L'appellation de tabula iliaca, étendue dans la suite avec le pluriel et la transcription française « tables iliaques » à un petit nombre de monuments du même ordre, appartient au savant brandebourgeois Laurent Beger, l'un des premiers éditeurs du plus anciennement mis au jour en même temps que du plus important exemplaire de la série. Il faut en rapprocher un curieux passage où Suétone nous montre l'empereur Néron, à la nouvelle de la défaite de ses partisans, renversant à terre deux vases de grand prix, duos scyphos gratissimi usus, quos homericos a caelatura carminum Homeri vocabat. A l'exemple de l'historien latin, les archéologues allemands ont donné aux vases en terre cuite qui nous offrent des répliques plus modestes de cette précieuse vaisselle le nom d'« homerische Becher » ; et l'on serait à la rigueur autorisé à dire aussi bien « tables homériques ». Sur les vases se trouvent, à côté de scènes inspirées par Homère, des scènes empruntées à divers autres poèmes. Il en est de même sur les tables ; et, pourtant, la plus complète, celle du Capitole, dans une légende qui semble embrasser toutes les représentations, les résume d'un mot μάθε τάξιν Ὁμήρου : dans le grand nom d'Homère est personnifié tout un cycle épique. « Iliaques », à plus forte raison, devra s'entendre des tables en ce sens, non qu'elles puisent leurs représentations dans la seule Iliade, mais qu'elles ont pour sujet les événements et les légendes dont l'expédition troyenne est le centre. La désignation ainsi comprise est la traduction du mot ΤΡΩΙΚΟΣ inscrit sur la table du Capitole en caractères plus grands, à peu de chose près au centre comme un titre, et auquel se rapporte sans doute le substantif πίναξ sous-entendu : avec le double sens de πίναξ, tablette et tableau, s'accordent bien à la fois et la forme de l'objet et son caractère.

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Les tables iliaques sont en effet des plaques d'épaisseur peu considérable, dont la face principale présente, sous l'aspect d'une série de petites scènes en relief, le résumé et comme le sommaire illustré de l'ensemble ou d'une partie déterminée des récits relatifs à la guerre de Troie : la figure en donnera mieux l'idée que toute description. La matière, la technique, la disposition genérale et le caractère des représentations, enfin la place et la nature des inscriptions qui les accompagnent, en font une classe de monuments bien définie, dont l'étroite parenté ressortirait encore davantage si toutes ne nous étaient pas parvenues à l'état de fragments et est d'ailleurs attestée par le même nom Théodoros inscrit au revers de quatre d'entre elles. Toutes celles dont nous connaissons l'origine proviennent d'Italie et même des environs de Rome ; et cela seul prouve qu'elles ne sont point antérieures à l'époque romaine. Stuc, pâte dure, pierre intermédiaire entre le marbre et le calcaire lithographique, marbre blanc, marbre jaunâtre, jaune antique, il n'est pas douteux qu'il ne faille, dans ces descriptions d'apparence si peu concordante, faire la part de l'appréciation individuelle. La même n'a pas toujours, il s'en faut, été attribuée au même fragment par les auteurs successifs qui l'ont étudié. II y a donc, vraisemblablement, entre les divers exemplaires, non pas identité, mais analogie. Selon les dernières analyses, la matière de la table iliaque par excellence, de celle conservée au Capitole, serait ce que les Italiens appellent le palombino. Une partie au moins des différences observées n'exclut pas pour les autres l'usage de ce marbre, dont il existe des variétés plus ou moins claires ou foncées. Au centre prend place le plus souvent une représentation principale, traitée à une plus grande échelle : le reste est alors disposé en zones superposées et forme tout autour un encadrement. Des inscriptions placées au-dessous ou à côté désignent les personnages ou les sujets; d'autres donnent un court résumé du récit épique ; d'autres enfin, de nature variée, peuvent occuper le revers. Sauf ces dernières, elles sont gravées peu profondément, en caractères très petits, parfois d'une finesse telle qu'ils ne sont déchiffrables qu'à la loupe. Tout le travail est d'ailleurs d'un relief très simplifié et très plat, sans vigueur dans le ciseau, et ce n'est que par comparaison qu'on a pu dire de l'un des fragments que l'exécution, beaucoup plus fine et beaucoup plus ressentie que dans les autres, en est, dans une scène au moins, d'une excellente composition et d'une facture très intéressante. A dire vrai, presque partout l'ensemble seul des contours se dessine, laissant indistincts l'accoutrement des personnages, leurs gestes et mainte autre particularité.

Il en résulte un aspect non fini, et l'idée a été souvent énoncée que nous serions en présence de monuments inachevés. Le travail, a-t-on dit, a été interrompu une fois la composition mise en place. Là était le plus difficile, et, pour l'assurer, l'ouvrier devait commencer par tracer légèrement ses personnages en y joignant les noms qui en rendraient la reconnaissance plus aisée : ainsi s'expliquerait qu'aucun presque n'est résolument arrêté, que le trait partout demeure flottant et incertain. Il n'est guère possible d'admettre, comme on l'a également indiqué, que cette apparence provienne des injures du temps et du dommage subi par les monuments qui nous sont parvenus : tous les fragments connus jusqu'ici présentent, avec de légères différences de degré, le même caractère. De plus, les parties mêmes les plus profondes, et qui se trouvaient à l'abri, ne diffèrent point des autres, et le manque de netteté dans le trait existe en des places où l'on peut être sûr que le travail est demeuré intact. Il est donc probable que le ciseau n'était en effet appelé à donner que les lignes générales; mais la raison en est que le surplus du travail revenait au peintre. L'indication des détails était obtenue par la peinture qui, par la diversité des teintes, mettait plus de clarté que n'eût pu le faire une exécution plus poussée du relief, qui par la couleur pouvait aider quelque peu à faire apparaître les légendes si légèrement tracées, mais qui, elle, a naturellement disparu.

Il ne sera question ici que des tables iliaques proprement dites, mais il importe, avant d'aller plus loin, d'indiquer qu'au même ensemble se rattachent quelques autres monuments se rapportant soit à d'autres cycles épiques, soit à des événements historiques. MM. Jahn et Michaëlis, dans leur étude plus générale, leur ont donné place parmi les «griechische Bilderchroniken». Mentionnons seulement : un fragment, de caractère tout à fait analogue aux tables iliaques, conservé au musée de Naples, véritable table thébaine, dont les scènes séparées par des bandeaux verticaux et horizontaux portent des inscriptions qui se réfèrent aux mythes des descendants de Kadmos ; et, moins étroitement apparentés à la même famille de monuments, un bas-relief de la ville Albani avec représentations et légendes en l'honneur d'Hercule et deux longues énumérations de ses hauts faits gravées sur des pilastres latéraux ; un bas-relief du palais Chigi où l'Europe et l'Asie personnifiées soutiennent un bouclier avec la représentation de la bataille d'Arbèles ; un fragment du musée du Capitole, sur lequel se voient d'un côté un cheval et des guerriers en armes et de l'autre une inscription chronologique ; enfin, un fragment du musée de Berlin représentant Homère assis avec un rouleau dans les mains, sur lequel est gravé en colonne, dans le fond au-dessus de la tête du poète, un court résumé de l'Iliade, et dont le revers est orné d'une scène de combat.

