Héraklès/Hercule et le lion de Némée


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Le mythe d'Héraklès, ou Hercule, est très célèbre. Qui ne connaît pas l'histoire du héros, fils de Zeus et d'Alcmène, condamné à effectuer douze tâches impossibles par Héra ? Nous nous concentrerons ici sur le premier des douze travaux, la mise hors d'état de nuire du lion de Némée.


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Comparaison de textes


1. Texte antique


Pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II.5.1, "Le lion de Némée" (IIe s. apr. JC)

Le premier travail qui lui fut imposé fut de rapporter la peau du lion de Némée, une bête féroce et invulnérable, née de Typhon.

Arrivé à Némée, Héraclès suivit les traces du lion et commenga à le frapper avec ses flèches ; mais il comprit immédiatement qu'il était invulnérable : aussi mit-il sa massue sur son épaule et le suivit-il. Le lion se réfugia dans une grotte à deux entrées. Héraclès en condamna une et entra par l'autre ; il s'approcha du fauve, le saisit au cou et l'immobilisa ; et il lui serra si fort la gorge qu'il mourut étouffé.

Ensuite Héraclès porta le lion à Mycènes. Eurysthée, terrifié par la force du héros, lui interdit dès lors l'entrée de sa ville : les résultats de ses exploits devraient dorénavant être exposés devant les portes. On dit aussi qu'Eurysthée, trop effrayé, s'était caché dans une jarre de bronze, qu'il avait fait apprêter sous la terre. Et ses ordres, pour les autres exploits d'Héraclès, il les donna de cet endroit, par la voix du héraut Coprée, le fils de Pélops l'éléen.

 

2. Texte contemporain


Agatha Christie, Les Douze Travaux d'Hercule, 1947

Hercule Poirot s'est donné pour objectif d'effectuer douze enquêtes avant sa retraite. Sa première affaire concerne la disparition puis restitution avec rançon d'un chien pékinois. Hercule se rend chez les victimes, qui lui expliquent les circonstances de l'enlèvement.


Poirot se tourna vers la demoiselle de compagnie.

- Qu'est-ce qui est arrivé ?

Mlle Carnaby se lança à corps perdu dans un récit plutôt confus :

- Ç'a été purement et simplement inimaginable ! Nous venions tout juste de remonter l'allée aux fleurs. Shan Tung était en laisse, bien sûr. Il avait fait son petit tour sur le gazon et j'allais rentrer quand mon attention a été attirée par un bébé dans son landau - un bébé mignon à croquer. Il m'a fait des sourires - ah ! ses petites joues roses et ses bouclettes ! Je n'ai pas pu m'empêcher de parler à la nurse pour lui demander quel âge il avait - dix-sept mois, m'a-t-elle dit et je suis prête à jurer que nous n'avons bavardé qu'une minute ou deux. Et puis tout d'un coup j'ai regardé derrière moi et Shan Tung n'était plus là. La laisse avait été coupée net.


Hercule Poirot poursuit son enquête et finit par découvrir que Shan-Tung n'est que le dernier d'une série d'enlèvements similaires en tous points. Ses soupçons se portent alors sur la gouvernante, Mlle Carnaby. Il repère un appartement dans un périmètre précis de Londres, et décide de s'y rendre, bien décidé à y trouver la vérité.


Parvenu au palier supérieur, il marqua une pause pour reprendre sa respiration. C'est alors qu'un nouveau bruit, derrière la porte du n°10, se fit entendre : l'aboiement aigu d'un petit chien. Hercule Poirot hocha la tête en esquissant un sourire. Puis il actionna la sonnette du n°10. Les aboiements redoublèrent, des pas approchèrent, et le battant pivota sur ses gonds. Mlle Amy Carnaby eut un geste de recul et porta la main à son opulente poitrine.

- Vous me permettez d'entrer ? fit Poirot qui, sans attendre la réponse, franchit le seuil.


Mlle Carnaby et sa sœur expliquent l'affaire à Hercule Poirot. Elles se sont organisées avec d'autres gouvernantes, dans le but de récolter de l'argent pour vivre, leur salaire ne le permettant pas pleinement. Ainsi, elles avaient formé un fonds commun où elles gardaient l'argent des rançons. Hercule Poirot va donc faire son compte-rendu aux maîtres de Shan Tung, tout en prenant soin de ne pas incriminer Mlle Carnaby. Le détective remarque alors un détail chez Sir Joseph, qui avait fait appel à lui pour régler cette affaire.


- Désormais, presque toutes les affaires dont je suis amené à m'occuper sont des affaires de meurtre. Sir Joseph eut un léger haut-le-corps.

- Ça doit être intéressant, non ? souffla-t-il.

- Parfois. Or, bizarrement, vous me remettez en mémoire une des premières affaires criminelles que je me suis vu confier, il y a des années, en Belgique. Le personnage principal vous ressemblait énormément. C'était un très prospère fabricant de savon. Il avait empoisonné sa femme pour pouvoir épouser sa secrétaire. Oui, la ressemblance est extraordinairement frappante. Un faible son s'échappa des lèvres de sir Joseph Hoggin qui n'étaient plus que deux lignes d'une étrange tonalité bleuâtre. Ses bajoues avaient perdu toute couleur. Ses yeux, exorbités, fixaient Poirot sans le voir. Il se laissa aller dans son fauteuil. Puis, d'une main qui tremblait, il fourragea dans sa poche, en sortit le chèque et le déchira en deux.

