Les Atellanes étaient, chez les Romains, un genre de comédie populaire. Le grammairien Diomède dit qu'on leur a donné ce nom parce qu'elles ont pris naissance dans la petite ville d'Atella, située en Campanie, sur la route de Capoue à Naples ; aussi appelait-on osci ludi, oscum ludicrum, les jeux dans lesquels elles étaient représentées, et oscae personae les personnages qui y figuraient.
Malgré tous ces témoignages, M. Mommsen a tenu à donner aux Atellanes une origine entièrement latine, et il ne veut pas qu'elles se rattachent en rien à la nationalité osque. Pour expliquer le nom qu'elles portaient il prétend que la police du théâtre, qui voulait ménager la dignité romaine, ne permettait pas de placer la scène de ces sortes de farces à Rome ou dans l'une des cités latines, et qu'on supposait que l'action se passait toujours dans la petite ville d'Atella, qui, en 543, avait subi le même sort,que Capoue et n'avait plus d'existence légale. On entendait donc, selon lui, par Atellanes, non pas des comédies qui venaient d'Atella, mais des pièces où les Atellans étaient joués. Cette opinion n'est qu'une hypothèse, et, pour qu'elle fût vraisemblable, il faudrait commencer par établir que les Romains étaient si susceptibles, et qu'ils avaient fait un règlement formel pour défendre qu'on mît leurs ridicules sur le théâtre : c'est ce qui n'est dit nulle part. Il est donc plus sûr de s'en tenir, sur ce sujet, à l'opinion des écrivains de l'antiquité qui sont unanimes à prétendre que Rome avait emprunté les Atellanes à la Campanie.
Tite-Live raconte, probablement d'après Varron, à quelle occasion les Atellanes furent introduites à Rome. Dans les premiers temps, il n'y avait pas chez les Romains d'acteurs de profession ; la jeunesse représentait elle-même ces pièces grossières, mêlées de danse et de chant, qu'on appelait saturae et elle y prenait grand plaisir. Lorsqu'en 514 (240 avant J.-C.) Livius Andronicus fit connaître aux Romains le théâtre grec, où tout était combiné avec tant d'art, les jeunes gens laissèrent la représentation de ces pièces, qui demandait plus d'étude, à des artistes de métier, et continuèrent à jouer leurs saturae, qui prirent plus tard le nom d'exodia, sans doute parce qu'elles terminaient le spectacle [Satura, Exodium]. Seulement Tite-Live ajoute que «les exodes furent d'ordinaire mêlés aux Atellanes, genre de comédie que la jeunesse alla chercher chez les Osques (concerta fabellis potissimum Atellanis sunt)». Il y a, dans ces paroles, beaucoup d'obscurités qu'il faut essayer d'expliquer. Pourquoi la jeunesse éprouva-t-elle alors le besoin d'imiter un théâtre étranger ? Tite-Live ne le dit pas, mais il le laisse entendre. Il est probable que le goût public avait changé depuis Livius Andronicus, et que la connaissance des chefs-d'oeuvre de la Grèce, bien qu'imparfaitement traduits, rendait les spectateurs plus difficiles. Ils ne se seraient plus contentés de ces vieilles satires dont un art plus parfait leur avait révélé la faiblesse. Il fallut donc, non pas inventer, l'esprit romain n'était pas inventif, mais demander à quelque peuple voisin un genre de spectacle plus régulier et qui soutînt mieux le dangereux voisinage du théâtre grec ; c'est pour cela qu'on alla chercher l'Atellane dans le pays des Osques. Comment se fit le mélange des Atellanes et des exodes ? Tite-Live ne le dit pas non plus, et il est assez difficile de le savoir : on peut pourtant conjecturer que chacun des deux genres entrait pour une part dans les pièces nouvelles, puis-qu'on les désigne quelquefois d'un nom qui est formé de la réunion des deux autres : exodia atellanica. Dès ce moment, les Atellanes furent le divertissement favori de la jeunesse romaine. Pour se soustraire à la concurrence des histrions, elle leur défendit de jouer ces sortes de pièces, et voulut que ceux qui les représentaient ne fussent pas chassés de leur tribu ou exclus de l'armée, comme les autres acteurs. Festus ajoute qu'on ne pouvait jamais les forcer de quitter leur masque en public.
