrée fut pratiquée à Resina, et l'on découvrit successivement le théâtre, des basiliques, des édifices privés, des inscriptions et des médailles qui ne laissèrent aucun doute sur l'identité de ces ruines avec celles de la malheureuse cité d'Herculanum.

Une anecdote rapportée par Winckelmann peut donner la mesure de l'esprit qui présida à ces premiers travaux. «Au-dessus du théâtre, dit l'antiquaire allemand, il y avait un quadrige, c'est-à-dire un char attelé de quatre chevaux ; la figure placée dans le char était de grandeur naturelle ; ce monument était de bronze doré, et l'on voit encore la base de marbre blanc sur laquelle il était assis. Quelques personnes assurent qu'au lieu d'être un char à quatre chevaux, il y en avait trois à deux chevaux chacun ; variété dans les rapports qui prouve le peu d'intelligence et de soin de ceux qui ont conduit cette fouille. Ces ouvrages de sculpture, comme on le croira sans peine, avaient été renversés par la lave, écrasés et mutilés ; cependant, quand on les a découverts, toutes les pièces existaient encore. Mais de quelle façon s'est-on conduit lorsqu'on a recueilli ces précieux débris ? On les mit pêle-mêle sur un chariot qui les transporta à Naples ; on les déchargea dans la cour du château, où ils furent jetés indistinctement dans un coin. Ce métal demeura longtemps dans cet endroit, regardé comme de la vieille ferraille ; ce ne fut que lorsqu'on se fut aperçu que plusieurs morceaux manquaient pour avoir été dérobés, qu'on résolut de mettre en honneur ce qui en restait ; et voici en quoi l'on fit consister cet honneur : on fondit une grande partie du métal pour former en grand les deux bustes du roi et de la reine !»

Heureusement tout le bronze ne fut pas employé à cette destination et, des débris qui restaient, on est parvenu depuis, à force de patience et de talent, à composer un magnifique cheval, qui est aujourd'hui un des morceaux les plus précieux du musée de Naples, où l'on conserve aussi quelques-unes des figures de demi-relief qui ornaient le char lui-même.

Cheval de bronze du théâtre d'Herculanum

Cependant les excavations prolongées à une profondeur de vingt-quatre mètres, dans un massif très dur, et sous les villes de Portici et de Resina, étaient fort difficiles et entraînaient des frais considérables ; aussi les travaux marchaient-ils très lentement. En 1748, un laboureur creusant un sillon sur le sol de Cività, près du Sarno, heurta une statue de bronze du soc de sa charrue ; on se rappela alors que déjà, en 1689, des paysans avaient trouvé en ce lieu quelques débris antiques, un trépied et un petit Priape de bronze ; le terrain fut acquis par le gouvernement et des fouilles furent commencées. Pompéi était découverte ! Bientôt on reconnut qu'à peu de frais on pourrait la dépouiller tout entière de son linceul de cendres, et de ce moment Herculanum fut presque entièrement abandonnée.

Sous la direction de don Rocco Alcubierre, gentilhomme au service du roi Charles III, les travaux commencèrent en avril 1748, du côté de la Torre Annunziata avec douze ouvriers seulement, et dès le 6 on découvrait une belle peinture représentant des guirlandes de fleurs et de fruits, une tête d'homme et des oiseaux, peinture qu'on enleva avec la muraille ; le 18 on trouva le premier cadavre.

Dans le principe on prit Pompéi pour Stabies, puis on crut n'avoir découvert qu'un groupe de maisons isolées, et ce n'est que le 27 novembre 1756 que, dans le journal des fouilles, on voit apparaître pour la première fois le nom de Pompeiana qu'avait cependant conservé un des champs qui recouvraient la ville antique. Quand l'erreur fut reconnue on fit aussi quelques tentatives sur Stabies ; mais la cherté des terrains et le peu d'importance des objets que l'on découvrit dans cette petite ville y firent renoncer, et toute l'attention du gouvernement se concentra sur Pompéi. On se contenta d'abord de déblayer les édifices pour en retirer tout ce qu'ils pouvaient contenir (1) ; puis on les recouvrait avec le produit des fouilles des constructions voisines. Lorsque, le 7 avril 1769, l'empereur Joseph II visita Pompéi en compagnie du roi de Naples Ferdinand Ier, il exprima un très vif regret de l'adoption d'une marche semblable ; le directeur des fouilles, D. Pietro La Vega, lui répondit «qu'on avait procédé ainsi quand on ne croyait pas avoir rencontré une ville, mais que depuis six ans environ, une inscription ayant fait reconnaître Pompéi, on avait commencé à laisser les édifices découverts, tandis qu'auparavant on ne s'occupait que de former un musée.»

Dans cette même visite l'empereur, ayant appris que trente ouvriers seulement étaient employés aux fouilles, avait insisté très fortement auprès du roi, son beau-frère, pour que ces travaux fussent poussés avec plus d'activité, disant «qu'on devrait y mettre trois mille hommes, que rien de semblable n'existait dans les quatre parties du monde, et que de telles recherches seraient la gloire d'un règne.» Il ne paraît pas que ces généreuses paroles aient eu une grande influence sur l'esprit de Ferdinand Ier, car nous trouvons dans le journal des fouilles que les dépenses totales affectées à Pompéi furent, en 1784, d'environ 8,945 francs; en 1788, de 9,285 francs, et en 1789, de 10,312 francs.

