La petite Syrte et les autels des Philenes sur la carte de Peutinger - Edition en facsimile de Konrad Miller - 1887/1888



Salluste - Jugurtha, XIX

Igitur ad Catabathmon, qui locus Aegyptum ab Africa dividit, secundo mari prima Cyrene est, colonia Theraeon, ac deinceps duae Syrtes interque eas Leptis ; deinde Philaenon arae, quem locum Aegyptum vorsus finem imperi habuere Carthaginienses ; post aliae Punicae urbes. Cetera loca usque ad Mauretaniam Numidae tenent, proxumi Hispaniam Mauri sunt. Super Numidiam Gaetulos accepimus partim in tuguriis, alios incultius vagos agitare, post eos Aethiopas esse, dehinc loca exusta solis ardoribus.

En venant de Calabathmon, qui sépare l'Egypte de l'Afrique, la première ville qu'on rencontre le long de la mer est Cyrène, colonie de Théra, puis les deux Syrtes, et entre elles la ville de Leptis, ensuite les Autels des Philènes, qui marquaient la limite de l'empire des Carthaginois du côté de l'Egypte ; puis viennent les autres villes puniques. Tout le reste du pays, jusqu'à la Mauritanie, est occupé par les Numides. Très près de l'Espagne sont les Maures ; enfin, les Gétules au-dessus de la Numidie. Les uns habitent des cabanes ; les autres, plus barbares encore, sont toujours errants. Après eux sont les Ethiopiens, et plus loin, des contrées dévorées par les feux du soleil.

Salluste - Jugurtha, LXXIX

Sed quoniam in eas regiones per Leptitanorum negotia venimus, non indignum videtur egregium atque mirabile facinus duorum Carthaginiensium memorare ; eam rem nos locus admonuit. Qua tempestate Carthaginienses pleraque Africa imperitabant, Cyrenenses quoque magni atque opulenti fuere. Ager in medio harenosus, una specie ; neque flumen neque mons erat, qui finis eorum discerneret. Quae res eos in magno diuturnoque bello inter se habuit. Postquam utrimque legiones, item classes saepe fusae fugataeque et alteri alteros aliquantum attriueret. veriti, ne mox victos victoresque defessos alius aggrederetur, per indutias sponsionem faciunt, uti certo die legati domo proficiscerentur : quo in loco inter se obvii fuissent, is communis utriusque populi finis haberetur. Igitur Carthagine duo fratres missi, quibus nomen Philaenis erat, maturauere iter pergere, Cyrenenses tardius iere. Id socordiane an casu acciderit, parum cognovi. Ceterum solet in illis locis tempestas haud secus atque in mari retinere. Nam ubi per loca aequalia et nuda gignentium ventus coortus harenam humo excitauit, ea magna vi agitata ora oculosque implere solet : ita prospectu impedito morari iter. Postquam Cyrenenses aliquanto posteriores se esse vident et ob rem corruptam domi poenas metuont, criminari Carthaginiensis ante tempus domo digressos, conturbare rem, denique omnia malle quam victi abire. Sed cum Poeni aliam condicionem, tantummodo aequam, peterent, Graeci optionem Carthaginiensium faciunt, ut vel illi, quos finis populo suo peterent, ibi viui obruerentur, vel eadem condicione sese quem in locum vellent processuros. Philaeni condicione probata seque vitamque suam rei publicae condonauere : ita viui obruti. Carthaginienses in eo loco Philaenis fratribus aras consecrauere, aliique illis domi honores instituti.

LXXIX. Puisque les affaires de Leptis nous ont conduit dans ces contrées, il ne sera pas hors de propos de raconter un trait héroïque et admirable de deux Carthaginois : le lieu même nous y fait penser. Dans le temps que les Carthaginois donnaient la loi à presque toute l'Afrique, les Cyrénéens n'étaient guère moins riches et moins puissants. Entre les deux Etats était une plaine sablonneuse, toute unie, sans fleuve ni montagne qui marquât leurs limites. De là une guerre longue et sanglante entre les deux peuples, qui, de part et d'autre, eurent des légions, ainsi que des flottes détruites et dispersées, et virent leurs forces sensiblement diminuées. Les vaincus et les vainqueurs, également épuisés, craignant qu'un troisième peuple ne vînt les attaquer, convinrent, à la faveur d'une trêve, qu'à un jour déterminé des envoyés partiraient de chaque ville, et que le lieu où ils se rencontreraient deviendrait la limite des deux territoires. Deux frères nommés Philènes, que choisit Carthage, firent la route avec une grande célérité ; les Cyrénéens arrivèrent plus tard. Fut-ce par leur faute ou par quelque accident ? c'est ce que je ne saurais dire ; car, dans ces déserts, les voyageurs peuvent se voir arrêtés par les ouragans aussi bien qu'en pleine mer ; et, lorsqu'en ces lieux tout unis, dépourvus de végétation, un vent impétueux vient à souffler, les tourbillons de sable qu'il soulève remplissent la bouche et les yeux, et empêchent de voir et de continuer son chemin. Les Cyrénéens, se trouvant ainsi devancés, craignent, à leur retour dans leur patrie, d'être punis du dommage qu'ils lui avaient fait encourir. Ils accusent les Carthaginois d'être partis de chez eux avant le temps prescrit ; ils soutiennent que la convention est nulle, et se montrent disposés à tout plutôt que de céder la victoire. Les Carthaginois consentent à de nouvelles conditions, pourvu qu'elles soient égales. Les Grecs leur laissent le choix ou d'être enterrés vifs à l'endroit qu'ils prétendaient fixer pour limites de leur pays, ou de laisser avancer leurs adversaires jusqu'où ils voudraient, sous la même condition. Les Philènes acceptent la proposition ; ils font à leur patrie le sacrifice de leurs personnes et de leur vie, et sont enterrés vifs. Les Carthaginois élevèrent sur le lieu même des autels aux frères Philènes, et leur décernèrent d'autres honneurs au sein de leur ville.

