Dionysos et Penthée
Le dramaturge Euripide raconte dans sa tragédie des Bacchantes comment, lorsque Dionysos voulut introduire son culte dans la ville de Thèbes, Penthée, le roi de cette ville, s'y opposa et refusa de reconnaître sa divinité. Dionysos alors se vengea en l'envoyant sur le mont Cithéron, que parcouraient les femmes thébaines, les Bacchantes, en proie à la folie du dieu. Prenant le roi pour du gibier, elles le mirent en pièces, sa mère elle-même le déchira de ses propres mains et plaça vigoureusement sa tête sur un bâton de lierre et de vigne. Sortie enfin de son délire, elle comprit ce qu'elle avait fait. Ainsi, Dionysos punit le roi pour son orgueil et son impiété.
Alors Agavé leur dit « Allons ! tenez-vous en cercle autour du tronc, saisissez-le, Ménades, prenons ce cavalier sauvage, pour qu'il ne révèle pas les mystères divins de nos chœurs. » Elles attachent mille mains au sapin et l'arrachent du sol. De la hauteur où il est posté, Penthée est précipité à terre, il tombe sur le sol avec des cris plaintifs. Il se rend compte que son malheur est proche. La première, sa mère commence le sacrifice sanglant et se jette sur lui. Lui, il arrache de sa chevelure sa mitre pour qu'en le reconnaissant la malheureuse Agavé ne le tue pas, et il lui dit en lui touchant la joue : « C'est moi, mère, je suis ton fils, Penthée, que tu as mis au monde dans la maison d'échion. Aie pitié de moi, mère ; oui, c'est moi qui suis coupable, mais ne tue pas ton fils. » Elle, l'écume à la bouche et roulant des yeux hagards, n'a pas les sentiments qu'elle doit : elle est possédée du dieu, elle n'écoute pas son enfant. Elle prend son bras gauche dans ses mains et, un pied sur le flanc de l'infortuné, elle le lui arrache de l'épaule, non par sa propre force, mais le dieu lui donnait l'aide de sa toute-puissance. Inô, de l'autre côté, fait de même, lui déchire les chairs. Autonoé et toute la foule des Bacchantes s'acharnent sur lui. C'était à la fois toutes sortes de cris : lui gémissait avec ce qui lui restait de souffle ; les autres poussaient des hurlements. L'une emportait un bras, une autre un pied avec la chaussure. Elles mettent à nu ses flancs qu'elles déchirent. Toutes ont les mains couvertes de sang et se lancent comme des balles les chairs de Penthée. Ses membres gisent épars, les uns sur les rochers escarpés, d'autres sur les aiguilles épaisses des pins de la forêt : il ne serait pas facile de les retrouver. Sa malheureuse tête, sa mère l'a prise dans ses mains : elle la fiche à la pointe de son thyrse et la porte, comme celle d'un lion de la montagne, à travers le Cithéron. Elle laisse ses sœurs dans les chœurs des Ménades. Elle revient dans ces murs, fière de sa proie au funeste destin, invoquant Bacchos, son compagnon de curée, son auxiliaire à la chasse, le victorieux, en l'honneur de qui elle emporte un trophée de larmes. (Euripide, Les Bacchantes, 1106-1147) |
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Cette kylix représente une Ménade furieuse, qui court de profil en se dirigeant vers la droite, mais en tournant la tête pour regarder derrière elle, dans un mouvement de torsion en spirale. Elle occupe tout le rond central de la kylix, ses pieds prenant appui sur le bord inférieur de son cercle.
Elle est couronnée d’un serpent blanc à points noirs, et ses cheveux bouclés sont attachés derrière sa tête. Elle est habillée d’une tunique composée d’une robe blanche et noire qui lui arrive aux chevilles et d’une cape faite d'une peau de tigre. Elle tient dans sa main droite un thyrse, un long bâton terminé par quinze feuilles et huit points noirs, et dans sa main gauche un tigre, l’un des nombreux attributs de Dionysos.
Les Ménades étaient des femmes possédées par le délire dionysiaque, ivres, saisies par des transes que favorisaient la musique et des danses furieuses. Ce sont ces Ménades qui, dans la tragédie des Bacchantes d'Euripide, vont être responsables de la mort du malheureux Penthée, le roi de Thèbes.
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Sur la frise circulaire qui fait le tour de ce couvercle, le roi Penthée est représenté sans couronne : c’est un jeune homme agrippé par deux femmes (Agavé et Ino). Sa tunique a glissé et le laisse à moitié nu ; son genou droit est à terre, tandis que ses bras et sa jambe gauche sont écartelés par les femmes thébaines et bacchantes.
