Raymond de Sa Guardia (fin XIIIe-déb. XIVe s.)

Templier du Mas-Deu, membre de l'illustre famille de Pinos, père de Pons de Guardia, seigneur de Canet, il fut reçu Templier à Saragosse en 1271 et nommé précepteur du Mas-Deu en 1292. On le retrouve en Roussillon, comme témoin du testament du roi Jacques Ier de Majorque, fait dans la chapelle royale du château de Perpignan, le 6 février 1306 ; il se rendit ensuite en Catalogne, où il se trouvait encore avec son titre de commandeur du Mas Deu, lors de l'arrestation des Templiers, et en qualité de lieutenant du Maître du Temple pour la province d'Aragon.

En Catalogne, tous les membres de l'Ordre s'étaient préparés à la résistance et frère Raymond Sa Guardia, se trouvant au château de Miravet, reçut, le 20 janvier 1308, une lettre du roi d'Aragon qui lui enjoignait de comparaître avec tous ses subordonnés devant le concile de Tarragone. Ils refusèrent de se présenter et se retirèrent dans divers châteaux où ils se fortifièrent. Le 16 mai, le roi d'Aragon écrivit de nouveau pour intimer aux Templiers qui se défendaient dans le château de Miravet d'avoir à se soumettre au jugement de l'inquisiteur. Raymond Sa Guardia répondit que ses frères et lui se soumettraient volontiers à la résolution que prendrait le Pape si, avec le conseil de ses cardinaux, il supprimait l'ordre du Temple et leur mandait d'entrer dans un autre : mais ils refusaient toute obéissance si on les accusait d'hérésie, parce que, dans ce cas, ils préféraient mourir les armes à la main. Un mois plus tard, tous les châteaux des Templiers étaient soumis. Quant à Raymond Sa Guardia, une lettre du roi en date du 20 décembre 1308 lui permit d'abord de rester prisonnier dans le château de Miravet, mais il fut bientôt conduit à Lérida, puis ramené une seconde fois à Miravet et enfin à Barcelone. Le roi de Majorque réclama son extradition et, conformément à cette demande, frère Raymond écrivit au Pape et au roi d'Aragon pour être conduit en Roussillon. Sa lettre au Pape est datée de Barcelone, le 7 juin 1309. L'autorisation apostolique lui fut expédiée d'Avignon le 8 août suivant, et peu de temps après, le Commandeur du Mas Deu rentrait dans cette ferté où ses anciens subordonnés, devenus ses compagnons d'infortune, attendaient depuis deux ans leur jugement.

Château de Miravet
© Agnès Vinas

Château de Miravet
© Agnès Vinas

Le 20 janvier 1310, le Précepteur du Mas Deu parut devant la commission chargée de juger les Templiers. Il déclara s'appeler frère Raymond de Guardia, chevalier, Précepteur de la maison du Mas Deu, de l'ordre de la chevalerie du Temple, au diocèse d'Elne. Comme pour les autres frères, on lui expliqua toutes les questions «en langue vulgaire». La première était ainsi conçue : «Quoique l'ordre du Temple prétende avoir été saintement institué et approuvé par le Siège Apostolique, cependant chaque membre, lors de sa réception, ou peu après et aussitôt qu'il peut en trouver le moyen, renie le Christ, quelquefois le crucifix, Jésus, Dieu, la Sainte Vierge ou tous les saints et saintes de Dieu, selon les instructions ou injonctions de ceux qui l'ont reçu. - Tous ces crimes, dit-il, sont et me semblent horribles, extraordinairement affreux et diaboliques. - Ne disent-ils pas que le Christ est faux prophète ? - Je ne crois pas pouvoir être sauvé, si ce n'est par Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est le vrai salut de tous les fidèles, qui a souffert la passion pour la rédemption du genre humain et pour nos péchés, et non pas pour les siens, car il n'a jamais péché et sa bouche n'a jamais menti. - Ne font-ils pas cracher sur la croix et ne la foulent-ils pas aux pieds ? - Jamais. C'est pour honorer et glorifier la très sainte croix du Christ et la passion que le Christ a daigné souffrir en son très glorieux corps pour moi et pour tous les fidèles chrétiens, que je porte, ainsi que les autres frères chevaliers de mon ordre, un manteau blanc sur lequel est cousue et attachée la vénérable figure d'une croix rouge, en mémoire du sang à jamais sacré que Jésus-Christ a répandu pour ses fidèles et pour nous sur le bois de la croix qui vivifie. J'ajoute que, tous les ans, le jour du Vendredi-Saint, les Templiers viennent sans armes, la tête et les pieds nus, pour adorer la croix, à genoux devant elle. C'est ce que font aussi, chaque année, tous les frères de l'ordre, aux deux fêtes de la Sainte-Croix des mois de mai et de septembre, en disant : Nous t'adorons, Christ, et te bénissons, toi qui par ta sainte croix as racheté le monde. Seulement, dans ces deux fêtes de la Sainte-Croix, ils ne viennent pas l'adorer les pieds nus». Interrogé sur les déréglements de moeurs dont l'ordre était accusé, il les repoussa avec la plus vive énergie. «Selon les statuts du Temple, s'écria-t-il, celui de nos frères qui commettrait un péché contre nature, devrait perdre l'habit de notre ordre ; les fers aux pieds, la chaîne au cou et les menottes aux mains, il serait jeté à perpétuité dans une prison pour y être nourri du pain de la tristesse et abreuvé de l'eau de la tribulation tout le reste de sa vie». Il repoussa de même toutes les autres accusations du questionnaire, et s'expliqua ainsi sur sa réception. «Ce fut frère Pierre de Montcada, alors maître ou précepteur en Aragon et Catalogne, qui me reçut en qualité de frère de l'ordre du Temple, dans la chapelle de la maison de Saragosse, le dimanche après la fête de saint Martin, il y a environ trente-cinq ans, en présence et avec l'assistance de Guillaume de Miravet, de G. de Montesquiu, d'Arnald de Timor, de Raymond de Montpavo, frères du Temple, et de plusieurs autres frères du même ordre aujourd'hui décédés».

Quant au mode de sa réception, il l'exposa dans les termes déjà employés par Barthélemy de la Tour, et il déclara qu'il s'y était conformé, comme précepteur du Mas Deu, pour tous les frères par lui reçus dans la chapelle de cette maison. Peu de temps après, l'archevêque de Tarragone déclara Raymond de Guardia absous et innocent de tous les crimes qui lui étaient imputés, et il lui assigna une pension viagère, à partir du 15 octobre 1313. Depuis cette époque on ne trouve aucune trace de l'existence de l'ancien commandeur du Mas Deu. Pons de Guardia, frère cadet de Raymond, fut le père de Raymond et de Guillaume de Canet.

Alart, Suppression de l'ordre du Temple en Roussillon. - Abbé J. Capeille, Précis historique sur la seigneurie de Llo.