NB - L'auteur de cette contribution conseille de la lire avec la page sur Troïlus dans la littérature tardo-latine et médiévale, et avant celle qui sera consacrée à Troïlus et Cressida avant Shakespeare. La section 3 sera à lire après la page consacrée au devin Calchas dans la littérature tardo-latine et médiévale.

En lisant Homère, on pourrait penser à Briséis et à Chryséis comme à deux belles jeunes filles que se disputent Achille et Agamemnon. Mais une lecture plus attentive d'Homère, et surtout des témoignages plus tardifs, modifie sensiblement cette impression : les deux étaient mariées à deux rois, Minès et Eétion, morts lors du saccage de leurs villes par Achille. Les écrivains confondent souvent les deux personnages, aux noms semblables et probablement mal distingués déjà dans la tradition manuscrite. Encore, pour les auteurs tardo-latins et médiévaux, leurs pères (Brisès ou Calchas et Chrysès), prêtres tous les deux, sont mentionnés comme les parents de la jeune fille appelée alternativement Briséis ou Chryséis...

1. Les témoignages du Cycle et des mythographes

Homère parle souvent (surtout dans les chants I, II et XIX de l'Iliade) des deux vierges conquises par Achille et devenues butin de guerre pour lui-même et Agamemnon. Les Kypria nous donnent d'autres renseignements, et ajoutent un détail intéressant sur Troïlus :

Proclus, Chrestomathie, 1
Puis les Achéens décident de rentrer chez eux, mais Achille les en empêche. Ensuite il s'empare du betail d'Enée, saccage Lirnesse, Pedase et bien des villes voisines, et tue Troïlus. Patrocle emmene Lycaon à Lemnos et le vend comme esclave ; Achille reçoit comme part de butin Briséis, et Agamemnon, Chryséis.

A propos de Chryséis, une discordance apparaît chez Homere entre sa patrie et sa condition ; et son nom se réfère à sa ville d'origine (Thèbes ou Chrysè), et non plus à son père : est-ce l'une des causes des confusions mentionnees ci-dessus ?

Kypria, 18 : schol. T in Il. 57
Achilles unde Briseida cepit] (B 690).
Achille détruisant la ville aux beaux murs d'où il prit Briséis : les poètes des Kypria disent qu'il s'agit de Pédase, Homère de Lirnesse.

Kypria 19: Eust.119.4, in A 366
Quelques-uns racontent que Chryséis fut enlevée de Thèbes. Elle ne s'y était pas réfugiée ni n'y était allée pour sacrifier à Artémis, comme le disait l'auteur des Kypria, mais elle y était née ou ( ?) était concitoyenne d'Andromaque.

Et Schol. A minn., in v.
Mais quelques-uns disent que Chryséis aussi fut prise à Thèbes. Ils disent en effet que Chrysè était un village sans murs et peu important, et que ses habitants s'étaient réfugiés à Thèbes, plus grande et plus sûre, à cause de la guerre.

Bien plus tard, une lacune dans l'Epitome d'Apollodore paraît contribuer à cette confusion, que la similitude des noms rendait presque inévitable :

Apollodore, Epitome IV, 1

[4,1] Ἀχιλλεὺς δὲ μηνίων ἐπὶ τὸν πόλεμον οὐκ ἐξῄει διὰ Βρισηίδα [...] τῆς θυγατρὸς Χρύσου τοῦ ἱερέως. διὸ θαρσήσαντες οἱ βάρβαροι ἐκ τῆς πόλεως προῆλθον.

Achille ne participait pas à la guerre, car il était en colère à cause de Briséis [...] la fille du prêtre Chrysès. Les Barbares reprirent ainsi courage et sortirent de la ville.

Plus lié à la tradition d'Homère est sans doute le témoignage d'Hygin :

Hyginus, Fabulae 106

HECTORIS LYTRA
Agamemnon Briseidam Brisae sacerdotis filiam ex Moesia captiuam propter formae dignitatem, quam Achilles ceperat, ab Achille abduxit eo tempore quo Chryseida Chrysi sacerdoti Apollinis Zminti reddidit; quam ob iram Achilles in proelium non prodibat sed cithara in tabernaculo se exercebat.