Celles-ci portent la même tunique blanche, l'expression de leur visage indique leur agressivité et leur inconscience : elles ne sont pas manifestement pas dans leur état naturel, et ne se rendent pas compte de ce qu’elles font.
Pourtant, même si cette image évoque une scène violente, elle reste soutenable dans la mesure où elle saisit le début de l'attaque et ne représente pas de manière réaliste la suite du démembrement de Penthée.
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Le châtiment de Penthée |
Cette fresque se trouve dans une pièce nommée l'oecus, à gauche du péristyle de la maison des Vetii, une riche demeure de Pompéi remarquable par la quantité et la qualité de ses peintures, que l'éruption du Vésuve en 79 apr.JC nous a conservées intactes. | |
Fresque romaine du IVe style pompéien | ||
Ier s. apr.JC | ||
Maison des Vettii, chambre de Penthée |
Au centre de cette fresque, Penthée est une fois de plus sans couronne, presque nu, portant seulement un manteau marron. A ses pieds on voit une lance en or qu'il a laissé tomber quand il s'est fait attaquer par les Bacchantes. Il est entouré de femmes qui veulent sa mort, l’expression qui se lit sur son visage est celle de la terreur.
Autour de lui cinq femmes sont en train de l'attaquer : celles du premier plan le tiennent par les cheveux et les bras. Celle qui a la tunique bleue s'apprête à le transpercer de son thyrse, tandis que celle qui a la tunique violette le retient en saisissant son avant-bras. Au second plan, trois femmes sont debout sur des rochers. Celle de gauche, en tunique verte, brandit une lance ; celle du milieu soulève au-dessus de sa tête un gros caillou avec lequel elle compte fracasser la tête du roi ; enfin celle de droite porte une tunique bleue et tient dans ses mains une lance et une massue.
Les trois femmes courent vers Penthée pour pouvoir le tuer, en proie à la folie de Dionysos. L’effet produit sur le spectateur est celui d'une violence déchaînée et d'un carnage qui se profile. Elle est plus réaliste que la scène de la lékanis, mais moins que la fresque italienne qui suit.
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Daniele Ricciarelli da Volterra est un peintre et sculpteur italien disciple de Michel-Ange. Sa peinture se caractérise par une totale maîtrise de la couleur et de la composition, mais avec une certaine tendance à l'excès, qui se manifeste ici. | Le dépeçage de Penthée par les Bacchantes |
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Fresque attribuée à Daniele Ricciarelli da Volterra (1509-1566) | ||
Chambre du Cardinal Ranuccio (1547-1550) | ||
Palais Farnese, Rome |
Cette fresque fait partie de douze panneaux consacrés au triomphe de Dionysos/Bacchus dans la chambre du cardinal Ranuccio du palais Farnese à Rome, actuellement l'ambassade de France en Italie. Cette chambre a été somptueusement décorée à partir de 1547.
Le roi Penthée, totalement nu, est en train de se faire démembrer. Sa tête et son bras gauche ont déjà été arrachés, et leur emplacement est signalé par une tache de sang rouge pourpre, qui jaillit au premier plan.
Trois femmes poursuivent leur travail de démembrement : celle de gauche, en tunique blanche à ceinture en toile rouge, tient la jambe gauche. Son visage exprime un grand vide. Celle du milieu, en tunique orange et robe, se concentre sur la jambe droite, le visage penché vers le sol. Celle de droite, en tunique blanche et foulard orange, essaie de démembrer le bras droit de Penthée en prenant appui sur les côtes du roi avec ses jambes. L’expression sur son visage est celle de la fureur.
La composition de la fresque met particulièrement en valeur ces efforts de traction. Elle est divisée par une grande diagonale qui part du trou de la tête de Penthée et se poursuit avec la femme du milieu. Deux autres diagonales en étoile, et une ellipse reliant les têtes des trois femmes, soulignent leurs efforts centrifuges. L'ensemble est très asymétrique, déséquilibré, ce qui exprime parfaitement le caractère chaotique et monstrueux de la scène.
Au fond, le décor de la fresque est constitué par la nature, avec des collines et des arbres. D'autres femmes thébaines et bacchantes courent à l'arrière-plan. Il y a un grand contraste entre la beauté des couleurs, qui s'harmonisent entre elles, et le caractère très réaliste de la scène principale, avec le trou rouge béant au premier plan. L’effet produit sur le spectateur est celui de l’horreur.
Paul R., 217