De ce nom d'osci ludi qu'on donnait aux Atellanes, quelques auteurs ont conclu qu'on y employait la langue des Osques ; et cette conjecture s'appuie d'un texte assez formel de Strabon. Cependant elle est tout à fait invraisemblable. Peut-on admettre, en effet, que dans un divertissement si populaire, fait uniquement pour exciter les rires de la foule, on se soit servi d'une langue étrangère, presque d'une langue inconnue ? Sans doute l'osque et le latin sortaient de la même source, mais ils s'étaient si bien séparés avec le temps que c'était devenu deux langues distinctes. Il reste un vers du poète Titinius, qui le dit formellement : Osce et volsce fabulantur, nam latine nesciunt ; et Tite-Live raconte que, pendant la guerre des Samnites, un général romain envoya espionner l'ennemi par des gens qui savaient l'osque, gnaros oscae linguae ; ce qui prouve que la plus grande partie des soldats ne le savaient pas. Enfin, dans les fragments assez nombreux que nous avons conservés des Atellanes, tout est écrit en excellent latin, et il serait assez difficile de croire que, si l'osque y avait tenu une grande place, il ne nous en fût pas resté un seul mot. On peut admettre tout au plus que quelques-uns des personnages de ces pièces employaient parfois des proverbes ou des plaisanteries de leur pays, et les redisaient dans leur langue. Peut-être aussi leur conservait-on un accent étranger pour égayer la foule, comme celui des paysans ou des Gascons de Molière. Ces derniers vestiges de leur nationalité et le souvenir de leur origine expliquent suffisamment qu'on ait donné aux Atellanes le nom de Jeux osques, puisque Cicéron appelle Jeux grecs ceux où l'on représentait des pièces imitées de Sophocle ou d'Eschyle, mais écrites en latin, par exemple, la Clytemnestre d'Attius et le Cheval de Troie de Livius Andronicus.
Ce qui faisait l'originalité des Atellanes et leur donnait un caractère particulier, c'était l'habitude d'employer certains personnages, toujours les mêmes, et qui représentaient des types populaires, Maccus, Bucco, Pappus, Dossennus, etc. Le nom de Maccus vient probablement du grec. On sait que Makkô signifie une femme ridicule, et qu'on se sert du verbe makkoan pour désigner un sot. Ce nom convient parfaitement au personnage : c'est un rustre, ayant avec excès tous les appétits les plus grossiers, grand mangeur, grand buveur, grand débauché, et par là entraîné sans cesse dans de désagréables aventures. Bucco, dont le nom indique assez le caractère, semble avoir été le parasite des Atellanes, mangeur et menteur, plus fin, plus avisé que Maccus. Nous savons que Pappus était appelé Casnar par les Osques et que c'était un vieillard avare et luxurieux. On le montrait à la recherche de son argent ou de sa femme que lui dérobent d'adroits esclaves et de jeunes débauchés, ou bien malade des suites de quelque orgie. Quant à Dossennus, il est probable que c'était le sage et le philosophe de la bande, mais un philosophe fort relâché, et qui donne de bien mauvais exemples à ses élèves. On suppose qu'il était représenté bossu, et qu'il devait son nom (Dorsennus) à cette difformité. A ces personnages principaux, on en pourrait joindre quelques autres, sortes de croque-mitaine, dont l'exhibition effrayait beaucoup les spectateurs, par exemple Manducus, qu'on représentait avec une bouche immense et de grosses dents qu'il faisait claquer, et Lamia du ventre de laquelle on tirait de petits enfants qu'elle avait dévorés.
