Pandore, la première femme


   

Dans la mythologie grecque, Pandore est à l'origine de beaucoup de malheurs pour les hommes, mais il faut reprendre l'histoire un peu plus haut pour le comprendre.

Prométhée était un Titan qui voulut se venger de la victoire des dieux olympiens sur ses compagnons : à l'aide d'une tige creuse de férule commune, il vola le feu sacré de Zeus pour le donner aux hommes, à qui le feu était indispensable pour vivre. Zeus, après l'avoir châtié, décida de se venger en tendant un piège aux hommes.


La création de Pandore - Cratère attique en calice - 460-450 av. JC - British Museum


A l'aide d'Héphaïstos, il créa la première femme au monde, Pandore, à qui les dieux firent présent de tous leurs atouts (d'où son nom) : la beauté, la curiosité, la jalousie, la persuasion, l'habileté, le mensonge, et surtout la vie.

Quand elle eut ainsi été créée, Zeus donna à Pandore une mystérieuse boîte qu'elle devrait protéger mais n'ouvrir en aucun cas. Puis il offrit cette merveilleuse jeune femme à épiméthée, frère de Prométhée, qui l'épousa. Malheureusement, la curiosité de Pandore prit le dessus : elle ouvrit la boîte interdite. Ce fut le geste fatal par excellence, puisque de cette boîte s'échappèrent la maladie, la vieillesse, la guerre, la folie, le vice, la famine, la misère, la tromperie et la passion, pour se propager sur les hommes. Pandore, affolée, rabattit le couvercle, mais un peu tard : seule l'espérance resta au fond de cette boîte. C'est ainsi que l'on explique que même si les êtres humains sont frappés par de nombreux maux, ils ne perdent jamais espoir.

La légende a donné l'expression : « ouvrir la boite de Pandore » qui signifie réaliser une action qui crée de multiples problèmes. C'est pourquoi toutes les représentations de Pandore la montrent avec une boîte dans les mains.




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Comparaison de textes

Le mythe de Pandore a suscité de nombreuses adaptations littéraires mais aussi cinématographiques en passant par la bande-dessinée. Mais nous avons choisi de comparer le texte originel d'Hésiode avec le passage de la Genèse, dans l'Ancien Testament, qui évoque la création d'Eve, car pour nous, cet épisode biblique a une portée universelle et marquera vraisemblablement plus fortement les esprits.


Hésiode - Les Travaux et les Jours, 54-105 - VIIIe s. av.JC

Les Travaux et les Jours d'Hésiode sont un très ancien poème didactique qui complète la Théogonie, dans laquelle le poète racontait l'origine du cosmos (cosmogonie), des dieux (théogonie) et des hommes (anthropogonie). A présent, Hésiode se concentre sur le destin de l'humanité et explique quel sort Zeus réserve aux hommes, auxquels Prométhée vient d'offrir le feu qu'il a dérobé aux immortels.

« Fils de Japet, ô le plus habile de tous les mortels ! tu te réjouis d'avoir dérobé le feu divin et trompé ma sagesse, mais ton vol te sera fatal à toi et aux hommes à venir. Pour me venger de ce larcin, je leur enverrai un funeste présent dont ils seront tous charmés au fond de leur âme, chérissant eux-mêmes leur propre fléau. » En achevant ces mots, le père des dieux et des hommes sourit et commanda à l'illustre Héphaïstos de composer sans délais un corps, en mélangeant de la terre avec l'eau, de lui communiquer la force et la voix humaine, d'en former une vierge douée d'une beauté ravissante et semblable aux déesses immortelles ; il ordonna à Athéna de lui apprendre les travaux des femmes et l'art de façonner un merveilleux tissu, à Aphrodite à la parure d'or de répandre sur sa tête la grâce enchanteresse, de lui inspirer les violents désirs et les soucis dévorants, à Hermès, messager des dieux et meurtrier d'Argos, de remplir son esprit d'impudence et de perfidie. Tels furent les ordres de Zeus, et les dieux obéirent à ce roi, fils de Cronos. Aussitôt l'illustre Héphaïstos, soumis à ses volontés, façonna avec de la terre une image semblable à une chaste vierge ; la déesse aux yeux bleus, Athéna, l'orna d'une ceinture et de riches vêtements ; les divines Grâces et l'auguste Persuasion lui attachèrent des colliers d'or, et les Heures à la belle chevelure la couronnèrent des fleurs du printemps. Athéna entoura tout son corps d'une magnifique parure. Enfin le meurtrier d'Argos, docile au maître du tonnerre, lui inspira l'art du mensonge, les discours séduisants et le caractère perfide. Ce héraut des dieux lui donna un nom et l'appela Pandore, parce que chacun des habitants de l'Olympe lui avait fait un présent pour la rendre funeste aux hommes industrieux.