- On efface l'ardoise et on n'en parle plus, d'accord ? murmura-t-il.



Nous allons à présent procéder à une comparaison de ces textes, en relevant d'abord leurs points communs puis leurs différences, pour étudier comment un auteur du XXe siècle a adapté ce mythe antique du lion de Némée.


Agatha Christie s'est forcément inspirée de ce mythe antique pour écrire son recueil intitulé Les Travaux d'Hercule. Le premier point commun que l'on peut noter est le titre de la nouvelle, ainsi que le nom de son protagoniste, l'illustre Hercule Poirot.

Deuxième point commun avec la version ancienne, le but d'Hercule est de trouver le lion de Némée, représenté par un Pékinois dans le Lion de Némée plus récent. Poirot saisit d'ailleurs le chien en prononçant : "Et Hop ! j'ai capturé le lion de Némée. Ma tâche est accomplie."

Enfin, troisième référence, cette fois-ci à Eurysthée, le roi qui a ordonné à Hercule de tuer le lion. Sir Joseph Hoggin, le riche anglais qui fait appel aux services d'Hercule, n'est autre qu'un ancien criminel débusqué par Poirot. Aussi, lorsqu'il est reconnu par le détective, il blêmit et en a peur, un peu comme le roi de Tirynthe qui se cache dans sa jarre d'airain.


Abordons à présent les différences que lon peut trouver entre ces deux récits. La première est la nature du lion. Dans la mythologie grecque, il est question dun vrai lion, invincible et cruel, tandis qu'Agatha Christie mentionne un simple pékinois, c'est-à-dire un animal de compagnie.

Par la suite, on peut également remarquer que l'auteure de la version plus récente a adapté le mythe à son héros. De ce fait, Poirot ne doit pas tuer une bête féroce en faisant étalage de sa force et de son courage, mais plutôt faire preuve d'intelligence et d'attention pour démasquer le coupable d'une affaire de vol.

 

Pour conclure, on a pu voir qu'Agatha Christie s'est fortement inspirée de l'histoire d'Hercule mais l'a modifiée pour la faire mieux correspondre avec son propre héros ainsi qu'avec son époque. Ainsi on ne parle plus ici de lion féroce à tuer mais d'un chien de compagnie enlevé à ses maîtres, ce qui produit un effet burlesque. Toutefois, on voit que l'auteure connaissait ses classiques, puisque le personnage de sir Joseph n'est pas sans rappeler Eurysthée.

 

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Iconographie



Héraklès et le lion de Némée
Amphore attique à figures noires
v. 520-510
Musée du Louvre


Cette première œuvre est une amphore représentant le combat d'Hercule contre le lion de Némée. On peut noter que la position d'Héraklès le place en supériorité par rapport à l'animal, qui ploie sous l'effort. Cette position n'est pas sans rappeler celle du lion, ce qui donne l'impression qu'Hercule a la force d'une bête sauvage et féroce.




Héraklès et le lion de Némée
Amphore attique à figures noires
v.540
Musée du Louvre

Notre deuxième œuvre est elle aussi un vase antique, mais elle représente différemment ce mythe. En effet, Héraklès est bien plus humain et semble tout aussi puissant face à un lion maigre et faible qui se débat dans ses bras. En face d'Héraklès, Athéna est là pour l'encourager et lui donner la force nécessaire.




Le combat d'Hercule avec le lion de Némée
Huile sur toile de Pierre Paul Rubens
XVIIe siècle
Musée national d'art de Roumanie


Ce tableau, peint au XVIIe siècle par le célèbre Rubens, présente plus de similitudes avec la première œuvre antique étudiée. On retrouve Hercule aux prises avec le lion de Némée. Là encore, le héros semble presque bestial, son corps se confond presque avec celui du lion. Ce dernier tente d'échapper, mais sans succès, à Hercule qui le tient au cou et est en train de l'étrangler. On peut aussi voir une référence à la future cape du fils de Zeus. Effectivement, le fait qu'Hercule et le lion se confondent donne l'impression qu'ils sont en train de "fusionner", un signe annonciateur, puisque le héros revêtira la peau de celui-ci après l'avoir vaincu.

 


Hercule affrontant le lion de Némée
Huile sur toile de Francisco de Zurbaran
1634
Musée du Prado - Madrid


Enfin, cette quatrième et dernière œuvre ressemble bien plus au deuxième vase grec. On voit, comme sur l'amphore antique, un Hercule plus humain combattant un lion de Némée encore une fois faible et maigre. Dans le bas du tableau, on peut noter la présence d'un gourdin et de flèches, rappelant les attributs du héros. On peut donc dire que cet affrontement représente ici une étape à accomplir pour devenir le "vrai" Hercule, qui est pour le moment nu, comme dénué d'identité, identité qu'il gagnera en vainquant cet animal puisqu'il se couvrira de sa peau.



Arthur L. et Neil P., 203


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