2. La tradition tardo-latine et byzantine

Dares ne parle pas de Chryséis, et ne nous donne qu'un bref portrait de Briséis :

Daretis de excidio Troiae, 13

Briseidam formosam, alta statura, candidam, capillo flauo et molli, superciliis iunctis, oculis uenustis, corpore aequali, blandam, affabilem, uerecundam, animo simplici, piam.

Briséis était belle, grande, avait la peau fort blanche, des cheveux blonds qui se bouclaient avec grâce, des sourcils qui se joignaient à leur naissance, de beaux yeux, des membres bien proportionnés ; de plus, elle était douce, prévenante, et avait beaucoup de modestie, de candeur, et de piété envers les dieux.

Au contraire, Dictys (qui rend les choses plus claires en nous donnant les < vrais > noms des deux jeunes filles : Chryséis = Astynome et Briséis = Hippodamie... n'épargne aucun détail, antérieur ou postérieur à l'Iliade ; même s'il paraît globalement suivre le récit d'Homere, souvent il s'en detache : Agamemnon rend Chryséis à son père et Achille lui rend Briséis sans trop d'histoires, gagnant ainsi l'admiration de l'auteur. Au contraire, Malalas, qui d'habitude se tient près de Dictys, critique ici vivement Achille pour avoir caché Briséis, dont il était épris, au lieu de la destiner au butin commun des Grecs. Les funérailles de Patrocle et, plus tard, celles d'Achille, la font plaindre sincèrement, ce qui arrive aussi chez Quintus de Smyrne et Dion Chrysostome, qui cependant en critique la volubilité : on en reparlera à propos de son histoire avec Troïlus et Diomède.

Dictis Ephemerides belli Troiani, passim

[2,17] Caeterum Achilles haud contentus eorum quae gesserat Cilicas aggreditur ibique Lyrnessum paucis diebus pugnando cepit. Interfecto deinde Eetione, qui his locis imperitabat, magnis opibus naues replet, abducens Astynomen, Chrysi filiam, quae eo tempore regi denupta erat. Propere inde Pedasum expugnare occoepit, Lelegum urbem : sed eorum rex Brises ubi animaduertit in obsidendo saeuire nostros, ratus nulla ui prohiberi hostes aut suos satis defendi posse, desperatione effugii salutisque, attentis caeteris aduersum hostes, domum regressus laqueo interiit. Neque multo post capta ciuitas, atque interfecti multi mortales et abducta filia regis Hippodamia.

Cependant Achille, peu content de ce qu'il avait fait, attaque les Ciliciens, prend d'assaut en peu de jours la ville de Lyrnesse, tue le roi Eétion, remplit ses vaisseaux de richesses, et emmène captive Astynomé, fille de Chrysès, qui, dans le même temps, avait été donnée en mariage à ce prince. De là, il tombe sur Pédase, principale ville des Lélèges, et s'en empare. Brisès, qui en était roi, avait été témoin, pendant le siège, de la valeur des Grecs. Persuadé qu'il lui était impossible de résister à de pareils ennemis, de défendre les siens et d'échapper lui-même à la mort, il profite du moment où ses troupes étaient encore occupées à soutenir notre attaque, rentre dans son palais, et s'étrangle de ses propres mains. La ville fut bientôt prise ; la majeure partie des habitants fut passée au fil de l'épée, et Hippodamie, fille du roi, devint la proie du vainqueur.

[2,19]. Itaque cunctorum sententia, ex omni praeda quam Achilles apportauerat, exceptam Eetionis coniugem Astynomen, quam Chrysi filiam supra docuimus, ob honorem regium Agamemnoni obtulere. Ipse etiam Achilles praeter Brisei filiam Hippodamiam, Diomedeam sibi retinuit ; quod eiusdem aetatis atque alimoniae non sine magno dolore diuelli poterant, et ob id iam antea genibus Achillis obuolutae ne separarentur magnis precibus orauerunt.

D'un consentement unanime, on tira du butin qu'avait apporté Achille, Astynomé, femme d'Eétion et fille de Chrysès, et on l'offrit à Agamemnon, en sa qualité de roi. Achille, outre Hippodamie, retint encore Diomedée, parce que ces princesses, toutes deux du même âge et nourries du même lait, ne pouvaient être, dans un vif chagrin, séparées l'une de l'autre. Elles s'étaient peu auparavant jetées aux pieds de leur vainqueur, et tenant ses genoux embrassés, elles l'avaient conjuré avec larmes de les garder toutes deux ensemble.

