Dionysos et les pirates
Pendant son voyage dans le monde, Dionysos, dieu du vin, de ses excès et du théâtre, prit l’aspect d’un jeune homme et s’embarqua sur un bateau de pirates tyrrhéniens qui se dirigeait vers l'île de Naxos.
Mais en cours de route, les pirates changèrent de direction et allèrent vers l’Asie mineure où ils voulaient vendre le jeune homme. S’apercevant de la supercherie, Dionysos fit entendre une musique de flûtes invisibles qui remplit le navire de sarments de vigne et changea les rames en serpents : fous de terreur, les marins se jetèrent à l’eau et furent transformés en dauphins.
Dès qu'ils voient Dionysos, ils se font des signes entre eux et s'élancent ; le cœur transporté de joie, ils se hâtent de le conduire dans leur vaisseau ; ils croyaient qu'il était fils des rois issus de Zeus et voulaient l'enchaîner avec des liens pesants. Mais rien ne peut le retenir ; l'osier tombe de ses pieds et de ses mains : lui, regardant les nautoniers avec un doux sourire, s'assied auprès d'eux. à cette vue, le pilote effrayé appelle ses compagnons et leur dit : « Ah ! malheureux, quel est donc ce dieu puissant que vous prétendez enchaîner ? Votre navire solide ne peut y suffire. C'est Zeus, Poséidon ou Apollon à l'arc d'argent. Il ne ressemble pas aux faibles humains, mais aux habitants immortels de l'Olympe. Remettons-le promptement à terre, gardez-vous bien de l'outrager, de peur que dans son courroux, il ne déchaîne contre nous les vents furieux et les tempêtes mugissantes.» Il dit, mais le maître du navire s'approchant du pilote lui adresse ces durs reproches : « Insensé, vois-donc, le vent est favorable ; hâte-toi de tendre les voiles, de préparer les agrès du navire ; quant à lui, les nautoniers en prendront soin, et il nous procurera de grands avantages. Nous le conduirons en égypte, ou dans l'île de Chypre, ou chez les Hyperboréens, ou même plus loin encore, jusqu'à ce qu'il se soit décidé à nous faire connaître ses parents, ses amis, ses richesses : c'est un dieu qui l'a mis entre nos mains.»
Hymne homérique à Dionysos |
Dionysos et les pirates tyrrhéniens |
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Kylix attique à figures noires | ||
Signée Exékias : ΕΧΣΕΚΙΑΣ ΕΠΟΕΣΕ | ||
Vers 540-530 av.JC | ||
Découverte en Etrurie à Vulci | ||
Staatliche Antikensammlungen, Munich |
Cette kylix attique est une coupe à vin dont le fond représente l'épisode des pirates. Elle est représentative de la dernière période de la céramique à figures noires, qui maîtrise totalement la composition et les couleurs, en jouant sur différents tons de noirs et de gris bien détachés sur le glacis du fond en argile, et en utilisant le blanc pour rehausser juste les détails importants. Elle est aussi rendue remarquable par la composition circulaire de la scène, qui s'adapte parfaitement à la forme du vase.
Le navire vogue vers la gauche, il est à voile blanche, contrairement au reste des éléments, peint avec la technique des figures noires, qui permet de bien faire ressortir les personnages. La poupe s’élève comme une courbe et se termine par un bec.
Au dessus du bateau, un grand pied de vigne part du mât et se divise en quatre branches, miraculeusement couvertes de grappes de raisins.
Au centre du vaisseau, on ne voit que Dionysos jeune : il est allongé, et est resté le seul maître à bord. On le reconnaît à sa couronne de lierre et à sa coupe à boire. Il est habillé d’une robe décorée de petit points.
Tout autour du bateau, bondissent sept dauphins, qui se répartissent harmonieusement sur le fond de la coupe. il s'agit des pirates métamorphosés en dauphins.
L’effet produit sur le spectateur est que Dionysos est un grand dieu du vin, et qu’il peut être dangereux si on lui veut du mal. Mais en même temps, lorsque dans un banquet un convive buvait du vin dans cette coupe, il se remplissait du pouvoir de Dionysos, prêt à partager avec lui son pouvoir de métamorphoser le monde qui l'entourait.
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Une kalpis (ou hydrie) est un vase grec utilisé pour contenir de l'eau. Elle était munie de trois anses, deux latérales pour transporter le vase, et une anse à l'arrière pour verser le liquide.
Comme un certain nombre de vases antiques achetés illégalement par des musées américains, celui-ci a finalement été restitué à l'Italie
Le col et la panse de ce vase sont divisés en trois bandes, qui constituent trois étapes chronologiques.
En haut sur le col, on peut voir deux petits pirates tyrrhéniens, nus et de profil, dont les silhouettes en figures noires se détachent nettement sur le fond.
Plus bas, sur les épaules de vase, un des pirates est en train de se métamorphoser en dauphin, au-dessus de vaguelettes qui se déplacent de droite à gauche.
Enfin, sur la panse du vase, des personnages mi-dauphins mi-hommes tombent la tête la première dans des vagues plus grandes. Ils sont six : certains ont encore leurs jambes, mais déjà une tête de dauphin, tandis que celui de gauche a pour l'instant encore un corps d'homme mais une queue de dauphin. Le peintre parvient ainsi à suggérer leur transformation miraculeuse progressive, dans une scène étonnante et assez surréaliste.
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Dionysos et les pirates |
Cette grande mosaïque de 5,77m sur 4,40 m a été découverte dans une somptueuse villa de Dougga en Tunisie, dans laquelle se trouvait aussi la célèbre mosaïque représentant Ulysse et les Sirènes. Toutes deux ont été déposées et sont actuellement conservées au musée des antiquités de Tunis. | |
Mosaïque romaine | ||
Epoque de Gallien (260 à 269 apr.J.C) | ||
Originaire du péristyle de la villa d'Ulysse de Dougga | ||
Musée du Bardo, Tunis |
Au centre de la mosaïque, vogue un navire très coloré, peint de vert, rouge, noir, blanc et décoré de formes géométriques ou figurées comme un dauphin ou un cheval. Il se dirige vers la droite, sans mât, avec seulement des rames, contrairement à la kylix ci-dessus.
A l'intérieur de ce navire, Dionysos apparaît cette fois comme un homme assez vieux et bedonnant. Il est couronné de lierre et de vigne, et vêtu d'une tunique blanche qui ne le cœuvre pas entièrement. Dans ses mains, il tient une harpe avec laquelle il joue pour transformer les pirates en dauphins. Il est accompagné de trois personnages, dont deux femmes : l'une a le visage effacé, elle porte une tunique multicolore avec des fils d’or et elle tient un thyrse dans sa main. L’autre porte une tunique verte et une couronne de lierre et de vigne sur la tête.
Sautant par-dessus bord, un tigre (l'un des nombreux attributs de Dionsos) mord dans les pieds d'un pirate qui achève de se métamorphoser en dauphin, pendant que dans la mer, en dessous du bateau, deux autres pirates, mi-hommes mi-dauphins, attendent eux aussi la fin de la métamorphose. A gauche, un dauphin complet bondit joyeusement.
Enfin sur les côtés, arrivent deux autres navires pirates. Celui de droite, de face, a un mat et pas de rames. Le pirate le plus proche se bat contre une pieuvre. Au contraire, celui de gauche n’est pas visible, on ne distingue que l’avant du bateau.
L'ensemble est très animé, avec des lignes de composition qui s'entrecroisent, ce qui produit un effet très dramatique : le spectateur a l’impression de vivre la scène.
Paul R., 217