François de Sagarre (? -1688)
Il descendait d'une famille noble de Lérida. Jeune
encore, il embrassa avec ardeur le parti de la France, lorsque
le Roussillon venait à peine de tomber au pouvoir de
cette nation. Marca, qui avait été frappé
de l'intelligence et de la fermeté de caractère de
François de Sagarre, obtint pour lui des lettres de juge
à la Royale-Audience. Malgré l'opposition de
Fontanella, François de Sagarre entra dans la
magistrature roussillonnaise en 1648.
«Moins d'un an après, raconte M. le chanoine
Torreilles, Sagarre avait donné la mesure de ce dont il
était capable. Chargé d'instruire des
procès criminels de conspiration, il frappa vite et
ferme, au grand désespoir de Fontanella, arrêtant
et mettant à la torture femmes et enfants, gentilshommes
el bourgeois. Sa réputation d'homme à poigne
était si bien établie que, lorsque la politique de
concessions (prônée par Fontanella) eut
donné ses fruits en amenant la révolte de la
Catalogne et la perte de Barcelone, le maréchal de La
Mothe, vice-roi de Catalogne, alla à lui comme à
un sauveur.» Une ordonnance que Lamothe-Houdancourt avait
donnée au mois d'avril 1652 avait enjoint à
François de Sagarre d'affecter les fonds de la
Procuration royale de Roussillon et de Cerdagne à
l'entretien de l'armée française qui allait au
secours de Barcelone. En même temps, toutes les donations
de biens faites antérieurement par le gouvernement
français furent supprimées, et François de
Sagarre reçut mission de se rendre en Roussillon pour
concentrer entre ses mains tous les produits. François de
Sagarre s'acquitta si bien de ses fonctions qu'il mérita
la confiance du Gouvernement. Il fut revêtu de la charge
de vice-gouverneur du Roussillon en 1653 et pourvu, peu de temps
après, de rentes sur les biens confisqués de
François ça Cirera et de dona Françoise, sa
mère. Louis XIV le gratifia en même temps d'une
pension de trois mille livres.
Durant le mois de septembre 1653, les espagnols qui avaient
envahi la Cerdagne et le Conflent vinrent mettre le siège
devant Prades. «Les villages pillés par l'ennemi
après la victoire, dit M. le chanoine Torreilles,
étaient souvent incendiés après la
défaite, et quand arrivaient nos troupes triomphantes, ce
n'étaient que vexations et déprédations
sans fin, sous prétexte de trahisons à venger ou
à prévenir. Sagarre crut de son devoir
d'intervenir. Il se jeta dans le Conflent, autant pour imposer
aux chefs de corps et contenir par eux les soldats que pour
surveiller les suspects de trahison. Il paya tant et si bien de
sa personne, qu'il se trouva assiégé dans Prades
et faillit être pris.» Le somaten
général des villages du Roussillon fut
levé. On réalisa des efforts énormes pour
arracher François de Sagarre aux espagnols, qui en
voulaient particulièrement à sa vie.
Un an plus tard, François de Sagarre fut nominé
gouverneur des comtés de Roussillon et de Cerdagne, en
remplacement de Thomas de Banyuls, qui s'était mis
à la tête d'une conspiration pour favoriser le
parti espagnol. Les lettres-patentes de Louis XIV qui le
nommèrent à cette importante charge étaient
datées du 27 avril 1654. Le 24 du mois de juin suivant,
le roi de France écrivit personnellement à
François de Sagarre pour «le remercier de ses
services et le nommer juge de toutes les contestations au sujet
des personnes qui seront déclarées avoir
embrassé le parti des ennemis». Le régent de
la Royale-Audience, Fontanella, entreprit, en 1657, une campagne
de dénonciations contre le gouverneur du Roussillon.
François de Sagarre fut accusé de concussion. Le
prince de Conti, alors vice-roi de Catalogne, accueillit le
projet d'un débat public devant le Conseil royal de
Catalogne pour vider toutes les accusations qui pesaient sur le
gouverneur du Roussillon. Le duc de Mercoeur, son successeur,
trouva inopportun ce procès, et tout débat fut
alors suspendu. Le 5 octobre 1658, Fontanelia envoya, à
l'adresse de Mazarin, un volumineux mémoire
réclamant justice contre les agissements de
François de Sagarre. Cinq jours après, le
régent de la Royale-Audience adressa au duc de Mercoeur
un autre mémoire, contenant vingt-cinq chefs d'accusation
contre le gouverneur du Roussillon. Le docteur Marti, conseiller
à la Royale-Audience, invoqua la raison d'Etat et le
procès fut clos. Le 3 novembre 1660, François de
Sagarre fut nommé second président à
mortier du Conseil souverain du Roussillon.
