François Jaubert de Passa (1785-1856)
Fils de Pierre Jaubert de Passa et de Catherine Vilar,
il naquit à Passa le 24 avril 1785. Son
père et sa mère avaient fait de beaux
rêves sur son berceau ; mais la Révolution
française, en changeant leur position sociale,
traversa leurs projets. Cependant, ils ne surent rien
négliger pour lui faciliter un avenir honorable.
Ils confièrent son éducation
élémentaire à l'abbé
Jaubertt. Plus tard, leur fils entra au Collège
militaire de Tournon et perfectionna ses études
au Prytanée, d'où il sortit pour
être incorporé comme sous-lieutenant dans
le 12e régiment de Dragons ; mais son
père, facilement alarmé des périls
qui accompagnaient la gloire militaire à cette
époque, le rappela auprès de lui.
François Jaubert obéit, mais non sans
regret, à cette injonction paternelle.
Cependant, il obtint de rester encore à Paris
pour y compléter son instruction ou l'approprier
à une autre carrière. Sa vie
d'étudiant devint alors très laborieuse :
elle se partageait entre les cours de l'Académie
de Législation, de l'Ecole de Médecine,
et les leçons de l'Académie des
Beaux-arts dirigée par David. Sa forte
volonté, sa vive imagination, favorisées
par une conception prompte. un jugement sûr et
une mémoire des plus heureuses, lui
facilitèrent le succès de ses
études nouvelles et multipliées. Il ne
tarda pas à être inscrit sur le tableau
des avocats, et l'Académie de Dessin lui
décerna la médaille d'artiste. |
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Mais cédant toujours aux nécessités de la
famille, il renonça à ses goûts de
prédilection et il crut entrevoir des chances dans la
carrière administrative. A Tournon et au Prytanée,
il eut pour amis des condisciples dont les familles
appartenaient aux illustrations de l'époque. A la faveur
de ces amitiés, il fut présenté dans les
salons de Cambacérès, de Talleyrand et de Cuvier,
où l'avait devancé la renommée de ses
succès scolaires. Il fut vite jugé, et un
décret du 11 janvier 1806 le nomma Auditeur au Conseil
d'Etat. C'était un brillant prélude à une
carrière pour ainsi dire improvisée. Mais une
maladie sérieuse menaçait son père, et il
fut contraint de demander un congé (1810) ;
néanmoins, il fut maintenu pendant un an sur les cadres
du Conseil d'Etat. Le 10 juin 1813, les fonctions de
Sous-Préfet à Perpignan lui furent confiées
; il les conserva peu de temps, mais au mois d'août 1814,
il fut envoyé auprès du général
Castaños, solliciter la retraite de l'armée
espagnole. Pour le récompenser du talent et du
patriotisme qu'il déploya dans cette mission, le
Gouvernement lui donna place parmi les Conseillers de
Préfecture (décret du 5 octobre 1815). L'influence
de cette nouvelle position ne fut pas inutile à son pays
: connaissant tout ce que peut promettre de richesse
l'application d'un bon système d'arrosage, surtout dans
un pays essentiellement agricole comme le nôtre, il
profita de l'appui que lui accordait le préfet, Villiers
du Terrage, pour organiser le syndicat de la Tet (1818-1819). Le
règlement de ce syndicat, qu'il rédigea
lui-même, fut appliqué par ordonnance royale et
accepté, enfin, par l'Administration des Travaux publics.
En 1817, la rareté des subsistances inspirait des
craintes sérieuses à l'Administration, et les
spéculateurs étrangers aggravaient encore la
situation : les désordres qu'amène la disette
semblaient imminents ; Jaubert de Passa proposa un plan dont
l'application prévint toutes les difficultés. Il
provoqua une réunion de douze notables qui,
renonçant généreusement à des
profits que les temps rendaient trop certains, firent une mise
de fonds pour l'approvisionnement du pays. François
Durand s'empressa de s'associer à cet acte de patriotisme
; et, mettant au profit de ses concitoyens les vastes ressources
de sa haute capacité commerciale, il sut faire arriver
d'abondantes cargaisons dans les ports de Saint-Laurent et de
Port-Vendres. Un magasin public fut ouvert, et les populations
roussillonnaises purent s'y approvisionner au fur et à
mesure de leurs besoins et à des prix
modérés. La crise passée, on constata un
bénéfice de 1.500 francs, qui furent
distribués aux employés du magasin.
