Χέλυς, χελώνη
I. Tortue, écaille. - C'est comme élément de la lyre, dont sa carapace servait à former le résonateur [lyra] que la tortue est nommée le plus anciennement. Son nom se lit dans maint proverbe et dans une multitude de recettes médicales ; elle est le type de la lenteur et de l'insensibilité physique. Il semble que l'on ait attribué à cet animal, qui venait paître familièrement auprès des lieux habités, la vertu de préserver des maléfices et des accidents atmosphériques. Certains peuples d'Asie et d'Afrique se nourrissaient de sa chair ; mais si quelques textes donnent à penser que chez les Grecs et les Romains on a pu en manger dans certains cas, il ne semble pas qu'elle ait jamais été appréciée comme un mets délicat.
Les anciens Grecs n'ont parlé que de la tortue d'Europe dont ils connaissaient, deus espèces principales, les tortues marines (thalassiai) et les tortues terrestres (chersaiai). Parmi ces dernières on recherchait, pour la fabrication des lyres, celles qui provenaient des montagnes de l'Arcadie, notamment du Parthénion ; mais, de ce côté, les habitants en interdisaient la prise parce qu'ils les croyaient consacrées à Pan.
Ce n'est qu'à l'époque du grand développement du luxe chez les Romains, vers la fin du règne de Tibère, que l'on attacha un haut prix à la carapace de la tortue (chelônion, putamen, cortex). Dès lors l'écaille devint l'objet d'un commerce important et ne tarda pas à figurer parmi les matières précieuses que les riches Romains amoncelaient dans leurs maisons. Mais déjà plus tôt, vers l'époque de Sylla, on avait pris l'habitude de décorer les meubles avec de l'écaille débitée en lames minces, invention attribuée à un chevalier romain, nominé Carvilius Pollion. Elle fut principalement employée à la décoration des lits, des meubles de salle à manger (repositoria), des portes, des murailles et, à l'occasion, si l'on s'en rapporte aux descriptions poétiques, elle fut incrustée de pierres précieuses. Elle servit aussi à faire des espèces de peignes et des bijoux pour orner la chevelure. Au temps de Néron, on la substitua, en la teignant, à certains bois précieux et veinés comme le thuya (citrus) et l'érable (acer) [Materies]. Malheureusement les renseignements sur la technique du travail de cette matière font absolument défaut.
Lieux de provenance. - Lorsque l'écaille fut tout à fait à la mode, le luxe, pour s'en procurer, mit à contribution la mer, où les animaux étaient de plus grande taille, l'Afrique et l'Asie. On prenait avec facilité les tortues de la mer de Phénicie, à l'embouchure du fleuve Eleutherus, où elles se rendaient en masse à époque fixe. De la Lybie on lira des tortues de montagne (oreioi), dont l'écaille était très propre aux instruments de musique ; puis d'autres qui vivaient au milieu des sables les plus arides ; celles-ci portaient dans l'industrie le nom de chersinae.
Mais l'écaille la plus recherchée était celle qui provenait de la mer Rouge et de la mer des Indes. Près des côtes de la Troglodytique et de l'Ethiopie se trouvaient des îles où abondaient les tortues de grande taille.
Dans cette région leurs carapaces étaient utilisées par les indigènes en guise de toitures de cabanes et de barques. La ville d'Adulis, sur la mer Rouge, était le grand marché des Troglodytes et des Ethiopiens. C'était là que l'on apportait un genre d'écaille, appelée celtium, très belle, mais un peu rare. Elle était fournie par une espèce particulière de tortue que les Troglodytes regardaient comme sacrée et que les Chélonophages, sur les bords du golfe Persique, craignaient d'aller chercher sur les roches aiguës. Pourtant dans ce pays des Chélonophages, où leur chair servait de nourriture et leurs carapaces d'abris et de barques, la pèche des autres tortues marines était méthodiquement pratiquée. Il fallait plusieurs hommes pour prendre une de ces grandes tortues. Lorsqu'elles venaient, pendant le jour, dormir à la surface de l'eau, trois hommes nageaient doucement vers l'une d'elles ; tandis que deux des nageurs la saisissaient par les côtés et la retournaient, le troisième attachait à la queue de l'animal une corde au moyen de laquelle on la tirait à terre. Il y en avait encore d'une grandeur considérable à l'île de Taprobane (Ceylan), d'où les écailles étaient apportées sur les marchés des Indes.
Ces régions fournissaient encore de grandes tortues fluviales (on vantait celles qui se pêchaient dans le Gange) et des tortues terrestres, moins grosses, dont la chair était douce et grasse. L'insuffisance des descriptions antiques ne permet que des suppositions au sujet des espèces dont il s'agit.
Article d'Alf. Jacob.
II. On a vu plus haut [Bestiae] le rôle que la tortue pouvait jouer comme animal familier dans l'intimité de la maison grecque.
III. Le nom de testudo a été donné à des édifices couverts d'un toit ou plafond rappelant par sa forme incurvée l'écaille d'une tortue [Cavaedium]. Cette forme était préférée pour l'édicule où était placée, dans un temple, l'image de la divinité : on lui trouvait une ressemblance avec la voûte du ciel. La testudo pouvait avoir ailleurs son emploi, par exemple servir de toit pour abriter dans un lieu découvert un espace de peu d'étendue, d'auvent à l'entrée d'une maison ; mais le terme prit une grande extension, comme on le voit par les passages des auteurs où testudo et testudinatum tectum désignent le toit entier, formé de quatre plans convergeant vers un centre, et même la construction qui est ainsi couverte [Tectum].
IV. Abri construit pour protéger les assiégeants devant une place ou ceux qui préparaient les approches, et manoeuvre avant l'assaut [Oppugnatio].
Article de E. Saglio