Notice nécrologique d'André Bonnery

Pierre Ponsich nous a quittés le 23 décembre 1999 après 87 ans d'une existence passée, pour la majeure partie, dans son Roussillon d'origine. Il était né, en effet, à Perpignan, le 14 Février 1912, d'une famille issue de Millas. Tous ceux qui l'ont connu et ont apprécié son immense érudition sur les questions touchant à l'histoire des Pays catalans et, notamment, de la Catalogne Nord, mesurent la perte causée par sa disparition. Ses amis avaient bien conscience qu'en dépit de 178 articles et contributions à divers ouvrages scientifiques, Pierre Ponsich n'avait pas livré la totalité de son savoir et de ses réflexions et ils souhaitaient le voir donner toujours plus.

Ses connaissances, il les avait acquises grâce à une bonne formation de base dans des établissements de Toulouse et de Lyon, puis à la Sorbonne où il entreprit des études supérieures en histoire ; il fréquenta aussi l'Ecole des Chartes et l'Ecole Pratique des Hautes Etudes où il fut particulièrement marqué, disait-il, par les cours d'Albert Grenier. La guerre mit hélas un terme à sa faim de savoir et à sa grande curiosité intellectuelle, mais la graine avait été semée, elle ne demandait qu'à fructifier.

Son premier article scientifique, il l'écrivit pour le Bulletin de la Société Agricole Scientifique et Littéraire des Pvrénées Orientales, en 1944 : Sépultures halstattiennes en Roussillon. Il était le premier d'une longue série de publications que seule la mort interrompit. Sa fille Claire en a donné la liste exhaustive dans les Etudes roussillonnaises dont il fut le fondateur en 1950 et le refondateur, après une période d'interruption, en 1986.

Membre de la Société Agricole Scientifique et Littéraire, il honora son bulletin de six articles portant sur des questions d'histoire locale. C'est à ce titre également qu'il adhéra à l'Union des Centres d'Etudes Transpyrénéens qui regroupe les Sociétés Savantes des deux versants des Pyrénées. Il participa au premier colloque de Nuria et présenta une belle étude sur Wifred le Velu et ses frères qui fut publiée dans les Actes du colloque en Septembre 2000. En me confiant son manuscrit, il me disait qu'il considérait cette étude comme la synthèse définitive d'une série de recherches sur la généalogie des comtes catalans à laquelle il avait consacré beaucoup d'énergie.

L'histoire de la Catalogne et, notamment, de ses origines, était sa passion. Ceux qui l'écoutaient parler des comtes catalans avaient l'impression qu'il évoquait la vie et l'histoire des siens, tant il semblait vivre de l'intérieur les événements dont il parlait. Son épouse Hélène confiait volontiers avec humour, qu'il connaissait mieux la généalogie des fondateurs de la nation catalane que celle de sa propre famille. La compétence de Pierre Ponsich était largement reconnue par les meilleurs historiens de la Catalogne-Sud. Il n'était que de voir l'accueil qui lui fut réservé au colloque de Nuria. Ses mérites de scientifique lui valurent d'être honoré de la Croix de Sant Jordi, distinction dont il était justement fier, et d'être nommé membre correspondant de l'Institut d'Estudis Catalans. En raison de ses qualités d'historien, il fut invité à entrer dans le Comité de rédaction de la Catalunva romanica, magnifique encyclopédie en XXV volumes. Il participa à la rédaction quasi exclusive du tome XIV consacré au Roussillon (1993) et à une grande partie du tome XXV, Vallespir, Fenouillèdes (1996). Il participa, pour près de 300 pages, au premier tome des Pays catalans, sous la direction de Jean Sagnes (1985) ainsi qu'au t.II, en collaboration avec Jean Abelanet et à l'Histoire de Perpignan, sous la direction de Ph. Wolff (éd.Privat). Il rédigea aussi une partie de la Gran geografia comarcal sous la direction de Max Calmer.

