(Ekkuklêma) D'après la définition du scholiaste d'Aristophane, confirmée et précisée par d'autres textes, ce mot désignait une machine en bois, mobile sur des roues, qui faisait paraître aux yeux des spectateurs, dans les représentations théâtrales, ce qui se passait dans l'intérieur d'une maison. La nécessité pratique de ce mécanisme s'explique par la disposition de la scène antique, où le décor du fond représentait toujours l'extérieur et non l'intérieur d'un édifice. Elle répond encore à l'une des règles de goût que s'est imposées le théâtre grec, de ne mettre sous les yeux des spectateurs que le résultat des actions violentes, et non pas ces actions elles-mêmes. Lorsqu'un meurtre avait été commis derrière la scène et que le poète croyait devoir amener sur le devant, c'est-à-dire montrer au public, le corps de la personne immolée, il avait recours à cette scène mobile pour le faire paraître au milieu des acteurs et pour le ramener plus tard en arrière. Il n'aurait pas suffi pour cela d'ouvrir une des portes du fond, car le spectacle auquel le texte fait allusion n'eût été visible que d'une partie de l'enceinte. L'ekkuklêma est donc une convention théâtrale qui répond, par son objet, aux changements de décor du théâtre moderne, lorsque la scène est reportée de l'extérieur à l'intérieur d'une habitation.

Généralement, l'action de l'ekkuklêma était annoncée par le choeur où l'un des personnages, qui faisait aussi remarquer aux spectateurs l'ouverture subite de la porte qui donnait passage à la machine ; parfois cependant ce dispositif était employé sans que le public en fût averti.

On a noté, dans les tragédies et les comédies qui nous restent, un certain nombre de passage où doit se placer le mouvement en avant de l'ekkuklêma. Outre des cadavres, on plaçait sur cette scène mobile les auteurs de meurtres commis à l'intérieur, comme Oreste, Oreste et Pylade, Ajax, Clytemnestre, Hercule ; au cours de la scène, ces personnages descendent de l'ekkuklêma et se mêlent aux autres. Nous citerons comme exemple l'Agamemnon d'Eschyle. Le choeur, composé de vieillards, se tient sur une place devant le palais royal lorsqu'il entend les cris poussés par le roi à l'intérieur ; les vieillards se consultent et, à la majorité de voix, décident de pénétrer dans la maison. Tout à coup (v. 1372) Clytemnestre, tenant une épée, paraît au-dessus des cadavres d'Agamemnon et de Cassandre. Evidemment, comme le choeur n'a pas pénétré dans le palais, ce qui l'aurait soustrait aux yeux des spectateurs, c'est la scène du meurtre elle-même qui, grâce à la manoeuvre de l'ekkuklêma, est venue se placer en avant de l'édifice. Dans les Choéphores (v. 977), le scholiaste indique nettement que la scène s'ouvre et que les cadavres d'Egisthe et de Clytemnestre paraissent sur l'ekkuklêma. Des mentions analogues sont fournies par le scholiaste de Sophocle. Dans les comédies d'Aristophane, l'ekkuklêma est d'un emploi fréquent. Dicéopolis vient frapper à la porte d'Euripide et lui dit que, puisqu'il est trop occupé pour sortir, il se lasse amener dehors par l'ekkuklêma. Dans les Nuées, les élèves de Socrate arrivent sur la scène dans l'ekkuklêma, tandis que leur maître paraît au-dessus, sur une petite scène formant balcon. La même machine est employée à deux reprises dans l'Assemblée des femmes, peut-être aussi dans les Chevaliers.

Il est généralement difficile de déterminer à quel moment se produit l'eiskuklêma, c'est-à-dire le retrait de la scène mobile ; dans l'Ajax de Sophocle, il faut placer ce mouvement avant le choeur final (v.596) ; Ajax a déjà demandé (v. 579) que l'on referme la tente.

Les détails techniques de l'ekkuklêma sont mal connus. Nous savons que c'était une machine portée sur des roues, assez élevée, munie d'un siège, et qu'il y en avait une devant chacune des portes de la scène, qui étaient censées donner accès à des habitations différentes. La manière dont l'ekkuklêma sortait d'une porte et évoluait, pour présenter au public les personnages qui y avaient pris place, est absolument une énigme pour nous ; en l'absence de tout renseignement, il vaut mieux renoncer à présenter des conjectures à ce sujet.

Pollux dit que l'exôstra est considérée comme identique à l'ekkuklêma ; mais comme, en terme d'architecture, le premier de ces mots signifie balcon, il est probable qu'on l'appliquait à une machine qui pouvait faire saillie d'une des ouvertures du mur de la scène au-dessus des portes, c'est-à-dire d'une des fenêtres de l'édifice que ce mur représentait. C'est peut-être ainsi que Médée apparaissait dans la tragédie d'Euripide (v. 1314). Nous avons signalé plus haut, dans les comédies d'Aristophane, quelques emplois probables de l'exôstra. Il n'est pas fait mention de l'ekkuklêma dans les renseignements que nous possédons sur le théâtre romain. Les changements de décor paraissent y avoir été très fréquents, peut-être par l'imitation d'une mode alexandrine de laquelle nous ne sommes pas informés ; l'on peut croire que les perfectionnements divers apportés à la machinerie théâtrale rendirent inutile à Rome l'expédient un peu naïf de l'ekkuklêma.

Un mécanisme à roulettes, analogue à l'ekkuklêma du théâtre, était quelquefois employé pour rendre mobiles les trépieds, les trônes et les grands plats contenant des mets. On trouve dans cette acception le verbe ekkuklein, mais non pas le substantif qui en dérive.


Article de Salomon Reinach