François Jaubert de Passa composa et publia deux volumes
: le premier sur les arrosages des
Pyrénées-Orientales, et le second, sur les
irrigations en Espagne. Ce dernier livre, résultat d'une
mission scientifique, dont l'avait chargé M. le Ministre
de l'Intérieur, fut traduit en espagnol et en allemand.
Le succès de ces publications l'encouragea à
livrer à la presse quelques mémoires sur des
sujets d'économie rurale. Le Gouvernement voulut
sanctionner l'opinion publique ; et, par ordonnance royale du 11
août 1823, F. Jaubert de Passa fut nommé, comme
homme de lettres, Chevalier de la Légion d'Honneur. Il
justifia cette distinction par d'autres travaux estimés.
Il était membre de plusieurs Sociétés
savantes nationales ou étrangères, entre autres de
la Société royale et centrale d'Agriculture, de la
Société royale des Antiquaires, de la
Société Linnéenne, de celle de Toulouse, de
celle de Valence, en Espagne. A toutes il envoya son tribut
d'intelligence et de dévouement ; toutes avaient su
apprécier son utile coopération. Plusieurs de ses
mémoires, sur des objets mis au concours, furent
couronnés. Tant de travaux utiles, son activité si
constante, ses grandes aptitudes, devaient lui ouvrir les portes
de l'Institut de France, rare distinction, qui suffit pour faire
la réputation d'homme éminent. Ce fut le 3 janvier
1823 qu'il eut l'honneur d'être agrégé,
comme correspondant, à cette illustre Compagnie. Depuis
cette époque, fixé parmi nous par de nouveaux
liens de famille, il renonça à quitter le pays.
Jamais il ne négligea d'étendre le cercle de ses
connaissances. Il cultiva le commerce des gens de lettres, des
savants, des artistes, pour trouver le moyen d'élever son
esprit ; et, cependant, ceux qu'il regardait comme ses
maîtres se plurent, plus d'une fois, à rechercher
ses décisions. Après 1830, l'élection le
fit entrer au Conseil général : il y resta
jusqu'à sa mort (16 septembre 1856). D'éminentes
qualités le distinguèrent dans cette
Assemblée, dont il dirigea plusieurs fois les travaux
comme président.
On lui doit de nombreux ouvrages, dont la plupart ont pris rang
parmi ceux qui honorent son pays. Les plus connus sont :
- Mémoire sur les cours d'eau des Pyrénées-Orientales
- Voyage en Espagne, ou arrosage en Espagne
- Mémoire sur la culture du chêne-liège
- Mémoire sur la culture de l'olivier
- Mémoire sur le mûrier
- Notice historique sur la ville et le comté d'Empurias
- Essai historique sur les Gitanos
- Recherches sur Roses et le cap de Creus
- Carte marine des côtes de la Méditerranée espagnole
- Expédition de Philippe-le-Hardi en Catalogne
- Une famille catalane en 1710
- Isidro
- Marie de Montpellier
- Mémoire historique sur le cloître du Monastir, et les monuments roussillonnais
- Mémoire sur les pasquiers et les forêts de l'Etat
- Il concourut à la publication du grand ouvrage de Taylor et Mérimée, sur la France pittoresque et romanesque, pour lequel il fournit les dessins et les légendes du Roussillon
- Recherches sur les arrosages chez les anciens, 4 forts volumes. Cet ouvrage, qui obtint la grande médaille d'or, a eu les honneurs de la traduction en Espagne.
On soupçonne à peine l'incessant travail de
recherches que cet ouvrage dut coûter à son auteur.
Rien ne manque à ce livre pour en rendre la lecture
attrayante : les descriptions géographiques, les tableaux
de moeurs, écrits dans un style net, concis, serré
et fleuri, tout y révèle une vaste
érudition, une application patiente et
l'expérience d'un écrivain habile. Ce livre, mis
au concours depuis vingt-cinq ans, est l'histoire
complète de l'arrosage et de la législation des
anciens. Il manquait à la science agronomique :
François Jaubert de Passa l'entreprit dans
l'intérêt de la patrie.