A l'approche de l'armée française les travaux furent entièrement suspendus et tous les ouvriers congédiés dès le 5 janvier 1799, et le 23 du même mois Championnet entrait dans Naples, où il organisait cette république parthénopéenne qui devait avoir si peu de durée. Pendant son court séjour, et malgré ses nombreuses préoccupations, le général français n'oublia pas Pompéi, et par ses ordres furent découvertes les deux maisons qui ont con-servé son nom. Les travaux furent suspendus de nouveau pendant la réaction sanglante qui suivit la chute de la république parthénopéenne, arrivée le 17 juin de la même année, et ils ne furent pas repris pendant la première restauration de Ferdinand Ier, de 1800 à 1806.

Nommé roi de Naples par décret impérial, Joseph Napoléon fit, le 11 mai 1806, son entrée solennelle dans cette ville qu'il devait quitter le 23 mai 1808 pour monter sur le trône d'Espagne. Pendant ce règne de deux années, les travaux recommencèrent à Pompéi le 5 octobre 1807, et avec quelque énergie, grâce à l'intérêt que portait à ces recherches le tout-puissant ministre de la police, Christophe Saliceti ; 6,000 ducats (25,000 francs) y furent affectés, et les surveillants et ouvriers atteignirent le nombre de 156 ; mais il faut ajouter que parmi eux on comptait quantité d'enfants et que ce chiffre ne fut pas toujours maintenu. Enfin en 1808 commença pour Pompéi la plus heureuse des périodes. Murat fut appelé au trône de Naples et la nouvelle reine, Caroline, si différente de celle qui l'avait précédée, prit en quelque sorte sous sa direction ces travaux qu'elle venait visiter presque toutes les semaines ; 2,000 ducats (8,500 francs) y furent consacrés par mois et le nombre des travailleurs, tant ouvriers civils que sapeurs du génie, dépassa parfois six cents, surtout en 1812 et 1813.

Après la seconde rentrée de Ferdinand Ier, en juin 1815, les travaux continuèrent quelque temps avec une certaine activité ; mais dès 1819 nous voyons le nombre des ouvriers réduit à quinze ou vingt ; en 1821 il n'est plus que de trois ou quatre, et trop souvent même faute de fonds les fouilles sont complètement suspendues. Elles marchèrent lentement, mais enfin elles marchèrent sous les règnes de François ler et de Ferdinand II. Rien ne marqua le passage de François II sur le trône de Naples : les travaux furent entièrement suspendus du 1er janvier au 19 décembre 1860. Enfin sous le règne de Victor-Emmanuel II et depuis qu'en 1860, la direction des fouilles a été confiée au savant commandeur Fiorelli, une nouvelle ère de prospérité s'est ouverte pour Pompéi et nous trouvons dans les premiers mois de 1861 jusqu'à 500 ouvriers employés aux fouilles. Malheureusement cette ardeur ne s'est pas soutenue ; mais si on peut regretter que des fonds plus considérables ne soient pas consacrés à ces recherches, l'intelligence, la régularité avec laquelle elles sont conduites, la propreté et l'entretien des parties découvertes, l'organisation toute militaire des gardiens qui en a fait un corps honorable, enfin la création de l'école d'archéologie établie à Pompéi même mériteront au gouvernement italien la reconnaissance et les éloges de tous ceux qui s'intéressent à la science archéologique.

Les différentes couches qui recouvrent la ville des Morts, comme l'appelait Walter Scott, forment une hauteur totale de 5 m. 50 environ composée de cendres, de lapillo et d'un peu de terre végétale, dont l'épaisseur varie de 0 m.22, à 0 m. 60. Le travail est donc très facile, le lapillo se remuant à la pelle et presque sans le secours de la pioche. Aussi notre impatiente curiosité s'étonne-t-elle de ne pas voir pousser les travaux avec plus d'activité ; il nous tarde d'avoir le mot de tant d'énigmes que les découvertes qui restent à faire doivent plus tard expliquer ; mais peut-être aussi est-il heureux de voir procéder avec soin au développement des bandelettes qui recouvrent encore cette cité-momie. Cette lenteur même est une garantie pour la conservation tant des monuments mêmes que des objets si précieux qui s'y rencontrent à chaque pas. D'ailleurs si, tout en déplorant le sort des infortunés Pompéiens, nous ne pouvons nous défendre d'une sorte de jouissance secrète en retrouvant, après dix-huit cents ans, une ville que le Vésuve nous a conservée pendant tant de siècles, il y aurait peut-être un égoïsme coupable envers les générations futures à regretter ne ne pas contempler aujourd'hui la totalité de la ville. En effet, à moins d'une nouvelle catastrophe, ce que nous voyons maintenant, ne pouvant plus échapper au sort commun, doit bientôt disparaître pour toujours ; mais si les excavations continuent à être faites avec la même lenteur, il est réservé à nos descendants d'hériter de ce que nous n'aurons pu leur ravir. Les générations à venir auront même sur nous cet avantage, qu'en jouissant du spectacle de leurs nouvelles décou-vertes, elles pourront rétablir à l'aide de nos travaux ce qui aura disparu et composer ainsi un ensemble complet dont nous sommes privés.

Peinture de la maison de Castor et Pollux


(1)  Tout était porté au palais de Portici