Pierre Ponsich, véritable scientifique, très rigoureux dans ses recherches et ses publications, était aussi un esprit curieux dont la compétence ne se limitait pas à un domaine précis. Chose rare, il était capable de parler avec une grande précision, aussi bien de retables baroques du XVIIIème siècle, que d'architectures gothiques ou de questions touchant à la pré-histoire. Mais il avait une prédilection pour les époques pré-romanes et romanes. C'est sans doute cette passion pour l'art roman et préroman qui l'avait conduit à fonder, avec Pierre Respaut, André Delteil et Marcel Durliat, les Journées romanes qui ont donné lieu, depuis 1970, à la belle série des Cahiers de Saint-Michel de Cuxa dans lesquels il écrivit 34 articles. Animateur infatigable des Journées romanes, à quatre vingt ans passés, il entraînait sur les routes et les chemins accablés de soleil, du Roussillon, du Languedoc ou de la Catalogne-Sud, la cohorte de congressistes, souvent bien plus jeunes que lui, qui parvenaient à peine à le suivre.

Pierre Ponsich n'était pas seulement un homme de science dont l'expression se limitait à l'écriture. C'était aussi un homme de passion qui savait faire partager son large savoir, un homme de coeur qui recevait quiconque s'adressait à lui et qui donnait largement ce qu'il possédait. Cette passion l'a conduit naturellement à s'engager dans la défense et la promotion du patrimoine roussillonnais. Il le fit au titre de Conservateur des Antiquités et Objets d'Art des Pyrénées Orientales, poste auquel il fut promu en 1963. Il le fit également en tant que membre de la commission diocésaine d'Art sacré. Les services qu'il rendit au sein de cet organisme lui valurent le titre de Chevalier de l'Ordre de Saint Grégoire. Constatant les limites de son action institutionnelle et voulant toujours mieux pour la cause du patrimoine, il fonda l'Association de Sauvegarde du Patrimoine Artistique et Historique Roussillonnais. Au sein de cette association il créa l'atelier de restauration des oeuvres non classées, financé par le Conseil Général. Cette initiative admirable et exemplaire a permis la protection d'un grand nombre de retables baroques et d'oeuvres d'art qui, sans une intervention urgente, étaient promis à la disparition ou à des dégradations irrémédiables.

Faisant passer l'intérêt premier du patrimoine avant le sien propre, il n'hésita pas à consacrer son temps et son énergie à conseiller les propriétaires ou les institutions, à les persuader de protéger monuments, sites et objets d'intérêt artistique ou archéologique. C'est ainsi qu'on lui doit, entre autres, des interventions décisives pour la restauration du cloître-cimetière de la cathédrale Saint-Jean (le Campo-Santo), la préservation de Saint-Jean le Vieux, la conservation des vestiges de l'église des Carmes, la récupération de l'église des Dominicains, le sauvetage de l'église Notre-Dame des Anges, la dénonciation de l'enlèvement des fresques de Cazenoves, le retour du cloître de Saint-Génis-des-Fontaines, la mise au jour des vestiges de la chapelle de la Trinité, oeuvre de l'abbé Oliba, à Cuxa, la découverte et la mise en place de la table d'autel de Saint-Michel de Cuxa, consacrée en 974, sous l'abbatiat de Garin. Ses interventions énergiques, dès lors qu'il s'agissait de protéger un bien communal, lui attirèrent des inimitiés, mais il n'en avait cure, il n'écoutait que son sens du devoir.

Pierre Ponsich nous a quittés, c'est au savant, à l'homme de courage et de coeur, soucieux de la défense du patrimoine roussillonnais, que la Société Agricole Scientifique et Littéraire veut rendre hommage. La Catalogne en général, le Roussillon en particulier, qui possède un immense patrimoine artistique, peuvent être reconnaissants pour son action efficace, dévouée et désintéressée, en faveur de la connaissance et de la protection du bien commun.


© André Bonnery
© S.A.S.L. des P-O.
Cette notice nécrologique a été publiée in A travers l'Histoire du Roussillon, pp.397-400, CVIIIe volume de la SASL, 2001.