[2,33] Quis perfectis, Graeci statuunt inter se Achillem, cuius in aduersis Graecorum casibus sollicitudo praecipua uidebatur, regem omnium confirmare. Sed Agamemnon anxius ne decus regium amitteret in consilio uerba facit : Sibi maxime cordi esse exercitus incolurmitatem; neque ulterius differre, quin Astynome parenti remitteretur, maxime si restitutione eius instantem perniciem subterfugerent : nec quicquam deprecari amplius, si modo in locum eius Hippodamiam, quae cum Achille degeret, uicarium munus amissi honoris acciperet. Quae res, quamquam atrox omnibus et indigna uidebatur, tamen conniuente Achille, cuius id praemium pro multis et egregiis facinoribus fuerat, effectum habuit. Tantus amor exercitum erga curaque in animo egregii adolescentis insederat. Igitur aduersa cunctorum uoluntate neque tamen quoquam palam recusante, Agamemnon, tamquam ab omnibus concessa res uideretur, lictoribus ut Hippodamia abstraheretur imperat ; hique breui iussa efficiunt. Interim Astynomen Graeci per Diomedem atque Ulissem cum magna copia uictimarum ad fanum Apollinis transmisere. Dein perfecto sacrificio paullatim uis mali leniri neque alius attentari corpora ; et eorum qui antea fatigabantur, tanquam sperato diuinitus leuamine, relaxari.

Ces devoirs rendus, les Grecs prennent entre eux la résolution d'élire pour leur général, Achille, dont la tendre sollicitude pour l'armée se faisait principalement remarquer dans ces temps de calamités. Agamemnon craignant pour sa dignité, dit en plein conseil que le salut de l'armée lui avait toujours été cher ; qu'il ne refusait point de rendre Astynomé si par ce moyen, il pouvait détourner le fléau qui pesait sur les Grecs ; mais qu'en échange de cette captive il demandait Hippodamie, échue à Achille, pour tenir la place de celle qui avait été déférée à son rang. La malignité et l'injustice de cette demande n'échapperent à personne ; cependant elle fut entendue sans opposition, même de la part d'Achille, à qui pourtant Hippodamie était bien due pour prix de ses glorieux exploits ; tant l'amour du bien public et le salut de l'armée occupaient de place dans le coeur de ce brave guerrier. Agamemnon cependant, contre la volonté générale, prenant le silence forcé de l'assemblée pour une marque d'approbation, ordonne à ses licteurs de lui amener Hippodamie, et ceux-ci obéissent sans différer. Alors les Grecs renvoient à son père, avec nombre de victimes pour les autels d'Apollon, Astynomé, sous la conduite de Diomède et d'Ulysse. Le sacrifice est à peine achevé que la violence du mal s'apaise. Ceux mêmes qui étaient déjà attaqués se sentent soulagés, comme si un remède efficace leur eût été envoyé du ciel. Aussi, en peu de temps, les troupes reprirent leur santé et leur vigueur accoutumées.

[3, 12] Advecta deinde ligni copia bustum exstruitur, impositumque desuper cadaver igni supposito cremant, exornatum jam decore omni pretiosae vestis : id namque Hippodamia et Diomedea curaverant, quarum Diomedea nimium juveni (scil. Patroclo) et omni affectu dilecta fuerat.

La matière apportée, on élève le bûcher, on place le corps dessus, on y met le feu ; le corps était revêtu d'habillements précieux, préparés par Hippodamie et Diomédée : cette dernière avait été surtout l'objet du tendre amour de Patrocle.

[4, 15] Per idem tempus Pyrrhus, quem Neoptolemum memorabant, genitus Achille ex Deidamia Lycomedis, superueniens offendit tumulum extructum iam ex parte maxima. Dein, percontatus exitum paternae mortis doctusque, Myrmidonas, gentem fortissimam et inclytam bellandi, armis atque animis confirmat impositoque faciendo operi Phoenice ad naues atque ad tentoria parentis contendit : ibi custodem rerum Achillis Hippodamiam animaduertit.