Les travaux de Jaubert de Passa lui valurent une belle moisson
de lauriers dans les champs littéraires : il
reçut, outre la croix de la Légion d'Honneur,
quatre médailles d'or, trois en argent, plusieurs en
bronze, et de nombreux témoignages flatteurs de la part
des sommités de la science. Là ne se borne pas son
bagage littéraire. Il a laissé des manuscrits que
nous croyons précieux, entre autres l'Histoire du
Roussillon, fruit de ses dernières veilles et de
longues méditations : c'était son dernier tribut
payé à son pays. Cette histoire est
malheureusement inachevée. Sa vaste correspondance avec
des personnages appartenant aux lettres, aux sciences, aux arts
et à l'administration, lui avait donné une
supériorité remarquable dans l'art d'écrire
une lettre. Les siennes se distinguent par un style orné
de toutes les qualités que ce genre exige ; et il se
complète par ce vernis de politesse exquise, par la
finesse de l'esprit et la justesse de l'à-propos, qui en
l'ont le charme, dans les écrivains de cet ordre.
Mais son oeuvre capitale, où il s'est peint
lui-même avec ses impressions, avec l'expérience
des hommes et des choses, est celle que le public ne sera pas
appelé à lire, de longtemps encore, ce sont ses
Mémoires, qu'il écrivit pour son petit-fils, Henri
Jaubert, et qu'il termina en 1853. Tout en racontant d'abord sa
vie d'étudiant à Paris, il donne des
aperçus sur les lettres, les sciences, la philosophie,
les arts et sur les célébrités
contemporaines, qu'il compare rapidement aux maîtres des
écoles de l'antiquité. Ce sont des esquisses
d'histoire, faites avec cette précision qui est le fruit
d'une longue attente, éclairée par les
rectifications que fournit le temps dans l'appréciation
des actions humaines. Il écrivait pour son petit-fils :
il lui devait la vérité, et sa plume aurait
refusé d'obéir aux entraînements qui
n'eussent pas eu pour mobile la conscience du vrai et du beau.
Ces mémoires composent cinq forts cahiers. Le sentiment
chrétien qui domine dans toutes les pages de cette oeuvre
prouve que François Jaubert avait toujours placé
les événements sous l'influence divine. En 1828,
le prince Woronzof, gouverneur général de la
Crimée, avec lequel il entretenait d'honorables
relations, l'appelait à Odessa, pour lui confier la
charge de directeur général de l'agriculture. Il
lui offrait 40.000 francs de traitement et lui assurait l'avenir
de ses enfants ; mais François Jaubert de Passa, vivement
combattu par l'amour de la patrie, se borna à remercier
le prince. A cette même époque, les savants Bosch,
Sylvestre, Yvart, Cuvier, le baron Teissier, tous membres de
l'Institut, et maîtres des premiers postes dans les
sciences, les lettres et l'administration, le sollicitaient pour
qu'il acceptât une chaire de professeur d'agriculture au
Jardin des Plantes : il obéit aux répugnances de
Mme Jaubert, son épouse, que l'idée de quitter la
province ou la patrie, avait toujours effrayée. Un peu
avant 1840, il était libre d'accepter la place
d'inspecteur d'agriculture en Afrique. Le prince Esterhazy
essaya plusieurs fois de l'attirer auprès de lui, en lui
assurant les bénéfices d'une charge administrative
très élevée. Né pour ainsi dire dans
les champs, François Jaubert de Passa y revint pour y
rester avec une riche éducation, un esprit cultivé
et le souvenir d'illustres amitiés auxquelles il fit
appel moins pour lui et les siens, que pour l'utilité des
autres. Il mourut à Passa, le 16 septembre 1856.
François Jaubert de Passa eut cinq enfants de son
épouse, Françoise Morer de Finestret : Edmond qui,
après de bonnes études au lycée
Louis-le-Grand, tint une maison de banque à Perpignan ;
Elisa, épouse du colonel Bach Adolphe, officier de marine
; Octave, officier dans le régiment des tirailleurs de
Vincennes, tué en duel à Metz en 1842 ; et
Charles, mort en bas-âge.