L'existence de ces personnages, toujours les mêmes, avec leur caractère et leur costume traditionnels, qu'on reconnaissait dès qu'ils entraient en scène, qui faisaient rire avant d'avoir parlé, rendait, dans les Atellanes, l'invention du sujet extrêmement facile : il suffisait de les placer dans quelque situation de la vie qui fût opposée à leur caractère pour amener sans peine mille incidents comiques. Aussi l'Atellane a-t-elle été d'abord improvisée, comme le mime, comme toutes les comédies vraiment populaires. C'est seulement vers l'époque de Sylla qu'on s'avisa de les écrire, qu'au lieu de se fier à l'inspiration soudaine des acteurs, on régla et l'on combina soigneusement l'intrigue. Un passage de Velleius Paterculus semble dire que Pomponius de Bologne, qui vivait à cette époque, fut l'auteur de ce changement et qu'il lui fit beaucoup d'honneur. Novius, qui le suivit de près, s'il ne vivait pas en même temps que lui, partagea sa réputation. Ce furent deux écrivains très féconds : il nous reste plus de soixante titres de pièces du premier, et quarante-deux du second. Les fragments que nous en avons conservés nous montrent qu'ils mettaient volontiers sur la scène les petites gens, des laboureurs, des vendangeurs, des bouviers, des boulangers, et surtout des foulons, dont le métier paraît avoir fourni beaucoup à la verve des auteurs comiques. Ils leur faisaient parler leur langage, leur prêtant volontiers des équivoques indécentes et des expressions grossières.
«Je vais te toucher à la façon des paysans, dit un de ces personnages ; je ne sais pas le faire à celle des gens de la ville, at ego rusticatim tangam, urbanatim nescio». Aussi est-on fort surpris d'entendre Valère-Maxime nous dire que ce genre est tempéré par la sévérité italienne.
Une des particularités les plus curieuses des Atellanes, c'est que la politique n'en était pas tout à fait bannie. En y représentant ce qui se passait dans les élections des petites villes municipales qui entouraient Rome, il était aisé de s'y moquer de Rome même, des soucis et des infortunes des candidats, et des brigues honteuses qu'ils formaient pour réussir.
Cependant, malgré tous les efforts des Atellanes pour plaire au peuple, leur vogue ne fut pas très longue, Cicéron dit que, de son temps, le peuple les écoutait avec moins de plaisir, et qu'après la tragédie ce n'était plus une Atellane qu'on jouait, mais un mime. Il semble qu'on ait essayé plus tard de leur rendre une certaine popularité. Macule, parlant d'un écrivain nommé Memmius ou Mummius, dit «qu'il releva l'Atellane qui, après Novius et Pomponius, avait été longtemps sans honneur». On pense généralement, sans en avoir de preuve bien sûre, que ce Mummius vivait du temps de Tibère. Il est question, dans les historiens de cette époque, d'Atellanes dans lesquelles on ose railler les vices ou les crimes des empereurs. Les empereurs s'en vengèrent cruellement : Caligula fit brûler à petit feu un malheureux poète qui, à ce qu'il croyait, avait voulu le désigner dans un vers malin ; ce qui n'empêcha pas un peu plus tard Datus, un acteur d'Atellanes, de reprocher ouvertement à Néron son parricide sur la scène. L'intérêt que ces allusions politiques devaient donner aux Atellanes ne les rendit pourtant pas très populaires et Tacite nous dit «que le peuple y prend très peu de plaisir».
Ce n'est pas à Rome, où le mime et la pantomime occupaient exclusivement le théâtre, c'est dans les petites villes de l'Italie que l'Atellane conserva sa vogue. Nous savons par un passage de Juvénal qu'on continuait à l'y représenter. Aux jours de fête, on dressait au milieu de la place une scène de gazon, et tout le monde se pressait pour voir un antique exode, avec ses personnages bien connus, et surtout ce terrible Manducus qui faisait tant peur aux petits enfants. On suppose généralement que l'Atellane s'est maintenue dans les villages de l'Italie pendant les derniers siècles de l'empire, qu'elle a persisté même dans le moyen âge, et que c'est d'elle qu'est sortie cette comédie improvisée (commedia dell' arte) qui a été longtemps si chère aux Italiens. Cette comédie populaire a conservé, comme l'Atellane, ses personnages traditionnels, et l'on a cru retrouver Polichinelle dans Maccus, Pantalon dans Pappus et le Docteur dans Dossennus. Parmi les masques conservés de la comédie antique, ou les statuettes qui représentent des acteurs comiques, il en est qui semblent se prêter assez à ces suppositions. Nous avons reproduit plus haut quelques-unes de ces figures caractéristiques.
Article de G. Boissier