Dans le même temps, Pyrrhus, appelé aussi Néoptoleme, fils d'Achille et de Déidamie, fille de Lycomède, arriva à l'armée au moment où le tombeau était presque achevé. Il s'informe de la cause de la mort de son père : il exhorte alors les Myrmidons à reprendre courage et à se montrer par leurs exploits dignes de la réputation de bravoure qu'ils ont méritée. Il charge ensuite Phénix du soin d'achever le tombeau d'Achille, et se rend à la tente de son père ; là, il trouve ses dépouilles confiées au soin d'Hippodamie.

Quintus de Smyrne, Posthomerica, III, 544-558

Ἀμφὶ δέ μιν μογεραὶ ληίτιδες, ἅς ῥά ποτ´ αὐτὸς
Λέσβον τε ζαθέην Κιλίκων τ´ αἰπὺ πτολίεθρον
Θήβην Ἠετίωνος ἑλὼν ληίσσατο κούρας,
ἱστάμεναι γοάασκον ἀμύσσουσαι χρόα καλόν,
στήθεά τ´ ἀμφοτέρῃσι πεπληγυῖαι παλάμῃσιν
ἐκ θυμοῦ στενάχεσκον ἐύφρονα Πηλείωνα·
τὰς γὰρ δὴ τίεσκε καὶ ἐκ δηίων περ ἐούσας.
Πασάων δ´ ἔκπαγλον ἀκηχεμένη κέαρ ἔνδον
Βρισηὶς παράκοιτις ἐυπτολέμου Ἀχιλῆος
ἀμφὶ νέκυν στρωφᾶτο καὶ ἀμφοτέρῃς παλάμῃσι
δρυπτομένη χρόα καλὸν ἀύτεεν· ἐκ δ´ ἁπαλοῖο
στήθεος αἱματόεσσαι ἀνὰ σμώδιγγες ἄερθεν
θεινομένης· φαίης κεν ἐπὶ γλάγος αἷμα χέασθαι
φοίνιον. Ἀγλαΐη δὲ καὶ ἀχνυμένης ἀλεγεινῶς
ἱμερόεν μάρμαιρε, χάρις δέ οἱ ἄμπεχεν εἶδος.

Autour de lui, les esclaves fidèles qu'il avait conquises lui-même en prenant la sainte Lemnos, la haute ville des Ciliciens et la Thèbes d'Eétion, se tenaient versant des larmes, lacérant leur corps et meurtrissant à deux mains leur poitrine ; elles pleuraient du fond du coeur le généreux fils de Pélée ; car il avait de la bonté pour elles, quoique filles de ses ennemis. Surtout Briséis, qui partageait sa tente, avait le coeur ému d'une profonde douleur ; elle était près du cadavre, et, déchirant de ses deux mains son corps délicat, elle criait ; sur sa poitrine blanche des meurtrissures rouges se gonflaient ; on eût dit du sang mêlé à du lait ; car dans sa douleur brillait encore sa beauté et la grâce parait son visage.

III, 685-693

                                Ἀμφὶ δὲ χαίτας
Μυρμιδόνες κείραντο, νέκυν δ´ ἐκάλυψαν ἄνακτος·
καὶ δ´ αὐτὴ Βρισηὶς ἀκηχεμένη περὶ νεκρῷ
κειραμένη πλοκάμους πύματον πόρε δῶρον ἄνακτι.
Πολλοὺς δ´ ἀμφιφορῆας ἀλείφατος ἀμφεχέοντο,
ἄλλους δ´ ἀμφὶ πυρῇ μέλιτος θέσαν ἠδὲ καὶ οἴνου
ἡδέος οὗ μέθυ λαρὸν ὀδώδει νέκταρι ἶσον·
ἄλλα δὲ πολλὰ βάλοντο θυώδεα θαῦμα βροτοῖσιν
ὅσσα χθὼν φέρει ἐσθλὰ καὶ ὁππόσα δῖα θάλασσα.

Les Myrmidons coupèrent leurs cheveux et en couvrirent le corps de leur roi ; Briséis elle-même, triste et gémissante, coupa ses longues tresses et en fit un présent suprême à son maître. Enfin ils versèrent sur le bûcher des amphores de graisse, de miel et de vin, dont la suave odeur s'exhalait pareille au nectar, et aussi quantité de parfums agréables, que produisent la terre et la mer.