Ce magistrat consacrait ses loisirs à l'étude de
la chimie. Des bruits malveillants circulèrent alors dans
Perpignan. On prétendait que François de Sagarre
se livrait à ce genre d'études scientifiques dans
le seul but de fabriquer de la fausse monnaie. Les échos
de ces accusations arrivèrent jusqu'à Paris. Le 12
mars 1666, Louvois écrivit une lettre à
l'intendant de Macqueron, par laquelle il le chargeait d'engager
le président du Conseil souverain «à
s'abstenir de travailler à la chimie et à renvoyer
de chez lui un nominé Joseph, italien d'origine».
Malgré les recommandations du ministre, Sagarre ne
renonça point à ses expériences
scientifiques. Une autre lettre de Louvois, adressée le 6
février 1672 à l'intendant Carlien porte qu'il
serait «bien ayse de sçavoir, simplement par
curiosité, si la machine du sieur de Saint-Jean, qui a
été dressée, de concert avec le dit sieur
Sagarre, chez don Alexis de Sentmanat, pour faire l'eau
mercurialle et l'huile de talque aura reussy».
Au mois d'août 1667, François de Sagarre
accompagna dans le haut Conflent le duc de Noailles, qui allait
combattre les paysans révoltés contre
l'impôt de la gabelle. Sa présence en imposa aux
rebelles. Sagarre fit arrêter les suspects, les jugea et
les frappa sur place. En 1668, il fut nommé commissaire
général des domaines du roi en Roussillon. Louis
XIV lui fit donation, en 1671, des biens du roussillonnais Louis
Canta, considéré comme rebelle. François de
Sagarre présida les débats où de nombreux
roussillonnais, impliqués dans l'affaire des
conspirations de 1674, furent soumis à la torture ou
condamnés à la décapitation.
Les dernières années du président Sagarre
furent attristées par des malheurs domestiques. Le 4 mai
1679, il perdit son épouse, Françoise de Sagarre y
Ferrer, qui fut inhumée dans la chapelle du
Saint-Sépulcre, à l'église de la
Réal de Perpignan. De l'union qu'il avait
contractée avec celle-ci, François de Sagarre
avait eu trois fils : Polycarpe, François, Joseph, et
deux filles : Isabelle, qui devint prieure des chanoinesses de
Saint-Sauveur, et Monique qui épousa Antoine Sadorne,
docteur en droit de Perpignan. Polycarpe, le fils
aîné du président Sagarre, descendit dans la
tombe avant son père, le 14 octobre 1680. Il avait
épousé Anne Albert, née en 1649, fille de
Philippe Albert, seigneur de Millas, qui lui donna deux filles,
Françoise et Thérèse, et un fils, Antoine,
décédé sans descendance. Le second fils du
président Sagarre, appelé Joseph, capitaine
d'infanterie au Royal-Roussillon, mourut aussi sans
postérité. Pour perpétuer le nom de la
famille, François, le plus jeune des enfants de
François de Sagarre, prieur de Corneilla-du-Conflent,
quitta l'état religieux et épousa, en 1687, Claire
Terrats, veuve de Joseph Comes, docteur en droit. Celle-ci
mourut le 27 août 1695, n'ayant eu qu'une fille, Claire,
tandis que son mari la suivit dans la tombe deux ans plus tard
(décembre 1697). En 1704, Jean d'Oms demanda la main de
Claire de Sagarre. Les parents s'étant opposés
à cette union, Chamillard écrivit, le 7 mars de
cette année, à l'intendant Etienne de Ponte
d'Albaret : «Le Roy a qui j'en ay rendu compte m'a
ordonné de vous faire sçavoir que S. M. trouvera
bon que vous donniez toute la protection que vous pouvez au s.
d'Oms le fils et à la demoiselle Sagarre pourveu qu'il ne
soit point question de l'authorité de S. M.». Le
mariage eut lieu. Un fils et deux filles naquirent de l'union de
Jean d'Oms (voir ce nom) et de Claire de Sagarre. Le
président François de Sagarre mourut dans le cours
du mois de novembre de l'année 1688.