Les exemplaires aujourd'hui connus de tables iliaques sont les suivants :

Table iliaque capitoline - © Agnès Vinas

1° Jahn, A. Table du Capitole ; trouvée, quelques années avant 1683, à environ dix milles de Rome, sur l'emplacement de l'ancienne Bovillae, d'où provient aussi le bas-relief de l'apothéose d'Homère ; marbre palombino ; haut. : 0m,283 ; larg. : 0m,25 (fig. ci-dessus). La partie gauche, y compris le pilastre symétrique à celui qui est conservé à droite, manque. Les légendes Τρωικός sous-entendu πίναξ, au-dessous Ἰλιὰς κατὰ Ὅμηρον, Αἰθιοπὶς κατὰ Ἀρκτῖνον τὸν Μιλήσιον, Ἰλιὰς ἡ μικρὰ λεγομένη κατὰ Λέσχην Πυρρᾶιον, au-dessus Ἰλίου πέρσις κατὰ Στησίχορον, indiquent le titre général et le sujet. Il y faut ajouter: l'inscription Θεο]δώρηον μάθε τάξιν Ὁμήρου ὄφρα δαεὶς πάσης μέτρον ἔχη(ι)ς σοφίας qui nous donne le nom de l'auteur ; sur le pilastre, un sommaire des chants VII à XXIV de l'Iliade, à l'exception des chants XIII, XIV et XV oubliés, - les chants I à VI étaient résumés sur l'autre pilastre ; et, sous chaque scène, les noms des personnages. La disposition des figures est la suivante. Au centre, dans la hauteur des trois-quarts de la plaque, un grand tableau inspiré de l'Ἰλίου πέρσις : la ville de Troie entourée de remparts, comprenant la citadelle avec le temenos et le temple d'Athéna et, en dessous, le palais de Priam avec le temple d'Aphrodite et un second temple en pendant ; dans l'enceinte, où a pénétré le cheval de bois, une série de combats et de meurtres ; franchissant les murailles, Énée, qui tient Ascagne par la main, et porte son père sur ses épaules, guidé par Hermès : en dehors, à gauche, le tombeau d'Hector, à droite celui d'Achille, aux pieds duquel Néoptolème immole Polyxène; en avant encore, à gauche, la flotte des Grecs, à droite Énée s'embarquant au promontoire Sigée avec Anchise, porteur des ἱερά, Ascagne, Misène, et les inscriptions ἀπόπλους Αἰνήου, Αἰνήας σὺν τοῖς ἰδίοις ἀπαίρων εἰς τὴν Ἑσπερίαν, Ἀγχίσης καὶ τὰ ἱερά. En bas, une double rangée de figures, la rangée supérieure empruntée à l'Ἀιθιοπίς, la seconde à l'Ἰλιὰς μικρά. Le reste, à savoir une bande en haut et les deux parties latérales, était consacré à l'Iliade, dont les chants formaient autant de zones se succédant par ordre, de haut en bas à gauche (partie manquante), et de bas en haut à droite.

2° Jahn, B. Fragment dessiné par Sarti, aujourd'hui perdu. Le fragment est complet en haut, et, semble-t-il, sur une partie du bord gauche. Inscriptions :
[Ἰλιάδα καὶ Ὀ]δύσσειαν ῥαψωιδ(ι)ῶν μή. Ἰλίου πέρσ[ιν…] ;
au-dessous, des résumés des chants I, IV, V, VI et VII de l'Iliade, le premier au milieu, les autres au début du chant correspondant ; sous les personnages, leurs noms. Au centre, l'angle supérieur gauche de la ville de Troie, avec ses murailles, comme dans le tableau de l'Ἰλίου πέρσις de A, et, au-dessus, le bouclier d'Achille, orné de reliefs, que supporte Thétis, à qui un second personnage faisait pendant à droite. Les chants I à IX de l'Iliade sont disposés en zones superposées à gauche.

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3° Jahn, C. Fragment autrefois au musée de Vérone, au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale ; trouvé à Rome ou aux environs ; marbre blanc; haut. 0m,10; larg. 0m10. Le fragment est l'angle supérieur gauche d'une table, dont l'épaisseur s'affaiblit sur les bords.

Planche C1 de l'édition Jahn (1873)

Au centre, restes du tableau de l'Ἰλίου πέρσις, et, sur le cadre en saillie qui l'entoure, les inscriptions Ἰλιὰς Ὁ[μήρου], Α μῆνις, Β ὄ[ν](ε)ιρος, Γ…., Δ ὁρκίων σύγχυσις, Ε Διομήδους ἀριστήα correspondant aux cinq chants subsistants, disposés comme d'ordinaire en zones superposées. Sur le revers, en haut [Ἐνθάδε τὴν ἀρχὴν σύ γε λάμβα]νε οὗποτε βούλει au-dessous, un damier formé en son entier de deux cent quatre-vingt-neuf cases avec la légende ΘΕΟΔΩΡΗΟΣ – Η | ΤΕΧΝΗ, disposée de manière qu'à chaque rangée la lettre initiale avance d'une unité, d'abord Θ puis E, 0, etc., et que la série d'une même lettre forme une ligne diagonale.



Planche C2 de l'édition Jahn (1873)

4° Jahn, D. Fragment trouvé et acquis avec le précédent ; marbre blanc; haut. 0m,055, larg. 0m,055. Il semble complet à gauche et comprend, avec une amorce du tableau central, deux travées verticales, divisées par des bandeaux portant de courtes légendes relatives à l'Ἰλίου πέρσις et à l'Ἀιθιοπίς, et comprenant, celle de droite, quatre épisodes superposés de l'Ἀιθιοπίς, celle de gauche, trois de l'Iliade empruntés aux chants XXII, XXIII et XXIV. Sur le revers, seize lignes d'un résumé généalogique se rattachant aux légendes thébaines.

Planche D1 de l'édition Jahn (1873)

5° N. Fragment autrefois dans la collection Palumbo à Tarente, puis dans la collection Weber en Angleterre, acquis en 1895 par le British Museum ; marbre jaune ; la table entière mesurait, selon le calcul de M. Robert, 0m,36 de haut sur 0m,36 de large et était carrée, comme devait l'être, d'après le logogriphe du revers, la table C.

Photographie éditée par A.S. Murray
in Proceedings of the Society of Antiquaries of London, vol.XIII, 13 mars 1890

Il est complet en haut. Les représentations se composent, en haut, d'un épisode du chant XXII de l'Iliade, Achille traînant derrière son char le cadavre d'Hector, et, au-dessous, de deux personnages de plus grandes dimensions, conservés à mi-corps, tournés l'un vers l'autre, dont l'un, nu, est évidemment Achille, et dont l'autre est Athéna, armée et casquée, portant un bouclier vers lequel le héros tend la main ; sur le bouclier se voient très vaguement indiqués Troie et ses murailles, dans le fond, et les vaisseaux des Grecs.

