Joseph Tastu (1787-1849)

Il naquit à Perpignan, le 22 août 1787. 11 était fils de Pierre Tastu, imprimeur du roi et du clergé. Placé au collège communal de Perpignan, il y fit ses études en compagnie de François Arago et de ses frères ; mais il ne tarda pas à le quitter pour devenir, quoique très jeune encore, l'associé de son père.

En 1814, désireux de compléter la première éducation qu'il avait reçue à Perpignan et d'étudier par lui-même les progrès de la typographie, il partit pour Paris. Là, il s'attira bientôt l'estime de beaucoup d'hommes éminents de ce temps, des Etienne, des Jouy, des Ségur, des Chateaubriand, etc. C'est à cette époque qu'il dirigea l'impression d'un mémoire du général Carnot au roi Louis XVIII, contre le ministère du duc de Richelieu. Mais la vente de cet ouvrage ayant été interdite, Tastu le plaça chez les libraires et chez ses amis. Ce fut d'abord par l'intermédiaire de Jalabert, député des Pyrénées-Orientales, qu'il rendit compte au général de la vente de son livre. Plus tard, il devint lui-même l'éditeur et l'ami du grand Carnot. Tastu collabora tour à tour aux journaux de l'opposition, ou des «indépendants» comme on disait alors, au Constitutionnel et au Nain jaune. Il fonda un nouveau journal, La Renommée, qui, saisi la nuit par la police royale, ne parut que vingt-cinq fois. Plus tard, il fut mis, par le parti des indépendants, à la tête du Diable boiteux qui avait remplacé le Nain jaune. Mais cette feuille ne tarda pas, elle aussi, à périr sous les coups de la censure, dont le Dr Cayrol, médecin intime du ministre Decazes, avait éveillé les soupçons. Enfin, il géra le Mercure galant, recueil politique et littéraire qui fut le précurseur de la Minerve.

En 1816, Joseph Tastu épousa Amable Voïart, née à Metz le 31 août 1711, fille de Philippe Voïart, ancien administrateur des vivres à l'armée de Sambre-et-Meuse, et de Jeanne-Amable Bouchotte, soeur du ministre de ce nom. Celle qui devait rendre célèbre le nom de Tastu s'essayait déjà aux compositions poétiques ; elle venait d'avoir vingt-et-un ans. Aussitôt après son mariage, Tastu revint à Perpignan reprendre la direction de l'imprimerie de son père. Mais en 1819, l'imprimerie libérale des frères Beaudouin fut mise en vente. Tastu vit là une occasion de revenir à Paris, qu'il avait quitté à regret. Il songeait, d'ailleurs, à la gloire future de sa femme, dont le talent littéraire serait resté ignoré au fond de la province. Il acheta donc l'imprimerie de la rue de Vaugirard. Le monde lettré se dirigea vers le nouvel établissement, réformé et agrandi par Tastu. Ses publications furent des chefs-d'oeuvre de bon goût. On peut en juger par le premier Recueil de poésies de Mme Amable Tastu, que son mari édita avec le plus grand soin. La beauté des vers du poète, qui était désormais une des premières femmes écrivains de l'époque, était rehaussée, pour ainsi dire, par le luxe de l'impression.

Par une lettre en date du 28 octobre 1817, Joseph Tastu avait proposé à Villiers de Terrage, préfet des Pyrénées-Orientales, de vendre au département des tableaux du peintre Rigaud qui se trouvaient à Choisy-le-Roi, dans la galerie de Voïart, son beau-père. L'offre ne fut pas acceptée ; mais en 1820, le nouveau préfet des Pyrénées-Orientales, le marquis Ferdinand de Villeneuve-Bargemont, qui s'intéressait à la création du Musée de la ville de Perpignan, fit l'acquisition, au nom du département, des deux toiles de Rigaud reproduisant les traits du cardinal de Bouillon et ceux de l'artiste. Ces deux tableaux coûtèrent 6000 francs. Joseph Tastu fit spontanément donation au Musée d'un troisième tableau comme complément du marché. Cette dernière toile, oeuvre de Charles Maratti, représente une Vierge. Joseph Tastu offrit au préfet de vendre également au département, pour la somme de 2000 francs, deux autres toiles de Rigaud qu'il avait, disait-il, sous la main. C'étaient les portraits de l'intendant Philibert Orry et de la mère de Rigaud. Cette proposition n'eut pas de suite.

Ce n'est pas uniquement à des oeuvres littéraires que l'imprimerie parisienne de Joseph Tastu donna le jour. L'ancien rédacteur du Nain jaune et de La Renommée mit ses presses au service du parti libéral dont il avait été un des plus fermes soutiens de 1814 à 1816. Aussi entreprit-il des publications politiques qui, si elles ne furent pas toujours pour lui de bonnes affaires financières, vengèrent souvent les Libéraux de la Restauration et contribuèrent à amener les journées historiques de Juillet. Il lutta contre les lois d'exception des Bourbons, et c'est des presses de Tastu que sortirent tous les écrits les plus avancés de l'opposition, depuis les discours du général Foy, de Benjamin Constant, Sebastiani, etc., jusqu'au fameux mémoire du comte de Montlosier. C'est encore lui qui publia les mordantes satires la Villéliade et la Corbiéréide de Barthélemy et de Méry. A la mort du général Foy (1825), Tastu et les libraires Beandouin achetèrent à sa famille l'Histoire des guerres de la Péninsule. Le général Foy, après avoir été le héros des campagnes de 1812, avait voulu en être l'historien. Mais ces mémoires étaient malheureusement inachevés, et le projet de publication dut être abandonné. Tastu ne réclama pas les 50.000 francs que lui avait coûtés le manuscrit. Il ajouta cette somme à la dotation qu'on fit à cette époque aux enfants du général.