VII, 715-727

Ὡς δ´ ὅτ´ ἀνὰ δρυμὰ πυκνὰ καὶ ἄγκεα ῥωπήεντα
σμερδαλέοιο λέοντος ὑπ´ ἀγρευτῇσι δαμέντος
σκύμνος ἐς ἄντρον ἵκηται ἐύσκιον, ἀμφὶ δὲ πάντῃ
ταρφέα παπταίνει κενεὸν σπέος, ἀθρόα δ´ αὐτοῦ
ὀστέα δερκόμενος κταμένων πάρος οὐκ ὀλίγων περ
ἵππων ἠδὲ βοῶν μεγάλ´ ἄχνυται ἀμφὶ τοκῆος·
ὣς ἄρα θαρσαλέοιο πάις τότε Πηλείδαο
θυμὸν ἐπαχνώθη. Δμωαὶ δέ μιν ἀμφαγάσαντο·
καὶ δ´ αὐτὴ Βρισηίς, ὅτ´ ἔδρακεν υἷ´ Ἀχιλῆος,
ἄλλοτε μὲν θυμῷ μέγ´ ἐγήθεεν, ἄλλοτε δ´ αὖτε
ἄχνυτ´ Ἀχιλλῆος μεμνημένη· ἐν δέ οἱ ἦτορ
ἀμφασίῃ βεβόλητο κατὰ φρένας, ὡς ἐτεόν περ
αὐτοῦ ἔτι ζώοντος ἀταρβέος Αἰακίδαο.

Ainsi parmi les chênes épais, au fond des vallées hérissées de broussailles, dans l'antre d'un grand lion tué par les chasseurs, un jeune lionceau pénètre, parcourt la demeure vide, et voyant en monceau les ossements des chevaux et des boeufs dévorés, il s'afflige et regrette son père ; ainsi le fils du magnanime Achille fut saisi de douleur. Les esclaves l'admiraient en silence, et Briséis elle-même, en apercevant le fils d'Achille, tantôt sentait une grande joie, tantot s'affligeait en pensant à celui qu'elle avait perdu ; son coeur était frappé d'étonnement comme si elle eût revu réellement l'intrépide Achille.

Dion Chrysostome, Discours 61,7

Ἡ γοῦν Βρισηὶς ἀγαπᾶν ἔοικε τὸν Ἀχιλλέα καὶ ταῦτα ὅν φησιν ἀποκτεῖναι τὸν ἄνδρα αὐτῆς καὶ τοὺς ἀδελφούς. τῷ δὲ Ἀγαμέμνονι τοιοῦτον οὐδὲν ἐπέπρακτο περὶ τὴν Χρυσηίδα.

Vraiment Briséis paraissait éprise d'Achille, dont Homère dit pourtant qu'il lui avait tué mari et frères ! Agamemnon au contraire n'avait rien fait de tel à l'égard de Chryséis.