6° O. Fragment appartenant à M. Thierry ; trouvé en 1860 autour du temple d'Hercule vainqueur, à Tivoli ; pierre intermédiaire entre le marbre et le calcaire lithographique ; haut. 0m,07, larg. 0m,10. Il formait le bord supérieur gauche d'une table dont l'angle même est écorné.

Photographie éditée par Olivier Rayet
in Mémoires de la Société nationale des antiquaires de France, vol.XLII, 1883

Au centre, une partie du tableau de l'Ἰλίου πέρσις , dans un cadre en saillie comme sur la table C. Le bandeau plat qui forme le cadre porte l'inscription Ἰλιὰς μικρὰ κα[τὰ Λέσχην Πυρρᾶιον] et est surmonté d'une rangée horizontale de scènes de ce poème. Quatre scènes de l'Ἀιθιοπίς sont superposées verticalement à gauche. Sur le revers, une table quadrillée disposée en losanges, où se reconnaissent à la huitième rangée les lettres ΕΡΣΙΣ, inscrites de deux en deux cases : il y avait là un logogriphe dont le mot était peut-être Ἰλίου πέρσις .

7 ° Jahn, F. Fragment autrefois dans la collection Durand, au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale ; trouvé aux environs de Rome, près de Saint-Paul-hors-les-Murs ; marbre ; haut. 0m,05, larg. 0m,07.

Il est complet en haut et en bas et formait par suite une bande. Devant les murailles de Troie, la tente d'Achille, sous laquelle le héros reçoit Priam qui vient redemander le cadavre d'Hector et apporte la rançon : sur le bord, l'inscription [λύτρ]α νεκροῦ καὶ πέρας ἐστὶν τάφος Ἕκτορος ἱππ[οδάμοιο].

8° P. Fragment d'une table en forme de bouclier, au musée du Capitole ; trouvé en 1882, à Rome, via Venti Settembre, près de l'église Santa Maria della Vittoria ; marbre jaune antique ; hauteur 0m,177 ; largeur 0m,13, épaisseur 0m,043.

La face convexe est toute couverte de représentations inspirées de la description du bouclier d'Achille au chant XVIII de l'Iliade et divisée en deux parties par un listel horizontal portant la légende : Ἀσπὶς Ἀχιλλῆος Θεοδώρ[ηος καθ’ Ὅμηρον]. Elle se termine par un rebord en plan incliné, où l'artiste a gravé, en lettres minuscules et en dix colonnes de dix à quinze vers chacune, les vers 483 à 608 du même chant. Sur le revers l'inscription ΙΕΡΕΙΑ ΙΕΡΕΙ, et, au-dessus, une figure géométrique formée de cases qui comprennent chacune une des lettres des mots Ἀσπὶς Ἀχιλλῆος Θεοδώρηος καθ’ Ὅμηρον de telle sorte qu'en partant de la case centrale les mots peuvent se lire, à tout instant, soit dans le sens horizontal, soit dans le sens vertical.

Bouclier d'Achille - © Agnès Vinas

Photographie éditée par P. Bienkowski
in Mitteilungen des Deutschen Archaeologischen
Instituts, Romische Abteilung
, band VI (1891)


© Agnès Vinas

9° Q. Fragment d'une table analogue, mais de plus grandes dimensions, également au musée du Capitole ; trouvée à Rome ; marbre palombino ; haut. 0m,10 ; larg. 0m,13.

Les scènes représentées sur le bouclier nous montrent une ville avec ses murailles, des agriculteurs avec un char occupés à la moisson, des personnages dansant. Il est difficile de reconstruire la figure linéaire, qui occupait le revers et qui formait un jeu alphabétique de vingt neuf lettres, sans doute ((Ἀσπὶς) Ἀχίλλειος Θεοδώρηος ἡ τ(έχνη).

10°. Jahn, E. Fragment au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale ; acquis en 1844 d'un antiquaire de Lyon ; marbre jaune à grain très serré ; haut. 0m,08 ; larg.0m,11.

Planche E de l'édition Jahn (1873)

Il comprend une partie triangulaire de la moitié gauche d'une table. Sur le bord, une longue inscription, gravée en colonne, donne le résumé jour par jour des événements de l'Iliade. Les figures se rapportent à l'Ἰλίου πέρσις, scènes de combat autour du palais de Priam et d'un temple de Troie.

11° Jahn, H. Table autrefois dans la collection Rondanini, aujourd'hui perdue et connue seulement par deux reproductions du XVIIIe ; marmo della grandezza di poco piu di un palmo.



Planche H de l'édition Jahn (1873)

Les scènes sont empruntées au chant X. de l'Odyssée, ainsi que l'indique l'inscription gravée sur le bandeau inférieur : Ἐκ τῆς διηγήσηος τῆς πρὸς Ἀλκίνουν τοῦ κάππα dans le palais de l'enchanteresse, Hermès, Ulysse, Circé et les compagnons changés en bêtes.

12° R. Table communiquée à l'Institut archéologique allemand de Rome, le 20 juin 1882, par M. Stornaiuolo, aujourd'hui dans une collection inconnue ; trouvée dans l'agro romano. Il manque toute la partie latérale droite et la moitié des scènes surmontant le tableau principal. Dans celui-ci, Amphitrite, armée du trident, assise sur un monstre marin. Les scènes forment huit cadres superposés dans chacune des travées latérales ; huit autres cadres sont disposés en deux étages, quatre au-dessus, quatre au-dessous de la partie centrale. M. Tommassetti a renoncé, vu l'état, à l'expliquer.

