Philémon et Baucis


   

Adam Elsheimer - Philémon et Baucis - Huile sur cuivre - 1600 - Musée de Dresde


Baucis, femme pauvre et âgée, vivait avec son mari Philémon, presque aussi vieux qu'elle, dans une petite cabane. Jupiter, sous la figure d'un simple mortel et accompagné de Mercure, voulut visiter la Phrygie. Les deux voyageurs arrivèrent dans un bourg auprès duquel demeuraient Philémon et Baucis, et, affectant de succomber de fatigue, ils frappèrent à toutes les portes, demandant l'hospitalité. Pas un habitant ne voulut les recevoir. Ils sortirent du bourg, et allèrent frapper à la cabane des deux vieillards qui s'empressèrent de leur prodiguer leurs soins. Alors Jupiter voulut les récompenser de leur hospitalité.


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Comparaison de textes

Ovide - Les Métamorphoses, VIII, 703-720

Au milieu du livre VIII, Ovide intercale dans des récits d'impiétés le récit édifiant de Philémon et Baucis, qui constituent par contraste un modèle de générosité et de piété. Après avoir longuement raconté le repas qu'offrent les deux vieillards à leurs hôtes divins, le poète prépare l'épisode de la métamorphose.


Talia tum placido Saturnius edidit ore :

« Dicite, juste senex et femina conjuge justo
digna, quid optetis » Cum Baucide pauca locutus
judicium superis aperit commune Philemon :
« Esse sacerdotes delubraque vestra tueri
poscimus, et quoniam concordes egimus annos,
auferat hora duos eadem, nec conjugis umquam
busta meae videam, neu sim tumulandus ab illa. »

Vota fides sequitur : templi tutela fuere,
donec vita data est ; annis aevoque soluti
ante gradus sacros cum starent forte locique
narrarent casus, frondere Philemona Baucis,
Baucida conspexit senior frondere Philemon.
Jamque super geminos crescente cacumine vultus
mutua, dum licuit, reddebant dicta « vale » que
« o conjunx » dixere simul, simul abdita texit
ora frutex : ostendit adhuc Thyneius illic
incola de gemino vicinos corpore truncos.

 

Alors le fils de Saturne prononce ces mots d'une voix douce : « Sage vieillard, et vous, femme d'un si pieux époux, parlez, quels sont vos voux ? » Philémon confère un moment avec Baucis, et reporte aux dieux, en ces termes, le souhait qu'ils ont formé : « Souffrez que nous soyons les prêtres de ce temple ; faites que nos destins, depuis si longtemps unis, se terminent ensemble ;  que je ne voie jamais, le tombeau de Baucis ! que Philémon ne soit jamais enseveli par elle !» Leurs voux sont exaucés. La garde du temple leur fut confiée, et tant qu'ils respirèrent ils desservirent ses autels. Un jour que, courbés sous le poids des ans, ils étaient assis sur les marches du temple, et qu'ils s'entretenaient des prodiges dont ils furent témoins, Baucis voit Philémon se couvrir de feuillage ; Philémon voit s'ombrager la tête de Baucis ; tandis que l'écorce s'étend et les embrasse, ils se parlent, se répondent encore : « Adieu, cher époux ! Adieu, chère épouse !» Et l'écorce monte, les cœuvre, et leur ferme la voix. Le pâtre de Phrygie montre encore au voyageur les deux troncs voisins qui renferment leurs corps.

 

Jean de La Fontaine - Fables, XII, 25 - 1694

La Fontaine inaugure cette fable en indiquant : « Sujet tiré des Métamorphoses d'Ovide ». Mais s'agit-il d'une simple traduction en alexandrins de l'original latin ?


« Hélas ! dit Philémon, si votre main puissante 
Voulait favoriser jusqu'au bout deux mortels, 
Ensemble nous mourrions en servant vos autels : 
Clothon ferait d'un coup ce double sacrifice ; 
D'autres mains nous rendraient un vain et triste office: 
Je ne pleurerais point celle-ci, ni ses yeux 
Ne troubleraient non plus de leurs larmes ces lieux. » 
Jupiter à ce vou fut encor favorable. 
Mais oserai-je dire un fait presque incroyable ? 
Un jour qu'assis tous deux dans le sacré parvis
Ils contaient cette histoire aux pèlerins ravis,
La troupe, à l'entour d'eux, debout prêtait l'oreille ;
Philémon leur disait : « Ce lieu plein de merveille
N'a pas toujours servi de temple aux Immortels :
Un bourg était autour, ennemi des autels,
Gens barbares, gens durs, habitacle d'impies ;
Du céleste courroux tous furent les hosties.
Il ne resta que nous d'un si triste débris :
Vous en verrez tantôt la suite en nos lambris ;
Jupiter l'y peignit. » En contant ces annales,
Philémon regardait Baucis par intervalles ;
Elle devenait arbre, et lui tendait les bras ;
Il veut lui tendre aussi les siens, et ne peut pas.
Il veut parler, l'écorce a sa langue pressée.
L'un et l'autre se dit adieu de la pensée :
Le corps n'est tantôt plus que feuillage et que bois.
D'étonnement la troupe, ainsi qu'eux, perd la voix,
Même instant, même sort à leur fin les entraîne ;
Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne.
On les va voir encore, afin de mériter
Les douceurs qu'en hymen Amour leur fit goûter :
Ils courbent sous le poids des offrandes sans nombre.
Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre,
Ils s'aiment jusqu'au bout, malgré l'effort des ans.

 

Comparaison des deux récits de la métamorphose

Ovide    La Fontaine

Baucis voit Philémon se couvrir de feuillage ; Philémon voit s'ombrager la tête de Baucis; tandis que l'écorce s'étend et les embrasse, ils se parlent, se répondent encore : « Adieu, cher époux ! Adieu, chère épouse ! » Et l'écorce monte, les cœuvre, et leur ferme la voix.

 

Philémon regardait Baucis par intervalles ;
Elle devenait arbre, et lui tendait les bras ;
Il veut lui tendre aussi les siens, et ne peut pas.
Il veut parler, l'écorce a sa langue pressée.
L'un et l'autre se dit adieu de la pensée :
Le corps n'est tantôt plus que feuillage et que bois.
D'étonnement la troupe, ainsi qu'eux, perd la voix,
Même instant, même sort à leur fin les entraîne ;
Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne.



On peut voir que Jean de La Fontaine décrit le moment de la métamorphose de manière plus développée et plus détaillée. Il évoque une atmosphère d'amour : «  Philémon regardait Baucis », « Lui tendait les bras, / Il veut lui tendre aussi les siens, et ne peut pas ». C'est une scène assez pathétique, alors que la métamorphose décrite par Ovide est plutôt traditionnelle et n'exprime aucune sensualité, aucune passion, seulement deux époux qui se disent adieu. De plus, dans sa métamorphose Ovide commence à décrire ce que voit Baucis puis vient le tour de Philémon ; dans le récit de La Fontaine au contraire, le poète ne décrit que ce que voit Philémon. Faut-il y voir un signe d'inégalité des sexes ?

La version du mythe que j'ai le plus aimée est celle de Jean de La Fontaine : elle est plus sensuelle et originale que celle d'Ovide.

 

Jean-Baptiste Oudry - Gravure de l'édition Desaint & Saillant, 1755-1759



Emma B., 207