Joannes Malalas, Chronographia, V 100

100. Achilles interim [...] rursus etiam egressus ad Pontum Euxinum regionem illam devastat praedamque abigit. Quin et Lyrnessum urbem cepit, Eetione rege, qui loci dominus erat, e medio sublato : cuius etiam uxorem Astynomen, quae et Chryseis dicta est, Chrysae Apollinis sacerdotis filiam captivam abduxit : abreptas etiam regis ipsius et regionis opes ad naves reportavit. Erat autem Astynome, quae et Chryseis, statura curta, gracilis,candida, flavicoma, naso eleganti, maxillis parvis, annos vero XIX nata. Sed et exercitum Cilicum quem sibi asciverat Troianorum in auxilium Eetion Achilles profligavit. Exinde vero discedens Legopolim petit : agebant hic Brisseidae, Brissi, Priami patruelis, filii. Vastata vero undique regione illa, urbi ipsi imminebat obsidione eam cingens. Plurimis autem occisis et occupata urbe, Hippodamiam quae et Briseis vocata est, Brisi filiam, Menetis Legopolitani regis uxorem captivam abduxit fratresque eius Andrum et Thymetem e medio sustulit. Menetes autem ipse tunc Legopoli quidem aberat in auxiliis Lycia et Lycaonia pro bello comparandis occupatus. Statim vero a captis ab Achille regione, urbe et uxore Hippodamia Menetes cum copiis suis a Lyciis et Lycaonibus redux, nihili itineri cedens, laborioso licet, Achillem cum copiis ipse defessus aggreditur proelioque commisso fortiter cum eo dimicavit, usque dum lancea percussus ab Eurytione quodam ex ducibus Achillei exercitus interfectus est ipse cum toto exercitu. Erat autem Hippodamia quae et Briseis procera, candida, maxillis pulchris, decora, iunctis superciliis, naso pulchro, oculis grandioribus, palpebris adhaerentibus, crispa, crinibus a tergo flexis, jocunda, annos nata XXI. Huius amore captus Achilles eam tentorio suo secreto sibi habuit nec ad exercitum adhibuit. Caeterum opes Astynomenque quae et Chryseis est aliaque omnia quae bello ceperat coram regibus exercituque toto in medium protulit. Ubi vero omnibus innotuisset Achillem Brissi filiam, Menetis vero regis uxorem, cum ornatu eius omni apud se celasse, aegre hoc in eo tulerunt iraque in eum commoti sunt, quod ob amorem quem erga eam habuit periurus factus fuisset : quin et conviciis eum exceperunt, celatam amasiam ei exprobrantes.sed et a congregatis in concilio ducibus interdictum est Achilli ne amplius esset in urbibus vel occupandis vel invadendis, neve regiones praedatum ut exiret, suffectis in locum eius Teucro, Aiacis Telamonii fratre, et Idomeneo : qui Cyprum, Isauriam Lyciamque captas et vastatas praedati sunt.

Malalas est le seul à parler de la mort de Briséis, après la mort d'Achille et l'arrivée de Néoptolème :

104. (Pyrrhus, qui et Neoptolemus) [...] solvens autem atque litus Troianum appulsus patris tentorium petivit, ubi Hippodamiam sive Briseidem rerum omnium quae Achillis fuerant custodem invenit. Hanc itaque amplexus summo habuit in honore eamque uti suis etiam in tentorio paterno prospiceret obtestatus est. Non longo autem post temporis Briseis in morbum incidens interiit.

3. La tradition médiévale : Briséis et Calchas

La confusion des noms et des personnages se poursuit pendant le Moyen Age, mais on doit reconnaître à Benoît de Sainte-Maure le mérite d'une invention littéraire extraordinaire, et dont il a tout le mérite : Briséis devient chez lui Brigida, la fille de Calchas, et est l'objet de l'amour de Troïlus, le plus beau des fils de Priam et le plus valeureux apres Hector ; elle est aussi aimée de Diomede. Chantée par Boccace dans le Filostrate, elle reprend avec Chaucer et Shakespeare l'identité de Chryseis (dans Troïlus and Cressida). Le héros troyen est tué lâchement par Achille, et après sa mort se perdent les traces de cet amour célèbre et tragique.

Mais cet argument sera l'objet d'une contribution à venir : nous désirons ici parler de l'image de Briséis que l'on peut tirer des oeuvres médiévales, et qui peut-être a contribué au fait que l'on se représente fréquemment ce personnage comme une vierge : elle rencontre son père Calchas, passé aux Grecs sur ordre d'Apollon, lors d'un échange de prisonniers et ne manque pas de lui reprocher cette espece de trahison. Calchas lui répond affectueusement qu'il n'est pas facile de désobéir aux dieux et que sa désertion n'est pas l'effet d'un choix personnel.

Benoit de Sainte Maure, Roman de Troie en prose, passim

71. Portraits

Briseda fu fille Calcas de Troie, dou quel vos orrez avant coment il se contint ; meis de [sa] fille dirons quar elle fu de tout grant biaute et de belle fachon et de grant maniere sage et bien parlans, et mout mist son cuer en amor, ensi come vos orres.