L'ensemble des scènes figurées sur les tables iliaques, on le voit par l'énumération que nous venons d'en donner, était donc formé des Κύπρια, reprenant les événements antérieurement à l'Iliade, de l'Iliade, de l'Ἀιθιοπίς d'Arctinos, de l'Ἰλιὰς μικρά de Leschès et de l'Ἰλίου πέρσις de Stésichore, donnant la suite de la guerre jusqu'à la destruction de la ville, et enfin de l'Odyssée. De l'Odyssée, toutefois, nous n'avons plus actuellement de représentations : la table II, qui en figurait quelques épisodes, ne nous est connue que par des dessins manifestement conventionnels, et de la table B, perdue elle aussi aujourd'hui, la partie relative à l'Odyssée était manquante dès la découverte ; notons que sur cette table les représentations de l'Odyssée étaient rapprochées de celles de l'Iliade et les vingt-quatre livres selon toute vraisemblance divisés eux aussi en registres. Sur la place réservée aux autres poèmes, la description donne lieu aux quelques remarques suivantes. Les Κύπρια ne sont point illustrés pour eux-mêmes, et c'est sans séparation qu'une scène qui parait leur appartenir est jointe sur la table C, et l'était sans doute aussi sur B, à la première scène du chant I de l'Iliade qu'elle prépare et explique . A l'Ἀιθιοπίς et à l'Ἰλιὰς μικρά, au contraire, sont consacrées des divisions spéciales : dans A deux zones superposées en bas, dans O une zone verticale sur le bord gauche et une zone horizontale en haut ; dans D, l'Ἀιθιοπίς est également disposée en tableaux étagés verticalement sur le côté gauche, mais il est difficile de dire si l'Ἰλιὰς μικρά avait une place et quelle. L'Ἰλίου πέρσις enfin, dans tous les exemplaires où elle figure, si elle ne forme pas à elle seule, comme dans E, toute la représentation, occupe au centre un grand tableau, auquel les murailles et les édifices de Troie, encadrant les scènes dont la ville est le théâtre, donnent aisément, ainsi qu'on peut s'en convaincre par la table A qui seule le contient en entier, l'aspect symétrique convenable. Par cette raison, raison décorative, s'explique, sans qu'il soit réellement question de l'Ἰλίου πέρσις, l'introduction de la ville dans le fragment F. Vers le milieu se trouve aussi, sur deux exemplaires, en dehors de son rang naturel et en plus grandes dimensions, une seconde représentation, dont la source est dans le chant XIX. de l'Iliade et dont le motif central est formé par un bouclier qu'entourent de part et d'autre des figures debout : sur N, le bouclier d'Athéna vers lequel Achille étend le bras dans son ardeur de se revêtir de nouveau pour la lutte ; sur B, le propre bouclier d'Achille avec une ébauche des scènes qu'y a décrites Homère. Il y a là, dans cette place hors rang, comme le premier pas vers le parti adopté dans deux autres exemplaires, P et Q, où la table tout entière, de forme ronde, se réduit au seul bouclier. Exception faite de ce cas, et de F consacré en particulier à la rançon d'Hector, la représentation de l'Iliade embrassait en règle, autant qu'on peut l'affirmer d'après les fragments, l'ensemble du poème et se composait d'une suite de scènes juxtaposées dans l'ordre même des chants, de manière à donner un aperçu de chacun d'eux.

La disposition s'en rétablit aisément sur A d'après le diagramme ci-contre. Sur B et C il semble que le premier chant, précédé d'un court emprunt aux Κύπρια, devait s'étendre jusqu'au bord droit, et de là résultait sans doute pour le reste une légère variante. Sur N, tout fragmenté qu'il soit, M. Robert rétablit avec beaucoup de sagacité la disposition qui figure ci-dessous :

Veut-on, en ce qui concerne au moins l'Iliade, dont nous aurons surtout à nous occuper dans ce qui suit, outre la disposition, établir la suite des scènes choisies, la comparaison entre A et B et C, qui suppléent à la partie gauche manquant dans A, donne pour le chant I les illustrations suivantes : Chrysès vient redemander sa fille à Agamemnon ; re buté, il s'adresse à Apollon ; le dieu envoie la peste ; Calchas révèle la cause des maux qui frappent les Grecs ; Agamemnon et Achille se querellent ; Ulysse reconduit Chryséis ; Thétis vient trouver Zeus. La place accordée aux autres chants ne pouvait en admettre d'aussi longs extraits. Au premier chant, en effet, revenait, sur la plupart des exemplaires, l'espace surmontant tout le tableau central. La place accordée à chacun des autres, au contraire, ne comprenait qu'une travée latérale à gauche ou à droite de celui-ci. De là, dans D et sans doute dans N, le parti adopté de représenter uniformément chaque chant par une scène. Les choix comme les exclusions ne portent d'ailleurs pas toujours sur les mêmes points. Dans les scènes mêmes, également choisies par deux ou plusieurs exemplaires, la ressemblance ne va pas jusqu'à l'identité : en A, par exemple, le temple d'Apollon est de trois quarts à gauche, et devant les degrés Chrysès debout fait une libation sur un autel ; en B, la perspective du temple, dont le fronton laisse reconnaître un gorgoneion et des acrotères, est inverse, et le prêtre en longue robe est agenouillé, les mains tendues, suppliantes. De même au chant XXIV le groupement des personnages se présente sous deux aspects, en A d'une part, en D et en F de l'autre.

Les divergences qui se remarquent, non plus entre telle ou telle table iliaque, mais entre celles-ci prises dans leur ensemble et l'Iliade doivent arrêter davantage. II ne saurait être question de les relever ici, ni d'en donner une énumération même bien incomplète, tant elles sont nombreuses et tant il faudrait descendre dans le détail : quelques-unes seront indiquées dans la suite de la discussion ; l'intérêt est d'ailleurs pour nous moins dans les variantes elles-mômes que dans la cause à laquelle elles doivent être attribuées. Selon Jahn, à qui elles ne pouvaient échapper, les tables iliaques auraient été conçues, non point sous l'influence directe de l'Iliade, mais d'après un résumé en prose, ainsi qu'il en figure un gravé sur le pilastre de la table du Capitole : dans un résumé de ce genre, en effet, les différentes scènes sont énumérées au dessinateur avec l'indication des noms, mais l'ensemble seul des situations indiquées laisse forcément une certaine liberté à l'illustration. M. Michaëlis remarque en outre que de nombreux rapports existent entre les tables iliaques et les ὑποθέσεις ou sommaires des chants de l'Iliade qui nous sont parvenues. Dans B, l'inscription Χρύσης ἱερεὺς τοῦ Ἀπόλλωνος […το]ὺς Ἀχαιόυς [Χρυσηίδα τὴν ἑα]υτοῦ θυγατέρα λυτρω[σόμε]νος· Ἀγαμέμνων δ’αὐτ[ον ἐ]κ τοῦ στρατοπέδου… ἐκδιώκει rappelle visiblement l'ὑπόθεσις du chant I : Χρύσης ἱερεὺς τοῦ Ἀπόλλωνος παραγίνεται ἐπὶ τὸν ναύσταθμον τῶν Ἑλλήνων, βουλόμενος λυτρώσασθαι τὴν θυγατέρα αὑτοῦ Χρυσηΐδα· οὐκ ἀπολαβὼν δὲ ἀλλὰ καὶ μεθ’ ὕβρεως ἀποδιωχθεὶς, etc. Les représentations, elles aussi, semblent plus d'une fois inspirées par ces sommaires, et telle d'entre elles nous serait difficilement intelligible si nous n'y faisions appel. Sur la table du Capitole, le chant XIV se résume en deux combats : Archiloque contre Ajax fils d'Oïlée et Ajax fils de Télamon contre Hector en présence de Poseidon et d'Apollon sans insister sur la non-intervention des deux divinités à ce moment dans le texte même de l'Iliade, il est remarquable que, d'après Homère, Archiloque tombe sous les coups d'Ajax fils de Télamon dans la mêlée engagée autour du corps de Satnios qu'a tué l'autre Ajax ; mais la confusion s'explique aisément si l'on suppose le fabricant de la table en présence du thème résumé fourni par l'ὑπόθεσις : Αἴας δὲ λίθῳ βαλὼν Ἕκτορα πλήσσει· Ἀριστεύει δὲ καὶ Αἴας ὁ Λοκρός. : les noms fournis et rapprochés les uns des autres sont ceux inscrits sous les personnages de la table, ΑΙΑΣ Ο ΛΟΚΡΟΣ et ΑΙΑΣ, ΕΚΤΩΡ. De l'ὑπόθεσις semblent venir aussi, à la fin du chant XX, les deux scènes juxtaposées d'Achille tuant un Troyen qui, quoique non nommé, est à coup sûr le jeune Polydoros et d'Hector sauvé par Apollon : Ἀχιλλεὺς δὲ ἄλλους τε ἀναιρεῖ, καὶ Πολύδωρον τὸν Πριάμου παῖδα. Ἕκτωρ δὲ ἀντιστὰς αὐτῷ, φεύγει, Ἀπόλλωνος σώσαντος αὐτόν.. D'autres rapprochements encore pourraient être faits, qui, précisant l'hypothèse émise par Jahn, viendraient la fortifier.