Jean-Pierre Cortot - Pandore - 1819
Musée des Beaux-Arts de Lyon

Après avoir achevé cette attrayante et pernicieuse merveille, Zeus ordonna à l'illustre meurtrier d'Argos, au rapide messager des dieux, de la conduire vers épiméthée. épiméthée ne se rappela point que Prométhée lui avait recommandé de ne rien recevoir de Zeus, roi de l'Olympe, mais de lui renvoyer tous ses dons de peur qu'ils ne devinssent un fléau terrible aux mortels. Il accepta le présent fatal et reconnut bientôt son imprudence. Auparavant, les tribus des hommes vivaient sur la terre, exemptes des tristes souffrances, du pénible travail et de ces cruelles maladies qui amènent la vieillesse, car les hommes qui souffrent vieillissent promptement. Pandore, tenant dans ses mains un grand vase, en souleva le couvercle, et les maux terribles qu'il renfermait se répandirent au loin. L'Espérance seule resta. Arrêtée sur les bords du vase, elle ne s'envola point, Pandore ayant remis le couvercle, par l'ordre de Zeus qui porte l'égide et rassemble les nuages. Depuis ce jour, mille calamités entourent les hommes de toutes parts : la terre est remplie de maux, la mer en est remplie, les maladies se plaisent à tourmenter les mortels nuit et jour et leur apportent en silence toutes les douleurs, car le prudent Zeus les a privées de la voix. Nul ne peut donc échapper à la volonté de Zeus.


Pandore - Céramique grecque à figures rouges - IVe s. av.JC
Musée archéologique de Barcelone

 

Ancien Testament, Genèse, 2, 15-25 et 3, 1-20

Voici à présent la version judaïque de la création de la femme et du péché originel, telle qu'elle est développée dans le premier livre de la Bible, la Genèse.


L'éternel Dieu prit l'homme, et le plaça dans le jardin d'éden pour le cultiver et pour le garder. L'éternel Dieu donna cet ordre à l'homme : Tu pourras manger de tous les arbres du jardin ; mais tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.

L'éternel Dieu dit : Il n'est pas bon que l'homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à lui. L'éternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir vers l'homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant portât le nom que lui donnerait l'homme. Et l'homme donna des noms à tout le bétail, aux oiseaux du ciel et à tous les animaux des champs ; mais, pour l'homme, il ne trouva point d'aide semblable à lui.

Alors l'éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l'homme, qui s'endormit ; il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place. L'éternel Dieu forma une femme de la côte qu'il avait prise de l'homme, et il l'amena vers l'homme. Et l'homme dit : Voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair ! on l'appellera femme, parce qu'elle a été prise de l'homme. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair.

L'homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n'en avaient point honte.

Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs, que l'éternel Dieu avait faits. Il dit à la femme : Dieu a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? La femme répondit au serpent : Nous mangeons du fruit des arbres du jardin. Mais quant au fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n'en mangerez point et vous n'y toucherez point, de peur que vous ne mouriez.

Alors le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez point ; mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.

La femme vit que l'arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu'il était précieux pour ouvrir l'intelligence ; elle prit de son fruit, et en mangea ; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d'elle, et il en mangea. Les yeux de l'un et de l'autre s'ouvrirent, ils connurent qu'ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s'en firent des ceintures.

Alors ils entendirent la voix de l'éternel Dieu, qui parcourait le jardin vers le soir, et l'homme et sa femme se cachèrent loin de la face de l'éternel Dieu, au milieu des arbres du jardin. Mais l'éternel Dieu appela l'homme, et lui dit : Où es-tu ? Il répondit : J'ai entendu ta voix dans le jardin, et j'ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché.