134. Si come Antenor fu delivres en eschainge du roi Thoas.

Quant la terre fu delivree des mors, si que li airs amenda et fu mout soef, si se reposerent ciaus qui orent la poine. Li Troiens ne finerent d'adrecier lor murs et d'enforcier la ville. Si avint un jour que tuit li rois et li princes dehors et dedens s'asemblerent, et li rois Prians et tout si fil et ses barons d'une part, Agamenon et tuit li prince de Grece de l'autre part, por auconne chose que il se requistrent. Mais nule requeste que li uns feist a l'autre ne fu celui jor menee au fin fors celle dou roi Thoas et de Antenor, qui furent quites et delivres l'un par l'autre. Et voirs est que Calcas, dont j'oiz autre fois en arieres, qui releves estoit des Troiens, avoit laissie une soue fille en la ville qui Brigida estoit nomee, qui mout estoit bele et sage, si l'avoit Troilus amee longement par amors. Calcas son pere la fist demander, que il le voloit avoir. Sur ce fu respondu en plusours manieres, et li rois Priant dist que il li pleisoit bien qu'ele fust rendue, quar ja chose qui apartenist a traitour ne retendroit, quar trop avoit fait que desloial et que cruel.

144. Come Calcas son pere li vint a l'encontre et li fist grant joie.

Endementiers vint le roi Calcas son pere qui estoit contre elle venus et li fist grant joie, et elle lui : « Sire, fait elle,dites moi dont vient ceste merveille de vos, que tel chose aves fait que a tous jors mais vos sera reproichie, qui ensi poies amer nos henemis qui nostre terre destruient, et aves laissie vostre pais et vostre richece et vos honors por estre en dangier de estrange gent. Coment puet estre jamais lies vostre cuer, quant vos aves este aidant de si fait euvre ? Qu'est devenus vostre grant sens? Ou est il ales ? Trop estes blames durement et a grant droit, car saignor et maistre vos avoient fait sus tous les autres. Por coi je voi ci trop grant durte et vilte, quar mout doit l'en plus douter honte que mort, car li dons de mort est comuns a trestous, et qui muert bien honorablement, li cors est bien eurous et l'arme en a grant delit. Mais celui qui est honis en cest siecle en l'autre avra grant vergoigne. Sire, mout est mon cuer estroit quant je pens ce que vos aves fait et quant si faite heine vous portent les dieus d'enfer par cui si fait mal vos est avenus que grant corage vos vint de non revenir en la cite. Quoment fustes vos si cruels que avec nos mortels henemis venistes a porchacier nostre domage ? Quoment n'alastes vos sorjorner en une de ces illes tant que ceste guerre preist fin ? Trop eustes mauvais conseil : por coi je maudi tel savoir qui assi grant honte retorne a vos; quar qui pert l'onor et le los dou siecle mout doit amer petit sa vie.  » Et adont comenca a plorer si tendrement qu'ele n'ot plus pooir de parler.

145. Come Calcas respont.

Calcas parolle et li dist : « Belle fille, fait il, ceste destinee ne vosisse je pas avoir, quar bien sai que en sui en blasme grant venus ; mais je ne pooie faire contre la volente des dieus, qui comande le m'avoient. Et mout m'en poise que a faire le me covient. Et se il alast a ma volente, ceste euvre preist autre fin, et nuls ne seit la dolour que je soufre. Mais la paour de la devine venjance le me fist faire. Et sor tout ce a la fin sai je bien que il seront destruit, si nos vient miaux eschaper que morir aveuc eauz. Et por ce ne finoie je de penser en quel maniere je vos peusse jeter de laiens. Et des que je vos ai, si en est mon cuer plus a repos ».

146. Coment li prince de l'ost conforterent mout Brigida.

Mout fu la damoiselle esgardee, et mout la loent li Grizois entre eauz. Et Diomedes la conduit tant qu'ele descendi as paveillons son pere. Et adonc se parti d'elle a mout grant poine. Atant vindrent li haut prince de l'ost por remirer la et por demander novelles. Et celle respont a trestous mout cortoisement et a poi de parolles. Et il li font trestous grant joie et le reconforterent a lor pooir. Et elle se reconforte mout en lui meismes, quar souvent voit chose qui mout li plaist, si qu'ele n'avra corage jusques a quatre jors de retorner en la cite ; si a si changie son corage que bien a demoustre la vanite dont li loiaus amans portent sovent travail et poine. Si retornerons sus nostre matiere.

Guido delle Colonne, Historia destructionis Troiae, passim

Le portrait de Briséis, moins positif que celui de Benoît, paraît se ressentir d'une évaluation morale, bien qu'au livre XIX Guido la juge « morum venustate conspicuam »...