Il semble même, au premier abord, qu'elle trouve une confirmation dans l'accord remarquable, récemment mis en lumière, que présentent nos monuments avec la rédaction latine connue sous le nom d'Ilias latina. Lorsque, par exemple, remarque M. Brüning, Chrysès se rend auprès d'Agamemnon, Homère nous montre le vieillard se présentant en quelque sorte au nom du dieu dont il est le ministre, στέμματ’ ἔχων ἐν χερσὶν ἑκηβόλου Ἀπόλλωνος | χρυσέῳ ἀνὰ σκήπτρῳ,, et son langage y est d'accord avec son attitude : sur la table iliaque il s'agenouille devant le roi assis et, les mains tendues, lui saisit les genoux, genibusque affusus Atridae per superos regnique decus miserabilis orat ; rebuté, contemptus repetit Phoebeia templa sacerdos, continue l'Ilias latina, d'accord avec deux de nos représentations, là où Homère a dit : βῆ δ’ ἀκέων παρὰ θῖνα πολυφλοίσβοιο θαλάσσης·. Même remarque pour la querelle d'Agamemnon et d'Achille, l'attitude suppliante de Thétis devant Zeus, la présence de Pallas derrière Diomède combattant Énée, les adieux d'Hector et d'Astyanax, le combat auprès des navires. Héphaistos enfin, forgeant le bouclier d'Achille, sur la table iliaque le présente aux coups de marteau de trois personnages nus, les Cyclopes de Virgile, illi inter sese nulla vi brachia tendunt, mentionnés aussi dans l'Ilias latina, inconnus à Homère ; et, de même encore, dans la scène où Achille traîne derrière son char le cadavre d'Hector, les murailles de Troie semblent indiquer que le vainqueur ne se borne pas à conduire sa victime vers les vaisseaux où gît le corps de Patrocle, mais ter circum muros victor trahit : la représentation est celle qu'admira Énée dans les peintures du temple de Carthage et de laquelle sans nul doute les éléments étaient puisés dans la réalité : ter circum Iliacos raptaverat Hectora muros. Se reporte t-on maintenant de nouveau aux ὑποθέσεις, deux analogies se retrouvent singulièrement frappantes. D'une part les deux sommaires du chant V, Διομήδης, Ἀθηνᾶς αὐτῷ σθυλλαμβανομένης, ἀριστεύει et φησὶν, αὐτὸν ὑπὸ τῆς Ἀθηνᾶς βοηθεῖσθαι […]Τοῦτον τὸν τρόπον Διομήδης ὑπὸ τῆς Ἀθηνᾶς βοηθούμενος, πολλοὺς τῶν Τρώων ἀναιρεῖ ont évidemment pu donner à croire à la présence réelle de la déesse. Et plus loin, au chant XXII, si l'ὑπόθεσις proprement dite est ainsi conçue : Ἐξάψας δὲ αὐτὸν τοῦ ἅρματος Ἀχιλλεὺς, διὰ τοῦ πεδίου ἐπὶ τὸν ναύσταθμον ἕλκει, l'acrostiche de Stephanos donne χῖ δ’ ἄρα τρὶς περὶ τεῖχος ἄγων κτάνεν Ἕκτωρ’ Ἀχιλλεύς ; et la même version se retrouve chez le grammairien Dositheus : καὶ φονεύεται ὑπὸ Ἀχιλλέως καὶ δεθεὶς δίφρῳ σύρεται τρὶς περὶ τὰ τείχη. II ne faut pourtant point se hàter de conclure. Les ὑποθέσεις ne donnent que de trop brèves indications de chaque scène prise en particulier pour expliquer toute la ressemblance et, de plus, quelques-uns des épisodes qui figurent sur les tables iliaques n'y sont même pas mentionnés. Il n'est pas davantage admissible que l'Ilias latina dérive directement des tables iliaques ; et cette hypothèse, d'ailleurs, si elle expliquerait la parenté de l'une avec les autres, ne rendrait pas compte de l'autre face du problème qui nous occupe, à savoir les différences remarquées entre ces dernières et l'Iliade. La suite des scènes du chant I, notamment, n'est pas dans l'Ilias latina celle que nous avons établie plus haut d'après la table du Capitole, assez conforme en ce point au texte homérique. La restitution de Chryséis et l'enlèvement de Briséis y sont placées entre les déclarations de Calchas et la querelle d'Achille avec Agamemnon. Le déplacement se justifie aisément si l'on imagine que le rédacteur de l'abrégé latin avait sous les yeux une série de peintures dont il suivait l'ordre. Sur de telles peintures en effet, pour faire comprendre les motifs de la dispute, à laquelle l'Iliade nous prépare par les menaces d'Agamemnon, force était de nous montrer ces menaces réalisées. Mais si telle est, dans ce cas particulier, l'explication du désaccord entre le versificateur latin et Homère, n'est-ce point la même qui justifie les autres divergences qui lui sont communes avec les tables iliaques ? La demande de Chryséis réclamant sa fille ne pouvait mieux se faire comprendre aux yeux qu'en représentant le vieillard agenouillé devant Agamemnon, la prière à Apollon qu'en le montrant devant le temple du dieu, l'intervention d'Athéna dans le combat de Diomède et d'Énée qu'en l'y faisant prendre part matériellement; les murs de Troie, de même, formaient le fond naturel et pour ainsi dire obligé d'un tableau représentant Hector traîné derrière le char d'Achille.