Et l'éternel Dieu dit : Qui t'a appris que tu es nu ? Est-ce que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger ? L'homme répondit : La femme que tu as mise auprès de moi m'a donné de l'arbre, et j'en ai mangé. Et l'éternel Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : Le serpent m'a séduite, et j'en ai mangé.

L'éternel Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité : celle-ci t'écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon.

Il dit à la femme : J'augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi.

Il dit à l'homme : Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé de l'arbre au sujet duquel je t'avais donné cet ordre : Tu n'en mangeras point ! le sol sera maudit à cause de toi. C'est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie, il te produira des épines et des ronces, et tu mangeras de l'herbe des champs. C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière.

Adam donna à sa femme le nom d'Eve : car elle a été la mère de tous les vivants.


Meister Bertram von Minden - La création d'Eve et le péché originel - 1375-1383 - Grabower Altar, Petri-Altar - Hamburg

 

Nous allons comparer ces deux textes en établissant d'abord un tableau qui récapitule leurs ressemblances et leurs différences :


Bible Mythe grec d'Hésiode
Personnage principal Eve, femme d'Adam Pandore, femme d'Epiméthée
Créateur Dieu Héphaïstos
sur l'ordre de Zeus
Mode de création Prélèvement d'une cote d'Adam Modelage à partir de terre et d'eau
Lieu Jardin d'Eden Olympe
Tentation Manger le fruit de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal Ouvrir la boîte
Elément perturbateur
Opposant
Le serpent La curiosité
Conséquences

Malheur des hommes Malheur des hommes


Points communs

Chez Hésiode comme dans l'Ancient Testament, Pandore et Eve sont les premières femmes de l'humanité. Toutes deux sont à l'origine de tous les malheurs de l'humanité : dans le mythe grec, Pandore est créée par Zeus pour importer sur Terre tous les fléaux existants ; dans la Bible, la femme n'est pas créée à cette fin, mais elle en est la cause. Nous pouvons penser que le serpent dans la Bible joue le même rôle d'élément perturbateur que la curiosité dans le texte d'Hésiode : les deux poussent la femme à désobéir aux règles édictées par Dieu ou par Zeus.


Différences

Pandore est créée à partir d'eau et de terre tandis que Eve est créée à partir d'une cote d'Adam ce qui prouve que Zeus crée la femme pour une fin précise, sa vengeance, tandis que Dieu crée Eve sur le modèle d'Adam et n'a pas l'intention de nuire aux hommes a priori.

Mais après avoir créé la femme, Dieu lui interdit de toucher à l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal : il lui a donné un libre arbitre, et c'est elle qui décide malgré tout de transgresser l'ordre reçu ; au contraire, dans le mythe grec, c'est Zeus qui demande à Héphaïstos de rajouter la curiosité dans le caractère de Pandore pour que celle-ci œuvre la boîte. Elle est en quelque sorte destinée à l'ouvrir, ce qui donne au destin de l'humanité une dimension plus tragique.


Conclusion

Pour paraphraser Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, on remarque combien les récits biblique et grec ne sont que des variantes d'une histoire commune qui présente « deux certitudes : l'humanité originelle est exclusivement masculine ; la création de la femme est un cadeau empoisonné que les dieux, Dieu font aux hommes ». Effectivement, dans les deux cas c'est la femme qui précipite l'humanité dans le chaos ; mais ne sont-ce pas les hommes qui créent les religions ?


Jean Cousin l'Ancien - Eva Prima Pandora -  v.1550 - Musée du Louvre


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Prolongement  - Métropolis de Fritz Lang - 1927


Metropolis (« ville mère / capitale ») est un film muet en noir et blanc réalisé par le célèbre Fritz Lang, un réalisateur scénariste austro-hongrois naturalisé américain en 1935. On considère qu'il s'agit du premier film de science-fiction de l'histoire du cinéma.

Métropolis est une mégapole du futur (2026) divisée en deux grandes parties : la ville haute, où vivent les familles riches et intellectuelles de cette société, et la ville basse, lieu de travail infernal pour les ouvriers opprimés par la classe dominante. Mais cette situation va vite changer. Un savant fou, Rotwang, met au point un prototype révolutionnaire d'androïde à l'apparence féminine, qui encouragera les ouvriers à se rebeller contre le maître de la cité qui les fait travailler dans des conditions horribles et insoutenables.




Points communs avec Pandore

Différences avec Pandore


Jordi T.-B. et Mathieu J., 207