VIII Briseyda autem, filia Calcas, multa fuit speciositate decora, nec longa nec breuis nec nimium macillenta, lacteo perfusa candore, genis roseis, flauis crinibus, sed superciliis iunctis, quorum iunctura, dum multa pilositate tumesceret, modicam inconuenienciam presentabat. Multa fulgebat loquele facundia; multa fuit pietate tractabilis. Multos traxit propter suas illecebras amatores multosque dilexit, dum suis amatoribus animi constantiam non seruasset.

XIX Et durante treuga predicta in commutacione vnius pro altero rex Thoas a Troyanis et Anthenor liberatur a Grecis. Calcas autem, Troyanorum antistes, qui, mandantibus diis, relictis Troyanis, Grecis adheserat, quandam filiam suam habebat, multe pulchritudinis et morum uenustate conspicuam; Briseyda communi nomine vocabatur. Hic Calcas pro predicta filia sua Briseyda regem Agamenonem et alios Grecos reges sollicite deprecatur ut predictam filiam suam a rege Priamo, si placet, exposcant ut eam restituat patri suo. Qui eidem regi Priamo preces plurimas obtulerunt. Sed Troyani contra Calcantem antis(ti)tem multum inpingunt, asserentes eum esse nequissimum proditorem et ideo morte dignum. Sed Priamus ad petitionem Grecorum inter commutacionem Anthenoris et regis Thoas Briseydam uoluntarie relaxauit.

Briseida uero sola existens cum antistite patre suo ipsum duris uerbis aggreditur in multitudine lacrimarum, dicens ei : « Quomodo, pater karissime, infatuatus extitit sensus tuus, qui tanta uigere sapientia consueuit, vt tu, qui tantum inter Troyanos magnificatus extiteras et elatus, cum fuisses factus eorum quasi dominus et solus eorum in omnibus gubernator, qui tantis inter eos diuitiis habundabas, tantarum possessionum multiplicacione suffultus, et eorum nunc factus es proditor et tuam negasti patriam, cuius esse defensor in omnibus debuisti, et nunc elegisti melius tibi placere abiurando patriam in paupertate et exilio uiuere et specialiter inter capitales tue patrie inimicos, qui ad debellandum tuos et tuam patriam sic hostiliter accesserunt ? O quanta inter homines pudoris labe confunderis qui tam gloriose a tuis consueueras honorari ! Nunquam tanta dedecoris a te detergetur infamia quanta es uiscose turpitudinis ignominia denigratus. An putas, etsi inter uiuos uituperatus existis, quin etiam post mortem apud inferos ob tante prodicionis culpam non lugeas penas dignas ? Melius ergo tibi esset et etiam nobis tuis in quodam loco sollitudinis et deserti, uel in nemoribus deuiis uel in aliqua insula longe ab incolis, ducere uitam nostram quam inter homines tanta labe nigrescere diffamati. An putas quod Greci reputent te fidelem qui es tue patrie publicus infidelis ? Sane deceperunt te Appollinis friuola responsa, a quo te dicis suscepisse mandatum ut tuos paternos lares desereres et tuos in tanta acerbitate penates et ut sic tuis specialiter hostibus adhereres. Sane non fuit ille deus Appollo sed pocius puto fuit comitiua infernalium furiarum a quibus responsa talia suscepisti ».

Ad, hec Briseyda, multis deuicta singultibus lacrimarum, suo flebili colloquio finem fecit. Cui Calcas sub quadam uerborum breuitate respondit. Dixit enim ei : « Ha, dulcis filia, an tutum esse reputas aut securum iussa deorum spernere et specialiter ea non sequi in quibus possimus cum integritate saluari ? Scio enim pro certo per infallibilium promissa deorum presentem guerram protendi non posse tempore diuturno et quod ciuitas Troye breui tempore destruatur et ruat, destructis eius omnibus nobilibus et vniuersis plebeis eius in ore gladii trucidantis. Quare, karissima filia, satis est nobis melius hic esse quam hostili gladio seuiente perire ».


Merci au professeur Francesco Chiappinelli, auteur de l'Impius Aeneas, de nous avoir fourni ces textes.