La supposition ainsi admise pour une rédaction écrite telle que l'Ilias latina, il devient à plus forte raison logique de l'étendre aux tables iliaques et d'expliquer de la même manière les motifs qui les font parfois s'écarter de l'Iliade. MM. Bienkowski et Murray ont eu raison d'insister sur l'influence artistique qui est à l'origine de ces modifications. Jahn déjà le notait, tout en cherchant d'autres arguments, les différences essentielles de moyens d'expression entre la poésie et les arts qui s'adressent à la vue ne peut en aucun cas être oubliée ; et s'il n'avait pas tort de dire que cette cause intrinsèque ne suffit pas à rendre compte de tout, sa restriction doit être prise en ce sens que les auteurs des tables iliaques n'ont pas créé eux-mêmes leur illustration et que de tels monuments sont évidemment dans la dépendance d'une source antérieure. L'Ilias latina, par les points de repère qu'elle nous a fournis, nous en a fait saisir l'existence, mieux encore que tous les autres rapprochements allégués ; mais de cette parenté d'origine nous devons conclure, non à une même filiation littéraire, mais au souvenir plus ou moins direct d'un même ensemble de représentations. En fait, d'ailleurs, d'assez nombreux monuments subsistent dérivés comme les tables iliaques de ces prototypes. L'énumération qu'en a faite M. Brüning, en mettant à côté des différentes scènes qui se trouvent sur les tables, et de quelques-unes notamment où elles présentent une version qui leur paraît particulière, telle sculpture, peinture ou pierre gravée reproduisant le même sujet, atteste aux yeux le lien qui rattache les tables à des oeuvres d'art aujourd'hui disparues ayant servi aux unes et aux autres de modèles.

La comparaison établie par M. Brüning ne porte pas sur moins de quinze épisodes des tables iliaques : querelle d'Agamemnon et d'Achille, déclarations de Calchas. Ménélas vainqueur de Pâris, combat de Diomède et d'Énée, Hector sortant des portes de Troie, bataille près des vaisseaux, lamentations autour du corps de Patrocle, forge de Vulcain, Hector traîné derrière le char d'Achille, rançon d'Hector, folie d'Ajax, Ajax saisissant Cassandre, meurtre de Priam, fuite d'Énée, bûcher d'Hector. Retenons-en trois exemples.

Voici, sur la table B, Pâris blessé, tombé un genou en terre près des portes Scées ; Ménélas a déjà saisi son casque, lorsqu'accourt Aphrodite, dont la draperie flotte soulevée par la rapidité de la course :

à peine quelques différences se remarquent-elles dans une urne étrusque ; la pose de Pâris blessé, en particulier, est de tous points semblable.


Ailleurs, c'est une peinture de Pompéi qui nous montre Priam agenouillé devant Achille, assis à l'entrée de sa tente et appuyé sur sa lance, accompagné à l'arrière-plan d'un guerrier debout, tel qu'il figure sur la table F : même siège à pieds droits, même pose du héros, tourné à droite, le haut du corps nu, les jambes entourées d'une draperie, la main droite posée sur le bras de son siège, la gauche élevée tenant le sceptre.


Le meurtre de Priam, enfin, tel qu'il est représenté sur la table du Capitole, se retrouve avec de fort légères différences sur un lécythe de Kertsch au musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg : de chaque côté de l'autel de Zeus s'avancent deux guerriers ; l'un, à gauche, Néoptolème, saisit le vieillard et s'apprête à l'immoler ; à l'opposé, une femme cherche en vain à se cramponner et va être entraînée par son meurtrier.

De tels rapprochements, si minutieux qu'ils puissent sembler, en même temps qu'ils nous éclairent sur les sources auxquelles se rattachent les tables iliaques, sont non moins nécessaires pour discuter le rôle de ce Théodoros que nomment trois d'entre elles. La table du Capitole, le fragment C de la Bibliothèque nationale, les deux boucliers découverts à Rome récemment, nous ont transmis son nom sous les formes suivantes : Θεο]δώρηον μάθε τάξιν Ὁμήρου, Θεοδώρηος ἡ(ι) τέχνη, Ἀσπὶς Ἀχίλλειος Θεοδώρηος καθ’ Ὅμηρον, (Ἀσπὶς) Ἀχίλλειος Θεοδώρηος ἡ τ[έχνη]. De la première, il n'y a guère à tirer. Un passage de Pausanias, qu'on en a voulu rapprocher, Ἡπακλέους τάξις τῶν ἔργων, n'est en réalité qu'une restitution des éditeurs. Quelque nuance d'ailleurs qu'on introduise dans le sens de τάξις, et même en insistant sur l'indication didactique qui peut résulter de μάθε τάξιν, l'expression par elle-même ne saurait indiquer si l'arrangement d'Homère attribué à Théodoros est celui d'un grammairien résumant le poème dans un recueil d'extraits, ou celui d'un artiste en fixant la représentation dans un choix d'épisodes. Il n'en est pas de même du mot τ[έχνη Ici (M. Michaëlis, qui voit en Théodoros un grammairien, le reconnaît), la traduction de τ[έχνη par traité, ars, n'est pas bien à sa place pour une compilation mythologique de cette sorte. Si Théodoros est le grammairien auteur de la disposition, τ[έχνη veut dire que toute la série que forment en tant qu'oeuvres d'art les extraits poétiques illustrés est de son invention. M. Michaëlis ajoute toutefois : « Une telle interprétation s'accorde mieux avec les mots μάθε τάξιν que si, se conformant à l'emploi très fréquent, en particulier chez Pausanias, de τ[έχνη pour désigner une oeuvre prise individuellement, l'on regardait Théodoros comme l'auteur même des exemplaires parvenus jusqu'à nous, et par suite comme un sculpteur». Il semble bien que telle soit aussi l'opinion de M. Loewy, quoiqu'il donne place aux deux tables A et C dans ses «lnschriften griechischer Bildhauert». Les raisons alléguées semblent pourtant assez faibles. Le rapprochement des différentes tables iliaques, dit-on, montre qu'il existe des rédactions distinctes, offrant des particularités propres à chacune : serait-il vraisemblable que le même fabricant eût ainsi suivi deux partis différents dans des tables dont l'ensemble concorde ? Théodoros n'est-il, au contraire, que l'inventeur de toute la famille de monuments, n'a-t-il fait qu'indiquer une série de scènes, déterminer en gros l'ordre dans lequel elles devaient se succéder et la manière de les illustrer, toute liberté restait dans chaque cas particulier de laisser de côté, suivant la place, telle ou telle d'entre elles, de suivre ici un modèle légèrement différent de celui adopté là, voire de se borner à une scène particulière.

L'argumentation ainsi présentée trouve une première réfutation dans ce fait que le nom de Théodoros figure précisément sur les deux boucliers du Capitole, où l'on ne comprendrait guère qu'il désignât un autre que l'artiste. Il ne peut s'agir, en effet, d'un plan général, d'une disposition d'ensemble, puisque, dans sa totalité, la représentation n'embrasse qu'un épisode unique de l'Iliade. Se réfère-t-on, d'autre part, au texte gravé sur le pourtour du disque le mieux conservé, il n'est pas celui d'un abréviateur, d'un commentateur quelconque, comme on voudrait qu'eut été Théodoros, il est celui d'Homère lui-même. Il y a plus. La part de ce Théodoros, au cas où l'on comprendrait ainsi son rôle, quelle serait-elle donc, même dans les autres exemplaires ? Les tables iliaques, nous l'avons vu, et c'est ici qu'apparaît le mieux toute l'importance de la démonstration apportée par M. Britning, se rattachent à une série d'oeuvres figurées bien plus qu'elles ne dépendent d'une compilation grammaticale écrite. Il ne resterait guère par suite à lui attribuer que la connexion établie entre l'Iliade elle-même et les autres récits du même cycle, les Κύπρια, l'Ἀιθιοπίς, l'Ἰλιὰς μικρά, l'Ἰλίου πέρσις , et l'on avouera que ce serait peu. Mais, de plus, il est difficile de croire que le nom inscrit sur les tables soit un nom de plusieurs centaines d'années antérieur, et cette connexion, elle remonte jusqu'au début de l'époque hellénistique, nous en avons la preuve par les «homerische Becher» que l'on s'accorde à placer au IIIe siècle avant notre ère, où elle existe déjà.

