© Alex Abdoun

Claude Massé, l'homme simple à l'ouvrage

Depuis bientôt trente années que les Patots existent, on en a parlé avec tant de superlatifs et de comparatifs qu'il peut paraître vain d'en rajouter. Mais l'oeuvre de Claude Massé ne cesse de grandir en nombre comme en réputation, de surgir sur de nouveaux continents, de s'étendre comme à son tour forêt de liège redevenue.

Des lièges souriants, grincheux, ricanants, paisibles bonshommes filandreux au regard en demande ou génies tutélaires boursoufflés de lanières et de clous, ils sont là, continuant à nous fixer, à la fois géants de Pâques réduits à taille très humaine qu'un fil invisible au mur ne saurait presque retenir, et gardiens d'on ne peut savoir quelle ombre ou quelles prairies de montagne aux fleurs ballantes, où se déroulent des secrets.

Qu'il colle des étiquettes de vins disparus sur des enveloppes détournées de leurs buts, qu'il dessine à bout de carnet des grilles arrondies comme oeuvres de Calder immobiles, ou qu'il découpe, colle, cloue, torde, replie, étale, tourne, frappe ou caresse le liège, Claude Massé depuis son atelier de mécanique terrestre peuple la terre de son art autre. Un art de formes silencieuses, pourtant nées du cri de l'arbre à qui l'on arrache la peau. Un art du dessin aux traits contenus d'un scalpel comme aussi bien aux plages claquantes des drapeaux des îles. Un art de papiers épaissis des drames bruts du sang, des terres, des ors. Claude Massé, finalement, parle silencieusement des cris du monde.


Pour quoi faire ?
Pour exister. Pour tendre la main. Pour dire «moi, Claude Massé, je suis».

Mais le personnage pourtant demeure secret. II se dissimule derrière des souvenirs immenses, derrière les devoirs qu'il s'est imposés, derrière un non moins immense amour pour la terre d'ici comme seuls l'ont les grands imaginants. On sait de lui ces photographies posées à l'extrême sur lesquelles il apparaît surgissant d'un arbre, d'une pierre, d'une ténèbre. Et aussi l'extrême humilité de sa silhouette noire, qui tend au visiteur Patot ou amitié, parfois les deux, parce que, immensément sensible, l'artiste, l'homme simple, l'homme du commun, sait voir son semblable au fond du regard porté sur son oeuvre. Il est même vraisemblable que l'artiste attache plus d'importance à l'homme en face ou à côté de lui qu'à l'oeuvre sous ses doigts. Ainsi sont les grands, n'en déplaise aux petits.

Et pendant ce temps-là que vous vous interrogez sur lui, justement, grandissent encore la forêt de liège, la corrida des papiers, la grille cadastrale du monde. Et pendant ce temps-là, pendant que nous regardons ce monde parallèle, c'est-à-dire identique au nôtre et pourtant nouveau, pendant que presque nous perdons le souffle devant le torrent de cette création, Claude Massé arpente, taille, travaille. Il travaille encore et toujours à dire « je suis, vous êtes, nous sommes des hommes ». Cet homme, à n'en pas douter, agrandit la terre.

Cédric Debarbieux — 22 août 2007