Mais les entreprises désintéressées de Tastu avaient considérablement ébréché sa fortune. La crise commerciale qui suivit la révolution de Juillet acheva de le ruiner. Il se hâta de liquider et se retira des affaires après avoir tout payé. Il ne lui resta qu'une riche collection de livres espagnols, portugais, italiens et vieux français, qu'en admirateur passionné de l'ancienne littérature des peuples romans il s'était plu à amasser. Tastu eut dès lors une existence remplie de tristesses. Seul, le dévouement de sa femme, qui dut composer des ouvrages de vulgarisation pour subvenir aux besoins de sa famille, le consola des malheurs qu'il venait d'éprouver. A partir de cette époque, Tastu s'adonna entièrement aux travaux de philologie et de bibliographie romanes. Roussillonnais par la naissance, il n'avait pas oublié la langue de ses ancêtres, et il aimait à fouiller l'histoire de leur littérature jusqu'alors inconnue. Dès 1833, Tastu avait écrit à Raynouard pour lui exposer ses projets. De 1833 à 1837, il collabora aux travaux du secrétaire perpétuel de l'Académie française. Cependant, celui-ci ne l'a pas nommé une seule fois dans ses divers ouvrages. Toutefois, de l'autre côté des Pyrénées, ses études et sa collaboration au Dictionnaire de Torres-Amat lui valurent, sans qu'il l'eût recherché, l'honneur d'être nommé, à l'unanimité, correspondant de l'Académie d'Histoire de Madrid, correspondant de l'Académie des Buenas-Letras de Barcelone, correspondant de l'Académie des Sciences et des Arts de Majorque. Enfin, Tastu fit un voyage dont il caressait le rêve depuis longtemps. Il parcourut pendant quinze mois (mars 1837 à juin 1838) les provinces espagnoles de la Catalogne et des îles Baléares, pour y compléter ses travaux sur les langues néo-latines. Il voyagea à ses frais. Il reçut toutefois, du ministre Salvandy, sur le rapport de Fauriel, une gratification de 1500 francs, alors qu'il dotait l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de fac-similés d'inscriptions, de bas-reliefs, d'objets précieux provenant de ruines du temps d'Auguste, enfin de plusieurs monuments de l'art antique inconnus jusque là en France. Tastu devait être encore chargé d'administrer la bibliothèque du ministre de l'Instruction publique. Mais pendant qu'il courait l'Espagne, ses services furent oubliés et un individu fort appuyé fut nommé, à sa place, bibliothécaire du ministère. Quant à lui, il fut colloqué pour ses peines à la bibliothèque Sainte-Geneviève, où se conserve le Breviarium Elnense, premier livre imprimé à Perpignan par Rosembach en 1500, afin d'y distribuer, pendant cinq jours et cinq nuits consécutifs par semaine, des volumes de curiosité. Des trois voyages qu'il fit en Espagne, - toujours à ses frais, - Tastu rapporta des documents très importants pour l'histoire et la littérature de la Catalogne et de l'Espagne. Il commença une série d'études très approfondies sur ces matières, études qu'avec un désintéressement peu ordinaire il communiqua à diverses reprises à des savants tels que Raynouard, Fauriel et Guessard.

Malheureusement, la mort vint le surprendre au moment où il se préparait à publier ses travaux. Il mourut le 2 janvier 1849, sans avoir pu achever la tâche qu'il avait entreprise, ni donner au public ces éditions d'auteurs, ces grammaires et ces glossaires, qui auraient imprimé une si grande impulsion à l'étude des langues romanes. Joseph Tastu n'a livré à la publicité que les oeuvres suivantes : Los contrabanders, traduction catalane des Contrebandiers de Béranger, Paris, 1833 ; Poème sur la bataille de Lépante de Joan Pujol, avec commentaire et notes ; L'Empereur Napoléon, tableaux et récits, 1837, in-8° ; Mémoire sur la littérature catalane, dans les Notices et extraits des manuscrits, tome XIV ; Notice d'un atlas en langue catalane, ms. de l'an 1375, conservé parmi les mss. de la Bibliothèque royale, 1841. Les oeuvres manuscrites de Joseph Tastu ont été déposées à la Bibliothèque Mazarine, à Paris.

Hoefer, Nouvelle biographie générale. - Crouchandeu, Catalogue raisonné des objets d'art et d'archéologie du Musée de Perpignan. - Amédée Pagès, Notice sur la vie et les travaux de Joseph Tastu, Montpellier. 1883.