Non point toutefois qu'il faille aller à l'excès opposé, et, ne pouvant faire de Théodoros un grammairien, prétendre y retrouver un peintre connu. Welcker avait indiqué, à titre d'hypothèse, la possibilité de chercher ainsi l'original de nos monuments dans le bellum iliacum plurimis tabulis quod est Romae in Philippi porticibus attribué par Pline à un Théodoros. M. Rayet, reprenant l'opinion à son compte, l'a présentée sous une forme tout affirmative en publiant un fragment de table jusque-là inédit. Il constate que la composition en est à peu de chose près semblable à la partie correspondante de la table A et du fragment E de Jahn, et ajoute : « Cette similitude vient de ce que les ouvriers qui à Rome, au commencement de l'empire, fabriquaient ces petits monuments, s'inspiraient tous de la suite des tableaux de Théodoros qui décoraient le portique de Philippe et représentaient les divers épisodes de la guerre de Troie ». Il est probable, en effet, que les rapprochements notés plus haut doivent s'expliquer, pour la plupart, moins par l'imitation d'oeuvres isolées dont le fabricant aurait fait une juxtaposition, que par des emprunts à une grande décoration dans laquelle il trouvait tous ces éléments déjà mis en oeuvre. Le modèle, en outre, dont nous avons vu que l'Ilias latine et l'Enéide semblaient s'être aussi inspirées, devait se trouver à Rome. Mais le texte de Pline auquel il est fait allusion porte dans le manuscrit le plus autorisé, le manuscrit de Bamberg, non pas Théodoros mais Theorus. MM. Brünn et Benndorf y ont reconnu avec beaucoup de probabilité une mauvaise leçon pour Théon, nom d'un peintre connu, dont Pline a mentionné les oeuvres. La référence alléguée disparaîtrait par suite, et l'on doit rappeler que les auteurs mentionnent l'existence à Rome d'autres décorations dont le sujet était emprunté à l'Iliade et à l'Odyssée. Tout au plus peut-on dire que la peinture de Théon de Samos était la plus renommée, et que le fait que le peintre, contemporain d'Alexandre, vivait à une époque beaucoup antérieure aux tables iliaques, n'est pas une objection. La présence d'une même représentation sur une urne étrusque, les points de rapport avec les « homerische Becher », la conformité signalée plus haut de certaines scènes avec les ὑποθέσεις de l'Iliade, oeuvre des érudits alexandrins, remontent en effet jusqu'à une période approchante la date où dut être exécutée la composition dont les tables iliaques nous gardent le souvenir. Mais si, par là, le texte de Pline n'est pas sans intérêt pour nous, du moins n'y est-il pas fait mention de Théodoros lui-même. En lui, selon toute vraisemblance, nous devons voir un artiste d'un ordre plus modeste, le simple fabricant de ces monuments, dont les exemplaires parvenus jusqu'à nous témoignent d'assez de similitude pour qu'il ne soit pas déraisonnable de les attribuer à la même main.

La question du fabricant des tables iliaques nous amène naturellement à celle de leur usage. Ici, un curieux rapprochement de dates a donné naissance à une première explication plus ingénieuse que solide. L'un des monuments que nous avons volontairement négligés, un fragment de marbre palombino comme les tables iliaques, conservé au musée du Capitole, sur l'une des faces duquel se voit une scène de combat, porte sur l'autre face une inscription gravée en deux colonnes où sont indiqués une série d'événements de l'histoire grecque et romaine avec le nombre d'années écoulées depuis lors. Il en résulte comme point de départ du comput l'année 15-16 de notre ère, laquelle année est précisément celle indiquée par Tacite pour la dédicace faite par Tibère à Bovillae d'un sanctuaire de la gens Julia ; et c'est à Bovillae qu'a été trouvée la table du Capitole. D'où la conclusion suivante : la table iliaque a été faite en l'an 16 et pour le sanctuaire des Julii, où, parmi les autres oeuvres d'art dont l'empereur avait orné le temple, elle avait le mérite particulier de rappeler les traditions relatives au départ pour l'Italie d'Énée ancêtre de la race. Hypothèse séduisante peut-être au premier abord, mais qui n'est qu'une fragile hypothèse. La place donnée à la légende d'Énée, la présence sur quelques-uns des monuments de la même série de documents chronologiques en rapport avec la fondation de Rome, s'expliquent assez par le seul fait que le propriétaire en était un Romain. D'autre part, ni la contemporanéité apparente de la table du Capitole avec le fragment daté de l'an 16 ne va jusqu'à exiger la même année pour leur exécution, ni l'on ne pourrait aisément, si la destination en était aussi spéciale, rendre compte de l'existence d'un nombre relativement élevé d'exemplaires.

La théorie généralement admise qui voit dans les tables iliaques des objets d'usage scolaire, est mieux fondée. Elle s'appuie tout d'abord sur le caractère des inscriptions qui figurent sur les tables. La nature de celles-ci est diverse. Il y a en premier lieu, et ce sont celles qui figurent le plus constamment, les courtes légendes, le plus souvent de simples noms, qui, de même que sur les stèles funéraires, les vases peints, les fresques, sont placés immédiatement auprès des reliefs et sont avec eux en rapport intime : de celles-ci, rien à tirer. Viennent ensuite des inscriptions d'un caractère légèrement différent, résumés plus ou moins succincts des chants de l'Iliade. Sur le fragment B interviennent ainsi, après quelques lignes consacrées au chant I, les quatre vers suivants relatifs aux autres chants conservés :

Δέλτα· ˘ˉ | ˘ˉ |ύσιν (θ’) ὅρκων· ἐπιπωλεῖται δ’ Ἀγαμέμνων.
Εἶ· Διομήδης μὲν ἀριστεύει, πρὸς δ’ Ἴλιον ἔρχεται Ἕκτωρ.
Ζῆτα δ’ ὁμιλεῖ τὰ πρὸς Ἀνδρομάχην, καὶ (τὸν) Πάριν ἐς χάριν ἕλκει.
Ἦτα· Αἴας Ἕκτωρι μουνομαχεῖ, καὶ νὺξ αὐτοὺς διαλύει.
.