Traduction de Charles Durosoir,
Paris, Librairie Garnier (1865)


Pline l'Ancien - Histoire naturelle, V, 4

In intimo sinu fuit ora Lotophagon, quos quidam Machroas dixere, ad Philaenorum aras ; ex harena sunt hae.

Au fond du golfe, sur la côte, furent jadis les Lotophages, appelés quelques-uns Alachroens, jusqu'aux autels des Philènes ; ces autels sont en sable.

Traduction d'Emile Littré,
collection des auteurs latins sous la direction de Nisard, Paris, Firmin-Didot (1855)


Valère-Maxime - Des faits et des paroles mémorables, V, 6

Cum inter Carthaginem et Cyrenas de modo agri pertinacissima contentio esset, ad ultimum placuit utrimque eodem tempore iuuenes mitti et locum, in quem hi conuenissent, finem ambobus haberi populis. uerum hoc pactum Carthaginienses duo fratres nomine Philaeni perfidia praecucurrerunt, citra constitutam horam maturato gressu in longius promotis terminis. quod cum intellexissent Cyrenensium iuuenes, diu de fallacia eorum questi postremo acerbitate condicionis iniuriam discutere conati sunt: dixerunt namque sic eum finem ratum fore, si Philaeni uiuos ibi se obrui passi essent. sed consilio euentus non respondit: illi enim nulla interposita mora corpora sua his terra operienda tradiderunt. qui, quoniam patriae quam uitae suae longiores terminos esse maluerunt, bene iacent manibus et ossibus suis dilatato Punico imperio. ubi sunt superbae Carthaginis alta moenia? ubi maritima gloria inclyti portus? ubi cunctis litoribus terribilis classis? ubi tot exercitus? ubi tantus equitatus? ubi inmenso Africae spatio non contenti spiritus? omnia ista duobus Scipionibus fortuna partita est: at Philaenorum egregii facti memoriam ne patriae quidem interitus extinxit. nihil est igitur excepta uirtute, quod mortali animo ac manu inmortale quaeri possit.

4. Carthage et Cyrène se faisaient une guerre opiniâtre pour leurs limites respectives. On convint enfin de faire partir des jeunes gens de chaque côté, à la même heure, et de regarder comme la frontière commune aux deux peuples l'endroit où ils se rencontreraient. Mais, du côté des Carthaginois, deux frères, nommés Philènes, violèrent la convention : devançant l'heure désignée et précipitant leur marche, ils gagnèrent pour leur patrie une grande étendue de territoire. La fraude n'échappa point aux Cyrénéens, qui s'en plaignirent, contestèrent longtemps, et enfin tentèrent de déjouer l'injustice par l'offre d'une condition terrible. Ils déclarèrent qu'ils étaient prêts à reconnaître cet endroit pour limite, si les Philènes s'y laissaient enterrer vivants. Mais l'événement ne répondit pas à leur attente : les deux frères se remirent, sans hésiter, entre leurs mains, pour être enfouis sous terre. Plus jaloux de reculer les bornes de leur patrie que celles de leurs jours, ils ont conquis une glorieuse sépulture, où leurs mânes et leurs ossements servirent à marquer l'agrandissement de l'empire carthaginois. Où sont les hautes murailles de l'orgueilleuse Carthage ? Qu'est devenue la gloire maritime de ce port si fameux ? Où est cette flotte qui portait la terreur sur tous les rivages ? Où, tant d'armées ? Où, cette cavalerie formidable ? Où, cette ambition qui étouffait dans l'immense étendue de l'Afrique ? La fortune a partagé tout cela entre les deux Scipions ; mais le souvenir des Philènes et de leur noble dévouement a survécu à la ruine même de leur patrie. L'âme et le bras des mortels ne peuvent donc prétendre, si ce n'est par la vertu, à rien d'immortel.

Traduction de T. Baudement,
édition de Cornelius Nepos, Valère-Maxime et alii,
collection des auteurs latins sous la direction de Nisard, Paris, Dubochet et cie (1841)


Commentaire de Dureau de la Malle, Carthage, Paris, Firmin-Didot (1844), p.3

L'Art de vérifier les dates place l'histoire des Philènes en l'an 460 avant Jésus-Christ, sans s'appuyer sur aucune autorité. Comme le premier traité de Rome avec Carthage est de 509, et qu'il peut être rangé au nombre des faits les mieux avérés, nous avons cru devoir reporter à une époque antérieure cette légende du dévouement des frères Philènes qui, de même que le combat des Horaces et des Curiaces, semble appartenir à l'histoire fabuleuse plutôt qu'à l'histoire positive.