Un vers analogue est gravé sur le bord inférieur du fragment F, relatif au chant XXIV : [Λύτρ]α νεκροῦ καὶ πέρας ἐστὶν ˘ˉ τάφος Ἕκτωρος ἱππ[οδάμοιο].. Ne sont-ce pas là, au premier chef, des vers mnémoniques, et tels qu'on pouvait en composer à l'usage des écoles ? La même remarque s'applique aux sommaires en prose, en particulier à celui plus développé qui figure sur la table du Capitole. D'une part, maints détails montrent qu'ils n'ont point été composés spécialement à l'intention des monuments sur lesquels ils sont gravés et qu'ils dérivent des recueils de sommaires dans lesquels, d'assez bonne heure, on avait condensé les poèmes les plus célèbres pour en former une sorte de manuel mythologique. D'autre part, alors que parmi les lectures favorites de la jeunesse Plutarque mentionne, avec les fables d'Esope, τὰς ποιητικὰς ὑποθέσεις, le livre du maître Dositheus, écrit au moins pour partie en 207 ap. J.-C., contient, à la suite d'une grammaire et d'un votabulaire gréco-latin, à titre d'exercices à traduire, dix-huit fables d'Ésope, un chapitre des généalogies d'Hygin, et un long fragment d'une ὑπόθεσις de l'Iliade : rapprochés, les deux passages nous renseignent sur ce que pouvaient être ces ποιητικαὶ ὑποθέσεις, et ce sont précisément des textes du genre de ceux qui figurent sur les tables iliaques, où, à côté des résumés des livres homériques, nous avons noté la présence de sortes de mementos généalogiques. Dositheus, enfin, a-t-on dit, témoigne en même temps, c'est ainsi qu'il faudrait comprendre deux passages fort obscurs, que ces manuels scolaires cherchaient par une illustration appropriée à rendre leurs leçons plus intelligibles et plus saisissantes. Mais encore, supposé qu'on fît en effet usage dans les écoles romaines de livres contenant des sommaires illustrés des poètes, n'est-ce point singulièrement dépasser les prémices que d'en conclure à cette même destination pour les tables iliaques ? La preuve n'est point fournie, et elle ne l'est pas davantage par le distique gravé sur A, puisque, si on en restitue ainsi d'ordinaire le premier vers : ὦ φίλε παῖ, Θεο]δώρηον μάθε τάξιν Ὁμήρου, les deux premiers mots, les mots importants en l'espèce, sont précisément une restitution.

Il est, en revanche, contre l'usage scolaire des tables iliaques, une objection dont, quoi qu'on fasse, la force reste entière, à savoir l'exiguïté des représentations et des inscriptions qui y figurent. En vain a-t-on essayé de pallier la difficulté en déclarant qu'il ne s'agissait point pour les élèves d'y prendre la première connaissance des épopées qui en forment la matière, mais, cette connaissance déjà acquise, de leur en rendre la substance plus vivante en quelque sorte et les scènes plus nettement fixées dans l'esprit. L'objection n'en subsiste pas moins. Suspendues aux murs pour y servir d'accompagnement aux explications du maître, elle y eussent été totalement indistinctes. Remises entre les mains des élèves, à titre de fil conducteur, pour ainsi dire, il faudrait alors qu'elles n'eussent été employées que dans l'enseignement privé, et le luxe qui les eût fait adopter, dans un temps où le parchemin et le papyrus étaient connus, serait difficilement justiciable. Supposer qu'elles étaient données en prix est, sans vouloir malgré cela renoncer au système, un aveu des difficultés auxquelles il se heurte.

Il est donc vraisemblable, alors même qu'on admettrait que l'idée en a pu être fournie par des feuilles d'images en usage dans les écoles, que les tables iliaques n'avaient qu'un rôle d'ornementation. Sur ce point seulement la théorie de ceux qui, d'après le lieu de la découverte, rattachaient la table du Capitole à l'existence du sanctuaire des Julii à Bovillae avait sa part de vérité. Mais, mieux qu'un temple, on se la représente décorant une bibliothèque ou un cabinet de travail. Les dispositions originales de lettres sur le revers de certaines tables, les légendes comme ἱέρεια ἱερεῖ susceptibles d'être lues de gauche à droite ou de droite à gauche, sont de ces jeux que ne dédaignait pas l'érudition d'autrefois. D'un ordre d'idées voisin relèvent l'indication du nombre de mots contenu dans différents poèmes au revers de la table thébaine que nous avons mentionnée, ou, sur notre table E, la disposition chronologique jour par jour, empruntée à Zénodote, des événements racontés dans l'Iliade. Quelque intérêt d'ailleurs qu'eussent les inscriptions, il est clair qu'elles n'étaient que l'accessoire : l'omission des chants XIII à XV dans celle de la table A, les nombreuses fautes orthographiques ou autres dont elles sont semées, montrent qu'on n'y prêtait qu'une attention secondaire La raison d'être des tables n'était pas en elles : les lisait qui voulait, l'on peut ajouter qui ne se laissait point rebuter par le travail. La partie prépondérante était dans les représentations. Sans doute la valeur artistique n'en était pas bien grande ; n'oublions pas toutefois que coloriées elles devaient être d'un aspect tout autre que celui où nous les voyons ; de plus la distribution originale, la difficulté de la petitesse vaincue leur pouvait donner un certain régal. Ainsi interprétées, il semble, en outre, que les tables iliaques se rattachent mieux aux autres monuments de la même famille, dont quelques-uns au moins, tels que la figurine d'Homère du musée de Berlin seraient difficilement regardés comme ayant eu un usage scolaire. D'une manière générale, elles sont moins isolées dans nos séries archéologiques. Elles nous montrent, à la suite des « homerische Becher », et pour une époque postérieure, à quel point les épopées du cycle troyen restaient toujours une mine où puisaient volontiers les artistes en quête de sujets. Tandis que Théodoros les répandait en Italie, les potiers de Vichy et de Lezoux moulaient, eux aussi, sur leurs médaillons le combat d'Ajax et d'Hector; ils y ajoutaient même des noms pour designer les scènes, AIAX, DEIPHOBVS, inscrits auprès des personnages. Même inspiration encore dans des oeuvres de métal à peu près contemporaines des tables iliaques, oeuvres que rappelle l'un des médaillons gallo-romains en terre cuite bronzée. Il suffit de citer la paire d'oenochoés du trésor de Bernay sur lesquelles se voient Achille pleurant Patrocle, la rançon d'Hector, l'enlèvement du palladium, Achille traînant le cadavre d'Hector derrière son char, la mort d'Achille, Ulysse et Dolon. Dans la demeure dont le maître plaçait devant une paroi ou sur un pupitre quelqu'un des petits monuments auxquels est consacrée cette étude, de tels vases eussent naturellement garni une vitrine. Empreintes en apparence d'un caractère plus didactique, les tables n'ont pas un rôle au fond bien différent. Elles ne sortent pas du domaine de ce qu'on appellerait aujourd'hui la curiosité. Sans prétendre leur trouver une utilisation immédiate, sans y chercher une leçon, leur propriétaire ne leur demandait que de flatter ses goûts de lettré et de savant, et c'était à ce seul titre qu'elles avaient leur place dans son entourage.

Etienne Michon